Elections départementales : Structure inutile, Conjoncture cruciale

Je suis une grande passionnée du vote et des élections. Bien que totalement indécise à ce jour sur mon choix pour les prochaines élections présidentielles de 2017, j’ai par chance les idées assez claires sur la prochaine échéance électorale française, et c’est sans me faire trop violence que je me propose, non pas d’accomplir mon devoir, mais d’exercer mon droit de citoyen lors des élections départementales des 22 et 29 mars 2015 prochains. Non sans ressentir un certain sentiment paradoxal de m’apprêter à faire ce qu’il faut dans un cadre complètement inutile. Je m’explique. 

Ces élections, naguère cantonales et maintenant départementales, prennent place dans le contexte d’une réforme territoriale dont on parle et reparle depuis des années. La France, territoire de 550 000 km2 et 66 millions d’habitants, est en effet affligée d’un millefeuille administratif assez peu digeste comprenant 36 700 communes, 2 600 intercommunalités, 101 départements et 22 régions en France métropolitaine. A titre de comparaison, citons l’Allemagne qui avec 83 millions d’habitants s’organise autour de 16 Länder, 301 Districts et 11 500 communes, et le Royaume-Uni, structuré en 4 Nations, 28 Comtés et 409 Autorités locales pour 64 millions d’habitants. Si l’on tient compte de tous les mandats électifs, c’est à dire députés (577) et sénateurs (311) inclus, on obtient un taux de représentation de 1 mandat pour 104 habitants pour la France contre 1 pour 2 600 pour le Royaume-Uni par exemple. En France, le total des mandats électifs atteint le chiffre mirobolant de 618 000, associé à une particularité également mirobolante : le cumul des mandats. Selon une étude de 2011, 83 % des élus français  cumulent plusieurs mandats, ce taux étant de 24 % en Allemagne et de 3 % au Royaume-Uni. Qui dit cumul des mandats dit moins d’élus que de mandats électifs, mais toujours autant d’indemnités versées. A cette situation française complètement hors norme, il n’est qu’un seul remède : diminuer drastiquement le nombre de mandats électifs. Tant l’efficacité économique que le souci d’une bonne gestion de l’argent public commandent de remettre à plat l’ensemble du système territorial, de l’alléger et de mieux le coordonner.

Après de multiples tentatives avortées lors des quinquennats antérieurs, dont celle de 2010 qui se fondait sur deux entités, les conseils territoriaux (fusion du régional et du départemental) et les intercommunalités, le gouvernement actuel a lancé une réforme en trois volets :

1. (Voté) Loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles ou MAPAM : le 1er janvier 2015 création des métropoles de Rennes, Bordeaux, Toulouse, Nantes, Brest, Lille, Rouen, Grenoble, Strasbourg, Montpellier et Lyon, et le 1er janvier 2016, création de celles de Paris et Aix-en-Provence.

2. (Voté) Les régions passent de 22 à 13 avec effet au 1er janvier 2016.

3. (En cours d’examen) Projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République ou NOTRe : il s’agit de clarifier les compétences des différents échelons territoriaux. La commune est confortée comme échelon de base disposant seul de la clause de compétence générale. Les intercommunalités sont encouragées, les compétences économiques des régions sont renforcées et les départements sont dédiés aux actions sociales de solidarité. Parallèlement, les communes sont invitées à fusionner dans le cadre d’une loi de 2010 qui vient d’être remise sur la table sous le nom de « communes nouvelles ».

Dans le projet initial, les départements devaient disparaître à l’horizon 2020. Cet axe de simplification a été abandonné devant l’opposition absolue des élus. Il est maintenant question d’adapter leur existence au contexte territorial : présence ou non d’une métropole, situation de ruralité profonde etc… 

Par ailleurs, le mode de scrutin des élections départementales (ex-cantonales) a été modifié. Au lieu d’élire un conseiller cantonal par canton au scrutin uninominal majoritaire à deux tours en deux vagues espacées de 3 ans, on élira désormais en une seule fois pour 6 ans un duo homme-femme par canton au scrutin binominal mixte majoritaire à deux tours. Pour maintenir le nombre de conseillers, il a donc fallu diviser le nombre de cantons par deux en veillant aux équilibres démographiques. Comme les divisions ne tombent pas toujours juste, il a été convenu d’arrondir au canton supérieur. De ce fait, on passe de 4 035 cantons et autant de conseillers cantonaux à 2 054 cantons et donc 4 108 conseillers départementaux. Un petit dérapage qui ne va pas du tout dans le bon sens.

Côté régions, même remarque : on passe de 22 régions à 13, sans aucune baisse du nombre de conseillers régionaux qui resteront fixés à 1 757 en France métropolitaine. Là encore, les plaintes des élus de tous bords ont prévalu. Selon eux, la qualité de leur travail serait grandement atteinte si l’on devait réduire leur nombre. Je n’arrive plus à sourire devant tant d’inconscience.

A la lecture de tout ceci, on commence à comprendre que réforme veut dire « changement », mais certainement pas simplification, allégement, remise à plat. Tous les niveaux territoriaux demeurent. Le nombre de mandats électifs reste inchangé et parfois augmente. Voila beaucoup d’activité législative pour pas grand chose finalement. La bonne réforme aurait consisté à faire passer les régions à 13 avec baisse du nombre d’élus, à supprimer purement et simplement les départements, à intégrer toutes les communes dans des intercommunalités judicieuses ou des métropoles. Voilà pourquoi je parle de « structure inutile » : on va voter, oui, mais pour quelque chose qui ne devrait plus exister.

Pourtant ces élections sont là et la campagne s’est ouverte avec fracas sur des sondages qui donnent au FN une confortable première place en voix : selon le sondage Odoxa pour Le Parisien du 1er mars, le FN recueillerait 33 % des intentions de vote, soit 7 points de plus qu’en janvier, laissant 27 % à l’UMP/UDI et 19 % au PS. La moitié des 17-34 ans seraient prêts à voter pour le parti de Marine Le Pen, tout comme le quart des électeurs de Sarkozy au premier tour des présidentielles de 2012. Rappelons-nous que le FN a récolté 24 % des voix lors des européennes de mai 2014. Ce sont ces chiffres, 24 % et 33 %, qui sont comparables au score qui pourrait être celui du FN lors du 1er tour des élections présidentielles de 2017, modulo l’abstention qui promet d’être très élevée (plus de 50 %) dans trois semaines, alors qu’elle est traditionnellement faible lors des présidentielles. Les projections en sièges donnent toutefois une nette avance à l’UMP/UDI, mais il est clair que le FN, qui a déjà consolidé sa position municipale, va maintenant renforcer son assise départementale. Il pourrait même gagner les départements du Var, du Vaucluse, de l’Aisne et du Pas-de-Calais.

Pour parfaire le sinistre (ou le grotesque) de la situation, on apprenait hier que Madonna, qui avait présenté Marine Le Pen avec une croix gammée sur le front dans un de ses clips, aimerait la rencontrer et prendre un verre avec elle, histoire de faire plus ample connaissance et plus si affinités ! « Peut-être que je n’ai pas compris Marine Le Pen », aurait-elle déclaré sur le plateau du Grand Journal. Voilà une consécration pop rock planétaire qui ne permettra plus au FN de se dire anti système, mais qui risque bien d’attirer sur lui encore plus de « like ». Et les « like » entraînant les « like » …

Bref, j’ai décidé d’aller voter. Contre le Parti Socialiste, qui mène depuis presque trois ans des politiques calamiteuses aboutissant toujours à plus d’Etat, plus de dépenses, plus de gaspillage, plus de déficits, plus de subventions, plus d’impôts, plus de chômeurs et plus de déresponsabilisation des citoyens. Pour toutes ces questions, on pourra se reporter très utilement au blog libéral très précis et remarquablement documenté de Hseize Hashtable (qui n’épargne pas la droite non plus). Et contre le Front national, qui capitalise sur des promesses du type « demain on rase gratis » comme Syriza l’a fait en Grèce il y a quelques semaines. Le scénario est donc connu : succès éclatant aux élections, puis capitulation sur la dette et les réformes à faire devant l’Union européenne, et maintenant émeutes contre le gouvernement de la part d’électeurs trompés. Nous sommes prévenus.

Bref, j’ai décidé d’aller voter et je remercie les élus UMP et UDI de ma ville qui ont eu la bonne idée de se rassembler pour former un espace politique crédible entre le FN et le PS. C’est cet espace que je souhaite préserver par mon vote. Le très récent coming-out libéral de Nicolas  Sarkozy me facilite les choses et je partage sa dénonciation des services mutuels que se rendent le FN et le PS. Pour bien enfoncer le clou contre les tentations d’abstention blasées dès le premier tour qui se déclarent autour de moi, j’ai décidé d’accepter la proposition que ma mairie m’a aimablement faite en raison de mes hautes fonctions de conseillère de quartier tirée au sort. Mes dimanches 22 et 29 mars 2015 seront donc occupés à présider l’un des bureaux de vote de mon canton. La situation politique est trop brûlante pour qu’on accepte de voir le FN marquer des points d’élection en élection en se contentant de renvoyer tout le monde dos à dos.

Laisser un commentaire