Marseille I : situation à la grecque, résolution à la française…

Et voilà qu’Emmanuel Macron, chéquier des Français grand ouvert en poche, vole au chevet de Marseille pour répondre à l’appel au secours lancé par le nouveau maire de la cité phocéenne Benoît Payan (PS). Nom de code : Marseille en Grand. En très très grand. On parle d’un milliard et demi d’euros d’argent frais pour les transports, la culture et la sécurité, plus une participation spécifique de l’État pour la rénovation urbaine de 174 écoles (le tiers du parc) qui pourrait représenter un autre milliard.

Première remarque, on ne savait pas que les marges de manœuvre financières de l’État français étaient si larges. Bruno Le Maire a beau clamer partout que « le quoi qu’il en coûte, c’est fini », force est de constater que d’ici au 10 avril 2022, date du premier tour de l’élection présidentielle, on risque surtout d’assister à un changement lexical plus qu’à un changement de principe.

Et de fait, le futur Projet de loi de Finances pour 2022 ne bruisse que des mots « plan de relance », « plan d’investissement », « aides sur-mesure » et « revenu d’engagement pour les jeunes », tous vocables qui fleurent bon la dépense publique dont nous sommes les champions mondiaux depuis 40 ans, sans résultats notables. Comme disait Moscovici en 2017 dans un accès de lucidité trop rare, « si le déficit public signifiait croissance et emploi, ça se saurait ».

Et maintenant, Marseille.

Plombées depuis longtemps par une dette abyssale, les marges de manœuvre financières de la ville s’avèrent effectivement nulles tandis que curieusement, les services et équipements municipaux dans les domaines du logement, du sport, des transports, de la sécurité et des infrastructures scolaires ont atteint un niveau de déliquescence rarement vu en France. Les immeubles s’effondrent, les écoles sont délabrées et les règlements de compte sur fond de grand banditisme et trafic de drogue font partie du quotidien. Chômage et pauvreté (moins de 60 % du revenu médian) dépassent nettement la moyenne française :

   

De là à penser que la dépense publique marseillaise ne fut pas tout à fait aussi rigoureuse, maîtrisée, gérée, réfléchie qu’on aurait pu le souhaiter…

Selon la Cour régionale des Comptes qui a rendu en 2019 un rapport portant sur la période 2012-2018 :

« Les difficultés rencontrées par la ville ont pour origine commune une absence de stratégie claire et une insuffisance dans le pilotage de ses actions, par ailleurs peu économes des deniers publics. »

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Comprendre : la ville de Marseille jette l’argent par les fenêtres – on connaît la façon policée avec laquelle ce genre de rapport est rédigé. La Cour parle même de comptes « partiellement insincères », pointant l’absence totale de gouvernance tant dans la gestion du personnel que dans celle du patrimoine de la ville. De ce fait, elle n’est pas en mesure « de décliner une politique adéquate d’entretien », ainsi qu’en atteste notamment l’exemple affligeant des écoles marseillaises.

De son côté, Benoît Payan cite le cas de l’immeuble Carré Gabriel pour lequel la ville a continué à verser pendant deux ans un loyer pour des locaux qu’elle n’occupait plus « parce qu’on avait oublié de résilier le bail ». Etc. etc. À tel point qu’en février dernier, l’édile avertissait son conseil municipal en ces termes :

« Si on était dans une entreprise privée, les commissaires aux comptes ne certifieraient pas les comptes de la Ville de Marseille. »

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De quoi écarter l’idée que Marseille souffrirait principalement d’un délaissement sonnant et trébuchant des pouvoir publics. Du reste, les milliards se sont déjà accumulés sur le Vieux-Port, à travers la politique de la ville, les zones d’éducation prioritaires et les plans de sauvetage des hôpitaux qui arrosent la France sans d’autres effets remarquables que du déficit, des impôts et de la dette à gogo depuis plusieurs décennies.

Plus que d’un abandon, Marseille souffre d’une situation à la grecque qui consiste en une sorte de prédation clientéliste des élus sur les fonds publics via une gestion essentiellement politicienne faite de petits arrangements à la fois idéologiques, irresponsables et coûteux. Plutôt fermer les yeux sur les trafics louches de tel ou tel, plutôt promettre de financer sans fin des initiatives associatives douteuses, plutôt acheter la paix sociale auprès de syndicats insatisfaits par construction – bref, plutôt payer et renvoyer la poussière sous le tapis que de voir ses soutiens politiques disparaître.

Un seul objectif : se maintenir le plus longtemps possible au pouvoir. Et une technique cousue de fil blanc : réclamer en permanence « plus de moyens » au nom de ce qu’on pourrait appeler l’exception marseillaise.

Il faut dire que jusqu’à présent, cela a marché comme sur des roulettes. Du reste, vu la longévité des maires, difficile de prétendre que cet édifice peu ragoûtant se serait construit sans l’assentiment implicite d’une majorité d’habitants. En 1953, Gaston Deferre (SFIO puis PS) a mis le système au point ; en 1986, (oui, trois décennies plus tard !) son successeur Vigouroux (PS) reprenait le flambeau ; puis en 1995, Jean-Claude Gaudin (UMP puis LR) se gardait bien d’y toucher. 

Petit exemple, très caractéristique du n’importe quoi nimbé de bons sentiments qui passe trop souvent pour l’acmé d’une action publique marquée au sceau de l’humanisme :

Une enquête menée en juin 2017 au sein du SAMU social marseillais a révélé les habitudes particulières et les petits arrangements qui y proliféraient gentiment. Souvent mis en avant par Gaudin comme vitrine sociale de sa bonne gestion, toujours loué pour « l’abnégation de ses équipes qui, nuit après nuit, distribuent repas et couvertures aux sans-abris », ce service 100 % municipal (encore un motif de satisfaction) pratiquait aussi un « partage du travail » des plus rondelets puisque les agents n’y travaillaient que 10 à 12 jours par mois, c’est-à-dire une semaine sur deux !

Seul problème, un problème typiquement socialiste, arrive inéluctablement un moment où l’argent des autres commence à manquer, comme disait Margaret Thatcher. La débandade financière finit toujours par débarquer, ainsi qu’on l’observe crûment à Marseille aujourd’hui comme on l’a observé en Grèce en 2015 et au Royaume-Uni en 1979, par exemple. Et comme on pourrait l’observer en France si la politique d’open bar budgétaire renforcée depuis l’apparition du Coronavirus devait se poursuivre sans qu’on songe d’abord à repenser intégralement l’organisation de nos priorités régaliennes, éducatives et sanitaires.

Pourquoi les milliards promis aujourd’hui à la ville de Marseille par Emmanuel Macron seraient-ils mieux dépensés que les précédents ? Pourquoi la solution des déboires marseillais ne devrait-elle résider que dans un apport de moyens supplémentaires alors que tout montre que les moyens antérieurs ont été allègrement gaspillés ?

Il est vrai qu’étant nouvellement élu, Benoît Payan n’est en rien responsable des dérives de ses prédécesseurs. Il est vrai également qu’il a l’air d’avoir pris conscience que Marseille est une ville « en faillite » (pour reprendre l’expression utilisée par Fillon à propos de la France, non sans bonnes raisons). Pourtant, un épisode de sa courte expérience de maire ne me semble pas de nature à laisser penser qu’avec lui, le système changera fondamentalement.

Alors qu’il est parfaitement conscient que sa ville est ultra-endettée, il s’est engagé à racheter pour 650 000 € les locaux d’un ancien McDonald’s des quartiers Nord de Marseille pour faire plaisir aux syndicats et associations qui l’occupent en toute illégalité après un bras de fer de plusieurs mois entre les syndicats et le propriétaire qui s’est soldé par la mise en liquidation judiciaire de l’établissement. Où est la logique de se lancer dans une telle dépense sans véritable projet sous-jacent si ce n’est relancer la machine à gabegie, idéologie et clientélisme ? 

Résumons : Marseille s’effondre dans une situation qui n’est pas sans rappeler celle de la Grèce de 2015 et l’État français, appelé à la rescousse en la personne d’Emmanuel Macron, s’empresse d’apporter ses compétences hors du commun en matière de « pognon de dingue ». Encore une fois, ça promet.


Illustration de couverture : Le maire de Marseille Benoît Payan (PS) accueille Emmanuel Macron le 1er septembre 2021. Photo AFP.

13 réflexions sur “Marseille I : situation à la grecque, résolution à la française…

  1. Encore une fois vous visez juste. Pourtant dans ce cas je ne m’inquiète pas trop de toutes ces annonces. Les promesses de Macron ne sont que des promesses, les financements n’arriveront pas avant l’élection et après l’élection ce sera pour lui un simple revirement de plus. Ce déplacement marseillais est surtout une campagne de comm qui largement relayée par la presse a pour seul but d’assurer la réélection du bonhomme. Et sans que cela soit décompté de son temps puisqu’officiellement il n’est pas en campagne.

  2. Je vois que vous adoptez le point de vue Mélenchonien, très électoraliste lui aussi.
    Je vous trouve optimiste. Si les dépenses annoncées n’étaient jamais engagées, on n’en serait pas là.
    Au-delà de l’aspect com’ et réélection dont on pourra taxer à juste titre toutes les actions présidentielles d’ici avril 2022, notre grand problème, c’est surtout que les « plus de moyens » sont déversés… en pure perte depuis des années.

    • Je ne faisais pas référence à Mélenchon, mais à Valérie Boyer, une maire d’arrondissement LR de Marseille, qui expliquait dans une interview récente que Macron était déjà venu en compagnie de Jean-Marc Ayrault il y a quelques années, qu’ils avaient promis monts et merveilles et qu’à la fin, il ne restait que les promesses. Je pense que sur cette affaire on est beaucoup dans l’effet d’annonce quand même.

      Par contre, je vous rejoins complètement sur tout ce que vous avez écrit sur les moyens. Et la situation actuelle le prouve bien. Etant parent d’élèves de l’éducation nationale, usager des services de santé, etc. je vois bien ce phénomène à la fois de dépenses élevées et de délabrement dont vous parlez. Je ne fais pas partie de ceux qui réclament plus de moyens, sur ce point je suis plutôt sur la ligne d’un François Xavier-Bellamy qui demandait récemment que l’on diminue le nombre de fonctionnaires de l’éducation nationale qui ne sont pas face à une classe.

  3. Pognon de dingue : on est champions du monde des aides sociales, ce qui, avec le regroupement familial, fait accourir tout ce qui est en face de Marseille, de l’autre côté de la Méditerranée.
    Pas un mot dans les discours de Macron. C’est l’Etat qui paie. Circulez.

    Vieille tradition : « L’économie ? De l’intendance, bonne à occuper des polytechniciens », disait de Gaulle.

  4. Notre poseur élyséen est en campagne. Toujours dans la posture et le coup de comm’ .

    Les subventions aux villes gangrenées sont largement éprouvées et sont toujours demeurées vaines et dispendieuses.

    Qu’espère-t-il faire à Marseille et de Marseille, dans une ville que je connais un peu où des quartiers entiers sont aux mains de crapules patentées, où nos lois et valeurs ont abdiqué depuis fort longtemps ?

    A part les faire rire, je ne vois pas. Nos poches, par contre….. On a l’habitude.

    Son prédécesseur était d’une incompétence bonhomme, lui est dangereux.

  5. Bravo pour votre billet.
    Je suis abasourdi qu’aucun media couvrant la visite, ne rappelle que c’est de la compétence des municipalités de gérer les écoles, et que toutes les villes savent le faire sauf Marseille.
    Merci de rappeler l’affaire du Mac Do, trouver 660 000 euros, quand a ville est à sec pour le reste.
    Pourquoi c’est à tous les français d’éponger la faillite de Marseille, c’est donner une prime aux mauvais gestionnaires, et les confortent dans leurs défauts.
    Et que, ça mériterait de mettre la ville sous tutelle, avec un maire sortie du chapeau, et qui n’aura résolu aucun problème de Marseille, malgré les promesses du Printemps Marseillais le temps des élections.

    • On se souviendra de MP2013, Marseille capitale de la culture. En concurrence alors avec Bordeaux.

      On comprendra qu’il fallait justifier la perfusion orchestrée de cette ville par la création de chantiers superflus et discutables sous couvert de LA culture.

      J’ai un souvenir, entre autres, du MuCEM que je retiens plutôt comme un sanctuaire de la vacuité. C’était certes en 2013.
      Comment cela a-t-il évolué ? Est-ce rentable ou une autre gabegie instituée ?

      Il fallait décentraliser la culture, faire concurrence aux municipalités plus attrayantes (Aix et environs) et désenclaver.
      Combien cela avait-il coûté. Quel en est le bénéfice pour les marseillais ?

      Qu’en reste-t-il ?

      Les gens qui souhaitent accéder à la culture se rendent dans les grandes villes d’Europe rompues à ce genre d’évènements majeurs ou dans de plus modestes tout aussi compétentes.

      J’avais entendu à cette même époque que 52% de la population vivait des minima sociaux – On omettait opportunément de préciser que leur majorité n’entendait nullement modifier son système de subsistance; d’autant que règne dans de nombreux quartiers, hormis une criminalité endémique, une économie parallèle issue du trafic.

      Il faut rendre une ville accueillante par des actes avant de le clamer avec artifices rhétoriques et postures répétées.

      Pas par un coup de baguette magique élyséenne et un pognon de dingue, dont nos poches seront encore soulagées.

  6. En fait rien d’utile dans la démarche à Marseille !

    On connaît la situation de certaines banlieues en France labellisées en zone de non droit. Elles existent depuis les années 80 et ne cesse d’augmenter en nombre de zones dites de sécurité prioritaires :
    https://www.gouvernement.fr/action/les-zones-de-securite-prioritaires-zsp
    On connait très bien la situation économique, sociale, degré de communautarisme en particulier, de pratiquement toutes les communes concernées grâce aux rapports de la Cour des Comptes et leur représentation régionale. Argent dépensé et résultats à chaque fois constatés très pauvres.

    Alors en quoi est-il nécessaire de se déplacer à Marseille si ce n’est pour se mettre en scène ?

    L’état des lieux existe, il faut donc agir en nommant un préfet et un juriste de la Cour des Comptes pour mettre sous tutelle la municipalité, fixer des objectifs précis avec des indicateurs de suivis puis seulement quand justifié, y remettre de l’argent.

    Rien de tout cela ne sera fait ici ou ailleurs.

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