Gérald Darmanin : une définition du MACRONISME à lui tout seul

Le ministre de l’Action et des Comptes publics Gérald Darmanin est un homme heureux. Attaché comme il l’est à « sa » commune de Tourcoing, seconde ville du département du Nord et de la Métropole lilloise avec 97 400 habitants, se voir réélu triomphalement maire avec 60,9 % des voix dès le premier tour des élections municipales du 15 mars dernier ne pouvait que lui arracher le sourire le plus large et la reconnaissance la plus grandiloquente lors de son intronisation officielle :

On passera rapidement sur le fait que le triomphe électoral en question s’est accompagné d’une abstention record de près de 75 %. Effet Covid-19 au moins pour partie, certainement, mais tellement supérieur à l’abstention moyenne française de 55,4 % que l’heureux élu préfère oublier ce petit bémol pour ne voir dans sa victoire que l’adhésion enthousiaste des Tourquennois à sa personne et à la politique du gouvernement :

« Si je suis réélu au premier tour à Tourcoing, c’est sans doute que les habitants m’apprécient ; mais j’y vois aussi une marque de soutien à la politique du gouvernement que je représente. » (JDD, 23 mai 2020)

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On savait déjà que Gérald Darmanin avait une façon bien à lui d’arranger la réalité à sa convenance.

Ne s’est-il pas félicité récemment de ce que le gouvernement pouvait « dépenser quasiment sans compter » en temps de Covid-19 « parce que nos finances publiques étaient saines » (vidéo, à partir de 10′ 10″) ? Un déficit public qui remontait à 3 % du PIB dès 2019, une dette publique proche de 100 % du PIB, oui certes, voilà qui était très « sain » et qui ne nous handicape pas du tout maintenant que nous avons plongé dans le marasme économique consécutif au confinement anti Covid… 

Mais laissons là les problèmes du pays et revenons au sujet beaucoup plus important de la carrière de M. Darmanin. Autre motif d’intense satisfaction à son actif, il figure parmi les rares candidats LREM à avoir tiré son épingle du jeu dans un scrutin municipal particulièrement mal orienté pour le gouvernement.

C’est d’autant plus remarquable qu’il n’est arrivé au macronisme que suite à un long cheminement personnel conformément aux valeurs qui scandent son engagement dans la vie publique :

« Je fais de la politique pour défendre des idées, débattre, trouver des solutions pour servir mon pays. »

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C’est ainsi qu’il est d’abord sarkozyste jusqu’au mimétisme quand ce dernier est Président. Puis il déduit de la campagne pour les élections régionales de 2015 qu’il n’y a pas « d’envie de Sarkozy » dans le pays. Rupture. Puis il apporte son soutien à Sarkozy lors des primaires de droite. Échec. Puis il finit par se rallier à Emmanuel Macron dans l’entre-deux tours de la présidentielle de 2017. Non sans avoir abondamment raillé le « bobopopulisme » du candidat Macron quelques petites semaines auparavant. 

Bref, tant de qualités dans le « en même temps ni de droite ni de gauche » ne pouvaient manquer de faire de Gérald Darmanin une valeur aussi sûre qu’incontournable de la Macronie.

Il semblerait même qu’il soit devenu tellement irremplaçable qu’il a été autorisé par l’exécutif à cumuler « pendant un temps » sa fonction de maire avec son portefeuille de ministre. À ce propos, n’allez surtout pas croire que ces deux postes sont intrinsèquement des mi-temps qui supportent tout à fait d’être menés de front par une seule personne. Il est bien évident qu’il s’agit de deux immenses responsabilités que seules les performances hors du commun de Gérald Darmanin permettent d’assumer.

En tout cas, dur, dur pour l’actuel Premier ministre, car cet automne, du haut de toute l’autorité dont il était capable, il avertissait les ministres candidats en ces termes :

« Chaque ministre pourra être candidat ; je précise immédiatement que la règle selon laquelle on ne peut pas cumuler sa fonction de ministre avec la tête d’un exécutif local, restera valable. »

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Un changement de pied gouvernemental de plus. Mais pour ce qui est de Gérald Darmanin, le voici donc avec un pied bien calé dans la légitimité conférée par une pratique effective d’élu de terrain dans une commune populaire et l’autre pied bien installé dans la légitimité de l’expérience gouvernementale badigeonnée d’une jolie couche de « gaullisme social » en produit d’appel.

De quoi penser à pas mal de choses en se rasant, surtout quand on a peu ou prou l’âge qu’avait Emmanuel Macron quand il était lui-même ministre de François Hollande à Bercy (37/38 ans).

Dans l’immédiat, on lui prête le désir d’obtenir un « grand » ministère avec des compétences élargies lors du remaniement qui semble se profiler pour donner un second souffle au quinquennat d’Emmanuel Macron avant l’échéance présidentielle de 2022. Plus question pour Darmanin de rester dans l’ombre du ministre de l’Économie Bruno Le Maire, même si tous deux s’entendent à merveille pour vanter en permanence l’excellence budgétaire du gouvernement et faire l’exact contraire de budget en budget.

D’où le petit chantage sur le mode « Sinon, je rentre à Tourcoing, j’adore trop ma ville pour ne pas m’y investir totalement. »

Totalement et… gratuitement. Enfin, presque gratuitement. Car si Darmanin a effectivement déclaré qu’il ne cumulerait pas les deux rémunérations de maire et de ministre, il a quand même décidé que l’indemnité de maire qu’il ne touchera pas sera reversée à la SPA. Pour le contribuable, cela ne changera rien, si ce n’est que les causes qu’il aimerait soutenir ne sont pas forcément celles que M. Darmanin, dans son immense désintéressement, impose à tous.

En attendant, c’est la crise et le ministre de l’Action et des Comptes publics est en première ligne :

« Confronté à une situation sanitaire mais aussi économique et sociale gravissime, le gouvernement a répondu par des moyens exceptionnels. Peu de pays au monde ont fait autant que nous. »

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Ah oui, rappelons-nous, notre situation financière était saine et l’on peut dépenser quasiment sans compter. Mission accomplie. [Edit : 450 milliards d’euros d’aides publiques depuis mars, prêts garantis par l’État inclus, selon Bruno Le Maire sur BFM TV ce matin 25 mai 2020].

Mais, interroge non sans raison le journaliste du JDD, « tout l’argent que l’État mobilise face à cette crise, qui va le payer ? » 

Eh oui, un jour quelqu’un paiera, soyons-en sûrs. Mais ce n’est pas une chose à dire. Ce qu’il convient de dire à un futur électeur, langage que M. Darmanin maîtrise à merveille, c’est qu’il n’y aura ni impôts en plus (justice sociale, pouvoir d’achat, classes moyennes, blablabla) ni dépenses publiques en moins (besoins massifs de l’hôpital, service public, blablabla).

Il y aura donc de la dette ! Mais ce n’est pas grave car on s’endette pour rien par les temps qui courent (grâce à nos efforts structurels et notre bonne gestion, blablabla) et de toute façon, le gouvernement a fait le choix de la croissance (confiance aux entreprises, confiance aux salariés, blablabla).

C’est à se demander si M. Darmanin a seulement pris le temps de jeter un œil sur les publications récentes de l’INSEE et d’Eurostat à propos du PIB du 1er trimestre 2020.

Selon le premier institut, le PIB français a reculé de 5,8 % par rapport au trimestre précédent et selon le second institut, ceci constitue la plus forte reculade de tous les pays de l’Union européenne auxquels ont été adjoints le Royaume-Uni, les États-Unis et la Norvège :

Il n’y pas à dire, la France possède le prodigieux talent d’être toujours la championne du pire : dépenses, impôts, chômage, dette, et maintenant recul du PIB, nous brillons partout des mille feux de la médiocrité. Sans compter qu’on avait déjà dû constater un repli du PIB de 0,1 % au 4ème trimestre 2019.

Alors pour la croissance, ce n’est pas gagné et ce n’est guère étonnant. Un État dépensier et endetté est un boulet pour son secteur productif car quoi qu’en dise Darmanin, un jour il faudra payer, et ce seront les impôts sur le secteur productif qui assureront ce service.

Mais là encore, tout n’est pas bon à dire à un futur électeur. Il est de beaucoup préférable de jeter une sorte de voile d’ignorance sur ces questions qui fâchent et faire semblant de croire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles et que dans ce monde merveilleux, la France ouvre la voie du bonheur éternel grâce aux formidables réformes entreprises depuis 2017  :

« Quand la crise sera passée, ces mêmes réformes nous permettront de rebondir plus vite que nos voisins. »

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Un ridicule accès d’autosatisfaction qui achève de faire de Gérald Darmanin une parfaite définition du macronisme à lui tout seul. Ça promet.


Cet article a rejoint ma page « Portraits politiques ».


Illustration de couverture : Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, en 2019. Photo Jacques Paquier, Wikimedia Commons.

14 réflexions sur “Gérald Darmanin : une définition du MACRONISME à lui tout seul

  1. Calculs faits, ce géant de l’autosatisfaction a été élu avec à peu près 15% des inscrits.C’est le formidable résultat d’un système politique à bout de souffle qui avec 75% d’abstentions donne le sentiment que les Français ne croient plus à rien, venant du bla bla bla des politiques.

  2. Je te trouve presque trop gentille avec cet épouvantable personnage. Gérald « Iznogoud » Darmanin cumule en effet, et au plus haut degré, toutes les caractéristiques qui rendent haïssables notre personnel politique. Il a bâti sa carrière sur la trahison systématique de ceux qui ont eu le malheur de l’appeler. Ajouter à cela des convictions tournant avec le vent, une propension au mensonge exacerbée, un mépris jamais démenti pour tout ce qui n’est pas lui-même et un arrivisme qui s’affiche sans aucune pudeur. Et si ça ne suffisait pas, quelques histoires de harcèlement un peu trop rapidement évacuées, chose rare, viennent compléter le tableau.
    Au sein d’une classe politique qui ne cultive pourtant pas l’élégance morale, il finit pas dénoter par son cynisme et son amoralité tellement radicale qu’elle ne prend même pas la peine d’essayer de donner le change.

    Qu’un tel personnage puisse apparaitre comme un premier ministre en puissance en dit long sur la décadence de nos institution et de notre vie politique.

    • Excellent. Votre conclusion est le propre de tous les hommes-de-l’état qui se sont succédés depuis 1974. Ils le savent comme nous le savons et ils en tirent un profit dont nous ne pouvons imaginer et recevoir dans le monde privé. Il y a un autre homme de ce même cynisme, ils travaillent ensemble il s’agit de Bruno Le Maire, dont Coluche se plairait à dire qu’il n’en n’a même pas un exemplaire sur lui (économie).
      Celui-ci va laisser une trace mémorable dans les difficultés de l’économie française et restera comme l’homme qui ne fallait pas avoir dans une telle situaion

      • « l’homme qui ne fallait pas avoir dans une telle situation ». Excellent !
        à mon avis, mais je peux me tromper, BLM est surtout un crétin, plus qu’un cynique, même s’il s’y essaie avec une remarquable absence de talent.

  3. Gérald Darmanin, aujourd’hui, « une définition du Macronisme », et demain une définition de n’importe quoi, pourvu que cela l’amène à exercer le pouvoir.
    Et le pouvoir, sous la Vème République, c’est le Président de la République – et lui seul – qui le détient. Le combat sera rude tant sont nombreux ceux qui se croient avoir pour destin de sauver la France !
    A noter que les « gaulois réfractaires » n’ont jamais supporté leurs « sauveurs » très longtemps.

  4. Quelle abnégation, quel sens du sacrifice, quelle hauteur de vues, quel sens du devoir, quelle volonté farouche, quelle modestie, quelle autosatisfaction, quel travailleur acharné, quelle générosité, quelle proximité avec les citoyens . . .

  5. Merci pour cet article détaillé.

    Qui s’ajoute à tous ceux, tout aussi perspicaces, d’ici comme d’ailleurs, qui me poussent à exhorter mes fils à considérer des prairies plus vertes.

    Je pensais que nous avions touché le fond avec leurs prédécesseurs. A tel point que Moi Président s’était abstenu de remettre le couvert.

    Là, je pense que nous attaquons la roche. Ces gens sont, de surcroît, dangereux, menés par un despote irresponsable.

  6.  » Un peuple qui élit des corrompus, des renégats, des voleurs et des traitres n’est pas victime ! il est complice »
    George Orwell
    Il faut que les Français réagissent.

    • Bonjour Sidewinder,
      je pense que les français, c’est à dire Nous, Français, (je m’inclus dans le lot) réagissons déjà, puisque l’abstention monte petit à petit. C’est un signe de réaction. Mais le français, pas si con, sait qu’au delà de l’abstention, il n’y a plus aucune action légale. Et il sait aussi que s’il s’engage sur les chemins de l’illégalité (voire juste ceux de la dissidence prononcée, cf gilets jaunes), il s’en prendra plein la quiche.
      Or, il n’y a pas de solution légale, nous le savons bien.
      Si on résume, on trouve d’un côté un bon paquet de Français qui croient au système, et un autre (en expansion) qui a compris la duperie mais qui sait qu’il n’y a pas de solution.
      Et j’insiste sur les verbes utilisés : Il y a d’un côté la croyance, principe religieux et de l’autre, le savoir, principe scientifique. Il y a un côté facile et confortable et un autre difficile et désagréable.

      • C’est l’assurance hautaine du poudré qui nous avait valu de l’entendre nous proposer « d’aller le chercher », suite à l’affaire Benalla. Toujours dans la harangue, la posture affectée.
        Les risques de se voir écouté étaient mineurs. Dont acte.

        En total décalage avec ce peuple qu’il méprise et qui descendit dans la rue quelques mois plus tard.
        Une bonne récupération politico-sociale, via syndicalisme opportun et quelque obole plus tard, on nous sert du Grand Débat, honteuse fumisterie destinée également à apaiser dans l’urgence.
        Ce ne sera jamais dans l’État que sera la réponse. C’est vers cette fallacieuse illusion que nous entraînent ces pitres appointés, dans un grégarisme conditionné et une anesthésie orchestrée.

        Panem et circenses. Ah le mirage de la liberté tant louée, tant vantée; qui n’a plus cours que sur nos frontons écaillés.

        Action légale, illégale ? Ou se trouve la légalité et comment l’interpréter ? Eux sont désormais illégitimes. Que leur opposer ?

        Seules les urnes nous sont la réponse puisque notre respect de nos valeurs qu’ils bafouent est plus fort que leur arrivisme.

        Ceux qui sont pleinement conscients de la duperie mais forts marris de n’en être que spectateurs pourraient bien décider autrement et ébranler enfin les fondations de cette supercherie trop longtemps érigée en modèle politique.

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