Bruno Le Maire, le ministre qui S’OPPOSE à sa propre politique !

Mise à jour du 7 mars 2024 : Incroyable, Bruno Le Maire veut réduire les dépenses publiques ! « Je crois à un État fort, mais pas à un État qui se disperse, qui finance tout et devient une pompe à fric » s’est-il écrié selon son habitude bien ancrée de s’opposer avec véhémence et indignation à sa propre politique. Je vous propose ci-dessous quelques épisodes particulièrement goûtus à redécouvrir .
Rappelons incidemment que le monsieur est titulaire du portefeuille de l’économie depuis 2017 et que sa théorie à l’époque du « quoi qu’il en coûte » était que la croissance, stimulée par des milliards d’aides et de subventions, allait permettre d’éponger tout cela ni vu ni connu. On voit le résultat : croissance poussive et services publics en pleine déshérence malgré des dépenses faramineuses (Replay) :

Notre Bruno garde le cap ! Ou tout au moins son cap. Si le second mandat d’Emmanuel Macron s’ouvre dans une configuration législative bien moins printanière qu’en 2017 et si les acteurs actuels de la petite majorité présidentielle se démènent en tous sens pour essayer de reprendre la main dans le show politicien, rien de tel chez Bruno Le Maire, plus égal à lui-même que jamais : il a toujours eu l’art de dénoncer sur un ton fabuleusement outragé les politiques qu’il a lui-même mises en œuvre et ce n’est certainement pas aujourd’hui qu’il va changer, bien au contraire !

Notre ministre de l’Économie fait décidément partie de ces hommes politiques (femmes incluses) doués du rare talent de mériter le grand prix de l’humour en politique à chaque mot qu’ils prononcent. Mais au point où il en est arrivé, on parle évidemment d’un humour 100 % involontaire et totalement noir pour nos comptes publics, lesquels, fort en dépenses, en impôts et en dette, impactent à la baisse la prospérité globale du pays.

Si vous vous souvenez, en novembre 2018, alors que le gouvernement entrait dans les turbulences des Gilets jaunes pour cause de hausse des taxes sur les carburants et alors que lui-même présentait le projet de loi de finances pour 2019 aux sénateurs, il se mit à jouer à fond sur le registre larmoyant-compatissant face à l’injuste dureté de l’impôt en proclamant sans ciller :

« Nous dépenserons moins et mieux, nous réduirons la dette, mais aussi les impôts et les taxes des Français – on voit bien ce qui se passe actuellement : les impôts et les taxes, ça suffit ! »

On tombe à la renverse devant tant de démagogie. Mais au fait, cher Bruno Le Maire, qui est ministre de l’Économie, des Finances et du Budget ? Qui a élaboré le PLF 2019, si ce ne sont vos équipes de Bercy ? Qui a approuvé le projet budgétaire en question, si ce n’est le Conseil des ministres réuni autour d’Emmanuel Macron et de son Premier ministre (Édouard Philippe à l’époque), Conseil dont vous faites partie ? Bref, qui détermine la politique économique de la France depuis 2017 ?

Plus récemment, en décembre 2021, donc avec le round électoral 2022 en perspective, même tactique. Dans l’émission On est en Direct animée par Laurent Ruquier et Léa Salamé sur France 2, Bruno Le Maire découvre soudain, après cinq ans de pouvoir, qu’il faut tout changer dans la façon de gouverner ! (vidéo ci-dessous, 03′ 36″) :

« Je trouve que si on veut réussir le prochain quinquennat, dont je souhaite qu’il soit celui d’Emmanuel Macron, (…) il faut changer complètement la façon dont on gouverne dans notre pays. Ce n’est plus possible ! Je le dis avec beaucoup de liberté : Ce – n’est plus – possible ! »

Manifestement, ce ministre toujours prêt à défendre les positions du gouvernement adore faire comme s’il était aussi du côté de sa propre opposition. C’est ainsi qu’hier, alors qu’il pontifiait à son habitude sur l’immense responsabilité qui lui incombe et dont il s’arroge volontiers le monopole dans tout le paysage politique français, il a battu tous ses records d’incompétence et d’hypocrisie satisfaite en nous expliquant sur un ton plus sentencieux que jamais que :

« Nous avons atteint la cote d’alerte sur les finances publiques. »

Ah oui ? Vraiment ? Quelle découverte époustouflante !

Ça commence à se savoir que la France est la championne du monde des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques. Ça commence à se savoir que sa dette publique, loin de se réduire, s’envole rapidement et sûrement dans les volutes du « quoi qu’il en coûte » et autres dérapages dépensiers non contrôlés mais prolongés et enrichis de semaine en semaine par moult chèques inflation et autres dispositions en faveur du pouvoir d’achat. Et ça commence à se savoir que les prestations reçues en retour à l’hôpital, à l’école ou ailleurs sont parfois, comment dire, légèrement décevantes.

Et puis ce n’est pas comme si personne n’avait jamais parlé du danger de laisser la dette filer ; ce n’est pas comme si personne n’avait jamais évoqué son inéluctable résolution dans l’inflation ; ce n’est pas comme si personne n’avait jamais mis en garde contre une remontée tout aussi inéluctable des taux d’intérêt ; ce n’est pas comme si la charge de la dette n’avait pas commencé sa redoutable ascension dès l’an dernier. 

En juin 2019, après avoir examiné les comptes 2018 et les perspectives pour les exercices 2019 à 2022, la Cour des Comptes alertait déjà les contribuables et le gouvernement en ces termes :

« Compte tenu de ses niveaux élevés de dette et de déficit, la France disposerait de peu de marges de manœuvre pour faire face à un ralentissement conjoncturel ou un choc financier. Dès lors, la poursuite du mouvement de baisse des prélèvements obligatoires doit s’accompagner d’un effort indispensable de maîtrise des dépenses publiques pour permettre à la France de garder pleinement le contrôle de ses choix budgétaires. »

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Mais à l’époque, Bruno Le Maire et son ministre du Budget Gérald Darmanin ont préféré faire la sourde oreille. Le second expliquait même au début de la pandémie de Covid que le gouvernement pouvait « dépenser quasiment sans compter » en temps de Covid-19 « parce que nos finances publiques étaient saines » (vidéo, à partir de 10′ 10″). Grossière fanfaronnade, très éloignée de la réalité et démontée une fois de plus par la Cour des Comptes.

Une Cour des Comptes de plus en plus souvent amenée à relever les non-dits frôlant l’insincérité des budgets soumis à son contrôle. Après le PLF 2017 du duo Hollande-Sapin, qualifié « d’irréaliste » par les juges de la rue Cambon et « d’insincère » par les sénateurs, c’est le tout récent PLF 2022, du 100 % Macron-Le Maire-Dussopt, qui fut vertement renvoyé dans ses buts tant il était « incomplet » aux dires de la Cour et carrément « insincère » aux dires de son président, Pierre Moscovici. Et devenu parfaitement caduc depuis.

Il n’empêche que d’août 2021 à mai 2022, Bruno Le Maire n’a cessé de nous expliquer que l’économie française se portait bien, que la politique économique du gouvernement depuis 2017 avait porté ses fruits, que la croissance française en 2021 fut l’une des meilleures de l’OCDE, que le pays avait réalisé un exploit sur le plan du chômage, etc. Encore récemment, il plastronnait à grands coups d’approximations douteuses sur le fait que l’inflation française était la plus faible de l’Union européenne.

Et maintenant (que les élections sont passées), c’est soudain l’alerte rouge alors que tant de sonnettes d’alarme furent abondamment tirées, depuis longtemps et par de nombreuses personnes issues de milieux très différents (médias spécialisés, think tanks, économistes classiques, institutions dédiées, et même ici).

Cher M. Le Maire, difficile de vous prendre au sérieux, d’autant que l’on sait qu’un projet de loi « pouvoir d’achat » est en préparation en plus de toutes les mesures déjà prises et reconduites sur le gaz, l’électricité, les carburants et l’inflation en général. Difficile de vous prendre au sérieux quand l’INSEE nous apprend qu’au 1er trimestre 2022, la dette publique a bondi de 89 milliards d’euros pour atteindre 114,5 % du PIB.

À ce stade, je ne peux que redire ce que j’ai déjà dit mille fois : il faut d’urgence se mettre à baisser vraiment les dépenses publiques. Cela passe inéluctablement par des réformes en profondeur ; pas un petit mouvement de curseur sur l’âge de départ en retraite, par exemple, mais par une transformation complète du système vers l’intégration d’un étage de capitalisation.

On m’objectera que ce n’est pas en temps de crise que, etc. Le problème, c’est qu’en France, temps de crise ou pas, ce n’est jamais le bon moment. Les cinquante dernières années en témoignent. Le coup de pied au fond de la piscine, pensez-y.


Illustration de couverture : le ministre de l’Économie Bruno Le Maire sur BFM TV / RMC le 27 juin 2022. Capture d’écran.

15 réflexions sur “Bruno Le Maire, le ministre qui S’OPPOSE à sa propre politique !

  1. Joli coup de gueule Nathalie. C’est vrai qu’il est épuisant de contradictions, le BLM. En fait il a complètement adopté le principe de la « post-vérité »: peu importe la réalité des faits, la seule chose qui compte ce sont les émotions suscitées par ses propos, ainsi que leurs conséquences dans les urnes et dans l’opinion publique. Dans le monde réel 2 + 2 = 4. Dans le monde politique, 2 + 2 fait ce que veut le prince et/ou ce que l’opinion publique souhaite entendre de la part du prince.

    Rappelons que tout ce pognon de dingue devra bien être payé un jour. Il peut être payé de diverses manières: par des impôts écrasants, par de l’inflation ruineuse, par de la création d’argent magique par la BCE (génératrice d’inflation ruineuse), par une banqueroute (désastreuse pour les contrats d’assurance-vie gavés de dettes publiques), par une réduction massive des dépenses (castastrophique pour tous ceux qui vivent aux crochets de l’Etat). Dans tous les cas, la seule perspective c’est l’appauvrissement de la population.

    • ce qui est surtout désolant, c’est de voir que personne ne relève ces propos, personne ne le mette face à ses contradictions et à ses responsabilités ! c’est effarant : je regarde souvent la Fox sur Youtube, c’est d’un autre niveau que nos médias: ils n’hésitent pas à repasser en boucle les interventions rappelant leurs propos aux politiciens. Ici, non, rien, circulez, d’ailleurs, on dirait que ça n’intéresse personne …

      • De quelles « responsabilités » parlez-vous, Pheldge ?
        Aucun ministre n’a jamais eu la moindre responsabilité, que je sache ?
        BLM a été mis à cette place pour faire là où Macron lui disait de faire. Point !

  2. Et revoilà Bruno, le renouveau !
    Mais pourquoi vous étonner « devant tant de démagogie » ?
    Tout le monde sait que Bruno se fiche de l’économie française comme de sa première brassière !
    Lui, il fait de la politique. Pensez-y.

  3. Le bal date au moins des années 80 mais aujourd’hui Bruno se réveille. Les bouquins d’Yvan Stéfanovitch sur les coulisse de cette caste sont édifiants.. Je crains que nous allons à la guerre comme des ados, casque sur leurs oreilles et lobotomisés par leur mobile. Pendant ce temps nos députés magouillent pour leurs postes..

  4. Normalien et Énarque !!!!
    Je me pose vraiment des questions. J’ai du mal à comprendre l’itinéraire !
    Il devrait lui rester un soupçon d’intelligence, de compétences, de réalisme.
    Même le « à la soupe » n’explique pas tout.
    Si vous avez des explications, suis preneur.

    • Traditionnellement les Normaliens vont dans l’enseignement, et même souvent dans le secondaire, c’est assez limité … Il y en a bien qui de temps en temps tentent l’aventure du privé, mais une agrèg de lettre moderne, ne prépare pas vraiment à tout. L’ENA c’est la sécurité de la haute fonction publique garantie à vie. Et si vous ajoutez l’attrait du pouvoir, le sentiment d’appartenir à l’élite de la crème du dessus du panier …

  5. Bonjour à tous. Merci Nathalie pour ce billet. Tout est très clairement dit.
    Perso, ce qui me désole, c’est que rien ne va dans notre beau pays, malgré une fiscalité au plus haut des pays de l’OCDE. Nous payons très chers des services qui n’existent plus, ou si mal. Tout part en sucette : l’instruction à l’abandon, l’insécurité préoccupante, les hôpitaux aux abois, les routes désastreuses, … j’en passe. Et, cerise sur la gâteau …. on nous prépare une « planification écolo » pour bien achever ce pays, car la France a elle seule doit sauver la planète du désastre carboné … c’est évident !
    Tout cela est bel et bon, mais ce qui préoccupe notre PM en premier lieu … c’est d’inscrire l’IVG dans la constitution. On est dirigés par des fous !
    Comme dirait Nathalie « ça promet ! ».

  6. Ce diagnostic est parfaitement documenté en médecine psychiatrique, c’est le « trouble dissociatif de l’identité ».
    Chez Le Maire, sa dernière manifestation consiste à déplorer que nous venons de dépasser la cote d’alerte des dépenses publiques tout en signant dans le même instant un chèque de 7 milliards d’argent public au bénéfice des fonctionnaires (point d’indice) sans la moindre contrepartie en terme d’organisation, de management ou de productivité !
    La médecine nous apprend que dans le trouble dissociatif de l’identité, deux ou plusieurs identités prennent tour à tour (chez Le Maire c’est en même temps..) le contrôle d’une même personne, laquelle ne se souvient pas d’informations normalement faciles à retenir (cf les rappels historiques cités dans l’article).
    Elle ajoute que le traitement médicamenteux (par exemple l’expédition de chèques pour n’importe quoi) ) soulage temporairement le malade mais ne soigne pas le trouble, conseillant au malade une forte psychothérapie pour lesquelles l’hospitalisation peut s’avérer nécessaire.
    On peut donc s’attendre à une volée de chèques nouveaux et subventions en direction de l’hôpital public (toujours sans la moindre réorganisation réelle) en prévision de son séjour prochain.

  7. Un excellent papier qui analyse, décrypte et synthétise parfaitement l’apparent délire de ce ministricule.
    Mais comme le dit C. Sannat : BLM est un éternel optimiste toujours prêt à passer pour le dernier des abrutis ce qu’il n’est en aucun cas, histoire de ne pas déclencher de panique par des propos qui seraient mal calibrés. Voilà, il passe son temps à débiter des mensonges, des inepties dans le seul but de maintenir la paix sociale, jusqu’au jour où… Il fait de la comm macronienne, rien de plus. Il m’est avis qu’il faut lire ses déclarations en prenant le parti-pris inverse.

    • « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. »

      Nous ne rions plus du tout.

      Notre hôtesse avait déjà déploré, en son temps, la vertigineuse incompétence du « ministricule »; à défaut de bêtise.

      C’est tout à fait de la comm’. Le « en même temps » et le « quoi qu’il en coûte » deviennent du n’importe-quoi-pourvu-que-ça-passe.

      Nous avons appris à interpréter: s’attendre à l’inverse de ce qu’ils annoncent.

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