La liberté d’expression, c’est pour tout le monde ! #AntifaLeJeu

Ainsi donc, et j’approuve, la FNAC a mis fin à son cafouillage initial en réintégrant dans son offre le jeu de société « Antifa Le Jeu » quelques heures après l’avoir retiré suite aux remarques peu amènes émises ce week-end sur Twitter par le Syndicat des Commissaires de la Police Nationale (SCPN) et un peu plus tard par le député du Rassemblement national (RN) Grégoire de Fournas.

Les premiers s’étonnaient qu’une enseigne grand public telle que la FNAC puisse « mettre en avant les antifas, qui cassent, incendient et agressent dans les manifestations » ; le second donnait son idée du jeu en ces termes :

Case 1 : « je bloque une fac »
Case 2 : « je tabasse un militant de droite »
Case 3 : « j’attaque un meeting du RN »
Case 4 : « je lance un cocktail Molotov sur les CRS »
La @Fnac vous n’avez pas honte ?

.
Avant de poursuivre, notons que le SCPN a précisé dans un second tweet qu’il était un syndicat apolitique dont le premier tweet n’avait pas pour objet de demander le retrait du jeu mais informer sur la réalité de l’univers antifa. Notons également que les « cases » évoquées par Grégoire de Fournas n’existent que dans son imagination et que le lancer de cocktail Molotov sur les CRS n’apparait nullement dans le jeu. Ce à quoi le député a répondu qu’il se voulait ironique…

C’est du reste en regardant de plus près en quoi consistait réellement ce jeu que la FNAC l’a remis en rayon, considérant qu’il ne contrevenait en rien aux lois en vigueur. Après tout, l’enseigne vend aussi du Soral, du Renaud Camus, du Hitler, etc.

On mentirait en disant qu’Antifa Le Jeu n’est pas furieusement militant : il fut à l’origine un support de formation du mouvement « méchamment antifasciste » La Horde et dans sa forme commerciale actuelle, il cible clairement l’extrême-droite, sa dirigeante héritière et sa politique de dédiabolisation, de même qu’il fait figurer parmi ses « événements » le cas d’un jeune des quartiers tué par la police. Mais on mentirait tout autant en disant qu’il constitue un appel caractérisé à la violence. L’action la plus audacieuse consiste apparemment (et fictivement) à s’habiller en noir et à fabriquer des « cacatovs » (autrement dit des excréments dans une bouteille).

Les faits étant posés, plusieurs remarques me viennent à l’esprit :

· On observe une fois de plus que trop d’indignation mal goupillée tue l’indignation. Depuis qu’il est sous les projecteurs de la réprobation, « Antifa Le Jeu » est devenu le jeu à avoir et se trouve maintenant en rupture de stock chez son éditeur qui a toutes les raisons de remercier M. de Fournas en voyant comment un produit appelé initialement à une diffusion plutôt confidentielle auprès d’un groupe limité de sympathisants se retrouve maintenant au cœur du marché grand public et se transformera peut-être en grand succès du soft power antifa (ou pas, du fait de sa composante amusement pour tous).

· On observe également une fois de plus que ce n’est pas parce qu’on est antifa, anticapitaliste et/ou anti-américain qu’on méprise Amazon lorsqu’il s’agit de diffuser ses produits. (Amazon où le jeu est en rupture de stock, comme partout.) Cohérence, cohérence…

· La FNAC étant une librairie privée, le choix des livres, disques, jeux et magazines mis en vente dans ses magasins ou sur son site internet relève entièrement de sa propre politique de commercialisation – qui s’avère en l’occurrence des plus larges et des plus diversifiées. Ses décisions sur le retrait ou la réintégration de tel ou tel produit ne regarde personne.

On peut critiquer ses choix, certainement pas exiger qu’elle se conforme aux nôtres, et ce d’autant plus que dans notre monde encore un peu concurrentiel, le jeu en question est présent chez certains libraires, absent chez d’autres. Rien ne nous oblige à fréquenter un magasin ni à y acheter des ouvrages ouvertement opposés à nos propres sentiments.

· Mais plus profondément, on observe que rien n’est plus complexe à manier que les concepts de liberté d’expression, de publication, d’édition. Un point semble clairement établi : toute personne souhaite que sa liberté d’expression soit respectée. Un point semble moins évident : tout le monde n’est pas prêt à accorder aux autres la liberté d’expression qu’il revendique pour lui-même. 

Or il me semble justement que la liberté d’expression n’est pas d’abord la possibilité qui m’est offerte de m’exprimer, elle est avant tout ma reconnaissance des possibilités d’expression des autres. C’est en effet dans l’acceptation de la confrontation des idées que la liberté d’expression devient véritablement féconde. Les interdictions, les demandes de retrait et toutes les autres procédures d’effacement et annulation, typiques d’une volonté de « cancel culture », sont à l’opposé d’une société du débat et de l’échange d’arguments. Plutôt chercher à convaincre que contraindre.

· C’est précisément la raison pour laquelle cet article ne serait pas complet s’il n’en venait pas à rappeler que, oui, comme l’écrivaient les Commissaires de police dans leur premier tweet, les antifas ne sont pas des enfants de chœur. Non seulement la castagne matérielle et physique ne leur fait pas peur, mais ils ne répugnent nullement à se livrer à des atteintes gratuites aux biens et aux personnes et à cibler spécialement les policiers.

On se rappellera par exemple qu’à Nantes, en début d’année, une manifestation annoncée (y compris par un conseiller municipal EELV) comme une lumineuse marche aux flambeaux antifasciste contre les idées nauséabondes de l’extrême-droite s’est terminée dans les dégradations, la violence et les jets de projectiles sur les forces de l’ordre aux cris de « À mort l’État, les flics et les fachos ». 

· Et puis, n’en déplaise aux éditorialistes de la presse de gauche qui ne voient de « cancel culture » qu’à droite et prennent la « tyrannie woke » pour un « fantasme », peut-être faudrait-il se souvenir par exemple qu’en 2019, la philosophe Sylviane Agacinski n’avait pu donner la conférence pour laquelle elle avait été invitée à l’Université de Bordeaux. Ses positions anti-PMA lui ont immédiatement valu d’être cataloguée comme « homophobe notoire » par des syndicats étudiants et des associations LGBT qui n’ont reculé devant aucune menace pour obtenir (avec succès) la déprogrammation de son intervention.

Peut-être faudrait-il se souvenir qu’en 2019 également, la pièce d’Eschyle Les Suppliantes qui devait être jouée à la Sorbonne dans le cadre d’un festival de théâtre antique n’a pas pu se tenir à la date prévue. Son crime ? Ne pas plaire au Conseil représentatif des associations noires et au syndicat étudiant UNEF en raison de l’utilisation d’un maquillage sombre qui relèverait selon eux du « blackface » en vogue dans les milieux ségrégationnistes et racistes américains. Et les militants offensés de bloquer l’entrée du spectacle.

Peut-être faudrait-il se souvenir aussi de la façon dont des étudiants syndicalistes de Sciences Po Grenoble ont orchestré en 2021 la mise au pilori de deux enseignants de l’école, accusés en toute simplicité de « fascisme » et « d’islamophobie » et comment ils faisaient régner un « climat de peur » sur les étudiants via des accusations non vérifiées de harcèlement sexuel diffusées nominativement sur les réseaux sociaux.

Etc. Etc. 

Alors oui, tant qu’elle ne contrevient pas aux lois en vigueur, la liberté d’expression, c’est pour tout le monde. C’est pour vous, c’est pour moi, c’est pour Marine Le Pen, c’est pour le jeu Antifa de l’association La Horde. Constatons cependant que l’idéal typiquement libéral de tolérance, d’articulation des idées et de recherche des faits que cela représente n’est pas encore tout à fait de ce monde. Amis libéraux, travaillons-y !


Illustration de couverture : une partie de « Antifa Le jeu ».

31 réflexions sur “La liberté d’expression, c’est pour tout le monde ! #AntifaLeJeu

  1. Bonjour,

    Je ne suis pas totalement en accord avec vos conclusions. « Être tolérant c’est avant tout définir l’intolérable  » ce type de jeu est à mes yeux intolérable tout comme ceux en général qui établissent une quelconque discrimination.

    J’ai simplement signifié a la Fnac que je n’irai plus chez eux pour acheter ma pitance intellectuelle.

    Je vous souhaite une bonne journée.

    • « J’ai simplement signifié a la Fnac que je n’irai plus chez eux pour acheter ma pitance intellectuelle. »

      C’est votre droit le plus strict. Je ne crois pas avoir dit le contraire. Rien n’oblige quiconque à acheter quoi que ce soit dans tel ou tel endroit obligatoire, heureusement ! Personnellement je n’achèterai pas ce jeu, mais boycotter la Fnac pour ça, non.
      (Sachez quand même que ce jeu est vendu, ou du moins l’était avant la rupture de stock, dans d’autres magasins, au Furet du Nord, sur Amazon, chez des libraires indépendants, etc. ; et que la FNAC vend bien d’autres produits qui auraient pu susciter votre réprobation auparavant)

    • « ce type de jeu est à mes yeux intolérable tout comme ceux en général qui établissent une quelconque discrimination. »

      D’après vous c’est intolérable de discriminer… mais vous demandez à la FNAC de discriminer.
      Vous ne seriez pas un peu intolérant ?
      Autogoal 😀

  2. C’est le politiquement correct de droite. Il est interdit de dire du mal de la police, etc.

    Il est gentil, Grégoire de Fournas, avec son « ironie ». Moi, je l’ai pris au pied de la lettre. Quand il dit que le jeu prévoit de lancer des cocktails Molotov sur les CRS, je comprends qu’il prévoit de lancer des cocktails Molotov sur les CRS. Pas qu’il invente des trucs pour faire retirer un jeu de la vente.

    Ce n’est pas de l’ironie : c’est un mensonge. Continuez de bousiller votre crédibilité, les gars. La confiance, c’est un fusil à un coup.

  3. Bonjour,

    « …la FNAC a mis fin à son cafouillage initial en réintégrant dans son offre le jeu de société « Antifa Le Jeu » quelques heures après l’avoir retiré… »

    Quel formidable coup de pub pour ce jeu !

    Certes, vous avez raison de rappeler que la liberté d’expression, c’est pour tout le monde.
    Et pendant que l’association La Horde se frotte les mains, l’excellente Première ministre présente son septième 49-3 dans l’indifférence générale.

    Et nos excellents ministres préparent doucement les esprits aux coupures d’électricité programmées.

    Mais pas plus de deux heures de suite.
    Promis, juré !

    Ami (libéral et autres) entends-tu les cris sourds du pays qu’on enchaîne ?

    « Il n’est pas croyable de voir à quel point le peuple dès lors qu’il est assujetti, tombe si soudain en un tel et si profond oubli de la liberté qu’il n’est pas possible qu’il se réveille pour la ravoir : servant si librement et si volontiers qu’on dirait à le voir qu’il a non pas perdu sa liberté mais gagné sa servitude »
    « Soyez décidés à ne plus servir, et vous voilà libres »

    Hier sur Contrepoints, article sur les biais cognitifs qui nous ont conduit à l’affaissement des libertés (suite à la crise sanitaire)
    La crise énergétique va terminer le travail de sape ! 🙂

    Le cafouillage autour des libertés individuelles ne semble pas indigner grand monde.

    • Je ne comprends pas ce que ferait un libéral, d’après vous, vis-à-vis d’éventuelles coupures d’électricité. Il refuserait d’établir un plan de rationnement, laissant les coupures se faire au petit bonheur la chance le moment venu ? Il pédalerait très fort sur son petit vélo, afin d’alimenter la France entière ? Il abdiquerait la souveraineté de la France à la Russie, cédant à son chantage énergétique ?

      • « La souveraineté de la France »… ??

        Je pouffe comme dirait Desproges.

        Inutile de m’expliquer en huit paragraphes que je ne comprends rien à rien au libéralisme et à ses magnifiques plans de rationnement, je suis un ignare indécrottable 🙂

      • Ce n’est pas tant le libéralisme qui vous est étranger ; c’est le patriotisme. Si la souveraineté de la France vous fait « pouffer », alors ne venez pas chouiner que vous manquez de liberté.

        Si la France est asservie, comment pensez-vous pouvoir être libre ?

        Sinon, je prends bien autant de paragraphes que je veux pour expliquer ce que je veux, et je n’ai pas l’intention de vous demander l’autorisation. Ça aussi, c’est le libéralisme.

  4. Je pense, « et c’est mon droit le plus trict », que Grégoire de Fournas roule pour l’extrême gauche et que ces extrêmes dont on nous rebat les oreilles roulent pour le même extrême: l’extrême centre.
    Après un petit effet Streisand bien senti avant les fêtes pour gonfler le CA que même ces braves gens de gauche ne renieraient pas…

  5. Vive la liberté d’ expression qui recule de plus en plus surtout dans les cas de subordination car pour fréquenter ce beau monde d’ encadrants qui jamais ne disent un mot plus haut que l’ autre ;se retrouver devant une personne grossière peut-être dérangeant.

  6. Pas d’accord avec vous ! (pour une fois !)
    Vous êtes humainement honnête
    Vous êtes intellectuellement honnête
    vous êtes « libéralement » honnête
    Mais vous oubliez une chose …… Nous sommes en guerre !
    Nous sommes en guerre, non parce que nous le voulons, mais parce que la gauche (dans toutes ses nuances) a déclaré la guerre à tout ce qui représente la liberté.
    Je suis effrayé de la tournure idéologique du « monde occidental ».
    Pour en revenir à la FNAC : deux expériences personnelles.
    Il y a un certain nombre d’années je cherchais un livre de Philippe Nemo, alors que figurait partout en « tête de gondole » l’opuscule « indignez-vous » de Stéphan Hessel.
    M’étant adressé à un des « conseiller » du rayon pour trouver l’ouvrage en question, je me suis vu répondre de manière fort peu aimable, voire franchement hostile que l’ouvrage n’était pas disponible à la FNAC !
    Même expérience il y a quelque temps : je cherchais des BD (au milieu de l’avalanche de mangas) de « Marsault ». Réponse indignée : nous ne vendons pas ça !! (FNAC Vélizy 2)
    Pour moi, la liberté d’expression « c’est pour tout le monde » en effet , mais à condition que ce soit « dans les deux sens  »
    Amis libéraux, travaillons à la liberté, en effet, mais ne soyons pas naïfs, ce n’est pas parce que nous ne voulons pas avoir d’ennemis, que nous n’en avons pas !
    Nous en avons, et ils sont sacrément puissants.
    Il faut répondre, même sans espoir !
    Ma petite contribution sera demain un courrier au « service client » de la FNAC , dont ils se moqueront sans doute totalement ! mais qu’importe !
    La gauche totalitaire, sans cesse : manifeste, endoctrine, mobilise, casse, et nous, nous réfléchissons, intellectualisons !!
    Assez de Voltaire !!
    Il faut combattre
    Si des gens veulent me faire taire, je suis en droit de vouloir les faire taire !!

    • Votre anecdote ne m’étonne pas. Avec mes excuses pour ceux qui ont déjà lu la mienne : je demande un certain livre dans une librairie très culturelle de quartier. Un livre de droite, il faut bien le dire (je ne me rappelle même plus lequel). Le vendeur me répond : il ne faut pas lire ça.

      Très sympa, le vendeur, par ailleurs. J’étais un habitué de l’établissement. Peu après, il s’est recyclé comme serveur dans un bistrot voisin (sans aucune intervention de ma part, bien entendu). Ce fut ma petite vengeance.

  7. Bonjour,
    Je n’étais même pas au courant de l’existence d’un tel jeu …
    Cet article possède donc le « mérite » d’informer les lecteurs de la possibilité de « jouer » à de telles inepties.
    J’aurais préféré un article sur la liberté d’expression (sans doute un de plus, mais il ne peut y avoir de surdosage) qui prenne entre autres exemples celui de ce jeu, sans le mettre en avant, surtout dans le titre, au même niveau que ce bien précieux qu’est la liberté d’expression.

  8. Personnellement, je n’avais jamais entendu parler de ce jeu avant son retrait.
    Magnifique effet Streisand !
    Il est parfaitement légitime de trouver ce jeu abject et de le clamer haut et fort. Mais s’il n’enfreint pas de loi relative à l’incitation à la haine ou à la violence, il n’y a pas de raison de l’interdire. On n’a pas inventer la liberté d’expression pour parler de la pluie et du beau temps (quoique, de nos jours…) ou pour constater que l’on est tous d’accord, mais bien pour pouvoir s’engueuler de manière civilisée.

  9. Je trouve que la saison des cadeaux et le thème du jeu sont propices pour vous reparler de mes deux mots-croisés libéraux ! On n’est pas obligé de faire tout le temps de l’anti-truc, on peut faire aussi du pro-truc. Du reste, j’avais déjà pensé à faire une sorte de jeu de société type jeu de l’oie ou trivial poursuite, pour servir de support à la découverte des grands auteurs et des grands concepts du libéralisme. Mais comme souvent, l’idée est là et le temps nécessaire et les difficultés de mise en oeuvre font que la chose reste dans les cartons.

    2020
    https://leblogdenathaliemp.com/2020/07/12/mots-croises-liberaux-pour-le-14-juillet-2020/

    2022
    https://leblogdenathaliemp.com/2022/07/14/mots-croises-du-14-juil-2022/

    • À propos de jeu, il y en a un qui fait bcp de tort au capitalisme : le Monopoly
      Dès le départ du jeu, après 1 ou 2 tours, on sait qui va gagner, il suffit d’avoir de la chance et d’acheter, accumuler, alors que dans la vraie vie pour réussir il faut prendre des risques et seulement après, avoir un peu de chance pour que l’état ne réglemente pas votre activité pour faire tout capoter.
      Y mettre un peu bcp de capitalisme de connivence aussi, avec de la corruption dedans bien sûr et là la case prison aurait un sens au lieu de représenter le manque de chance

  10. « la FNAC a mis fin à son cafouillage initial »

    Plus un temps mort qu’un cafouillage et ça semble montrer qu’à la FNAC il n’y a pas de comité qui se réunit pour approuver la mise en vente d’un livre ou d’un jeu et c’est plutôt bon signe : c’est de la modération a posteriori

  11. la FNAC fonctionne à géométrie variable
    il y a peu j’ai voulu commander Les mythes de la guerre d’Espagne de Pio MOA, indisponible en magasin; indisponible sur le site aussi; commandé sur Amazon, il m’éatit livré 3 jours plus tard; cherchez l’erreur! et lisez le, c’est édifiant sur la désinformation socialo-communiste
    Pierre

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