NVB : la droite, la gauche et la réforme du collège

Najat Vallaud Belkacem est Ministre de l’Education nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche dans le gouvernement actuel, ce qui fait d’elle le quatrième personnage du gouvernement après Manuel Valls, Laurent Fabius et Ségolène Royal. En terme de budget de l’Etat, elle a la première place avec un ministère doté de 88 milliards d’euros en 2015 (sur un total de 373). Depuis plus de deux mois maintenant, elle est quotidiennement sous les projecteurs des médias et des commentateurs politiques à propos de la réforme du collège et de la refonte des programmes scolaires du CP à la classe de troisième.

En effet, depuis que ces projets sont devenus publics suite à leur présentation en Conseil des ministres le 11 mars dernier, de nombreuses voix se sont élevées pour en souligner la fâcheuse tendance à l’appauvrissement des enseignements et au nivellement par le bas. Tendance nettement engagée depuis le début des années 1980, qu’il faudrait au contraire contrecarrer.

Si, au fil des enquêtes PISA, tout le monde s’accorde pour dire que notre enseignement national doit être repensé, il n’y a guère consensus sur la façon de le faire. La ministre prétend rechercher en même temps l’excellence et le suivi des élèves en difficultés, c’est louable, mais délicat à réaliser dans le cadre du collège unique.

La réforme proposée est l’illustration de cette difficulté : elle ne parvient à ses objectifs qu’en supprimant ou amoindrissant un certain nombre d’enseignements, en particulier les classes bilangues dès la sixième (supprimées) et les langues anciennes (diluées dans les enseignements interdisciplinaires), et en octroyant un semblant d’autonomie aux établissements, mais uniquement sur les Enseignements pratiques interdisciplinaires ou EPI(*) dont les formules transversales et sautillantes d’une matière à une autre ont fait leur preuve dans le manque de structuration des élèves. La part d’autonomie laissée aux collèges est une bonne idée, mais elle est mal orientée. Elle a donc toutes les chances de finir par être supprimée pour la fausse raison « qu’elle n’aura pas marché. »

On est plus dans le prolongement des matières d’éveil type école primaire que dans un véritable enseignement de savoirs fondamentaux matière par matière, absolument indispensable pour aborder le lycée et surtout les études supérieures. Mais selon la ministre, l’interdisciplinarité est censée lutter contre « l’ennui » à l’école ! Que répondre à de tels arguments ? Je pense pour ma part qu’on propose aux élèves trop de thèmes sans rien approfondir vraiment, alors qu’il faudrait renforcer le français et les maths, puis l’histoire et les langues, tant en nombre d’heures qu’en contenu des programmes.

Ces derniers (pas encore arrêtés mais prévus pour être en place à la rentrée 2016) posent également problème, notamment dans les matières Français et Histoire. Les thèmes optionnels sont tellement nombreux qu’on pourra finir le collège sans avoir jamais entendu parler des Lumières par exemple, tandis que l’Islam sera obligatoirement enseigné. Je vois dans ces dispositions une façon non-dite, mais manifeste et peu courageuse, de permettre aux professeurs confrontés à des classes à forte proportion d’élèves musulmans d’éviter tous les sujets qui fâchent. Sans en faire une généralité, on sait que l’étude de Madame Bovary, Voltaire ou Tartuffe a assez fréquemment du mal à passer auprès de ces élèves, comme nous le rappelle un article intitulé Comment enseigner aux « Jeunes » du dernier numéro de la revue Commentaire.

Le résultat probable de ces projets pour le collège, loin de favoriser l’accès de tous les élèves au meilleur niveau possible, consacrera la perte de valeur des diplômes scolaires et accentuera la fracture entre les élèves issus de famille ayant les moyens intellectuels et financiers d’éduquer leurs enfants (via l’enseignement privé, les cours particuliers, les voyages à l’étranger, la vie et les conversations familiales…) et les autres, qui seront finalement les perdants de la réforme alors qu’elle devait au contraire les aider à avancer.

Tout aussitôt qualifiés avec doigté de « pseudo-intellectuels » par la Ministre, les détracteurs de la réforme ont été rejoints, pour des raisons parfois opposées, par de nombreux enseignants qui se sont mis en grève mardi 19 mai dernier. C’est dire l’importance de l’opposition que cette réforme suscite depuis des horizons très différents.

Réponse immédiate du gouvernement, qui ne semble jamais plus déterminé que quand la fronde fait rage : le décret d’application a été publié au Journal officiel le lendemain de la grève, avec toutes les apparences d’un passage en force, parfait aveu du mépris dans lequel ce gouvernement tient les Français.

Cerise sur le gâteau, au même moment, Najat Vallaud Belkacem donnait une interview au magazine GQ France (Numéro 88 Juin 2015) dans laquelle elle exposait complaisamment ses vues sur sa vie, son oeuvre, ses valeurs, son mari énarque et surtout sur la terrible sécheresse de coeur des gens qui votent à droite, qu’elle reconnait au premier coup d’oeil à leur « acceptation voire légitimation des inégalités ».

Interrogée par Frédéric Taddeï, Najat Vallaud Belkacem déplore la « tweetisation du débat public » et se plaint que ses propos sont déformés, tronqués et caricaturés. Pour elle, la langue de bois qu’on reproche aux politiques découle directement de l’information en continu qu’ils sont obligés de subir. Mais elle a elle-même un compte twitter et 332 000 followers auxquels elle fait part de ses sentiments de ministre en termes bien sentis :

Voilà un excellent résumé de la pensée et de la pratique politique de la ministre : la droite, c’est l’horreur, et le débat, c’est après le décret.

Son engagement en politique est parti de son « combat viscéral » contre le racisme et l’homophobie, et pour les droits des femmes, thèmes que l’on retrouve au coeur de son action de ministre de l’éducation avec les ABCD de l’égalité et la lutte contre le racisme et l’antisémitisme à l’école par exemple.

Selon elle, l’école est avant tout chargée de transmettre des valeurs. Pas n’importe lesquelles, celles de la République : « La République a créé l’école pour que celle-ci permette à la République d’exister. Elle doit donc forger les défenseurs des valeurs qui sont les siennes. » Là encore, c’est louable, mais il n’est jamais question de savoirs et on comprend que pour Najat Vallaud Belkacem, l’école n’a pas d’abord vocation à transmettre des connaissances et des méthodes de travail, mais vise à construire des citoyens en rapport avec une certaine vision sociétale du monde.

Alors que Frédéric Taddeï lui fait remarquer que parmi les inégalités qu’elle combat elle ne parle pas des inégalités sociales, elle répond : « L’injustice (…) c’est que les enfants (d’ouvriers) n’aient jamais la perspective d’être un jour patron. » Cette réflexion est curieuse venant de sa part. Elle est elle-même fille d’ouvrier immigré marocain, diplômée de Sciences Po Paris et ministre de l’Education nationale, qui dit mieux ?

Quant aux « patrons », le tissu économique français est très divers comprenant de très grands groupes internationaux et de très petites entreprises dans lesquelles les dirigeants peuvent être d’origines sociales extrêmement variées. Dans sa bouche le mot « patron » est une sorte d’insulte qu’elle n’applique qu’aux dirigeants du CAC 40, lesquels sont pourtant souvent issus de la haute fonction publique qu’elle connait bien.

imageLe CAC 40, c’est justement un marqueur assez particulier qui permet de différencier la gauche et la droite selon Najat. L’homme de gauche est un être universel qui évolue avec la même aisance avec les patrons du CAC 40 et avec les chauffeurs de taxi auxquels il dispense le même respect et le même intérêt.

C’est beau ! Encore faudrait-il connaître des patrons du CAC 40. Personnellement, je suis obligée de reconnaître que je manque complètement de cette ubiquité sociale « de gauche » et que je me contente de faire des sourires aux chauffeurs de taxi lorsqu’il m’arrive de me déplacer de cette façon.

Autre marqueur, le traitement des inégalités. Alors que Frédéric Taddeï lui demande pourquoi elle s’est engagée en politique au Parti socialiste en 2001, NVB explique : « Parce que j’ai toujours considéré que la gauche combattait les inégalités, alors que la droite en théorisait la nécessité. » J’aimerais qu’on me présente cette théorie. Il me semble surtout que la lutte contre les inégalités est une mauvaise façon de poser le problème de la pauvreté. L’enjeu n’est pas de réduire un écart, mais d’augmenter le niveau bas.

A propos des libertés individuelles, Najat Vallaud Belkacem pense « qu’on va dans le bon sens ». A titre d’exemple, elle cite le cas d’internet : « Il ne faudrait pas qu’internet soit un no man’s land où toutes les idées pourraient s’exprimer. » Les idées qui la dérangent sont l’homophobie, le racisme et l’antisémitisme. Ces idées me dérangent aussi. Ma différence avec NVB, c’est que je préconise de les combattre par mon attitude et par mon discours, non par une interdiction, seule solution envisagée par le gouvernement.

Les conceptions de notre Ministre de l’Education nationale sur la droite et la gauche résonnent sans doute très douillettement à des oreilles d’électeur socialiste (à supposer que ces catégories soient vraiment pertinentes dans le débat politique d’aujourd’hui, mais c’est une autre question). A mes oreilles libérales, elles paraissent ridiculement sommaires et caricaturales.

J’ai le souvenir d’avoir lu il y a plusieurs années un livre intitulé « La droite et la gauche » (Editions Laffont/Grasset, 1995) consistant en un dialogue entre Claude Imbert, représentant la droite, et Jacques Julliard, représentant la gauche. La différenciation droite gauche y était autrement plus subtile que la prétention au monopole du coeur que la gauche s’octroie en permanence. Même vieux de vingt ans, j’en conseille la lecture à toute personne qui ne se contenterait pas des anathèmes unilatéraux édictés par Madame Vallaud Belkacem, qui est notre ministre de l’Education nationale, je le répète, et je le déplore.


(*) Liste des EPI :

Corps, santé, bien-être et sécurité / Culture et création artistiques / Transition écologique et développement durable / Information, communication, citoyenneté / Langues et cultures de l’Antiquité / Langues et cultures étrangères ou, le cas échéant, régionales / Monde économique et professionnel / Sciences, technologie et société.


nvbIllustration de couverture : Najat Vallaud-Belkacem – Photo Paris Match © DR

4 réflexions sur “NVB : la droite, la gauche et la réforme du collège

  1. Dans la lignée de ces caricatures sur la différences droite-gauche, il ne faut pas oublier la tendance qu’ont certains à voir du racisme et de l’antisémitisme partout où ils sont confrontés à une certaine contradiction. Encore récemment, Cambadélis a trouvé le moyen de voir une sorte de xénophobie dans les critiques formulées par la droite contre NVB et Taubira.
    Cela dit ça n’a pas plu à tout le monde, y compris au PS, où certains sont fatigués et écoeurés de ces caricatures :
    //www.wat.tv/embedframe/248192chuPP3r12369829Propos « xénophobes » de Sarkozy: « L’anti-racisme est un business au Parti socialiste » sur WAT.tv

    • Bonsoir, et merci beaucoup pour le lien.
      Zohra Bitan a parfaitement raison. Taubira et Belkacem, qui sont ministres, sont critiquées pour des raisons de divergence politique. Cette façon de toujours tout ramener à la xénophobie dont elles seraient victimes tue le vrai combat contre les vrais xénophobes (qui existent sans être, loin de là, majoritaires en France), cause beaucoup de mal aux personnes qui en sont vraiment victimes, et éloigne les Français d’une réflexion posée sur la question.
      Bien à vous.

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