SUPER-PROFITS : commençons par revenir à un vrai marché libre

Il fallait s’y attendre. Chaque nouvel épisode de crise relance automatiquement la chasse aux « profiteurs » de crise. « Amazon se gave ! » lançait Roselyne Bachelot en novembre 2020, au cœur du débat sur les restrictions d’activité anti-Covid. Vite, boycottons Amazon, taxons son chiffre d’affaires, ramenons de la sobriété et de la justice sociale dans ce monde de brutes ! Aujourd’hui même combat : haro sur le transporteur maritime CMA-CGM, haro sur le pétrolier TotalEnergies, haro sur tous les profits trop gigantesques pour être honnêtes.

Du côté des extrêmes de gauche comme de droite, l’affaire est entendue : il faut taxer les « superprofits » que les entreprises ont réalisés à la faveur des crises Covid et guerre en Ukraine. Du côté du gouvernement, en revanche, la situation est plus confuse. Emmanuel Macron n’a pas mâché ses mots pour fustiger les « profiteurs de guerre », mais au sein de son gouvernement, le ministre de l’Économie a commencé par écarter l’idée d’une taxation spéciale tandis que la Première ministre préférait « ne pas fermer la porte » sur une telle mesure. Une confusion plus formelle que fondamentale car au final, tout le monde est d’accord pour taxer les superprofits.

Il faut se rappeler que Bruno Le Maire a passé ces derniers mois et ces dernières semaines à nous expliquer à quel point le gouvernement avait merveilleusement protégé les Français face aux difficultés engendrées par la pandémie, et maintenant face à l’inflation – tout cela sans augmenter les impôts. Mieux, « non seulement, il n’y aura pas d’augmentation d’impôts, mais nous continuerons de baisser les impôts », expliquait-il cet été au moment du vote sur le paquet « pouvoir d’achat ».

Rectifions. Sans augmenter les impôts, peut-être – et encore faut-il remarquer que pour les propriétaires, la suppression pas encore achevée de la taxe d’habitation est en train d’être largement annulée par une taxe foncière en pleine croissance. Mais quand on s’appuie sur la dette au point de l’avoir fait caracoler de 98 % à 114,5 % du PIB entre décembre 2019 et mars 2022, il devient pratiquement mensonger de se féliciter de sa grande sobriété fiscale. Surtout lorsqu’on est déjà le pays champion du monde des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques.

En parlant de dette, justement, il fut une époque où il était de bon ton d’y recourir pour un oui ou pour un non tant elle ne coûtait rien. Or ce n’est plus du tout le cas. La charge de la dette française s’est remise à augmenter en 2021 et elle va continuer à s’alourdir du fait de l’inflation sur laquelle une partie des emprunts publics sont indexés et du fait de la remontée des taux opérée par les banques centrales pour contrecarrer l’inflation.

Nous arrivons donc à ce moment critique (sur lequel des empêcheurs de tourner en rond comme les magistrats de la Cour des Comptes avaient pourtant lancé de nombreuses alertes) où l’on commence à se dire qu’il va bien falloir que quelqu’un paye. Problématique bercynoise : comment faire pour amener plus d’argent dans les caisses du Trésor public sans trop se désavouer et sans parler d’impôt ? En s’appuyant sur « un mécanisme de contribution européenne ». Bref, une taxe. Mais si cela vient de l’Union européenne, on pourra dire que « tout le monde le fait », ce qui prouvera que c’était la « bonne solution ».

À entendre nos subtils politiciens s’exprimer, il y a pourtant largement de quoi en douter. Si l’on en croit Mme Borne, « les entreprises qui font des super profits doivent rendre du pouvoir d’achat aux Français ». Le député Renaissance Sacha Houlié demande même que les entreprises « rendent de l’argent » aux Français. Comme si l’acte de vente des entreprises à un certain prix agréé par l’acheteur était du vol. 

Dans les faits, les entreprises ont bel et bien fait des gestes en faveur des consommateurs face à l’inflation. TotalEnergies s’y est mis en consentant une ristourne de 20 centimes par litre vendu sur ses carburants jusqu’à fin novembre, CMA-CGM s’y est mis, la grande distribution s’y est mise. Mais cela ne vaut pas. Les profits continuent à être perçus comme un gain illégitime, honteux, presque criminel, qu’il convient d’encadrer au maximum via la fiscalité, le blocage administratif des prix et la détermination administrative des salaires. 

Il ne faudrait pourtant pas oublier que les superprofits qu’il est aujourd’hui question de taxer plus ont déjà subi l’impôt sur les sociétés (à 25 %) comme tous les profits. N’oublions pas non plus que s’agissant des ventes de carburants, l’État prélève des taxes tellement élevées sur la consommation (TICPE et TVA) qu’elles finissent par représenter beaucoup plus que le prix hors taxes des produits. Si certaines entreprises « se gavent » (pour reprendre l’élégante formule de l’ancienne ministre de la Culture), l’État aussi, automatiquement.

Quant aux profits qui restent dans l’entreprise, ils représentent les investissements de demain, donc les emplois et les salaires de demain. Comme disait déjà Vauban aux alentours de 1700, « l’argent du royaume le mieux employé est celui qui demeure entre les mains des particuliers où il n’est jamais inutile ni oisif. » Peut-être l’État pourrait-il commencer lui-même à « rendre de l’argent » aux Français. Mais évidemment, il faudrait alors envisager de baisser les dépenses publiques, abolir la politique systématique des chèques « pouvoir d’achat » ou des primes « remise en selle vélo » – bref, mettre fin à ce petit clientélisme redistributif qui fait toute la carrière d’un politicien.

Du reste, quand peut-on commencer à parler de résultats exceptionnels ? Face à l’inflation, les entreprises spécialisées dans les produits low cost bénéficient actuellement d’un regain d’attention de la part des consommateurs, engrangeant ainsi chiffre d’affaires et marge supplémentaires. Va-t-on considérer qu’elles prospèrent sur la crise ? A contrario, les entreprises de e-commerce qui avaient vu leurs ventes augmenter significativement pendant la période des confinements Covid ont enregistré un recul de 15 % au premier trimestre 2022 par rapport à la même période de 2021.

Enfin, dans ce débat fiscal sur les superprofits, difficile de ne pas repenser au texte de Ludwig Von Mises intitulé « Sur un marché libre, aucun profit n’est ‘excessif’ ! »

Tandis que chez nous, en France, tout discours consensuel sur les méthodes pour éradiquer la pauvreté, le chômage, les injustices sociales, passe obligatoirement par la condamnation des « profits excessifs » réalisés par les entreprises et celle des dividendes non moins scandaleux qu’elles versent à leurs actionnaires, Mises nous donne un autre aperçu du profit. Il le replace dans sa réalité économique et lui réattribue toute sa valeur sociale.

Sous un titre clairement polémique, il explique que ce n’est jamais le capital qui génère les profits, mais la bonne utilisation de ce capital. « C’est de l’intelligence de l’entrepreneur, de son travail de réflexion, que les profits émergent en dernier ressort. » Il en résulte que « l’une des fonctions principales du profit consiste à placer le contrôle du capital entre les mains de ceux qui savent comment l’employer au mieux pour la satisfaction du public. »

Mais voilà, il est bien précisé que tout ceci est vrai sur un marché libre. Les superprofits dont on parle ont-ils été réalisés dans le cadre d’un marché parfaitement libre ? Ceux de CMA-CGM ont été obtenus parce que la brusque reprise de l’activité post-Covid a créé des goulots d’étranglement dans les chaînes de production et de transport, avec pour résultat de faire monter les prix face à une offre trop faible par rapport à la demande. Autrement dit, les profits du transporteur dérivent directement des politiques anti-Covid imposées par les gouvernements.

Sur le marché de l’énergie, la perturbation vient certes de la rupture des échanges avec la Russie, mais également d’une réglementation tarifaire (sur l’électricité notamment) qui se révèle si insatisfaisante que les ministres de l’énergie des pays de l’Union européenne se sont réunis spécialement vendredi dernier pour l’amender – sans aboutir à ce jour. 

Alors oui, il arrive que des crises surviennent. Il arrive que des chocs externes qui perturbent l’offre ou la demande se produisent, plaçant certains acteurs en position favorable et d’autres en position défavorable. Mais l’on sait, avec Jacques Rueff par exemple, qu’elles sont souvent favorisées par trop de régulation initiale mal goupillée et que les réponses à ces crises par distorsions volontaristes sur les prix ou les salaires, donc sur les profits, a pour effet systématique de les prolonger par brouillage du signal des prix puis cascade de mauvaises décisions prises en méconnaissance de cause.

La bonne idée, pour les consommateurs comme pour les producteurs, ne serait-elle pas de revenir à un marché aussi libre possible ?


Illustration de couverture : Logo de l’énergéticien TotalEnergies.

12 réflexions sur “SUPER-PROFITS : commençons par revenir à un vrai marché libre

  1. Bonjour dès l’instant qu’il y a inflation, nous payons plus de TVA ou equivalent.
    Si les salaires pensions et revenus tels que loyers ou actions augmentent aussi pour suivre l’inflation, nous payons plus d’impot sur le revenu, tant que les barèmes ne sont pas corrigés.
    Comme les charges communales augmentent, les multiples impots communaux augmentent.
    La liste serait très longue.
    Bruno lemaire nous raconte des salades et le sait, comme d’habitude.

    • Le sait-il vraiment, d’ailleurs ?

      Une telle incompétence, dénoncée par notre hôtesse, ici-même, il y a quelque temps, devrait incliner à la méfiance sévère.

      Un tel sinistre, pas foutu de trouver qu’il y a 10 000 m² dans un hectare, ne laisse que peu d’espoir à ses annonces fallacieuses.

  2. Excellente analyse et si juste ! Le probleme est que la caste politique et technocratique est incapable de reconnaitre ses erreurs et de les corriger; cela est particulierement vrai ces dernieres annees avec Macron, et ses gouvernements successifs, qui ne se trompent jamais, expliquent qu’ils prennent toujours les bonnes decisions pour notre bien et sont dans l’autosatisfecit permanent. Dans les entreprises privees les sanctions auraient ete prises depuis longtemps et les mauvais dirigeants demis de leur fonction parce qu’ils sont responsables des resultats de l’entreprise. De nombreux ministres et macron lui-meme auraient du etre renvoyes pour mauvais resultats. Mais la caste se protege et les sanctions tombent rarement.

  3. Dans un pays où l’ignorance en matière économique est la règle, et où on cherche à « faire payer les riches » à tout propos, faire des profits , c’est mal, et les taxer c’et bien … partant de là, il est tellement tentant pour un gouvernement de faire porter le chapeau de ses échecs par les boucs émissaires préférés, les entreprises qu’on appelait la Grand Capital il n’y a pas si longtemps …

  4. Toujours cette lubie propre aux politiciens français et aux technocrates qui les secondent de trouver et développer une troisième voie entre le cauchemar communiste et l’enfer capitaliste. C’est né avant la guerre dans les milieux de X-crises et de la trop fameuse synarchie avec de bonnes raisons aux vues des conséquences de la crise de 1929. Si cela pouvait avoir encore un peu de sens à la Libération, les quarante dernières années, depuis que nous sommes passés de l’ombre à la lumière, ont bien montré l’inanité de cette perspective. Dans un pays où l’envie et la jalousie sont en passe de devenir des qualités, rien d’extraordinaire à ce qu’une telle billevesée soit encore une fois à la une. En arrière plan, faute de produire de la richesse, le pays détruit son capital et s’enfonce dans la pauvreté.

  5. L’ article est juste l’ état n’a pas à se mêler de tout surtout quand tout va bien.
    Mais tout le monde veut quelque chose de l’ état toutes strates confondues des parents jusqu’ aux responsables d’ entreprises. L’ état joue un double jeu avec les citoyens pour toujours être gagnant il utilise pour cela des armes sophistiquées qu’ utilisent aussi de grandes entreprises. Il y a un système mis en place de manière consciente depuis des dizaines d’ années par une oligarchie comme en Russie c’est verrouillé, faussement démocratique.
    Le pire étant que certains en redemande.

  6. Bientôt 50 ans de budgets déficitaires… nos brillants dirigeants ont bien intégré que faire des pertes c’est normal, c’est même très bien puisque c’est pour l’intérêt général. En toute logique faire du profit, c’est donc mal, et faire des superprofits c’est super mal!

  7. Le terme de super-profits sent évidemment beaucoup trop le marxisme, c’est pourquoi il est regrettable. Cependant, l’autre jour, sur BFM, un économiste expliquait qu’il recouvrait une notion pertinente : il y aurait bien des profits non légitimes. Et il tentait le mot de « rente » pour mieux les décrire.

    En l’occurrence, il y aurait bien des profits non légitimes et nocifs générés par la distorsion des prix de l’énergie actuellement. Le mécanisme de fixation des prix par l’Union européenne serait en cause.

    Si j’ai bien compris, les fournisseurs d’électricité seraient payés d’après le prix de l’énergie la plus chère, soit le gaz. Le prix de ce dernier ayant explosé, ceux qui produisent au moyen d’autres sources d’énergie beaucoup moins chères (nucléaire, éolien…) bénéficieraient d’une rente injuste.

    Ce serait d’autant plus préoccupant que le motif de l’explosion des prix est la guerre, et que des considérations stratégiques sont en cause : si les populations européennes subissent une hausse des prix insupportable, cela risque de remettre en cause des orientations de politique étrangère qui visent à préserver notre souveraineté et notre liberté.

    Jeremy Warner, rédacteur en chef adjoint du Telegraph de Londres, journaliste spécialisé dans l’économie, écrit que le marché de l’énergie est devenu complètement fou.

    « Des millions de foyers sont menacés de pénurie. L’économie en général et les finances publiques sont menacées de ruine. Nous sommes en guerre, et en temps de guerre, les règles normales n’ont plus cours. »

    https://www.telegraph.co.uk/business/2022/09/05/war-shameful-profiteering-energy-market-justifies-radical-intervention

    En conséquence de quoi, il préconise, pour l’Angleterre, une loi permettant de rompre les contrats existants de droit privé, qui assurent ce qu’il appelle des « windfall profits » aux fournisseurs d’énergie — une expression plus juste que notre « super-profits ».

    En effet, on se demande pourquoi passer par une taxe, alors que concernant l’Union européenne, c’est la règle arbitraire fixée par cette dernière, dans un contexte complètement différent, qui semble en cause. Il serait logique que Bruxelles modifie cette règle.

    Jeremy Warner préconise aussi de fixer un prix maximum pour le gaz de la mer du Nord, ce qui impliquerait aussi une rupture autoritaire des contrats.

    « Ce serait une mesure radicale, mais je ne vois pas de meilleure solution », écrit-il. On ne peut guère soupçonner le Telegraph de complaisances étatiques. Il a fortement soutenu Liz Truss et ses orientations libérales.

    Notez que c’est le même raisonnement que celui qui s’applique au Covid.

  8. Excellent article comme toujours.
    Il n existe de pas de super-profits
    Une entreprise fait des bénéfices point barre.
    L inflation est un impôt caché ni plus ni moins un prix qui augmente génère plus de taxe de facto.
    L augmentation des salaires suit le même processus.
    Ainsi que les bénéfices des entreprises.
    D ailleurs le premier semestre à vu les rentrées fiscales augmenter n est ce pas.
    N’est ce pas.

  9. Le marché de l’électricité fonctionne mal et on pourrait vite fait accuser le marché et donc forcément le capitalisme

    Dans un marché libre il est normal que le prix payé par tous se cale sur le coût de la dernière unité produite ou proposée pour satisfaire la demande, aussi bien à la hausse qu’à la baisse, ça s’appelle le coût marginal, et généralement ça fait baisser les prix : votre usine de t-shirts a fabriqué 1 million de t-shirts dont le coût de fabrication est de 10€ et l’usine est amortie, le coût de fabrication du t-shirt supplémentaire est maintenant de 7€, c’est le coût marginal

    On le voit par exemple sur les ordres de bourse dans le carnet d’ordre. Que vous achetiez ou vendiez vous allez prendre comme référence le prix de la dernière transaction, le mieux offrant

    Le problème avec le marché de l’électricité c’est qu’il est complètement bidouillé: entre les prix administrés, les prix minimum pour certaines catégories, les subventions, les ventes forcées, les priorités données à l’éolien et au PV, les taxes carbone affectant les énergies fossiles, les réglementations ayant conduit à pas mal de fermeture de centrales thermiques gaz, mais néanmoins le besoin de ces centrales gaz pour pallier les intermittences de l’éolien… ce n’est plus un marché c’est la cour des miracles
    Utiliser des mécanismes de l’économie libérale dans un marché administré, forcément ça ne va pas bien fonctionner et on obtient toujours un résultat opposé au but recherché et c’est normal car tout intervenant sur ce marché va vouloir profiter d’une occasion de faire des bénéfices sans en assumer les risques puisque le marché est protégé : ainsi les opérateurs alternatifs qui profitent d’un MWh à moins de 50€ (vente forcée à prix fixe) ont vu l’occasion trop belle de revendre aux industriels entre 200 et 1000€ ce MWh, vu que c’est l’état qui a scindé le marché, à la base unique, en 2 : d’un côté les particuliers avec un prix bloqué (hausse de 4% uniquement) et les commerçants et industriels sur le marché “libre” avec des hausses minimum induites de 40% en janvier et bcp plus depuis.

    Ces opérateurs alternatifs ont donc mis fin aux contrats des particuliers genre allez voir ailleurs… et on va pouvoir accuser le libéralisme sans foi ni loi alors que c’est l’état qui est intervenu avec ses gros doigts boudinés pour tout dégueulasser

    • Par la même, j’entends que c’est l’Europe qui a indexé le prix de l’électricité sur celui du gaz et qu’elle voudrait revenir dessus : en fait non, elle n’a jamais fait ça, c’est uniquement parce qu’il y a un manque d’équipements pour générer de l’électricité et que les derniers MWh manquants sont générés par le gaz (pouah le charbon, pô bien), et comme dit ci-dessus le prix se cale sur le coût du dernier MWh qui est celui du gaz.

      Je me demande quelle solution ils vont trouver pour tordre encore un peu plus le marché, nul doute que ça aura l’effet contraire

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