PLF 2022 : dépenses, non-sens et foutage de gueule

Mise à jour du 5 novembre 2021 : Le gouvernement a révisé son PLF 2022 pour tenir compte des dépenses (plan d’investissement France 2030 et revenu d’engagement pour les jeunes) non incluses dans son premier jet.
Croissance :  6,25 % en 2021 (contre 6 % dans le document initial) et 4 % en 2022.
Inflation : inchangée à 1,5 % en 2021 et 2022, ce que le HCFP juge faible pour 2022.
Déficit public : 8,1 % en 2021 (contre 8,4 %) et 5 % en 2022 (contre 4,8 %) dont 4 % pour le déficit structurel.
Dette publique : 115,3 % et 113,5 % du PIB en 2021 et 2022, soit en léger retrait par rapport au PLF initial.
Dans son second avis, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) regrette que le surcroît de recettes attendues grâce à une meilleure croissance de l’activité ne soit pas consacré au désendettement mais à des dépenses supplémentaires et souligne que le retrait du ratio de dette publique n’est pas le résultat « d’une réduction du déficit public mais d’opérations de gestion de trésorerie de l’État. »

Alors que le ministre de l’Économie Bruno Le Maire vient de présenter officiellement le cinquième et dernier Projet de loi de finances du quinquennat Macron (PLF 2022), nos différents médias nous rappelaient à juste titre qu’il faut remonter à l’année 2016 pour trouver un rapport du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) aussi ouvertement sévère pour les projections chiffrées du gouvernement en place.

Voilà qui n’est pas peu dire !

Si vous vous souvenez, en 2016, le Haut Conseil présidé à l’époque par Didier Migaud (PS) jugeait « improbables », « trop optimistes » voire même « irréalistes » les hypothèses mirifiques retenues par le duo Sapin Hollande pour le PLF 2017. Probablement avec quelques bonnes raisons, car quelques semaines plus tard, les sénateurs refusaient d’examiner le budget 2017 tant ils le trouvaient « insincère », confirmant ainsi les premières impressions peu amènes de Didier Migaud et ses collègues.

Les sénateurs pourraient fort bien se montrer tout aussi rétifs cette année car si l’on en croit les remarques formulées par le HCFP présidé depuis l’an dernier par Pierre Moscovici (PS), le PLF soumis à son examen par Bercy s’avère grossièrement « incomplet » :

« En effet, il n’intègre pas l’impact de mesures d’ampleur qui ont pourtant déjà été annoncées par le Gouvernement (grand plan d’investissement, revenu d’engagement notamment) » ce qui ne permet pas au Conseil « de rendre un avis pleinement éclairé sur les prévisions de finances publiques pour 2022 à l’intention du Parlement et des citoyens. » Notamment, « il n’est pas à ce stade en mesure de se prononcer sur la plausibilité de la prévision de déficit pour 2022 (-4,8 points de PIB). »

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Rappelons que lors de sa sinistre allocution du 12 juillet dernier sur la mise en place du pass sanitaire, Emmanuel Macron a aussi persévéré à fond dans sa politique d’open bar via l’annonce d’un plan d’investissement de 20 à 30 milliards d’euros sur cinq ans dans la santé, les biotechnologies, les batteries et l’hydrogène pour « bâtir la France de 2030 » et celle d’un revenu d’engagement pour les jeunes sans emploi ni formation qui n’est pas encore bouclé mais pourrait coûter de 1 à 3 milliards d’euros par an selon le nombre de bénéficiaires. 

Si le style littéraire du Haut Conseil vous semble incroyablement calme et courtois compte tenu de l’extraordinaire foutage de gueule auquel vient de se livrer le gouvernement en oubliant sciemment d’intégrer ces nouvelles dépenses dans son budget (avec l’idée de les faire adopter plus tard par voie d’amendement lors du débat au Parlement), sachez « qu’en privé », Pierre Moscovici n’a pas caché son mécontentement, allant jusqu’à qualifier le PLF « d’insincère » comme à la haute époque Sapin Hollande de 2016. 

De son côté, Bruno Le Maire se défend naturellement de toute entourloupe : « C’est un budget sincère, nous sommes des gestionnaires sérieux » a-t-il déclaré à la presse. À l’entendre, parler de politique du chéquier pré-électoral à propos des crédits supplémentaires pour la sécurité, pour Marseille, pour le dispositif MaPrimeRénov’, pour le chèque énergie, et que sais-je encore, serait un scandaleux procès d’intention adressé à un gouvernement qui ne jure que par le « sérieux budgétaire » dont Michel Sapin avait le secret en son temps ! (début de la vidéo ci-dessous) :

Résumé du point de vue du ministre : on avait toujours dit qu’on dépenserait plus et qu’on le ferait en deux temps ! Nous sommes donc rigoureux, sincères et fiables !

Objection, cher Monsieur : vous avez toujours dit, par exemple, que « la nouvelle prospérité française ne doit pas être bâtie sur la dépense et sur la dette, mais sur la croissance et le travail », responsabilité, rigueur, orthodoxie, blablabla. Sans jamais donner suite.

Traduction dans la réalité de notre situation de contribuables actuels ou futurs : le PLF 2022 continue à acter une folle dérive des dépenses publiques qui dépasse largement le cadre du soutien « quoi qu’il en coûte » déployé pendant la pandémie (chômage partiel, fonds de solidarité, exonération de cotisations) ainsi que celui du plan de relance, comme le montre très clairement le graphique ci-dessous réalisé par le HCFP dans son rapport :

La partie en bleu foncé intitulée « autres dépenses » ne cesse de croître depuis 2019 indépendamment de la situation pandémique, sachant donc qu’il manque à la facture totale de 2022 deux postes importants qui pourraient atteindre ensemble 5 à 8 milliards d’euros par an suivant les périmètres et les bénéficiaires retenus.

De ce fait, le déficit public annoncé de façon « incomplète » à 4,8 % en 2022 après 8,4 % cette année comporte une part structurelle de 3,7 % (presque 80 % du déficit) qui ne signifie qu’une seule chose : la tendance à générer du déficit public indépendamment des éléments économiques conjoncturels est installée et durable.

Bruno Le Maire peut se vanter d’avoir baissé les impôts des particuliers et des entreprises de 50 milliards d’euros sur le quinquennat, ne pas oublier que parallèlement, il a fortement augmenté la CSG en début de mandat et ne pas oublier non plus que dans le contexte de déficit public que nous connaissons depuis 45 ans, une baisse de prélèvements sans baisse de dépenses n’est jamais qu’une promesse d’impôts différés.

Pas de quoi effrayer le ministre de l’Économie qui continue à se féliciter de la bonne tenue de l’économie en oubliant complètement de dire qu’il fait nager la France dans une euphorie obtenue à crédit. En fait, prétend-il :

« Nous avons dépensé l’argent des Français à bon escient. La situation économique est meilleure que prévue au niveau national : nous prévoyons 6 % de croissance en 2021, 4 % en 2022. L’efficacité de la relance nous a permis d’avoir un taux de chômage inférieur à celui d’avant-crise. »

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Il n’empêche que les chiffres indiqués dans le PLF sont « incomplets » du côté des dépenses et qu’à ce titre ils ne signifient rien, si ce n’est une tromperie du gouvernement qui nous confirme que l’élection présidentielle approche : d’un côté le duo exécutif Macron Castex annonce partout de nouvelles distributions d’argent frais et de l’autre Bruno Le Maire se drape dans une parodie de rigueur budgétaire censée nous faire comprendre que vraiment, Macron à l’Élysée, c’est du sérieux !

Les voici quand même, récapitulés dans le tableau ci-dessous, en attendant de pouvoir comparer avec l’exécution effective qui sera faite ultérieurement :

Principales données de nos finances publiques(1)(2) et PLF 2022

Sources : Dépenses publiques – Prélèvements obligatoires – Déficits publics – Dette publique – Croissance – InflationPLF 2022.
Mise à jour : 25 septembre 2021.
Unités : Habitants en millions – PIB en milliards d’euros courants – Dépenses publiques, prélèvements obligatoires, déficit public et dette publique en milliards d’euros courants et en % par rapport au PIB.
Note* : 2021 est une estimation de fin d’année et 2022 une prévision. Les dépenses y sont indiquées hors crédit d’impôt, à rapprocher des montants 1 311 pour 2019 et 1 401 pour 2020 indiqués dans le schéma du HCFP reproduit ci-dessus. 

  2012 2017 2019 2020 2021 2022
Habitants 65,7 66,8 67,0 67,4    
Inflation 2,0 % 1,0 % 1,1 % 0,5 % 1,5 % 1,5 %
Croissance 0,0 % 2,3 % 1,8 % -7,9 % 6,0 % 4,0 %
PIB (Mds €) 2 032 2 297 2 437 2 303 2 452 2 588
Dép. publ. 1 151 1 292 1 349 1 423 1 469* 1 439*
En % PIB 57,1 % 56,5 % 55,4 % 61,6 % 59,9 %* 55,6 %*
Pré. oblig. 913 1 038 1 060 1 025    
En % PIB 44,9 % 45,1 % 43,8 % 44,5 % 43,7 % 43,5 %
Déf. Publ. -104,0 -68,0 -74,7 -212,0    
En % PIB -5,0 % -3,0 % -3,1 % -9,1 % -8,4 % -4,8 %
Dette pub. 1 833 2 254 2 376 2 649    
En % PIB 90,2 % 98,2 % 97,5 % 115,1 % 115,6 % 114,0 %

Quand j’écris « comparer », je parle uniquement des quelques mauvais coucheurs qui ont le goût déplorable de s’alarmer du poids de plus en plus insoutenable de l’État et de la dette qui l’accompagne pour notre prospérité à tous.

Mais d’ici là, 2023, 2024, de l’eau aura coulé sous les ponts, l’élection aura eu lieu et je crains hélas que la double réforme de l’État et de l’État providence que certains candidats (pas les plus en vue, hélas) jugent aujourd’hui indispensable ne soit alors de l’histoire ancienne… Ça promet.


(1) Pour les définitions des principales grandeurs de nos comptes publics, on pourra se reporter à l’article : Budget 2016 : opérations de contes à comptes (17 sept. 2015). 

(2) L’INSEE révisant ses données en continu, j’ai également procédé à des révisions par rapport à mes tableaux antérieurs.


Illustration de couverture : Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire présente le PLF 2022 le 22 septembre 2021. Photo AFP.

9 réflexions sur “PLF 2022 : dépenses, non-sens et foutage de gueule

  1. Effectivement, c’est bien d’un budget insincère et mensonger qu’il s’agit. Nos dirigeants nous confirment chaque jour qu’ils sont des gangsters.

    Compte tenu de cette situation et de l’état des mentalités chez nous, la seule possibilité de changement viendra de la contrainte extérieure, pas d’une augmentation du déficit de la balance commerciale, non tout le monde s’en fiche, mais d’une remontée des taux. Comme tous les événements jugés rigoureusement impossibles, comme le naufrage du Titanic, celle ci devrait advenir bientôt.

    • Un autre point de vue serait de constater que Moscovici, ayant coché toutes les cases depuis qu’il est sorti de ses langes (je ne vous en ferai pas la liste, mais allez consulter sa fiche Wikipedia, vous verrez : ce n’est pas de la tarte !), fait donc partie intégrante de nos élites auto-proclamées, et partant, peut prétendre à TOUS les postes qu’il décidera d’occuper, que cela plaise ou non !

  2. Bonjour Nathalie,

    Quand on lit ça : « Pour Castex, le gouvernement n’a « aucune leçon à recevoir sur l’équilibre des comptes publics » (https://www.bfmtv.com/economie/pour-castex-le-gouvernement-n-a-aucune-lecon-a-recevoir-sur-l-equilibre-des-comptes-publics_AD-202109260142.html), on se dit qu’on vit sur une autre planète!!!
    Ce que je constate au quotidien, c’est que ce pays se paupérise à grande vitesse. L’exemple le plus visible est celui du non-allumage des éclairages publics le long des rocades et autres autoroutes de contournement, comme dans le région parisienne mais d’autres grandes villes sont atteintes, au nom d’une prétendue sécurité.Ou alors, il y a le nombre grandissant de voiture d’une marque roumaine appartenant à Renault en circulation, signe que le pouvoir d’achat des français est en baisse (même si sur ce point de vue, le changement de mentalité vis-à-vis de la voiture joue également). Il y a aussi la baisse continuelle mais réelle de la qualité de l’offre dans les boutiques (là où je vis, le commerce du centre-ville, autrefois florissant, périclite et l’offre de prix tend irrémédiablement vers le bas). Entre les textes imbéciles comme celui sur les pneus neige (l’abruti à la base de cette loi doit ignorer le prix des pneumatiques pour un risque quasi-inexistant dans la grande majorité de la France) et le refus d’anticipation comme pour le nécessaire renouvellement du parc nucléaire, nos autorités montrent au quotidien leur totale incapacité à gérer correctement ce pays.

    Comme le rappelle très justement H16, ce pays est foutu.

    Bonne journée quand même.

    • Pas seulement les rocades et voies rapides. Ma ville est plongée dans le noir de 01h00 à 05h00. Le fallacieux prétexte n°1 est l’influence néfaste de l’éclairage sur les insectes pollinisateurs, les lucioles et les migrateurs (si, si).

      N°2: la sécurisation du domaine public: incitation à la conduite plus lente en l’absence d’éclairage (pensez donc, une aubaine).

      Dans le genre foutage de gueule, également …

      Et ce guignol de BLM qui prétend que les impôts ont baissé. Je n’en ai jamais payé autant.

      • et les oiseaux, hein vous y pensez, vous aux pauvres oiseaux gravement perturbés par l’éclairage urbain ? J’attends de la candidate écolo, des propositions fortes dans ce domaine également. Il faut sortir la cravache et punir les contrariants !

        Bon, c’est ironique, pardon Nathalie, mais ça soulage de pouvoir se défouler un peu.

      • Ah mais je pense que vous avez également entendu parler des ZFE – Zones à Faible Emission (sous entendez tout ce qui n(y fonctionne pas au crottin d’équidé estampillé bio).

        N’y seront tolérés que les véhicules dont la fameuse vignette Crit’Air a une valeur inférieure à celle fixée par les « zotorités » (forcément mieux éclairées que vous, si je puis dire).

        Valeur, évidemment, inversement proportionnelle à votre pouvoir d’achat.

        Cette valeur étant décroissante au cours des années à venir, de façon, sans doute, à ne laisser entrer que des véhicules de moins de 6 mois.

        En place apparemment dans les grandes métropoles et à venir dans les plus modestes.
        La mienne ayant viré pastèque l’année dernière, ça augure du meilleur.

        Dans ma résidence, nous avons reçu, cet été, un prospectus nous proposant de nous réunir en comité de voisins pour débattre de la nécessité (citoyenne et responsable naturellement) d’installer des composteurs. Je subodore la totale réussite de la démarche.

        Pendant que les véhicules électriques, non rentables, ont été remisés dans des parkings où ils pourrissent, en bordure de ville.

        Et ces brêles viennent ensuite fustiger l’obsolescence programmée.

    • Pendant que l’excellent blog de René Dosière ce grand observateur des pépettes publiques nous indique que le gouvernement Castex est le plus cher de la 5ième, en augmentation de 46,7 par rapport au gouvernement Philippe. Il est permis de douter de l’exemplarité de nos autorités.

  3. Et pour ceux qui espèreraient une solution avec Zemmour :
    « Nos difficultés avec l’immigration, que Zemmour pointe de façon claire et cash, ne sont que les conséquences de presque trente ans de gouvernance un peu lâche, très laxiste, clientéliste, corporatiste qui ont installé dans ce pays une croissance économique très faible, aux environs de 1% par an depuis presque 20 ans, c’est à dire moins que ce que la France faisait au début du 19e siècle avant même la révolution industrielle.  »
    https://www.atlantico.fr/article/decryptage/la-lachete-des-politiques-a-ne-pas-vouloir-restaurer-la-croissance-a-ouvert-un-boulevard-a-eric-zemmour—–jean-marc-sylvestre

    En bref, tout cela n’est que de notre faute ! Le reste encore et encore du foutage de gueule effectivement.

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