Avenir Lycéen : une bien curieuse histoire de subvention

Fracassante déclaration du ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer, cette semaine sur France Culture : il n’exclurait pas de supprimer dès l’an prochain toutes les subventions étatiques versées aux syndicats lycéens ! Oh bien sûr, on ne parle que de 250 000 euros par an, une anecdote dans l’océan du « quoi qu’il en coûte » qui constitue dorénavant la mesure de toute action politique. Et de toute façon, face au tollé des bénéficiaires sur le thème « c’est la démocratie qu’on assassine », l’entourage du ministre s’est empressé d’expliquer que rien n’était décidé.

Je ne vous surprendrai pas en vous disant que si le gouvernement devait effectivement mettre sa menace à exécution, je serais la première à applaudir. Financée par l’impôt voire la dette, la subvention décidée unilatéralement par le gouvernement revient à imposer au contribuable de soutenir telle ou telle cause dont rien ne dit qu’il lui consacrerait son argent s’il avait le choix, au contraire des cotisations et des dons qui viennent librement des personnes intéressées par l’objet de l’association considérée.

Mais je n’y crois guère.

La disparition en bloc des subventions accordées aux associations lycéennes causerait un précédent fâcheux car il n’y aurait plus aucune raison de ne pas se poser quelques questions sur les financements des syndicats étudiants, par exemple. Puis, de fil en aiguille, sur ceux de toutes ces associations « lucratives sans but » qui grouillent dans le giron des pouvoirs publics nationaux et territoriaux dont elles assurent sans le dire un relai officieux. Jusqu’à arriver aux entités culturelles et à nos médias abondamment subventionnés.

Pente glissante que les bénéficiaires redoutent, naturellement, car on sait depuis Bastiat que « l’État, c’est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde ». Mais que ne redoute pas moins un gouvernement aussi « impliqué » que le nôtre dans la vie économique, sociale et intellectuelle de ses concitoyens : pas de subventions, pas de moyen de pression sur la société civile et pas de possibilité de chantage sur le mode « si vous continuez à m’embêter, les enfants, je vous supprime tout votre argent de poche ».

Autrement dit, un petit peu beaucoup ce que Jean-Michel Blanquer vient de faire vis-à-vis des syndicats lycéens (vidéo ci-dessous, de 31′ 25″ à 36′ 48″) :

S’il y a donc peu de chance de voir les dépenses publiques s’alléger de 250 000 euros à partir de l’an prochain (et si je me trompe, je serai ravie de faire amende honorable), l’histoire qui a motivé cette sortie hardie du ministre n’en est pas moins très instructive tant elle combine tous les ingrédients caractéristiques des relations délétères qui s’installent entre l’État dirigiste qui distribue les fonds et les entités subventionnées qui finissent par les considérer comme un dû.

Début novembre, le site Mediapart épingle le nouveau syndicat Avenir Lycéen, qualifié de « chouchou de Blanquer », pour une utilisation très champagne petits fours de sa première subvention (au titre de l’année 2019, le syndicat ayant été fondé en décembre 2018). D’un montrant de 65 000 euros, elle devait notamment couvrir les frais d’organisation du congrès fondateur du mouvement à hauteur de 40 000 euros environ. Or le congrès n’a pas eu lieu.

Il s’avère également que les services compétents du ministère de l’Éducation nationale avaient été alertés dès juillet dernier sur la dérive budgétaire d’Avenir Lycéen mais qu’à ce moment-là, ils n’avaient pas jugé nécessaire de faire plus qu’un simple rappel à l’ordre du syndicat. De ce fait, une subvention de 30 000 euros accordée au titre de 2020 était toujours en piste. C’est seulement après la parution de l’article de Mediapart qu’un contrôle de l’utilisation effective de la première subvention est diligenté et que la seconde est suspendue.

Ces éléments de dates et de chiffres ont été confirmés au début de ce mois par le ministère lui-même qui en a profité pour donner en outre le détail des subventions versées aux autres associations et syndicats lycéens, FIDL, UNL et MNL notamment, depuis le début du quinquennat :

Informations d’autant plus cruciales à divulguer qu’une dizaine de jours après l’article de Mediapart, c’est au tour du quotidien Libération de lancer son petit pavé dans ce qui pourrait assez facilement passer pour des manigances pas très reluisantes de la part de l’entourage de Jean-Michel Blanquer. Objectif supposé : contrebalancer l’influence des syndicats de gauche et d’extrême-gauche auprès des lycéens dans le contexte des manifestations et blocages consécutifs à la mise en œuvre de la réforme du Bac et du lycée fin 2018.

Car si les révélations de Mediapart se contentaient de dénoncer les dérives financières d’un syndicat lycéen en phase avec la philosophie éducative du ministre, Libération prétend carrément qu’Avenir Lycéen a été purement et simplement fomenté de toutes pièces par le ministère autour de jeunes sympathisants macronistes.

Sources des journalistes : les déclarations d’anciens membres du syndicat furieux d’avoir été instrumentalisés, ce qui est assez faible car les luttes intestines sont légion dans ce type d’association, et des échanges de mails entre le syndicat et plusieurs rectorats portant sur des corrections apportées par les seconds aux communiqués des premiers, ce qui est déjà beaucoup plus étrange.

À l’instar du Premier ministre et des responsables du syndicat, ces derniers revendiquant leur droit « à porter une autre voix que celle de l’extrême-gauche syndicale », Jean-Michel Blanquer dément catégoriquement et renvoie cette affaire à une vulgaire attaque politicienne sans fondement en provenance de l’extrême-gauche :

« là, si vous regardez de près ce qui est dit dans ces articles, il y a vraiment beaucoup de sauce et peu de lapin comme on dit chez moi. On voit bien que Libération et Mediapart essaient de faire une affaire à partir de rien. » (Blanquer, RTL, 22 novembre 2020)

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Difficile, à ce stade, de savoir où se situe la vérité. Peut-être des deux côtés, finalement.

La propension des syndicats d’extrême-gauche aux blocages des lycées et des universités est connue, leur refus systématique de tout ce qui ressemble à une sélection et à un enrichissement académique des programmes, également, et leurs liens avec le PS, le PC ou la France insoumise ne sont un mystère pour personne. Quant au gouvernement, quant à tous les gouvernements très dirigistes, on les sait avides de retourner leurs ratés à leur profit et toujours preneurs d’une occasion de pilotage rapproché de la société civile.

En attendant, en plus des contrôles spécifiquement consacrés aux comptes et aux activités d’Avenir Lycéen, Jean-Michel Blanquer a ordonné une révision complète des comptabilités de tous les syndicats lycéens depuis 10 ans. Suite à quoi il décidera, sans doute dès janvier prochain, s’il maintient ou non le système de ces subventions puisqu’il voit « que c’est un sujet polémique ». Une très habile façon de se tirer d’affaire si affaire il y a.

Et c’est là que rien ne va plus chez les habitués de la révolution lycéenne.

Tirer tous azimuts avec l’aide de la presse de gauche pour éliminer un syndicat concurrent en matière d’audience, de ligne politique et de gros sous, c’est parfaitement normal. Mais se voir sucrer sa subvention par un gouvernement qu’on abhorre et qu’on met son point d’honneur à handicaper le plus possible par des grèves et des blocages à répétition, c’est simplement intolérable.

La fin de la démocratie, ni plus ni moins – cette dernière devant évidemment être entendue comme le règne sans partage du pouvoir de « la rue », comme dirait Mélenchon. Le tout aux frais du contribuable qui subit blocages, manifs, débordements et dégringolade continue de la qualité de l’enseignement public.


Illustration de couverture : Manifestation lycéenne contre la réforme du lycée du ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer.

16 réflexions sur “Avenir Lycéen : une bien curieuse histoire de subvention

  1. Bonjour,

    Lorsque ma fille était en terminale (gros lycée public de province, ancienne gloire déchue de notre système éducatif) , il y a quelques années, elle avait dans sa classe (filière littéraire) un « leader » d’un de ses syndicats auto-proclamés. Ce cher petit a été absent des cours plus de la moitié de l’année. Il était, vu les fonctions prioritaires qui étaient les siennes, très souvent retenu à Paris. On peut dire que son année scolaire fut plutôt blanche. Pourtant, il devait être supérieurement intelligent car, en dépit du déficit d’enseignement qui pesait sur lui, il a eu son bac avec mention bien…. Je m’interroge encore sur la nature de cette performance.

    • Effectivement ça laisse sans voix. Une autre manière de voir les choses est de se dire que ce jeune homme suivait une formation professionnelle en alternance dont le but était de le préparer à son futur environnement professionnel. C’est ce que je me dis quand je vois tous ces jeunes activistes à la fac, quelque part ils préparent leur avenir, même si nous ça nous semble bizarre et stupide.

  2. Bravo Nathalie et un grand merci, comme à votre habitude vous dites l’essentiel avec concision et clarté. Je n’ai rien à ajouter, d’ailleurs j’ai pas le temps je dois finir de remplir la demande de subventions pour l’association que j’ai l’intention de créer cet après-midi.

    • On peut douter que ça serve à quelque chose : après la guerre les Américains ont aidé à créer le syndicat FO pour faire pièce à la CGT communiste, un syndicat réformiste dans le projet, du type AFL-CIO. Avec le noyautage trotskiste, au fil des ans, FO est devenu encore plus extrémiste que la CGT !

  3. Bravo pour cet article.
    Il y a longtemps qu’une idée très simple m’est venue, valable dans tous les cas où une institution reçoit des subventions. La règle serait : le montant des subventions publiques cumulées (État + régions + départements + communes) ne doit JAMAIS dépasser les ressources (cotisations + dons + produits divers) que l’institution en question (syndicat, association, parti, journaux, etc.) est capable de lever par elle même.
    L’application d’une telle règle serait de nature à assainir le monde des « association lucratives sans but », comme dit H16

    • Compte tenu du poids de ces subventions en France, cette règle serait en effet un début, mais pourquoi ne pas viser la suppression pure et simple sur une période de 2 ou 3 ans ? Certaines associations y arrivent très bien (Contrepoints par exemple, c’est d’ailleurs la période des dons, avis aux amateurs…) et au lieu de compter sur une manne automatique quoi qu’elles fassent, elles sont obligées de montrer qu’elles servent à quelque chose.
      Quant à la formule « associations lucratives sans but », c’est le titre d’un livre de Pierre-P. Kaltenbach de 1995 (lien dans mon texte).

Répondre à Balleydier de BajolesAnnuler la réponse.