Petit traité de vertu en politique selon MM. Macron et Bayrou

Après avoir été mis en examen en juillet 2021 pour des faits de « prise illégale d’intérêts » commis dans l’exercice de ses fonctions, le ministre de la Justice Éric Dupont-Moretti a été avisé avant-hier (lundi 3 octobre 2022) qu’il était renvoyé en procès devant la Cour de Justice de la République.

Le même jour, on apprenait qu’Alexis Kohler, secrétaire général de l’Élysée depuis 2017 et très proche conseiller d’Emmanuel Macron depuis plusieurs années, avait été mis en examen le 23 septembre, également pour « prise illégale d’intérêts », cette fois-ci en raison de son silence sur ses liens familiaux et professionnels avec l’armateur MSC, alors que ses fonctions publiques successives l’ont amené à participer à des réunions stratégiques concernant le groupe en question.

Tant de vilenies… Tant de mépris pour la chose publique… Voilà qui devrait faire bondir d’horreur et d’indignation notre célèbre duo d’experts en moralisation de la vie publique ; autrement dit MM. Macron et Bayrou ; autrement dit le Président de la République et l’un de ses plus fidèles et fervents soutiens, devenu récemment le pilier indispensable de sa glorieuse refondation. 

Or curieusement, non. Mais regardons la petite chronologie de la vertu en politique telle qu’elle s’est déroulée sous les pas de nos deux angelots moralisateurs.

· Tout avait commencé le 24 janvier 2017 avec les révélations du Canard enchaîné sur les emplois présumés fictifs de Penelope Fillon comme assistante parlementaire de son mari François Fillon, ancien Premier ministre, candidat présidentiel de la droite en 2017 et l’un des principaux concurrents d’Emmanuel Macron, également candidat. 

· Dès le 4 février 2017, ce dernier s’empressait d’intégrer au « nouveau monde » qu’il se flattait de proposer aux électeurs l’avènement d’une ère politique définitivement probe et vertueuse. Voyant dans l’affaire Fillon une « lèpre démocratique » caractéristique d’un autre âge, il comptait bien faire de son quinquennat celui qui restaurerait « la dignité de la vie publique ». Admirable exigence.

· Puis le 22 février 2017, ambiance des grands jours : François Bayrou annonce qu’il rejoint Emmanuel Macron pour la présidentielle. Mais attention, pas à n’importe quelles conditions. D’abord devenir ministre de la Justice et ensuite pouvoir porter, lui le vertueux, une grande loi d’assainissement de la vie politique qui le fera enfin passer à la postérité espérée depuis si longtemps, alors que tant d’autres politiciens ont à répondre de malversations dans l’utilisation des fonds publics :

« Je demande expressément que le programme qui sera présenté par Emmanuel Macron comporte en priorité une loi de moralisation de la vie publique, en particulier de lutte déterminée contre les conflits d’intérêts. »

Admirable exigence.

· Emmanuel Macron n’a eu aucun mal à s’entendre avec lui sur ce point. Tout ce qui pouvait renvoyer Fillon à sa « lèpre démocratique » était bon à prendre. Mieux, le 2 mars 2017, il affirmait que contrairement à ce dernier, il renoncerait à être candidat s’il était mis en examen, ajoutant :

« de la même façon que dans le principe, un ministre doit quitter le gouvernement s’il est mis en examen. » (Vidéo, à partir de 01′ 40″) :

Admirable exigence. (Notons cependant l’utilisation de la formule « dans le principe » qui donne l’impression de sous-entendre que dans la pratique… Admirable prévoyance.)

· Mais bref, jusque-là, tout allait très bien.

Le 7 mai 2017, Emmanuel Macron était élu Président de la République ; le 17 mai, François Bayrou était nommé ministre d’État, Garde des Sceaux, ministre de la Justice ; le 1er juin, il lançait sa loi de moralisation de la vie publique devant la presse ; et le – ah non, la merveilleuse série s’arrête là.

Car François Bayrou a fini épinglé en train de faire la bête avec une stupide histoire de cadres du Modem « à recaser d’urgence » – eh oui, une affaire d’emplois fictifs, alors qu’il s’était toujours appliqué à faire l’ange de la politique avec ostentation et, par la même occasion, à faire la morale à tout le monde. Nous n’étions que le 21 juin 2017. Sale coup pour le nouveau monde.

· Quelques jours plus tard, le 3 juillet 2017, Emmanuel Macron n’était déjà plus aussi droit dans ses bottes. « Nul n’est irréprochable (…) La perfection n’existe pas », confiait-il aux parlementaires réunis en Congrès à Versailles. Admirable humilité, admirable sens de l’avenir.

· Le 15 septembre 2017, il s’arrangeait néanmoins pour faire de la moralisation de la vie publique la première loi de son quinquennat et il la promulguait en direct et en grande pompe devant les caméras de télévision. Admirable persévérance :

· Le 4 juin 2018, le Parquet national financier (PNF) ouvrait une enquête sur Alexis Kohler pour prise illégale d’intérêts. Il était reproché au conseiller de M. Macron de ne pas avoir fait état de son lien familial avec le groupe MSC (dont les actionnaires principaux sont des cousins de sa mère) tout en agissant pour le compte de l’État dans des dossiers concernant cette entreprise. 

· Soudain, surprise. En juillet 2019, Emanuel Macron lui-même en personne se fend d’une note assez spéciale, sorte d’attestation de bonne conduite en faveur de son précieux collaborateur, où il indique que ce dernier l’avait informé de ses liens familiaux avec MSC et lui avait même demandé d’être exclu de tout dossier en rapport avec cette société. Admirable prévoyance.

Puis en août 2019, nouvelle surprise : classement sans suite par le PNF. La question de l’ingérence du Président de la République dans le cours de la justice se pose, d’autant que relancée par l’association Anticor, l’affaire a maintenant abouti à la mise en examen d’Alexis Kohler.

· En septembre 2019, c’est au tour de Richard Ferrand, macroniste de la première heure et Président de l’Assemblée nationale de septembre 2018 à juin 2022, d’être mis en examen (dans l’affaire des Mutuelles de Bretagne). Tout comme son patron, M. Ferrand jugeait avant l’élection présidentielle de 2017 qu’une mise en examen devait entraîner la fin de toute fonction ou prétention politique.

Mais ça, c’était du principe taillé sur mesure pour le candidat Fillon. En ce qui le concernait, lui, personnellement, pas question de démissionner. Primo, il était député, donc élu, contrairement à un ministre. Et secundo, Emmanuel Macron l’avait assuré de tout son soutien et avait fait savoir par l’intermédiaire de la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye qu’il était « absolument irréprochable » dans l’exercice de ses fonctions. Admirable bienveillance.

· Je passe sur une multitude d’autres « affaires » plus ou moins graves, plus ou moins décisives politiquement, plus ou moins synonymes de la « lèpre démocratique » ordinaire qui envahit le pays à mesure que l’État s’en empare – Benalla, Rugy, Delevoye – qui ont émaillé le premier quinquennat macronien.

· Toujours est-il que le 3 octobre dernier, Alexis Kohler est mis en examen et Éric Dupont-Moretti est renvoyé devant la Cour de justice de la République. Depuis, silence radio d’Emmanuel Macron. Silence le 3 octobre, silence le 4 octobre. Communiqués laconiques sur la confiance renouvelée à l’un comme à l’autre, pas de démission en perspective. Admirable stoïcisme. 

Le ministre délégué aux comptes publics Gabriel Attal se dévoue néanmoins pour tenter de justifier ce calme jupitérien. En substance, on avait mal compris le « principe ». Ce n’est pas la mise en examen qui doit déclencher la démission, c’est la condamnation. Personne ne pourra accuser le gouvernement de piétiner la présomption d’innocence. Admirable sens de la justice.

· Quant au vertueux Bayrou, qui a toujours porté sa haute moralité politique en bandoulière, il nous offre une nouvelle doctrine très intéressante que je vous laisse apprécier en guise de conclusion :

« Il y a une surmultiplication des mises en examen et des mises en cause devant la justice. Compte tenu du nombre d’affaires qui défraient la chronique, il devient impossible de laisser ce type de décision changer l’organisation des responsabilités politiques. Cela touche tout le monde… »

.
Retour à la case départ. Admirable amnésie. Admirable hypocrisie. Admirable nullité. La politique est une farce. Aucune refondation de côté-là. Ça promet.


Illustration de couverture : François Bayrou et Emmanuel Macron en 2020. Photo AFP.

11 réflexions sur “Petit traité de vertu en politique selon MM. Macron et Bayrou

  1. Qui est surpris ? : https:/
    /www.lemonde.fr/politique/article/2022/10/04/eric-dupond-moretti-estime-que-sa-demission-n-est-pas-a-l-ordre-du-jour_6144330_823448.html

    et

    https:/
    /www.linternaute.com/actualite/politique/2666552-dupond-moretti-quand-macron-promettait-la-demission-des-ministres-mis-en-examen/

    Le poisson pourrit bien par la tête.

  2. Bel historique, myéline France qui se soucie de la morale en politique et en dehors. Nous votons ou pas pour des personnes qui nous ressemblent.
    Cela plusieurs dizaines d’ années que les Français se plaignent mais ne font rien pour que cela change car tout est bloqué , il faut tout revoir et réorganiser dans la maison France.

  3. En lisant cet excellent article, comment ne pas me souvenir de « Crépuscule », le pamphlet de Juan Branco qui m’avait valu ici même, les foudres de certain commentateur, pour avoir osé citer l’ouvrage ?
    Or en 2019, voici ce qu’en disait Denis Robert dans sa préface, que je conseille à tous de lire : …c’est la première fois que je lis une histoire aussi fouillée et convaincante de ce que pourrait être la macronie, qui apparaît ici comme une splendide arnaque démocratique… »
    Le mois qu’on puisse dire est que nous n’avons pas été déçus :

    https://audiable.com/wp-content/uploads/Crepuscule_BF.pdf

  4. Splendide exposé. Merci Nathalie
    Merci également à Mildred pour ce lien vers la préface.

    Qu’en retenir synthétiquement ? « Captation du pouvoir par une minorité …. » ,  » Il n’y a nulle sédition dans l’appel au départ d’Emmanuel Macron.. »

    Il suffit, comme je l’avais déjà écrit, de consulter n’importe quel site qui l’exige pour se rendre compte que le nombre de signataires interpelle.

    Pouvoir déliquescent, est-il également écrit. Nous avons placé un psychopathe au pouvoir. J’avais même, à tort, prédit un mandat écourté. Pis, il est reconduit.

    Désespérant; je suis atterré.

    Peut-être ne m’étais-je trompé que sur le premier. Le Ciel m’entende.

    La Haute Cour est désignée, par les deux chambres pour juger le Président en cas de haute trahison. N’y sommes-nous pas ?

    Étendre les prérogatives de celle-ci me parait salutaire, afin de juger tous ces impétrants (clowns à roulettes sur un autre blog) qui se paient sur la bête impunément.

    Quid de la séparation des pouvoirs, constitutionnels ?

    Toutes ces turpitudes se termineront inévitablement dans la rue si un changement profond doit advenir.

    • Pouvoir déliquescent, Macron psychopathe, haute trahison… il faut vous calmer. Votre propos est typique d’une hystérie fort à la mode en France depuis quelques années. Un nombre non négligeable de personnes racontent absolument n’importe quoi, hurlent à la mort, se prétendent victime de crimes abominables de la part du gouvernement…

      Emmanuel Macron a été élu régulièrement selon les lois en vigueur. Il ne vous plaît pas ? Tant pis pour vous. Vous devrez le supporter jusqu’aux prochaines élections : c’est cela, le libéralisme et la démocratie.

      La démocratie, ce n’est pas forcer le président de la République à partir sous prétexte qu’un certain nombre de gens signent une pétition. Cela, c’est la loi de la populace, de la racaille, des voyous. C’est le genre de beauté des communistes, pas celui des démocrates.

      Arrêtez de vous enivrer de mots ronflants, de vous écouter parler, de filer une mauvaise littérature complètement détachée de la réalité. Vous ne rendez service à personne.

      L’écrasante majorité de la population mondiale donnerait un bras et une jambe pour vivre en France. Il y a un moment où votre genre de chouinerie devient franchement indécent.

      • Ravi de vous revoir Robert. Je me demandais quand allais-je, éventuellement, être soumis à votre diatribe.

        Voici un début.

        « Pouvoir déliquescent, haute trahison… » – Je ne faisais que citer la préface mise en lien; à laquelle je souscris intégralement.

        Un psychopathe – Je ne suis pas le seul à le penser.

        Un bras et une jambe pour vivre en France, alors que beaucoup la quittent ? Ceux qui veulent y venir ne sont pas nécessairement les plus souhaitables. Vous le dénoncez d’ailleurs de temps à autres.

        Si vous pensez que je suis hystérique, m’enivre de mots ronflants et chouine, je vous laisse le croire.

        Je n’estime pas les pétitions comme loi de la racaille, mais comme un préalable à une voie référendaire si nous étions en démocratie directe. Ça se nomme le RIC, si je ne me trompe pas.
        Il y avait peu de chances que l’actuel locataire du 55 allât l’instaurer.

        La démocratie, galvaudée, brandie comme une opportune parade, j’en ai soupé.

        Comment un président aussi impopulaire, qui a autant dégradé la fonction présidentielle, a-t-il pu être réélu ? Ça témoigne dune grande et démocratique anesthésie.

        Hystériquement vôtre.

      • @ Léo C, je souscris entièrement à votre commentaire. Il ne faut pas manquer de souffle pour parler aujourd’hui de démocratie en France. Quant au président actuel (avec un petit p) son cas relève de la psychiatrie.
        J’ajoute que le papier de Nathalie est encore une fois exceptionnel. Un travail bien sûr que l’on aimerait trouver dans les médias mainstream. On peut toujours rêver…

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