Conf de financement des Retraites : Mais de quoi vont-ils parler ?

Devinette : De quoi vont bien pouvoir parler les partenaires sociaux lors de la Conférence sur l’équilibre et le financement des retraites suggérée par la CFDT et acceptée par le Premier ministre Édouard Philippe samedi 11 janvier dernier si « l’âge pivot » qui fâchait tant la CFDT disparaît et s’il ne faut ni baisser les pensions pour préserver le pouvoir d’achat des retraités ni augmenter le coût du travail, c’est-à-dire les cotisations, pour ne pas peser encore plus sur la compétitivité des entreprises ?

La question se pose car dans notre système de retraite par répartition, lequel consiste à chaque échéance à payer les pensions des retraités par les cotisations des actifs, il n’existe pas cinquante façons d’obtenir l’équilibre financier, il n’en existe que trois : augmenter les cotisations, baisser les pensions ou jouer sur l’âge de départ en retraite, ce dernier paramètre pouvant inclure des mesures sur la durée de cotisation.

Mais essayons de reprendre le fil de l’histoire, bien que de l’avis d’Édouard Philippe lui-même le sujet soit « redoutablement technique » (France 2, 20 heures, 12 janvier 2020). Il est certain qu’entre le flou entretenu sur les contours du nouveau système et les multiples épaisseurs « d’acquis sociaux » catégoriels ajoutés et surajoutés au système actuel, rien n’est simple.

Quand Emmanuel Macron a lancé son projet de retraite universelle par points dans son programme présidentiel, projet qui ne s’écarte pas d’un iota du cadre de la répartition, il s’imaginait que la question de l’équilibre financier entre les ressources et les dépenses du système n’était pas un problème. D’où la promesse de ne pas toucher à l’âge légal de départ en retraite de 62 ans en vigueur chez nous – qui est aussi l’âge le plus bas de l’Union européenne, soit dit en passant.

Mais depuis cette époque, le Conseil d’orientation des retraites (ou COR) s’est livré à un certain nombre de calculs savants d’où il ressort qu’à l’horizon 2025, le déficit annuel de notre système par répartition actuel atteindrait de 8 à 17 milliards d’euros selon les différents scénarios envisagés.

C’est pour cette raison que fut introduit le concept « d’âge pivot », dit aussi « âge d’équilibre », afin de parvenir à un équilibre du régime actuel en 2027, date à laquelle le nouveau système par points pourrait démarrer sur des bases financières à peu près saines. Aussi, sans remettre en cause l’âge légal de départ à 62 ans, le bénéfice de la retraite à taux plein n’interviendrait qu’à partir de cet âge pivot, lequel a été fixé dans le projet de texte de loi du gouvernement à 62 ans et 4 mois en 2022 jusqu’à monter progressivement à 64 ans en 2027.

Une disposition qui a été violemment rejetée par la CFDT de Laurent Berger, suivi en cela par la CFTC et l’UNSA, et que le Premier ministre vient d’abandonner afin de recueillir les propositions alternatives des partenaires sociaux pour atteindre l’équilibre d’ici 2027. Édouard Philippe retient donc l’idée de la Conférence de financement suggérée par Laurent Berger, tout en demandant qu’elle rende ses conclusions avant la fin du mois d’avril et non pas juillet 2020, afin de pouvoir en inclure les éventuels résultats dans le projet de loi avant son examen en deuxième lecture à l’Assemblée nationale.

Résultat des courses, la CFDT crie victoire, bien que l’âge pivot reste d’actualité dans le cadre du système à points à partir de 2027 et le Premier ministre vante son sens des responsabilités et du compromis – du rarement vu en France, prétend-il. Au passage, il reporte opportunément le sujet qui fâche à l’après-Municipales tout en cherchant à donner l’impression qu’il garde sans faillir son fameux « cap ».

Quant au MEDEF, il a immédiatement fait savoir par communiqué qu’il « s’engagera pleinement dans la conférence de financement » dont les conditions posées par Édouard Philippe de ne toucher ni au niveau des pensions ni au niveau des cotisations le satisfont pleinement. Le syndicat patronal se dit donc prêt à…

« trouver les mesures d’âge justes assurant l’équilibre financier du système de retraites à court, moyen et long terme. »

Mesures d’âge ? Mais quelle horreur ! C’est précisément ce qu’a proposé le gouvernement avec son âge pivot et c’est précisément ce que rejette la CFDT !

Bref, chacun fait son show, mais comment tous ces gens-là vont arriver à s’entendre, c’est une toute autre histoire, car les paramètres habituels de gestion de l’équilibre financier du système par répartition ont été évacués d’entrée de jeu des discussions – de même que l’idée de sortir un tant soit peu de la répartition, mais c’est encore une autre affaire.

Laurent Berger préfère de beaucoup parler de la pénibilité au travail et de l’emploi des seniors, sans oublier le Fonds de réserve des retraites (ou FRR) et ses 32,6 milliards d’euros à fin 2018 (rapport annuel, page 5).

Alors parlons-en, de ce FRR. Constitué en 1999 par des prélèvements sociaux ainsi que par les ressources ponctuelles tirées de privatisations ou de cessions de licences télécoms pour faire face à l’effet « papy-boom » sur le système des retraites, il engrange des produits financiers (ou des pertes, cas de 2018) et verse chaque année 2,1 milliards d’euros à la CADES (ou Caisse d’amortissement de la dette sociale). Cette dernière devant disparaître en 2024, le COR a calculé que le FRR se retrouverait à cette date avec 20 milliards d’euros non affectés.

Sauf qu’avec un déficit structurel des retraites situé entre 8 et 17 milliards d’euros par an, le solde du FRR serait épuisé au mieux en deux ans et demi, laissant le problème entier pour la suite.

La CADES elle-même devant s’éteindre en 2024 (après avoir dû disparaître en 2009, ce qui en dit long sur la gestion des déficits sociaux par les gouvernements successifs), certains esprits très portés sur les taxes ont fait remarquer que ses financements par la CRDS (et une partie de la CSG) devenaient alors disponibles pour d’autres usages. Pourquoi pas pour les retraites, ont-ils susurré avec insistance ?

Autrement dit, attendu que les paramètres d’âge, de cotisations et de prestations ont été exclus de la Conférence de financement et attendu que le Premier ministre a dit et répété qu’il « prendrait ses responsabilités » si les partenaires sociaux ne parvenaient pas à s’entendre, on peut tout à fait parier sur le fait que ces derniers ne s’entendront effectivement pas. Le Premier ministre aura alors le champ libre, peut-être pas pour réintroduire l’âge pivot, ce qui risquerait de relancer les grèves et les blocages, mais pour en passer, « courageusement » n’en doutons pas, par les impôts et taxes pour combler le déficit des retraites jusqu’en 2027, voire au-delà.

Lecteurs, vous la sentez venir cette Contribution retraite, généralisée ou pas, éventuellement concentrée sur les plus hauts revenus pour contrebalancer dans l’opinion post Gilets jaunes le remplacement fort peu populaire de l’ISF par l’IFI – contribution qui prendrait officiellement fin en 2027 mais qui aurait toutes les chances de perdurer ad vitam ?

Voilà qui ferait vraiment plaisir à Laurent Berger qui s’enthousiasmait ces jours-ci à l’idée d’introduire « une contribution supplémentaire » sur les hauts salaires dans le futur système universel. Sans compter toutes les possibilités que les excédents des régimes autonomes tels que ceux des avocats ou des pharmaciens permettent d’envisager une fois qu’ils seront fondus dans le nouveau système. La « solidarité à la française » n’est plus à une petite spoliation près.

Notez que j’espère me tromper. Mais un tel barouf conférenciel sur les retraites évoque surtout des lendemains aussi désespérément français que désespérément dommageables pour notre prospérité : des dépenses, des déficits, de la dette et des impôts. Ça promet.


Illustration de couverture : Le Premier ministre Édouard Philippe au 20 heures de France 2 le 12 janvier 2020. Capture d’écran.

7 réflexions sur “Conf de financement des Retraites : Mais de quoi vont-ils parler ?

  1. Ah Ah ils vont nous rejouer le coup de la CSG partie à 1,1% et au delà de 9%, 30 ans plus tard. Vive la CRG !!!
    C’est pas que je sois pour la grève mais quand on voit comme cette bande de clown agit, je comprends que bcp soutiennent la grève.

    • Il y a aussi ceux comme moi qui sont contre la répartition pour des raisons démographiques historiques mais qui ne participent pas aux grèves car je ne me sens pas solidaire de la CGT et consorts

  2. Rappelons qu’il n’existe aucun problème qui ne puisse être résolu par une nouvelle taxe ou un nouvel impôt. Ce que vous dites est évident, on va nous pondre une « CSG » de plus. Ils n’ont plus le choix, de toutes façons, puisqu’ils ne veulent pas remettre à plat un système en phase terminale.
    Petite limitation tout de même: le mouvement des gilets jaunes (version du début) a montré qu’il reste de moins en moins de marge pour augmenter les prélèvements divers. Ceux qui voulaient quitter le pays l’ont fait ou sont en train de le faire, mais quant à ceux qui restent, j’ai l’impression qu’il ne faut plus trop les énerver…
    Ce système est condamné, la seule question est de savoir s’il va mourir petit à petit d’étouffement, ou s’il va exploser, en passant par une guerre civile. C’est mon inquiétude principale.

  3. Ou alors, on pourrait aussi augmenter la durée du travail effectif avant la retraite. Un chroniqueur britannique relève, ces jours-ci, que les travailleurs français prennent 14 jours de congés-maladie par an en moyenne. Les Anglais en prennent… 4. Pour être tout à fait complet, les Allemands en prennent 18 !

    Ce n’est pas un hasard si le site de vente d’arrêts-maladie, lancé ces jours-ci en France et qui s’est attiré les foudres de la Sécu, a été d’abord créé en Allemagne.

    https://www.francetvinfo.fr/sante/soigner/l-assurance-maladie-attaque-en-justice-un-site-internet-qui-pretend-fournir-des-arrets-maladie-en-quelques-clics_3774773.html

    Il faut admirer le culot de son créateur, qui a cru pouvoir prendre le risque de provoquer ainsi les autorités françaises. Précisons que le site vend en réalité des télé-consultations, avec de vrais médecins. Ce qui est, jusque-là, légal. Le problème est que la publicité du service se fait sur les arrêts-maladie, et suggère même une liste de symptômes adéquats.

    En principe, la vente d’un arrêt-maladie n’est pas garantie, mais en pratique, il semblerait qu’en Allemagne, 99 % des demandes soient acceptées.

    Pour que le système marche, il faut que les médecins soient pleinement complices. Il est donc vraisemblable que ce service ne fait que révéler, aux yeux de tous, la corruption profonde qui est celle des médecins f’rançais, et qui s’exerce dans le secret de leur cabinet. Tout le monde est complice : les faux malades qui réclament leur faux congé, les médecins qui les accordent et la Sécu qui ferme les yeux.

    La corruption est tellement banalisée, que les médias annoncent sans honte que les policiers ou les infirmières « se mettent en congé-maladie collectif » au lieu de se mettre en grève — et personne ne se pose la question de savoir qui accorde ces congés frauduleux et illégaux, dispensés au vu et au su de tous. Cela fait partie des « drouâs » des fonctionnaires.

    Dans cet hôpital de la Creuse (dont les employés se plaignent bien sûr du manque de « moyens »), chaque personne prend, en moyenne, 32 jours de congés-maladie par an… Ces médecins et autres « personnels de santé » doivent être exceptionnellement nuls, pour se soigner si mal, qu’ils sont tous malades un mois entier par an…

    https://www.francetvinfo.fr/sante/hopital/deux-infirmieres-pour-24-patients-11-000-jours-de-conge-maladie-les-chiffres-fous-d-un-hopital-creusois_3516545.html

    Le journaliste anglais précise que les Français ont même des noms pour des maladies imaginaires (crise de foie, jambes lourdes), tandis que les Allemands sont encore plus créatifs en la matière : Wetterfühligkeit (sensibilité au temps qu’il fait), Frühjahrsmüdigkeit (fatigue de début d’année)…

    Sans parler des pharmacies hexagonales, pleines de remèdes de charlatan qu’on appelle « homéopathiques ».

    https://www.dailymail.co.uk/debate/article-7879957/DOMINIC-LAWSON-Stoic-Brits-proof-French-Germans-real-sick-men-Europe.html

  4. « De quoi vont-ils parler? »

    Sans doute de la même chose que ce dont Delevoye et ses interlocuteurs ont parlé pendant 18 mois. C’est facile de parler, d’écouter, de dialoguer, de débattre, de se concerter, bref de donner l’illusion de la négociation. Les élections municipales ayant lieu en mars, on peut s’attendre à ce que le gouvernement continue sur cette ligne pour éviter un désastre dans les urnes.

    L’âge pivot est un chiffon rouge qui a été agité pour attirer l’attention des syndicats et des médias. Les grévistes s’épuisent, les syndicats se mobilisent pour lutter, les médias jacassent pour occuper leur audience. Pendant ce temps là, le gouvernement prépare son véritable projet. Il ne restera plus qu’à le faire passer au parlement après les élections. Avec l’aide de l’article 49.3 de la Constitution s’il le faut. Le Premier ministre a demandé à ce que la conférence se termine en avril et non pas en juillet… La pause estivale est une période favorable.

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