Front national : protectionnisme, étatisme et miroir aux alouettes

Suite à mon article de mercredi sur les prochaines élections départementales, j’ai reçu d’un ami le message suivant : « Bravo pour le blog (…) le fond est très engagé et partial, mais ça semble être un gros boulot ! »  Que dois-je retenir, bravo, engagé ou partial ? Alors que je m’interrogeais sur ma partialité et que j’arrivais à la conclusion que ma campagne anti FN devait être en cause, la suite de la conversation est venue confirmer cette impression : « T intéressant. Mais on sent la politique politicienne ou un blocage vis a vis du FN/RBM (*), or sur beaucoup de sujets, force est de constater (que) les nombreux problèmes valident leur courageuse et visionnaire analyse. » Ce à quoi j’ai répondu : « La courageuse analyse du FN : je dis hm hm. Je vois surtout le large ratissage d’un parti qui pour l’instant n’a aucune contrainte du pouvoir. Voir justement Syriza, que le FN a soutenu. » 

Bien sûr, réponse superficielle et trop rapide, tout comme l’affirmation de la supposée courageuse analyse du FN. Pour objecter (ou soutenir) valablement, il importe de se reporter directement au programme du Front national. Il importe aussi de voir si ce parti ne doit sa progression dans les intentions de vote qu’à ses propres mérites ou si une conjonction de facteurs tels que contexte économique et calculs politiciens ne joueraient pas un rôle catalyseur dans son succès. C’est ce que je me propose de faire dans cet article en me basant sur son programme actuellement en ligne (programme complet de 106 pages assorties d’un « résumé » de 16 pages).

Conformément aux inquiétudes de son électorat relativement au chômage, au communautarisme et à la crainte d’une disparition progressive des valeurs françaises traditionnelles, le FN fait un constat des ravages provoqués par la mondialisation et y répond, non par une adaptation de la France à un monde en constante évolution, mais par un refus de la mondialisation exprimé selon deux grands axes politiques : protectionnisme et étatisme, et une morale : protection des « petits » par rapport aux « puissances d’argent ».

« En raison de notre histoire nationale, c’est naturellement l’Etat qui sera le fer de lance de ce réarmement de la France (Ndlr : face à la mondialisation) : un Etat fort capable d’imposer son autorité aux puissances d’argent, aux communautarismes et aux féodalités locales. »

Dans le programme résumé, les propositions s’articulent selon trois grands thèmes :

1. Organiser le redressement économique et social :

Ce volet du projet du FN n’est pas sans rappeler le programme de Syriza, parti vainqueur des dernières élections législatives grecques sur la base de beaucoup de promesses électorales, et retournement complet au bout de quatre semaines.

Tous les salaires inférieurs à 1500 € seront augmentés de 200 €,  les tarifs du gaz, de l’électricité et du train seront baissés de 5 %, le point d’indice de la fonction publique sera revalorisé pour les petits salaires et la TIPP (taxe sur les carburants) sera baissée de 20 %. Ces mesures seront financées par une taxe de 3 % sur les importations et une taxation des grandes entreprises pétrolières.

Les pensions seront revalorisées. La retraite pleine à 40 annuités sera restaurée et l’âge légal de départ en retraite sera ramené à 60 ans.

Le soutien aux entreprises et commerces se fera à travers la mise en place d’un protectionnisme aux frontières et d’une grande loi « Achetons français ». L’Etat assurera la défense des petites entreprises face à la grande distribution et créera une administration dédiée aux PME. L’Etat se veut également stratège et déterminera des plans de réindustrialisation de la France.

Il s’agit aussi de « retrouver l’indépendance monétaire » par le retour au Franc et ses possibilités de dévaluations compétitives. Les mouvements de capitaux seront contrôlés par une nationalisation des banques de dépôt si nécessaire. Afin de se libérer des puissances financières, la Banque de France pourra prêter au Trésor sans intérêt. La réduction des dépenses consistera essentiellement à traquer la fraude fiscale et sociale.

Sur le plan fiscal, la progressivité de l’impôt sur le revenu sera accrue avec la création d’une tranche à 46 %. L’ISF sera maintenu avec intégration de la taxe foncière. La fiscalité des dividendes sera revue afin de taxer le capital autant que le travail. Pour les sociétés, introduction de trois taux : 15, 25 et 34 %.

2. Rétablir l’autorité de l’Etat :

Ce second volet comprend une baisse de l’immigration annuelle de 200 000 à 10 000 entrées (division par 20), la suppression du droit du sol, la mise en place de la préférence nationale dans tous les domaines, la « tolérance zéro » en terme de sécurité avec l’ouverture de 40 000 places de prison et la responsabilité pénale des mineurs accrue, l’interdiction des discriminations positives, la revalorisation des budgets de la justice et de la défense avec sortie de l’OTAN, la préservation du statut de la fonction publique et l’extension des services publics de proximité.

Le référendum d’initiative populaire sera inscrit dans la constitution et toutes les élections se feront au scrutin proportionnel.

Il comprend aussi la proposition de rétablissement de la peine de mort qui sera soumise aux Français par référendum.

3. Assurer l’avenir de la Nation : 

Notons surtout : l’accès aux soins pour les français sur tout le territoire, politique nataliste afin de soutenir la retraite par répartition à 60 ans, soutien aux familles grâce à la création d’un revenu parental égal à 80 % du Smic, retour de la méritocratie et de la discipline à l’école avec la suppression du collège unique et le retour à la méthode de lecture syllabique au CP, quelques considérations sur l’agriculture, l’écologie et l’Outre-Mer. Concernant les traités européens, le FN entend les renégocier pour aboutir à une union d’Etats libres pan-européens incluant la Russie et la Suisse.

A titre personnel, la seule idée du référendum sur la peine capitale me fait passer mon chemin devant ce programme, sans le moindre désir d’en savoir plus, même si je retiens positivement le retour à la méthode de lecture syllabique et le renforcement des moyens de la justice. Mais ces derniers points représentent peu de choses par rapport à l’esprit de ce projet, totalement dirigiste et déconnecté du monde. Quant à l’idée d’inclure la Russie dans un espace pan-européen, on n’est pas étonné, le FN ayant déjà montré combien il apprécie le soutien moral et financier de ce pays pourtant empêtré dans des conflits frontaliers et aux prises avec le meurtre d’opposants. Il est même amusant de découvrir que la Suisse sert d’arbre pour cacher la forêt.

Comme on le voit, on est très loin ici d’un programme libéral. Il n’est nullement question de faire reculer l’Etat, de baisser les dépenses et les impôts, de libéraliser les structures telles que le marché du travail par exemple afin de permettre aux agents économiques de s’adapter au contexte mondial et d’innover toujours plus en s’enrichissant des progrès techniques réalisés dans le monde. Il n’est pas question non plus d’ouvrir des possibilités de retraite par capitalisation ou de laisser le libre choix de leur protection sociale aux citoyens. Au contraire, l’Etat ferme les frontières, nationalise au besoin, fixe les prix de l’énergie et des transports et s’occupe de tout lui-même, dans les services publics qui sont sacralisés, comme dans l’industrie, l’agriculture ou le commerce, non sans avoir d’abord promu quelques réformes bien populistes telles que l’augmentation de 200 € des bas salaires et le retour à la retraite à 60 ans. L’expression « puissances d’argent » est la version nationaliste du « je n’aime pas les riches » de François Hollande et renforce l’idée qu’entre le Front national et le Front de gauche, il n’y a que l’épaisseur de la politique migratoire.

Or cette emprise de l’Etat sur l’économie n’a jamais fonctionné nulle part. Les chances de voir le chômage diminuer avec un tel programme sont inexistantes et la réintroduction du Franc (à quel taux ?) et du rôle de la Banque de France pour prêter à l’Etat promet plutôt le retour de la planche à billets pour financer le programme économique, à supposer qu’il soit tenu. La dévaluation compétitive est vue comme une chance de relancer nos exportations, mais dans la mesure où il est question de taxer nos importations, pourra-t-on exporter aussi facilement ? Ce programme de gouvernement et sa préférence nationale peut paraître protecteur aux yeux de bon nombre de Français, mais il n’en aboutira pas moins à une étape supplémentaire dans la dégringolade de la France car le poids accru de l’Etat continuera à peser sur les possibilités de croissance.

Observons également que le Front national réalise aujourd’hui ses plus beaux scores électoraux dans le contexte des suites d’une crise économique profonde qui a déstabilisé beaucoup d’entreprises, entraînant faillites, chômage et souffrance réelle de beaucoup de Français. Mais loin d’enclencher un cercle vertueux à base de libéralisation de l’économie et des initiatives individuelles, le FN propose un programme économique qui renforce tous les défauts des politiques menées actuellement.

Il est certain que les politiques menées actuellement ne vont pas dans le bon sens. On en constate régulièrement l’impuissance, les mauvais chiffres succédant aux mauvais chiffres. On constate même souvent qu’elles semblent avoir à coeur de générer la colère et la frustration des Français tant elles s’articulent autour de concepts sociétaux type « vivrensemble », lutte contre le racisme et l’islamophobie, comme si on pouvait lutter contre le chômage, le recul du niveau scolaire et l’absence de croissance de cette façon.

Face à cela, le Front national propose le refuge fallacieux du repli sur soi mâtiné de tolérance zéro. J’attends quant à moi l’homme politique qui proposera une politique authentiquement libérale, et je me permets de faire observer que si l’Etat, à travers les hommes politiques qui le servent, ne nous apparait pas assez vertueux dans ses pratiques, comme Marine Le Pen se plait à le rappeler régulièrement, la solution la plus efficace n’est pas d’en augmenter le rayon d’action, comme le propose le FN, mais bel et bien d’en limiter considérablement la portée.


(*) Rassemblement bleu marine : association loi 1901 à vocation électorale rassemblant des partis souverainistes dont le FN, lancée en 2012 par Marine Le Pen.


marine-le-pen-20110115-MLP_1Illustration de couverture : Marine Le Pen.

6 réflexions sur “Front national : protectionnisme, étatisme et miroir aux alouettes

  1. Pingback: Cambadélis et son référendum de pacotille | Contrepoints

  2. Pingback: Le livre qui vous transforme en libéral (2) | Contrepoints

  3. Pingback: Réponse à Charles Beigbeder, le libérateur enraciné

  4. Pingback: Charles Beigbeder, un conservateur faussement libéral | Contrepoints

  5. Pingback: Régionales 2015 : la tornade bleue marine | Contrepoints

  6. Pingback: Régionales : l’ensemble de la classe politique a perdu | Contrepoints

Laisser un commentaire