Et si notre plus brillante industrie était HÉLAS la fabrique des crises ?

Qui est encore capable de suivre les circonvolutions embrouillées des raisonnements économiques d’Emmanuel Macron ? Ce doit être un effet de la pensée complexe jupitérienne qui veut ça, une pensée complexe dont je suis à l’évidence complètement dépourvue, mais le fait est que selon mon point de vue, les déclarations élyséennes, toujours très enflammées, toujours très littéraires, se succèdent avec une belle cadence sans vraiment coller logiquement les unes aux autres.

Ceci avec le risque non négligeable de voir se poursuivre inlassablement la hausse de la dette et des dépenses publiques françaises que le FMI, après beaucoup d’autres organismes, vient d’épingler dans un énième rapport. Ce risque non négligeable, on est d’autant plus fondé à l’anticiper pour la suite que l’historique de nos comptes publics depuis presque 50 ans n’est que fuite en avant dans les déficits et la dette malgré abondance de discours inverses sur leur maîtrise parfaite.

Oh bien sûr, la France n’est pas le seul pays à avoir emprunté la voie du « quoi qu’il en coûte » pour mitiger les effets des restrictions Covid puis maintenant les effets de l’inflation. Mais la France en situation « normale » partait d’un niveau nettement plus préoccupant que celui de la plupart des grands pays de l’OCDE. De ce fait, on voit mal comment on pourrait faire, maintenant que tout va plutôt plus mal, ce qui n’a pas été fait avant, quand les trois grandes planètes de la conjoncture mondiale (dollar bas, taux bas, prix du pétrole bas) avaient eu le bon goût de « s’aligner » peu après le début du mandat Hollande et jusqu’à la fin de 2019.

Il n’empêche que sitôt rentré de ses vacances d’été 2022 au Fort de Brégançon, alors que l’inflation persistait à vouloir rester encore un bon moment parmi nous en dépit de toutes les incantations de Bruno Le Maire à Bercy et de Christine Lagarde à la Banque centrale européenne, le Président de la République se mit à philosopher avec autant de gourmandise que de grandiloquence creuse sur « la fin de l’abondance, des évidences et de l’insouciance », ajoutant même – il parlait alors à ses ministres – qu’on vivait « la fin des liquidités sans coût ». L’affaire semblait donc entendue ; dorénavant, c’est décidé, on va gérer au millimètre.

Et puis on ne va pas se laisser marcher sur les pieds. Les États-Unis sont un grand pays, un pays ami de la France depuis Lafayette, mais ce n’est pas une raison pour qu’ils se lancent dans une politique de subventions étatiques absolument folle (l’Inflation Reduction Act ou IRA) pour assurer leur souveraineté industrielle en même temps que leur transition énergétique au mépris de leurs partenaires commerciaux.

Invité la semaine dernière à Washington, Emmanuel Macron se faisait fort au départ d’expliquer à son homologue Joe Biden que ce genre de comportement, c’était ni plus ni moins du protectionnisme, avec tout ce que cela impliquait de renchérissement des produits étrangers (dont les fabricants pourraient trouver intéressant de se transplanter outre-Atlantique pour bénéficier de la manne). 

Sur ce point, il n’a pas tort. Le problème, c’est que sitôt de retour à Paris, il en tira la conclusion que nous aussi, Européens, devions avoir notre grand plan de soutien des industries du futur – voitures électriques, batteries, technologie quantique, etc. Souveraineté économique européenne oblige. « Je défends l’idée de subventionner le ‘made in Europe' » a-t-il immédiatement déclaré dans un grand entretien accordé au Parisien le 3 décembre dernier.

À entendre ses propos précédents, ce n’était pas absolument évident. La fin de l’abondance, c’est fini, apparemment. Et puis, il ne faudrait pas oublier que le Green New Deal européen (incluant la fin de la vente des véhicules thermiques en Europe en 2035 et le plan agricole complètement délirant connu sous le nom de « Farm to Fork ») prévoit déjà de consacrer quelque 1 000 milliards d’euros de fonds européens sur 10 ans à la transition énergétique verte sous toutes ses formes.

Mais évidemment, pour la France, la porte est étroite. Dans le même entretien Emmanuel Macron assure ne vouloir augmenter ni les impôts, ni la dette. Il annonce même vouloir baisser les impôts ! Mais comment compte-t-il donc s’y prendre ? En réformant les retraites, explique-t-il. Et de fait, toutes choses égales par ailleurs, le déplacement du curseur de l’âge légal de départ en retraite de 62 ans à 64 ou 65 ans permettra mécaniquement à l’État de faire des économies sur le versement des pensions (en réalité, réforme à courte vue, il y a bien mieux à faire).

Mais surtout, il est question de faire peser sur l’Union européenne, c’est-à-dire sur les partenaires qui le peuvent, le soin de financer ce tout nouveau « Buy European Act » auquel Emmanuel Macron aspire. Il y gagne, croit-il, une stature de grand européen, tout en se déchargeant sur les autres de la mauvaise gestion française. Rien de bien étonnant, il n’a eu de cesse, depuis qu’il est au pouvoir, de vouloir mutualiser au niveau européen tout ce qui constitue une épine dans le pied de la France.

Mais pourquoi s’inquiéter ? La croissance sera au rendez-vous, bien sûr, pour financer tout cela à point nommé. À toutes fins utiles, un projet typiquement keynésien de grands travaux de transport sous la forme de dix nouveaux RER dans dix grandes villes de France permettra opportunément de donner les apparences d’une activité florissante. Et d’éponger le chômage. On ne sait jamais. 

Autrement dit, à voir comment l’on va continuer à dépenser sans le dire, à voir comment la lutte contre l’inflation consiste comme avant à créer des bulles de consommation et de production, c’est à se demander si la plus brillante et la plus durable de nos industries nationales ne serait pas en réalité la fabrique des crises. Pas vraiment la souveraineté qu’on souhaiterait. J’espère de tout cœur me tromper.


Note : cet article est à lire en relation avec « Et si notre modèle social adoré était en fait l’artisan de nos difficultés ? » publié le 24 novembre dernier.


Illustration de couverture : Courbe illustrant un krach boursier. Emmanuel Macron à Bruxelles en octobre 2022, photo AFP.

15 réflexions sur “Et si notre plus brillante industrie était HÉLAS la fabrique des crises ?

  1. L’éditorialiste Matthew Lynn, du Telegraph de Londres, s’étrangle : s’il y en a un qui est mal placé pour reprocher son protectionnisme aux Etats-Unis, c’est bien Emmanuel Macron.

    « Vraiment ? La France reproche aux autres leur protectionnisme ? Le pays à qui l’on doit la politique agricole commune, celui qui a créé cette machine à subventions volante appelée l’Airbus, celui qui a bloqué la prise de contrôle d’un fabricant de yaourts sous prétexte de sûreté nationale, ce pays s’en prend à d’autres au nom de la libre concurrence ? »

    « Il n’y a pas beaucoup de domaines où la France et l’Union européenne peuvent se vanter d’être des leaders mondiaux. Sauf les subventions et le protectionnisme, et maintenant il conviendrait d’ajouter l’hypocrisie. »

    « La France est le principal promoteur de la politique agricole commune, qui a instauré des droits de douane sur les produits alimentaires parmi les plus élevés du monde. Ils sont de 54 % en moyenne sur les produits laitiers, et presque aussi élevés sur le sucre et les céréales. La viande américaine est pratiquement bannie en raison de la chlorination, et les OGM sont interdits. Ce n’est pas vraiment ce qu’on appelle un marché libre… »

    https://www.telegraph.co.uk/business/2022/12/03/instead-lecturing-world-trade-macron-should-get-house-order/

      • Ce matin, la radio annonçait que la France allait emprunter en 2023 plus de 200 milliards pour pouvoir rembourser sa dette. Cela constitue un nouveau record, dans un contexte de hausse des taux. Le service de la dette explose à la hausse et ce n’est qu’un début. Le quoi-qu’il-en-coute révèle sa toxicité plus vite que prévu.
        Le Mozart de la finance démontre qu’il est pire que ces prédécesseurs, ce qui n’est pas un mince exploit.
        A quand la banqueroute ?

  2. Je ne pourrais pas vous donner tort et contredire votre analyse mais il y a un paramètre que vous ne semblez pas prendre en compte, c’est que Macron est une « superstar mondiale » la radio de Bernard Arnaud dixit !
    Pour s’en convaincre il suffisait d’écouter l’émission Esprits libres du 30 novembre 2022 sur Radio Classique où Marc Lambron et Pascal Bruckner rivalisaient dans la dithyrambe et où on a pu entendre, entre autres :
    « Le meilleur résultat d’Emmanuel Macron c’est Emmanuel Macron lui-même ! »
    Que voulez-vous opposer à cette d’évidence ?

    https://www.radioclassique.fr/podcasts-et-emissions/esprits-libres/

      • Il est des personnes qui ne peuvent pas toujours faire la popotte et qui de temps en temps ont recours par obligation ne serait-ce que professionnelle à ce genre d’expédients. Vivre pour manger ou manger pour vivre c’est selon. Béni (!) soit celui qui peut manger de la bonne et saine nourriture tous les jours mais j’ai malgré tout une pensée pour ceux qui ne le peuvent pas. N’est-ce pas le fondement du discours d’un certain J.C. ?

      • Soyez gentille de ne pas faire l’imbécile. On peut écrire des choses profonde ou légères dans des commentaires de blog, mais il y a de limites.

        Les réponses que je vous ai faites ont un sens. Tâchez de le trouver.

  3. Le constat est impitoyable et aucune inflexion probable :
    https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/quels-sont-les-pays-les-plus-245377

    Analyse des 3 premiers trimestres de notre commerce international.

    Domaines excédentaires :
    Industries agro-alimentaires excédent stable à environ 6-6,5 milliards d’euros.
    Les parfums et cosmétiques, 11,3 milliards d’euros d’excédents à 15 milliards.
    La pharmacie 6 milliards d’euros en 2019. passe à 2,4 milliards d’euros en 2022.
    Aéronautique et spatial, 27 milliards d’euros d’excédent en 2018, trou d’air du COVID puis lente reprise à environ 22 milliards d’euros en 2022.

    Secteurs déficitaires :
    Textile déficitaire depuis des lustres moins 13 milliards d’euros en 2018, a baissé à près de 11 milliards d’euros en annualisé 2022.
    Le secteur « bois, papier, carton », passe de 4,8 milliards d’euros à 7,6 milliards.
    La chimie, positive de près de 1,5 milliards d’euros est passée, 5 ans plus tard, à près de 3 milliards de déficit.
    Plastiques et caoutchouc, -7,2 milliards à -10.2 milliards d’euros.   
    La métallurgie, déficit qui explose de 8,9 milliards à 16,8 milliards d’euros.
    Matériels informatiques déficit qui passe de 16,5 milliards à plus de 21,6 milliards d’euros en 2022.
    Equipements électriques et ménagers, déficit augmente de 7,4 milliards à plus de 10,5 milliards d’euros.
    Machines-outils, robots industriels et machines agricoles déficit double de 5 milliards à plus de 11 milliards d’euros. les véhicules et équipements auto passe de 10 milliards d’euros de déficit en 2018 à 18,3 milliards en 2022. PSA et Renault fabriquent leur modèle d’entrée de gamme dans les usines slovènes, slovaques, tchèques, espagnoles, turques ou encore marocaines.

    Et pourtant une floraison d’initiatives :
    Création des Pôles de compétitivité en 2004 ;
    Plan d’Investissements d’Avenir en 2010 ;
    Création du CICE en 2014 ;
    Relance du Conseil National de l’Industrie en 2017 ;

    « La « souveraineté » est en passe de devenir l’un de ces mots que le bavardage politique quotidien démonétise à force d’emploi, l’un de ces totems de la communication politique qui masquent un vide en rassurant celui qui le prononce, l’un de ces mantras que les Français entendent sans écouter. »
    L’Institut Thomas More propose trois champs stratégiques, la défense, le numérique et l’industrie (à travers l’exemple de l’industrie du médicament) dans sa note critique du jour.
    https://institut-thomas-more.org/2022/12/02/defense-numerique-industrie-%c2%b7-poser-des-actes-de-souverainete-au-service-de-la-france/

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