Médecine générale : et si l’on faisait confiance au MARCHÉ ?

Voici un nouvel article de ma série Les Lib’Héros du Quotidien inspiré par une récente vidéo du site libéral américain Reason (voir en fin d’article) à propos du système de soins « Direct Primary Care » (ou médecine générale en direct) qui se développe aux États-Unis.

La pandémie de Covid-19 est là pour nous le rappeler : nous avons besoin de services de santé disponibles, performants et financièrement abordables. En France, on aime à se répéter que de ce côté-là, tout est accessible, tout est efficace, tout est gratuit. Ce serait même notre grande fierté que de pouvoir soigner le plus riche comme le plus démuni sans avoir à réclamer un sou ni à l’un ni à l’autre grâce à notre grande sécu nationale.

Enfin ça, c’est la partie idéologico-corico de l’iceberg.

Dans la réalité, il y a bien quelques sous assez nombreux qui circulent sous la forme des cotisations sociales prélevées sur les salaires versés par les entreprises. Cotisations qui, additionnées les unes aux autres, finissent par nous placer dans les pays de tête de l’OCDE pour les dépenses de santé rapportées au PIB. Avec 11,2 % en 2018, la France est à égalité avec l’Allemagne et n’est devancée que par la Suisse et les États-Unis :

Mais en avons-nous pour notre argent ? La question se pose car notre système de santé semble perpétuellement en crise, et pas seulement à cause du Coronavirus.

Début janvier 2020, alors que la pandémie n’était pas encore entrée dans nos vies, plus de 1 000 médecins hospitaliers étouffés par les contraintes administratives qui pèsent sur eux ont menacé de démissionner. Juste avant, c’était la crise des urgences. Juste avant, c’était les déserts médicaux. Juste avant, c’était les grèves du personnel infirmier. Juste avant, c’était les pénuries de médicaments. Etc.

Puis le Covid-19 est arrivé et il a fallu transférer des patients en Allemagne faute des équipements nécessaires et/ou faute de l’organisation adéquate en France. D’où l’émergence d’un débat sur la qualité réelle de notre système de soins et d’où le « Ségur de la Santé » censé tout remettre à plat.

Ce dernier a finalement abouti à des hausses de salaires pour les soignants conformément au fameux « plus de moyens » qui semble être l’alpha et l’oméga de toute réforme dans ce pays, mais n’a engendré aucune remise en question des rigidités bureaucratiques induites par un système entièrement collectivisé et centralisé qui considère tous les médecins comme des fonctionnaires parfaitement obéissants et interchangeables – donc peu incités à faire évoluer leurs pratiques en dehors des demandes et autorisations de « la sécu ».

Il y aurait pourtant moyen de faire autrement, à la satisfaction médicale, financière, relationnelle et professionnelle de toutes les parties prenantes, ainsi qu’en témoigne le système « Direct Primary Care » qui se développe aux États-Unis et dont j’aimerais vous parler aujourd’hui (voir vidéo en fin d’article, 07′ 13″).

L’expression « Primary Care » recouvre peu ou prou notre médecine générale, celle qui assure le premier accueil des malades, mais elle inclut aussi un certain nombre de tests et de petites interventions chirurgicales plus spécialisées ainsi que des soins d’urgence sans complication (réduction de fracture simple, sutures, ablation d’un kyste, etc.) Il s’agit de restituer le généraliste dans toute son ampleur de soignant.

Le terme « direct », le plus important dans l’affaire, fait référence au fait qu’il n’y a plus de tiers entre le médecin et son patient. Ni la « sécu » (Medicare aux États-Unis), ni aucune mutuelle complémentaire, ni aucune assurance santé. Donc plus de nomenclature compliquée qui décide de façon autoritaire et opaque ce qui est pris en charge et à quel prix, et ce qui ne l’est pas. Et plus aucun des coûts de ces structures intermédiaires qui se surajoutent aux coûts de la pratique médicale elle-même. 

Tous les soins ci-dessus, délivrés en cabinet médical, en visite à domicile ou via la télémédecine, ainsi que le suivi du patient en cas de redirection vers un spécialiste, un laboratoire d’analyses ou une hospitalisation sont intégralement pris en charge en échange d’un abonnement se situant généralement entre 50 et 100 $ par mois et par personne. C’est tout simplement le système Netflix appliqué à la médecine. 

Si des analyses ou de l’imagerie médicale complémentaires sont nécessaires, les patients bénéficient en outre des tarifs avantageux négociés par leur médecin avec des radiologues ou des labos de leur quartier, éventuellement même avec le pharmacien.

La disparition du tiers assureur permet ainsi de faire baisser les dépenses médicales de routine dans des proportions significatives et il permet également aux médecins de se montrer plus flexibles et plus adaptables.

Dans le nouveau contexte de la pandémie de Covid, par exemple, pas besoin d’attendre des semaines pour avoir le feu vert de Medicare ou des compagnies d’assurances sur le niveau de prise en charge des consultations par internet. L’abonnement prenant par définition en charge tout ce que le médecin juge nécessaire pour assurer le meilleur service possible, toute nouveauté, toute adaptation est automatiquement adoptée pour peu que le médecin le décide.

Au cabinet « Epiphany Health » des docteurs William Crouch et Lee Gross présentés dans la vidéo, les tarifs sont de 75 $ par mois pour un adulte, 30 $ par mois pour un enfant et 15 $ par mois pour les autres enfants de la famille, l’idée étant de se situer dans un ordre de prix comparable à l’utilisation d’un téléphone portable. Pour éviter les abus toujours possibles, toute consultation au-delà de 25 par an et par personne est facturée 25 $ :

Il faut croire que leurs patients sont contents de leurs services car ils sont passés à ce système en 2010 après avoir connu comme tous leurs collègues les lourdes exigences administratives des prises en charge médicales dictées par Medicare ou les compagnies d’assurance et ils s’en félicitent encore en 2021. Aujourd’hui, plus de 1 400 cabinets médicaux répartis dans 49 États américains fonctionnent de cette manière. 

Mais que se passera-t-il pour eux si un cabinet s’installe à proximité du leur et propose aux patients des tarifs de 40 $ par personne et par mois au lieu de 75 $ ? Eh bien, c’est exactement ce qu’on appelle le jeu de la concurrence dans un marché libre – une situation que de nombreuses autres professions comme la boulangerie-pâtisserie ou le prêt-à-porter connaissent bien.

Réponse du docteur Gross, qui pourrait très bien s’appliquer à la boulangerie :

« Ce nouveau cabinet et nous, nous allons nous faire concurrence sur le prix et la qualité. Nous allons devoir justifier pourquoi notre prix est presque deux fois plus élevé. Peut-être est-ce parce que nous offrons un meilleur service, ou parce que notre formation est meilleure, ou parce que nous avons plus d’expérience. Ou alors nous allons devoir baisser nos prix pour ne pas perdre de patients. »

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On constate encore une fois qu’une situation de concurrence non faussée est un formidable levier pour procurer aux consommateurs de services médicaux (ou de babas au rhum) le meilleur produit ou le meilleur service au meilleur prix. 

Si le « Direct Primary Care » reste encore assez confidentiel aux États-Unis, au moins n’est-il pas empêché d’exister et de faire ses preuves. En France, malheureusement, la « sécu » est un monopole qui ne tolère aucune concurrence au sens fondamental de ce mot. Il existe certes des cliniques privées, il existe certes une médecine dite libérale, mais la réalité de notre système de santé est exactement celle que l’on retrouve inéluctablement (et malheureusement) dans tous les systèmes socialistes.

Le libre choix des médecins et des patients, la loi de l’offre et de la demande et la clarification de l’information par le système des prix libres ont été évincés du système au profit d’une planification bureaucratique qui prétend savoir mieux que les médecins où, quand et comment ils doivent soigner, et mieux que les patients s’ils sont malades et où et quand ils doivent se faire soigner.

Alors évidemment, on voit mal comment on pourrait seulement tenter une expérimentation du type « Direct Primary Care » en France. Mais il n’est pas interdit d’en parler autour de soi et de susciter le débat…


Vidéo « These Doctors Exemplify the Virtues of Free Market Medicine » (ces médecins sont un exemple des bienfaits du marché libre pour la médecine) publiée par le site libéral Reason le 3 mars 2021 (07′ 13″) :


Illustration de couverture : Le médecin de ville et son patient.

13 réflexions sur “Médecine générale : et si l’on faisait confiance au MARCHÉ ?

  1. J’hallucine. C’est tout simplement génial. Jamais entendu parler de ce truc.

    Pour une fois, on a le vrai prix des soins médicaux, et c’est pratiquement donné par rapport à ce qu’on paye en France ! (Sécu + mutuelle + CSG + dépassements et tickets modérateurs divers.)

    Et c’est de la médecine américaine ! Au prix des études de médecine américaines ! Avec, je suppose (et c’est là que je ne comprends plus), le prix des assurances professionnelles médicales américaines, largement responsable, d’après ce que j’ai lu, du prix exorbitant de la visite médicale aux Etats-Unis.

    La consultation supplémentaire à 25 dollars seulement… autrement dit, quasiment gratuit pour le pays. Je ne comprends pas.

    Incidemment, je me suis laissé dire que jadis, en France, bien avant la Sécu, c’est plus ou moins ainsi que l’on payait le médecin : par abonnement.

  2. Merci Nathalie. Je ne sais pas quoi penser de cette solution, je n’y avais jamais pensé. Pour l’heure nous sommes à cent années lumières de ce genre d’initiative, nous fonçons tête baissée dans l’autre direction avec toujours plus de « planification bureaucratique qui prétend savoir mieux que les médecins où, quand et comment ils doivent soigner, et mieux que les patients s’ils sont malades et où et quand ils doivent se faire soigner ».

    Les enfants subissent un lavage de cerveau fourni « gratuitement » par l’éducation nationale. Pas plus tard qu’hier mon fils en 2nde me rapporte les propos de sa prof de SES (sciences économiques et sociales) : « Cuba, oui ils ont quelques problèmes, mais ils ont plein de médecins et les gens sont heureux. C’est pas comme aux Etats-Unis là bas c’est catastrophique. Le libéralisme et le capitalisme ça ne fonctionne pas, c’est un système qui ne crée que de l’inégalité. »

    J’ai expliqué à mon fils qu’il ne faut pas désespérer et que la science économique c’est quand même autre chose que cette propagande. Difficile d’espèrer une prise de conscience quand les futurs citoyens sont formatés dès leur enfance. Heureusement il y a Internet, Youtube et surtout les personnes comme vous pour montrer l’envers du décor Potemkine.

  3. Très intéressant, mais sais-tu ce que les « abonnés » à ce service de médecine généraliste doivent payer en supplément dès qu’ils doivent se tourner vers une médecine de spécialiste ( soins dentaires, cancers, cardiologie, obésité morbide très importante aux USA, diabète, interventions chirurgicales, etc, etc…..) ?
    Je suppose qu’ils doivent aussi avoir une autre couverture, via les assurances privées ou Medicare?

    • Oui, effectivement. Le système DPC n’est pour l’instant qu’une petite île dans un système plus largement assurantiel.

      Voici la réponse du site Direct Primary Care dans ses FAQ :

      « Do I still need insurance as a direct primary care patient?

      Yes, you’ll still need insurance, though you may be able to reduce the amount you pay.

      Your DPC membership is not an insurance plan; you’ll still need insurance if you have a major health problem. (But when those problems arise, your DPC doctor will be next to you to guide you through the system and coordinate your care.) That said, you may be able to save money on your insurance! Since all routine care is covered by your membership, you can switch to a « high-deductible » health plan that costs less per month. »

  4. L’idée est intéressante et me fait penser à la tradition chinoise où on rémunère son médecin lorsqu’on est en bonne santé et qu’il intervient gratuitement quand on est malade…

    Cela dit, je suis assez sceptique : pour Netflix ou pour le téléphone, le cout marginal est très faible, donc l’offre a tout intérêt à passer par forfait, le niveau de consommation du client n’ayant que peu d’incidence sur les coût de fonctionnement du service.

    Dans le cas d’une consultation médicale, le coût marginal est constitué par la rémunération du médecin… donc plutôt élevé, ce qui me semble antinomique avec un fonctionnement par forfait.

    Cela dit, ça vaut la peine d’être tenté.

    • La limite de 25 consultations par an est là pour ça, j’imagine. D’autre part, je serais étonnée que tous les patients consultent 25 fois par an. Pour bien faire, il faudrait étudier les stats du portefeuille clients des 1400 cabinets qui fonctionnent sur ce modèle (quels actes, en quels nombres, à qui, etc). Comme c’est un choix tout à fait libre tant du côté des médecins que des patients, j’ai tendance à penser pour l’instant qu’ils y trouvent leur compte.

      • Oui, la limite des 25 est là pour cela (et vu le coût d’équipement d’un cabinet médical, ce n’est pas strictment une activité de main d’oeuvre).

        Par ailleurs, cela peut être vertueux : comme on a une tendance assez naturelle à utiliser un service déjà payé, cela favorise un suivi longitudinal du patient, dont on peut espérer une détection plus précoce de pathologies, avec tous les avantages que cela comporte.

  5. Le système de santé américain dans lequel les offres médicales et assurantielles sont présentées privatisées mais en fait largement protégées de la concurrence par de multiples rentes de situation, ce qui a pour effet d’étrangler la plupart des ménages voire de les exclure purement et simplement du circuit médical et sanitaire au sens large. Voila effectivement un moyen de déstabiliser la structure.

    « Si le « Direct Primary Care » reste encore assez confidentiel aux États-Unis, au moins n’est-il pas empêché d’exister et de faire ses preuves. »
    Eh oui, notre système de santé fonctionne en organisant la rareté des offres en matière de soins, d’assurance et de solidarité : monopoles injustifiés, assurance étatique pour subventionner indirectement les corporations politico-économiques en situation de monopole tout en trompant ses « bénéficiaires » sur son financement grâce à de multiples artifices comptables. Un système de santé digne de ce nom ferait tout le contraire évidemment.

    Un exercice pour démystifier notre Sécurité Sociale :
    https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/securite-sociale-l-asymetrie-d-188555

    Voilà le verrou qu’il faut d’abord faire sauter !

    • @Tino: article très intéressant, merci. Pour avoir bénéficié un temps des assurances privées, je confirme que le prix est sans commune mesure avec ce qu’on paie en France (sécu + mutuelle). En gros, pour le prix d’une mutuelle en France toute la famille était couverte pour TOUS les frais. La différence est impressionnante.

      L’article pointe également l’opacité du système, son extrême générosité pour des gens qui n’ont jamais cotisé, et son extrême manque de générosité pour des gens qui ne peuvent plus cotiser ou qui sont indépendants. Sans compter l’étatisme rampant car ainsi que le rappelle l’article, la sécurité sociale n’est pas l’état, du moins pas encore.

  6. Merci pour cet article. Édifiant.

    J’ai appris encore aujourd’hui quelque chose. Encore merci.

    Il y en a encore, même de mes proches, qui s’imaginent qu’on a encore le système de santé le plus performant du monde. Certes bien formatés syndicalos de comptoir.

    Peut-être encore plus ou moins performant mais fort dispendieux et d’un principe désormais voué à l’effondrement.

    Combien d’années ai-je cotisé et payé une mutuelle, dont les cotisations augmentaient avec mon âge, sans aller consulter pendant même plusieurs années ?
    Nous sommes très éloignés des 25 consultations par an.

    Combien d’illégaux entrent chaque année en France ? Combien la CPAM leur consent, via l’AME et la CMU, par individu par rapport à un affilié qui travaille et cotise ?

    Ceci doit être en effet très opaque

  7. Merci Nathalie pour cet article, excellent comme d’hab!

    Perso j’ai toujours considéré que la médecine “de base” (rhinos hivernales, maladies infantiles, bobos en tout genre, dépistage, vaccination, etc.) faisait partie des dépenses courantes. Au même titre que la nourriture, les vêtements ou l’habillement.

    Je serais même prêt à renoncer à l’assurance maladie à la française pour me contenter d’une assurance couvrant uniquement les gros risques (accidents corporels, longues maladies). Hélas étant salarié en France je suis contraint de cotiser à la sécu (que je n’ai pas choisie) et à la mutuelle (imposée par mon employeur avec la complicité des représentants du personnel) sans oublier CSG et CRDS qui frappent tous mes revenus. Au final je suis bien incapable de dire combien je paie…

    Le seul membre de ma proche famille qui a le choix de sa mutuelle a plus de 80 ans, ce qui rend le risque (et donc le coût) plutôt élevé. Cette personne a au moins le loisir de faire jouer la concurrence. Elle a donc choisi le niveau de couverture qui correspond à ses besoins. C’est toujours mieux qu’une assurance unique qui couvre tout le monde pareil, donc à la mesure de personne.

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