CAUCHEMAR : imaginez la Coupe du Monde de foot SANS sélection…

REPLAY : Alors que la finale de la Coupe du Monde de foot 2022 opposant la France à l’Argentine va se tenir ce dimanche 18 décembre à 16 heures, avec l’enjeu d’un troisième trophée pour les deux équipes, je remets en avant l’article un peu railleur que la précédente édition de 2018 m’avait inspiré sur la question du rapport complexe que les Français entretiennent avec l’idée de sélection (publication initiale le 14 juillet 2018).

[La finale de la Coupe du Monde de football 2018 entre la France et la Croatie va se jouer demain 15 juillet 2018. Vingt ans après l’euphorie de 1998, la France va-t-elle décrocher son deuxième titre de champion du monde ? Quant à la Croatie, « petit » pays de 4 millions d’habitants, va-t-elle enfin obtenir le précieux trophée dont elle s’était approchée de si près, en 1998 justement, en perdant en demi-finale, contre la France justement, et en remportant ensuite la petite finale contre les Pays-Bas ?]

Beaucoup d’espoir, donc, et beaucoup d’enjeu sportif et mental des deux côtés (edit : en 2022 comme déjà en 2018) ! Si la France gagne, je serai enchantée – sans en faire le plus beau jour de ma vie ni les plus riches heures de l’histoire de France. Et si elle perd, je ne me vois pas sombrer dans une irréparable déprime.

Autant il semble tout naturel d’encourager l’équipe dont on se sent le plus proche, que ce soit celle de son pays à l’occasion des grandes compétitions internationales ou, plus prosaïquement, l’équipe locale dans laquelle votre fils joue tous les dimanches, autant il est sain de s’incliner devant le talent supérieur de l’adversaire et savoir reconnaître « le beau jeu », le beau but, le bel essai, le beau slalom, d’où qu’il vienne. Quitte à se dire qu’une occasion de revanche ne manquera pas de se présenter.

La logique sportive, la logique de la confrontation entre joueurs individuels ou en équipe ne veut-elle pas « que le meilleur gagne » ? La formule sonne comme un lieu commun. En tout cas, sportivement, ça reste sinon une évidence(*) du moins l’objectif.

Aussi, à l’occasion de cette Coupe du monde 2018 telle qu’elle est vécue en France, il est extrêmement amusant de constater que les Français sont pris d’une passion ardente pour le spectacle de pure compétition que leur offre un système froidement sélectif aux antipodes de l’esprit égalitariste qui tend à s’imposer dans la société.

Qui dit « meilleur » dit forcément travail, effort, sélection et prise de risque, sans oublier une certaine part de chance qui tombera de façon complètement aveugle sur l’un ou l’autre des concurrents.

Et qui dit « gagne » dit forcément qu’il y aura des perdants. Pendant longtemps, le sportif, c’est d’abord celui qui perd. Mais sa réaction ne sera pas de se dire que c’est « trop injuste » ni de réclamer par pétition que tout le monde gagne. Au contraire, il tirera une leçon de ses échecs, éventuellement en abandonnant le sport s’il pense qu’il n’est pas fait pour ça, mais surtout en s’entraînant plus et mieux afin d’être un jour le vainqueur.

Si Didier Deschamps a pour titre celui de « sélectionneur », ce n’est pas pour rien – notons d’ailleurs avec plaisir que le politiquement correct n’est pas encore passé sur ce scandaleux vocable. Umtiti, Griezmann, Mbappé etc. (edit 2022 : Giroud, Hernandez, Mbappé, etc.) ne sont pas là par hasard. Ils ont été spécialement choisis, parmi de nombreux autres joueurs, sur leurs compétences en foot, pas pour faire joli sur la photo ou pour faire plaisir à leur maman ou pour satisfaire les obsédés de la diversité obligatoire. L’objectif, c’est de gagner, bien sûr, et seul cet objectif a motivé Deschamps dans la composition de son équipe.

Et même là, rien ne garantit la victoire finale. Pas d’abonnement, pas de place réservée. De grande équipes sont tombées pendant cette Coupe du monde, on les reverra peut-être dans le futur. La France et la Croatie ont été aux abonnés absents depuis 1998, les revoilà en 2018, et tout reste à faire sur le terrain. Sélection impitoyable des joueurs, sélection des équipes, c’est à ce prix que l’on devient un grand sportif reconnu comme tel par le public et par ses pairs.

Mais imaginez un instant que les épreuves sportives se passent selon les critères égalitaristes qui prévalent de plus en plus partout ailleurs. Comme à l’école maternelle, tout le monde pourrait participer, même celui qui n’attrape jamais le ballon. Et comme à l’école maternelle, il n’y aurait plus ni perdants ni gagnants et celui qui n’attrape jamais le ballon aurait quand même sa médaille. Il serait trop horrible de traumatiser dès le plus jeune âge un pauvre petit garçon qui ne demande qu’à bien faire. Ce n’est pas de sa faute, s’il est malhabile avec un ballon. Il suffit de lui donner des points d’avance ou que sais-je encore pour réparer cette injustice de la vie.

Bref, il suffit de mettre un peu partout de la discrimination positive et des quotas hommes femmes, blancs noirs, hétéros homos, adroits maladroits avec un ballon, un pinceau, un marteau, avec les mots, avec les chiffres etc. – il suffit d’en mettre dans les examens, dans les salaires, dans les recrutements, dans les films et les conseils d’administration, et tout le monde sera heureux dans le meilleur des mondes possibles.

Eh bien, non.

Si les épreuves sportives se passaient ainsi, aucun joueur ne ferait plus d’efforts pour s’entraîner, ce serait ennuyeux à mourir, personne ne s’y intéresserait, personne ne regarderait les matchs. Il n’y aurait plus ni héros, ni exploit. Il n’y aurait même plus le moindre mérite à faire quoi que ce soit puisque tout se vaut, tout est pareil et tout le monde peut le faire.

Peu à peu, le foot tel qu’on le connaît n’existerait plus, le sport tel qu’on le connaît n’existerait plus – à moins de le subventionner lourdement et de l’imposer aux téléspectateurs sur des chaînes publiques de moins en moins regardées et de plus en plus subventionnées. Les Français n’auraient plus aucune raison d’être fiers de leur équipe de foot comme ils le sont aujourd’hui et comme ils le seront peut-être encore plus demain soir (edit : ce soir pour l’édition 2022).

C’est pourtant la société « idéale » que certains activistes appellent de leurs vœux. Si les motivations annoncées se drapent complaisamment dans le noble souci de garantir l’égalité des chances, il en résulte cependant un désastreux mouvement de nivellement par le bas qui s’appuie aussi sur la jalousie (comme je ne serai jamais le meilleur, j’exige que personne ne soit le meilleur) et sur une certaine condescendance implicite à l’égard de ceux qu’on prétend protéger (ces pauvres femmes, ces pauvres noirs, etc. ils n’y arriveront jamais, il faut qu’on les aide).

Et c’est pourtant la société « idéale » qui a déjà gagné de larges quartiers sur les campus américains et que nos gouvernements passés et présents ont à cœur de faire advenir. Le Bac à 88 % de réussite (edit : 91 % en 2022) constitue un excellent exemple car il concerne pratiquement toutes les familles. Les quotas de femmes ici ou là et le « name and shame » à tout propos dès lors qu’une Marlène Schiappa peut détecter une lacune de diversité purement numérique en sont d’autres.

En espérant que cette entreprise de démolition de l’initiative, de l’effort, du travail et du mérite individuel finira par être écartée par le simple bon sens, laissons-nous captiver par le combat acharné, mais à la loyale (comme dans concurrence non faussée) que vont se livrer deux équipes de foot qui représentent sans doute ce qui se fait de plus sévère en matière de sélection.


(*) Une évidence trop souvent ternie dans le passé par des affaires de dopage (cyclisme) et des petites magouilles dans les fédérations sportives. Mais pour ce qui est du foot, notons avec satisfaction l’introduction de l’arbitrage vidéo à partir de 2016.


Mise à jour du 15 juillet 2018 : J’imagine que cela ne vous a pas échappé : l’équipe de France a gagné la Coupe du monde de football 2018 par 4 buts à 2 contre la Croatie à l’issue d’un match parfois étrange !


Mise à jour du 18 décembre 2022 – soir : La France s’est inclinée face à l’Argentine. Résultat : 3-3 après les prolongations puis 4-2 pour l’Argentine dans la séquence de tirs au but.


Illustration de couverture : Coupe du Monde de foot 2022. L’équipe de France en 8è de finale contre la Pologne le 4 décembre. AFP.

6 réflexions sur “CAUCHEMAR : imaginez la Coupe du Monde de foot SANS sélection…

  1. La comparaison entre sport et réussite sociale est intéressante. Imaginez une épreuve de course à pieds disons de 100 m dans laquelle certains partiraient à 100 m de la ligne d’arrivée, d’autres à 50 m, d’autre encore à un pas. Celui qui franchit la ligne le premier gagne, peu importe d’où il est parti. Il y a peu de suspens concernant le résultat. C’est un peu ce qui se passe dans la société lorsque l’égalité des chances n’est pas assurée. Les chances de réussite des enfants dépendent en grande partie du lieu de residence de leurs parents et de leur niveau social.

    • Vous confondez cause et conséquence, ça ne m’étonne pas, ça fait une bonne excuse : la faute des autres.
      La seule inégalité est le QI qui est en grande partie héréditaire, lire The Bell Curve.
      Mais cette inégalité de base n’empêche pas certains enfants de s’en sortir grâce au travail : si un seul, placé dans de mauvaises conditions, a pu s’en sortir, c’est que tous auraient pu en faire autant avec la même discipline.
      Ce sont les parents qui généralement mal éduqués reproduisent ces conditions qui les ont amené à cette situation : pas la peine de faire partie d’un conseil d’administration d’un collège, en tant que délégué de parent d’élève comme je l’ai été, ca confirme juste de la part des enseignants, pour se rendre compte que des élèves se couchent très très tard (soirées familiales tardives, télévision dans la chambre etc…), il suffit d’aller dehors pour s’en rendre compte, les chats font des chats : c’est de la reproduction sociale, mais dans le sens où les mêmes font les mêmes erreurs, les mêmes s’en foutent. Darwin.

    • Et on peut ajouter qu’au niveau de l’Education nationale, la façon de s’occuper de ceux qui n’arrivent pas à courir a consisté à ramener tout le monde à leur niveau. La grande illusion du nivellement par le bas. Avec le fabuleux résultat que depuis 30 ans, le niveau scolaire a baissé dans toutes les CSP de la population et que la France est systématiquement à la traine parmi ses pairs dans les tests internationaux.
      Une société juste, c’est une société qui permet à ceux qui courent vite de courir vite et loin et qui fait de son mieux pour apporter les meilleurs conditions d’enseignement aux autres, avec l’objectif de les tirer vers le haut (ce que le Mammouth un et indivisible se montre incapable de faire).

      En France, on vit avec quatre grandes illusions : celle de l’Etat super-sachant, celle du collectif, celle de la dette et celle de l’égalitarisme. Si ça marchait, on n’en serait pas là.

    • @sam player

      Je suis d’accord avec vous sur le fait que l’’intelligence a une forte composante héréditaire. A The Bell Curve, vous me permettrez toutefois de préférer The Blank Slate qui ne fait pas intervenir l’aspect racial. Pour le reste… Dire que si un enfant de milieu défavorisé s’en sort, c’est que tous peuvent s’en sortir manque pour le moins de réalisme. Si on reprend l’exemple de la course à pied, pour gagner, celui qui part à 100 m de l’arrivée peut rattraper celui qui ne part qu’à 50 m s’il court plus de deux fois plus vite. C’est possible mais c’est difficile. Autrement dit pour des qualités équivalentes celui qui fréquente les bons établissements aura beaucoup plus de chance de réussir ses études que celui qui fréquente les établissements de sa banlieue paumée. D’ailleurs ce n’est pas un hasard si beaucoup de parents usent de multiples stratagèmes pour inscrire leurs enfants ailleurs que dans leur secteur de résidence ou essaient d’habiter des secteurs correspondant à de bons établissements scolaires ou encore inscrivent leurs enfants dans le privé. Ils ne se disent pas que si le petit travaille dure il s’en sortira de toute façon.
      Par ailleurs, je ne vois vraiment pas ce que vient faire Darwin dans l’histoire. Il n’y a vraisemblablement pas de pression de sélection sur le niveau scolaire sinon il devrait s’améliorer continuellement. Il n’a pas non plus théorisé le fait que les chats ne faisaient pas des chiens comme vous dites. Darwin et ses successeurs ont décrit la façon dont la sélection naturelle opérait lorsqu’on ne faisait rien. Mais un des objectifs de notre civilisation est justement de s’opposer à ce mouvement naturel : on soigne les malades, on essaie de faciliter la vie aux handicapés, on envisage même des thérapies géniques pour corriger les erreurs du génome. Personne de civilisé ne se réjouit lorsqu’un enfant meurt en bas âge parce qu’il ne transmettra pas ses gènes défaillants. Darwin est mis à toutes les sauces pour justifier toutes sortes d’égoïsmes. C’est un contresens, le darwinisme est nettement plus complexe.

      @Nathalie MP

      Je ne défends absolument pas les choix qui ont été fait ces 30 dernières années. Le niveau de l’éducation s’est effondré et continue à s’effondrer. C’est un fait irréfutable, un motif d’inquiétude majeur concernant l’avenir de notre pays, peut être même le principal motif d’inquiétude. L’arrêt de l’enseignement des mathématiques en fin de seconde est dramatique et sa reprise sous forme d’une vague activité d’éveil ne changera rien.
      Mais avant la catastrophe, lorsque les titulaires du certificat d’études avaient un niveau bien supérieur à celui de bon nombre de bacheliers actuels, l’Etat était très présent dans le système éducatif. Pourquoi donc faudrait-il voir dans cette présence la raison du naufrage et renoncer du même coup à un objectif depuis longtemps perdu de vue : l’égalité des chances.

Laisser un commentaire