Fin octobre, dans la version révisée de son Projet de loi de finances pour 2022, le gouvernement annonçait les chiffres suivants pour 2021 : croissance à 6,25 %, déficit public à 8,1 % du PIB et dette publique à 115,3 % du PIB. Alors forcément, quand l’Insee a publié la semaine dernière sa première évaluation des comptes nationaux 2021, c’était la joie à Bercy. Croissance ? Un immense 7 %. Déficit ? Un tout petit 6,5 %. Dette publique ? Ramenée à 112,9 %. Du mieux partout, partout, partout !
📊Bonne nouvelle! Un déficit une fois encore revu à la baisse à 6,5% pour 2021 (contre 8,2% prévus fin 2021) et une dette à 112,9%, loin des 120% un temps envisagé.
— Olivier Dussopt (@olivierdussopt) March 29, 2022
✅ nouvelle illustration de la politique décidée par @ face à la crise. (1/3)⤵️ https://t.co/yeTRGzbDCL
Et le ministre délégué aux comptes publics Olivier Dussopt d’y voir aussitôt la preuve de l’excellence des décisions économiques du gouvernement pendant la pandémie de Covid et d’en déduire par avance que les plans “inflation” et “résilience Ukraine” qui sont en train d’être mis en place déboucheront sur le même brillant succès :
“Ces bonnes nouvelles confirment l’efficacité du plan d’urgence et du plan de relance pour notre économie et donc pour les Français. Les actions mises en œuvre face à la crise ukrainienne et énergétique vont dans le même sens.”
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La réalité est évidemment un petit peu différente. Est-il bien sérieux de se comparer à ses propres prévisions, surtout quand on sait que dans ses avis sur le PLF 2022, le Haut Conseil des Finances Publiques avait souligné cet automne que la croissance et le déficit retenus par le gouvernement pour 2021 semblaient trop pessimistes au vu des résultats enregistrés au 3ème trimestre ? De là à en déduire que le tableau fut noirci à dessein afin de pouvoir faire artificiellement état de résultats formidables…
La seule comparaison véritablement parlante consiste à repérer notre position parmi nos voisins de l’Union européenne (UE). On ne connaît pas encore le niveau de la dette publique en Europe à fin 2021, mais si l’on s’arrête au 3ème trimestre, force est de constater qu’avec 116 % du PIB, la France se situe nettement au-dessus de la moyenne de l’UE (90,1 %) et celle de la zone euros (97,7 %) :
Autrement dit, se vanter de l’efficacité du “quoi qu’il en coûte” et répéter, comme le font Bruno Le Maire et Emmanuel Macron, que tous les pays ont procédé de la même façon face à la crise du Covid relève d’une forme d’arnaque, car au final, la dette publique de l’Allemagne ne dépasse pas 70 % du PIB et celle des Pays-Bas est de 53 %.
Il est vrai que tous les pays ont augmenté leurs dépenses publiques pour compenser les effets négatifs des restrictions sanitaires, sans compter le coût spécifique de la prise en charge de la pandémie (masques, tests, vaccins). Mais disons que certains pays disposaient des marges de manœuvre pour le faire quand la France n’en avait aucune, faute d’avoir procédé auparavant à des réformes structurelles vraiment impactantes (périmètre de l’État, marché du travail, retraites) et faute d’avoir enrayé le cercle vicieux de l’inflation législative.
Rétrospectivement, on se rend compte que de mai 2012 à mars 2020, François Hollande puis Emmanuel Macron ont bénéficié d’une fenêtre idéale pour transformer la France. Malheureusement, malgré leurs discours à tonalité parfois réformatrice, ils n’en ont rien fait. En 2018, Emmanuel Macron préféra même abaisser sans nécessité la limite de vitesse sur route de 90 à 80 km/h et augmenter les taxes déjà très élevées sur les carburants par idéologie verte, consacrant ainsi durablement la rupture de confiance entre les élites du gouvernement et les citoyens de la vie de tous les jours.
Sur ce, crise du Covid, alors que la crise financière de 2008 n’était même pas complètement surmontée, et voici que se profile maintenant la crise ukrainienne. Encore une bonne raison de faire des chèques “pouvoir d’achat” et de renvoyer les réformes nécessaires à plus tard.
Sauf que le contexte macroéconomique est en train de changer du tout au tout.
Si, jusqu’en 2020 inclus, la charge de notre dette caracolante était en baisse année après année du fait de la baisse des taux, elle s’est remise à monter en 2021, passant de 33,1 à 38,1 milliards d’euros en raison “du dynamisme de l’inflation sur la charge d’intérêts des obligations indexées sur l’inflation”. Cette inflation qui ne devait pas exister. Ou qui ne serait au pire que très passagère, d’après la présidente de la BCE Christine Lagarde. Comme si l’on pouvait distribuer des masses d’argent gratuit sans que cela finisse par se voir un jour…
La figure ci-dessous représente le stock de dette publique à la fin de chaque année (courbe orange, échelle de gauche) et les flux d’intérêts payés chaque année (courbe bleue, échelle de droite) :
À l’inflation qui vient d’atteindre 4,5 % sur un an au mois de mars 2022, il convient d’ajouter la remontée consécutive des taux d’intérêt. Si la BCE n’a pas encore relevé ses taux directeurs (mais a décidé de diminuer ses rachats d’actifs ou “quantitative easings”), la Réserve Fédérale américaine, la banque d’Angleterre et la banque du Canada l’ont fait, poussant les taux des emprunts d’État à 10 ans à la hausse. Parmi eux, l’emprunt français a dépassé les 1 % fin mars et atteint 1,2 % hier, une première depuis le début de 2017 :
Il y a tout lieu de penser qu’en 2022, la charge de la dette va continuer à croître, aussi bien sous l’effet de l’inflation sur les obligations indexées que via la hausse des taux qu’on avait un peu oubliée. Or parmi ses remarques dubitatives sur le PLF 2022, le Haut Conseil des Finances Publiques souligne que la prévision d’inflation du gouvernement fixée à 1,5 % pour 2022 semble beaucoup trop basse compte tenu de la hausse des prix de l’énergie. On peut y ajouter la hausse des prix des produits alimentaires, comme l’indique l’Insee dans son relevé d’inflation du mois de mars.
On dirait donc que nous arrivons bel et bien à ce point critique et dangereux, annoncé depuis plusieurs années par des esprits qualifiés au choix de chagrins ou lucides, Cour des Comptes comprise, où la France, empêtrée dans une dette de 2 813 milliards d’euros, va devoir affronter les conséquences de ses politiques systématiquement déficitaires.
Du côté des dépenses publiques qui se montent au total à 1 475,7 milliards d’euros en 2021, soit 59,2 % du PIB, signalons aussi que les mesures d’urgence, le plan de relance post-Covid et les investissements d’avenir, quoique coûteux et en forte progression, n’expliquent pas tout. Les dépenses ordinaires continuent de progresser plus vite que l’inflation, actant une folle dérive des dépenses publiques qui dépasse largement le cadre du soutien “quoi qu’il en coûte” déployé pendant et après la pandémie.
Quant aux prélèvements obligatoires composés des impôts et des cotisations sociales, ils persistent à représenter 44,5 % du PIB, après un taux identique en 2020. Autrement dit, que la production s’effondre (2020) ou qu’elle rebondisse (2021), la pression fiscale et sociale française reste extrêmement élevée. Mais comme les dépenses sont encore plus folles, le contribuable français a le douteux privilège de savoir qu’un véritable champ de dettes, comme on dit un champ de mines, l’attend au tournant.
Les candidats qui se présentent à nos suffrages présidentiels dimanche prochain voient-ils le danger ? Peut-être bien que oui, peut-être bien que non, mais de toute façon, pas question d’en parler en période électorale. Sujet tabou. Pire, sujet odieusement ultra-libéral.
Plutôt annoncer de nouvelles dépenses de protection des Français – 50 milliards d’euros par an pour Macron, 68 milliards pour Le Pen et jusqu’à 250 milliards pour Mélenchon ! Pourquoi se priver ? La fabuleuse croissance induite par tant d’orthodoxie keynésienne aura tôt fait d’éponger les déficits, et si cela ne suffit pas, il y a certainement des milliards d’euros à trouver du côté de la réforme de l’État (pas faux, mais jamais fait) et dans les luttes contre la fraude fiscale et l’immigration. Sans oublier évidemment une fiscalité confiscatoire sur les riches chez Mélenchon et l’introduction d’un Impôt sur la fortune financière bien populiste en remplacement de l’IFI chez Marine Le Pen.
Autrement dit, demain on rase gratis. C’est d’un banal… Qui pourrait y croire ?
Pour finir, j’ai récapitulé les valeurs évoquées ci-dessus dans mon tableau des comptes publics. Vous y trouverez 2007 (élection de Sarkozy), 2012 (élection de Hollande) et les cinq années du mandat Macron :
Tableau des principales données de nos finances publiques(*)
Sources : Insee Comptes 2021 – Inflation.
Mise à jour : 3 avril 2022.
Unités : Habitants en millions – Dépenses publiques, prélèvements obligatoires, déficit public et dette publique en milliards d’euros courants et en % par rapport au PIB.
Note : Les comptes 2021 sont provisoires ; les comptes définitifs seront publiés le 31 mai 2022. Le PIB 2021 en milliards d’euros est une estimation.
2007 | 2012 | 2017 | 2018 | 2019 | 2020 | 2021 | |
Habitants | 64,0 | 65,5 | 67,0 | 67,2 | 67,4 | 67,6 | 67,8 |
Inflation | 1,5 % | 2,0 % | 1,0 % | 1,8 % | 1,1 % | 0,5 % | 1,6 % |
Croissance | 2,3 % | 0,0 % | 2,3 % | 1,8 % | 1,5 % | -8,0 % | 7,0 % |
PIB (Mds€) | 1 946 | 2 087 | 2 295 | 2 353 | 2 426 | 2 303 | 2 490 |
Dép. publ. | 991 | 1 151 | 1 292 | 1 314 | 1 349 | 1 419 | 1 476 |
En % PIB | 50,9 % | 55,2 % | 56,4 % | 55,6 % | 55,4 % | 61,6 % | 59,2 % |
Pré. oblig. | 819 | 913 | 1 038 | 1 060 | 1 070 | 1 026 | 1 109 |
En % PIB | 43,2 % | 43,8 % | 45,2 % | 45,0 % | 44,0 % | 44,4 % | 44,5 % |
Déf. Publ. | -50,3 | -98,2 | -68,0 | -54,1 | -74,7 | -205,5 | -160,9 |
En % PIB | -2,7 % | -4,8% | -3,0 % | -2,3 % | -3,1 % | -8,9 % | -6,5 % |
Dette pub. | 1 253 | 1 893 | 2 259 | 2 315 | 2 380 | 2 648 | 2 813 |
En % PIB | 64,5 % | 90,7 % | 98,4 % | 98,4 % | 98,1 % | 115 % | 113 % |
(*) L’Insee révisant ses données en continu, ce tableau a été mis à jour conformément à la dernière publication et peut présenter plusieurs petites différences avec mes tableaux antérieurs.
Illustration de couverture : L’Insee a publié le 29 mars 2022 ses résultats provisoires sur les comptes publics 2021.
On pourrait réformer l’ état en premier mais il y a beaucoup trop de personnes qui en vivent et d’ autres qui en vivent trop bien et trop peu de candidats annoncent des mesures d’ économies.
Meri bcp pour les chiffres, j’ai qq questions pour savoir si mon raisonnement est correct:
2017: PIB – dép. pub. = 1946 – 991 = 955
2021: PIB – dép. pub. = 2490 – 1476 = 1014
On a donc une augmentation de la dépense publique de ~27,9% alors que le secteur privé a augmenté de ~6,2%, la croissance s’est donc essentiellement réalisée par l’accroissement de la dépense publique ?
Cela ferait donc une croissance du secteur privé de 0,43%/an sur 14 ans ! Rapporté à l’inflation, autant dire une croissance négative.
D’où vient la différence entre la dépense publique et les prélèvements obligatoires ? La dette seule ne semble pas couvrir la différence.
Il y a en effet erreur. La dépense publique n’est pas une composante en tant que telle du PIB.
Le secteur public entre dans le PIB essentiellement via les salaires versés chaque année aux fonctionnaires et il représente grosso modo 22 % du PIB (en additionnant administrations publiques, santé, éducation).
Les autres dépenses publiques, les prestations sociales, sont des transferts qui ne signifient pas une création de richesse au niveau de l’Etat.
Voici un article assez détaillé qui précise ces notions :
https://www.comptanat.fr/debats/debat9g.htm
Sur votre dernière remarque, le secteur public a quelques autres recettes que les prélèvements obligatoires, les dividendes de ses participations dans l’économie, notamment.
Bravo Nathalie vous êtes toujours pointue et précise
Du passé faisons table rase et autre slogans du type le SMIC ou le RSA à 3000 pour tous et l’essence à 1,2 euro, Etc… j’exagère à peine les balivernes que nous entendons actuellement alors que nous ne contrôlons plus notre monnaie et que nombre de décisions sont déportées. Dans le même temps il faut choisir un candidat et je vais pressé ce foutu bouton de la machine à voter car dans mon bureau c’est moderne, du sérieux. Il y aura peut être des explications épinglées sur les Alstomgate, McKinseygate ou Rothschildgate assortis des commentaires de Charles Prats sur les trusts anglo-saxons pendant que d’autres galèrent pour boucler leurs mois. Nous sommes en guerre, elle est économique, financière, industrielle, demain militaire et le grand perdant sera l’Europe c’est à dire nos petits enfants.. que s’est-il passé, comment en sommes nous arrivés à ce point. « …Les autorités sont parfois des bandits, les peuples jamais …» disait Victor Hugo dans sa belle lettre au capitaine Butler sur l’affaire du sac du palais d’été « …Nous, Européens, nous sommes les civilisés….Voila ce que la civilisation a fait à la barbarie…». Dans 48 heures nous aurons la charge de désigner le représentant d’un pays civilisé… et j’avoue toujours douter j’ai l’impression de choisir entre la ruine et la guerre civile.. Je m’en vais brûler deux cierges pour éclairer mon choix.
Inflation en hausse et croissance sans doute inférieure à 1% ne vont pas arranger les affaires.
http://www.rexecode.fr/public/Analyses-et-previsions/Veille-documentaire/Document-de-la-semaine/Les-previsions-de-croissance-economique-continuent-d-etre-revues-a-la-baisse-en-raison-de-la-guerre-en-Ukraine-S-P-BERD
La dette va forcément exploser !