François BAYROU et les malentendus de l’intérêt général

Vous désespérez de trouver un jour un homme politique vraiment honnête et sincèrement dévoué au bien-être de ses concitoyens ? Alors reprenez espoir, souriez, chantez, dansez de joie, car François Bayrou, bijou auto-proclamé rarissime et scintillant au sein du cloaque de la politique française, est exactement l’homme sans tache et sans reproche qu’il vous faut!

Voici en effet ce qu’il déclarait sans rire, mais en souriant de satisfaction, au 20 heures de France 2 à la veille de sa nomination officielle comme Haut-Commissaire au plan et à la prospective par Emmanuel Macron le 3 septembre dernier (vidéo, 01′ 19″) :

« J’ai choisi d’exercer cette fonction gratuitement, sans rémunération. (…) J’ai voulu montrer – ça arrive, heu… c’est pas fréquent, on va dire – j’ai voulu montrer qu’on pouvait faire ça uniquement en pensant que l’intérêt général est plus important que les intérêts particuliers. »

Vous n’êtes pas totalement convaincus par tant d’angélisme ? 

Il est vrai que son petit mélange des genres entre salariés du MoDem et assistants parlementaires européens (à nos frais de contribuables, naturellement) qui lui a valu démission en catastrophe tout juste un mois après avoir été nommé à la tête de la Chancellerie pour – attention, c’est croquignolet – moraliser la vie publique ne parle pas franchement en sa faveur.

Ses cabrioles lexicales sur le fait qu’il n’est pas ministre donc pas concerné par les règles de l’exécutif en matière de mise en examen ou de cumul des mandats non plus.

Mais ce n’est certainement pas cela qui pourrait entamer l’excellente opinion que François Bayrou a perpétuellement de lui-même. Il était d’ailleurs si content de sa formule sur l’intérêt général qui seul guiderait ses pas en politique et qu’il serait l’un des rares à respecter qu’il s’est empressé de la tweeter dès sa sortie de l’émission, tout en la dépouillant des éléments concernant sa sublime abnégation :

Nous nous retrouvons ainsi en présence d’une de ces maximes de vérité générale archi-connue et archi-rebattue, véritable lieu commun bienpensant sans lequel il n’est point d’action politique digne de ce nom, une maxime sur le sens de laquelle on ne s’interroge plus, mais dont il faut reconnaître qu’elle traduit à merveille l’état d’esprit collectiviste et dirigiste qui prévaut systématiquement en France. 

On l’a bien vu au moment de la réforme des retraites :

Le système par répartition qui est le nôtre devait absolument être préservé car il implique la belle idée de solidarité entre les Français, tandis qu’avec la retraite par capitalisation, où chacun se préoccuperait de sa retraite à titre personnel, sans rien devoir ni demander à son voisin, on tomberait dans le chacun pour soi, c’est-à-dire dans cet horrible individualisme qui n’est que l’autre mot de l’égoïsme le plus cruel. 

Mais cela, c’est le joli discours. Dans la mesure où le système français de retraite par répartition doit être réformé à chaque quinquennat tant il menace à tout instant de s’effondrer, on se demande quel intérêt général il peut bien servir, sauf à se rappeler que certains régimes dits spéciaux ont surtout la « spécialité » de piocher dans les cotisations et les impôts des autres, qui ne peuvent s’y soustraire, pour obtenir de meilleures retraites pour leurs adhérents.

Autrement dit, on mesure à travers cet exemple des retraites combien l’intérêt général peut rapidement devenir l’alibi hypocrite des privilèges qui sont octroyés à certaines catégories de citoyens aux dépens d’autres catégories moins favorisées par le pouvoir en place.

Malgré cela, le mal est fait. Les intérêts particuliers sont devenus le synonyme d’égoïsme absolu voire même de malhonnêteté intrinsèque, tandis que l’intérêt général est vu comme le sommet du désintéressement, de la fraternité, de la solidarité et de la générosité. C’est ce bien commun enviable autour duquel tout le monde se retrouverait pour former enfin une communauté heureuse, égalitaire et juste.

Tout ceci est évidemment charmant, mais se heurte à un problème de taille :

S’il est aisé pour chaque individu de voir où résident ses intérêts particuliers dans l’existence – et je ne doute pas que certaines personnes commencent à se dire qu’elles auraient tout intérêt à adopter pour elles-mêmes un système de retraite individuel qui supplanterait sans problème ce que leur offre le système collectif actuel censé représenter l’intérêt général – comment définir cet intérêt général dont nos hommes politiques et les nombreux fonctionnaires qui les assistent se targuent de s’occuper pour nous 24 heures sur 24 ?

Lorsqu’on interroge les élus, ils répondent qu’ils travaillent pour le bien de tous, qu’ils mettent en place des services (piscines) et des politiques (aides aux agriculteurs, ou aux seniors, ou aux chômeurs) qui vont profiter à tous, mais ils n’expliquent jamais comment ce bien de tous, ce profit de tous est déterminé.

Et pour cause, car cela n’est pas possible. L’intérêt général n’existe pas sauf sous la forme d’une illusion imposée pour justifier l’interventionnisme cher à nos hommes politiques, cet interventionnisme fébrile qui leur permet de montrer à leurs électeurs qu’ils agissent pour eux mais qui ne peut en aucun cas se faire au nom de tous. Éventuellement au nom d’une majorité, mais en réalité presque toujours au nom d’intérêts particuliers.

Dès 1785, Condorcet démontrait en effet qu’il est impossible de fonder un choix collectif à partir des préférences individuelles, ce qu’a confirmé Kenneth Arrow au milieu du XXème siècle de façon un peu plus développée mathématiquement. Le Théorème d’impossibilité d’Arrow s’énonce ainsi :

« Il n’existe pas de fonction de choix social (un système de vote) qui puisse convertir des préférences individuelles en une décision agrégée cohérente, hormis dans le cas où la fonction de choix social coïncide avec les choix d’un seul individu (« dictateur »), indépendamment du reste de la population. »

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Le terme « dictateur », celui qui dicte, est particulièrement révélateur. Les hommes sont divers, ils ne forment pas une unité, ils ne parlent pas d’une seule voix et ils n’agissent pas sous l’impulsion de désirs également et unanimement partagés.
La seule façon d’obtenir une « harmonisation » de tant d’aspirations divergentes passe donc par l’instauration d’une entité supérieure, l’État à tout hasard, qui aura tout pouvoir de créer une volonté générale imaginaire par soumission des volontés individuelles aux fins sociales du régime en place.

Quant aux intérêts particuliers si aisément relégués au rang de vices honteux par les acharnés du collectivisme, on sait depuis Montesquieu, Turgot et Adam Smith que s’ils se développent dans un état de droit où la propriété des biens et l’intégrité des personnes sont respectées, ils contribuent sans le savoir et sans le chercher à la bonne marche et à la prospérité de la société en général :

« Il se trouve que chacun va au bien commun, croyant aller à ses intérêts particuliers. » (Montesquieu, 1748, De l’esprit des Lois)

« L’intérêt particulier abandonné à lui-même produira toujours plus sûrement le bien général que les opérations du gouvernement. » (Turgot, 1759)

« Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, (l’homme) travaille souvent d’une manière bien plus efficace pour l’intérêt de la société, que s’il avait réellement pour but d’y travailler. » (Adam Smith, 1776, Richesse des Nations, Livre 4, chapitre 2)

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Dans une société libre où les initiatives individuelles et les échanges ne sont pas bridés, chacun dans son domaine et à son niveau contribue à se rendre utile aux autres, avec l’avantage inestimable que les libertés individuelles telles que liberté de conscience, liberté d’expression et liberté d’entreprendre sont préservées.

On conseillerait bien à M. Bayrou de se livrer à quelques lectures plus élaborées que sa pieuse maxime, mais en 35 ans d’une carrière politique assez sinueuse, il a toujours su mieux que tout le monde ce dont le monde avait besoin. En 2017, le monde avait besoin de moralisation de la vie publique. On a vu le joli résultat.

Aujourd’hui, confortablement installé dans son nouveau bureau de Haut-Commissaire au plan et fort satisfait d’avoir le Président de la République comme « interlocuteur premier », il semble bien décidé à faire descendre « l’intérêt général » de force dans les rouages de la société, quitte à étouffer tous les détestables intérêts particuliers qui ne colleraient pas avec ses études prospectives. On attend le joli résultat.


Illustration de couverture : François Bayrou (photo AFP) et son tweet sur l’intérêt général et l’intérêt particulier.

14 réflexions sur “François BAYROU et les malentendus de l’intérêt général

    • Merci Nathalie de nous faire part de vos lumières, de votre acuité, de votre pertinence; toujours avec autant d’arguments étayés.

      Je suis profondément lassé, tout bonnement. Lassé par les guéguerres picrocholines, querelles de clocher et collusions diverses de tous ces impétrants afin de continuer à taper dans la gamelle, en se foutant royalement de l’intérêt général, quelle qu’en soit leur définition.

      Deux déclics cet été m’ont conduit à envisager le départ. Ma décision sera prise fin mai prochain.

      • Comme mon intervention devait être une réponse à celle d’Higgins, je préciserai que ma pension ayant déjà subi une coupe cette année, je m’attends au brutal qu’osent annoncer nos gouvernants; d’autant qu’il va falloir absorber le Covid et leur plan de relance en sus de toutes les gabegies institutionnalisées. Les retraités sont tout désignés.

        D’où cette profonde lassitude.

  1. En somme, François Bayrou s’aligne sur Donald Trump, qui, lui non plus, n’a pas voulu recevoir de salaire pour sa fonction de président. C’est bien ça ? Ca promet… Bilan de Trump :

    – Le mur n’est toujours pas construit.
    – Moins d’immigrés illégaux expulsés que sous Barack Obama.
    – La dette a encore plus augmenté que sous Obama.
    – Le niveau de persécution contre les Blancs a atteint un niveau jamais égalé. Le mouvement négro-communiste (et promoteur de la théorie du genre) Black Lives Matter terrorise et tue dans une quasi-impunité.
    – Les alliés de l’OTAN sont ouvertement méprisés.
    – Trump dit lui-même avoir davantage confiance dans Vladimir Poutine que dans ses propres services secrets.

  2. « il a toujours su mieux que tout le monde ce dont le monde avait besoin »
    Tout le monde a bien compris que dans le « monde », il en était un élément particulièrement doué pour veiller à la satisfaction de SES besoins.
    Charité bien ordonnée…
    😥

  3. Merci pour cet excellent article, toujours aussi bien argumenté. Je rêve d’un monde où je pourrais trouver vos articles dans un journal papier, ca nous changerait du bourrage de crane ambiant. A ce propos, avez vous entendu parler de la nouvelle mode: le journalisme de production. Ca promet. En attendant de pouvoir vous lire un jour dans un journal, je suis très heureux de vous lire des à présent sur internet. Merci donc.

  4. Ah, l’intérêt général, c’est tellement pratique. Qui peut se permettre de contester une mesure décidée au nom de l’intérêt général? Le coupable est immédiatement taxé de l’égoïsme le plus méprisable!

  5. Le port du masque (ou son absence) est dans l’ intérêt général, obéir à des ordres idiots aussi.
    C’ est qu’ un cache misère pour obtenir l’ obtention de financer toute les bévues et lubies politiques écoles écologiques et j’ en passe …
    Le citoyen est content ,les riches payent ( croit il ).

  6. « And, you know, there’s no such thing as society. There are individual men and women and there are families. And no government can do anything except through people, and people must look after themselves first. It is our duty to look after ourselves and then, also, to look after our neighbours ».
    Si seulement no hommes politiques pouvaient s’inspirer un peu plus de M. Thatcher et un peu moins de l’ex Union Soviétique (commissariat au plan, sérieusement ???).

    • @ Anankè

      Excellent rappel de cette interview de Margaret Thatcher à un magazine féminin, l’interview la plus manipulée par les gauchistes pour leur faire dire le contraire de ce qu’elle dit.

      Pour compléter le contexte, il convient d’indiquer que Margaret Thatcher répondait ainsi à la complainte gauchiste omniprésente, à son époque, selon laquelle « c’était la faute à la société », et par conséquent, c’était à l’Etat de fournir des emplois, des allocations, etc.

      Ce à quoi elle a répondu, en substance, dans le passage que vous citez : l’Etat, la société, ça n’existe pas, c’est vous, c’est moi ; ce n’est pas une entité mystérieuse au-dessus de nous qui serait maîtresse du Grand Robinet à Pognon, lequel permettrait de Débloquer des Fonds (selon la locution de rigueur en France : si l’Etat n’allonge pas la fraîche, c’est qu’il « bloque » les sommes colossales de pognon sur lesquelles il dort).

      Et les gauchistes ont traduit ça par : la société, ça n’existe pas, il n’y a que l’individu qui compte, que chacun se démerde et marche sur la gueule du voisin s’il le faut.

      Alors qu’elle disait exactement le contraire.

      Le dernier à avoir recyclé cette falsification communiste fut le fameux « géographe » Christophe Guilluy, dont le dernier livre est tellement faisandé que son titre même est un mensonge : intitulé No Society, il fait explicitement allusion, non pas à cette interview, mais à la falsification mythologique qu’en a tiré la gauche.

      Maintenant, bien sûr, « tout le monde sait que » Margaret Thatcher pensait que l’homme se devait d’être un loup pour l’homme, que le plus fort gagne et malheur aux vaincus. Alors que c’était une chrétienne fervente.

      L’idéologie de gauche est vraiment une abomination.

  7. Avec nos Pastèques, c’est plutôt le régime de Pol Pot que celui de l’URSS.

    Une carrière politique de 35 ans devrait être interdite : Deux mandats successifs maximum d’élu de la République et merci pour elle.

    Et d’abord sera-t-il rémunéré en fonction du succès du plan ? Tiens 10% du retour sur investissement pour Mr Bayrou.
    Toujours d’accord Mr Bayrou ?

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