Je dirige la CGT Cheminots et j’adore LÉNINE ! Qui suis-je ?

Réponse : Laurent Brun, 40 ans, cravate rouge, passé par l’UNEF, formé aux Jeunesses communistes, encarté au Parti communiste et patron de la CGT Cheminots depuis 2017. Ça claque ! Et c’est en 2019, bientôt 2020, que ça se passe…

Mes contradicteurs me reprochent fréquemment d’être sous l’emprise d’une déformation idéologique qui me ferait voir du marxisme partout. Nous sommes au XXIème siècle, que diable ! C‘est fini et bien fini, tout cela ! s’exclament-ils, pleins de réprobation. Comme j’aimerais qu’ils aient raison ! Je suis néanmoins au regret de leur dire que 30 ans après la chute du mur de Berlin, les disciples de Marx sont encore loin, très loin, d’avoir lâché prise.

Si certains avancent masqués à la faveur de la « convergence des luttes » qui se déploie sous le séduisant étendard de la protection de la planète et de la lutte contre le réchauffement climatique, d’autres ne s’embarrassent pas de ces coquetteries.

Ainsi, tout comme le leader actuel de l’opposition britannique Jeremy Corbyn adore se faire appeler « man of steel », c’est-à-dire tout simplement Staline, et tout comme son programme pour le Royaume-Uni est un véritable copié-collé du Manifeste du Parti communiste de Marx et Engels de 1848, nous avons en France un leader syndical que ses collègues des autres syndicats qualifient, certains pour s’en réjouir, d’autres pour s’en inquiéter, de raide et d’inflexible, et dont ils disent sans circonvolutions atténuantes :

« C’est le visage juvénile du stalinisme. »

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Et pas n’importe quel leader syndical.

Je vous parle de Laurent Brun, secrétaire général de la CGT Cheminots depuis 2017, qu’on a vu en première ligne en 2018 pour s’opposer à la réforme de la SNCF et à la fin du recrutement au statut de cheminot – la grève deux jours sur cinq pendant trois mois, c’était lui – et que nous voyons à nouveau monter au créneau en 2019 pour s’opposer à la suppression des régimes spéciaux qui compose un volet important – et indispensable(*) – de la réforme des retraites envisagée par le gouvernement.

On le comprend. Avec celui de la RATP, le régime de la SNCF constitue un idéal de solidarité et de justice sociale que seuls les casseurs, les vrais, ceux qui veulent casser le service public à la française, les ultra-néo-libéraux pour le dire clairement, peuvent avoir l’étroitesse d’esprit et la sècheresse de cœur de considérer comme une somme de privilèges exorbitants et indus.

Dès lors, tout est dans le rapport de force et la mise sous pression du gouvernement. Par bonheur, Laurent Brun s’est trouvé un maître, un modèle, qui l’encourage et le soutient dans les bons comme dans les mauvais jours. Qui ? Mais le glorieux Lénine, ce héros de la révolution d’Octobre déjà plus répressif en quatre mois de pouvoir communiste que les tsars en 92 ans :

« Les analyses de Lénine sont toujours d’actualité : il faut à la fois une idéologie révolutionnaire, et une organisation révolutionnaire pour la porter. »

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Entré à la SNCF en 2000 et rapidement détaché à plein temps pour les impérieuses nécessités de la CGT, Laurent Brun est à la fois un ancien de la maison dont les engagements à la gauche de la gauche sont aussi irréprochables que respectés, et un nouveau patron qui doit faire ses preuves.

Dans ces conditions, pas question pour lui d’adopter une position syndicale de faible intensité et de voir les occasions de lutte lui échapper :

« Je ne serai pas le patron de la CGT Cheminots qui enterrera le statut ! » affirmait-il en 2018.

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C’était un mauvais jour. Car sauf retournement inattendu, la fin du recrutement au statut de cheminot a bel et bien été actée malgré la grève perlée de 2018 et elle prendra en principe effet dès 2020. Donc dans trois semaines. Agenda serré.

Mais pas une raison pour baisser les bras :

« Ceux qui pensaient que les cheminots n’avaient plus de jus après 2018 vont être surpris. »

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En fait de jus, on a vu Laurent Brun se démener pour imposer le « droit de retrait » exercé par les cheminots après l’accident survenu en octobre dernier à un passage à niveau des Ardennes. Selon le code du travail, la légalité de l’action était des plus douteuses, mais selon le code révolutionnaire léniniste revendiqué par M. Brun, elle était parfaitement légitime et les cheminots concernés n’avaient pas à recevoir de sanction au prétexte fallacieux qu’ils s’étaient mis en grève sans préavis.

Et nous arrivons à la mémorable journée du jeudi 5 décembre 2019 contre la réforme des retraites. Un beau succès : 1,5 million de manifestants dans toute la France (806 000 selon la police, mais c’est quand même bien) et un soutien populaire appréciable.

On va passer sans trop s’attarder sur le fait que dans l’opinion publique, la réforme coince plus sur ses contours flous et ses intentions malignes de faire tomber les excédents des régimes autonomes dans le Trésor public que sur la défense des régimes spéciaux. Et on va également passer vite sur le fait que la mobilisation de la journée d’hier (mardi 10 décembre) a été divisée par deux par rapport au 5 décembre dans les deux comptages.

Petit coup de presse supplémentaire avant les annonces gouvernementales prévues ce jour ou début de la fin pour la CGT Cheminots et ses comparses ? On en saura plus sur l’état du rapport de force mardi 17 décembre prochain, date annoncée de la nouvelle journée d’action.

Mais en attendant, on sait d’ores et déjà très bien où la CGT veut en venir avec toutes ces/ses grèves. Selon les propres mots de Laurent Brun, au-delà de constituer une pression sur le gouvernement, elles ont surtout :

« Une fonction ‘économique’ pour faire perdre de l’argent au patron. »

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Eh bien, voilà qui est clair. La grève a pour but d’affaiblir l’économie en ciblant la figure détestée du « patron », et les revendications des grèves, si elles sont acceptées, auront aussi l’effet d’affaiblir tous les acteurs de l’économie, patrons comme salariés ou indépendants, dans une ribambelle de faillites, de licenciements et de baisse du pouvoir d’achat.

Scénario typiquement et systématiquement perdant pour l’entreprise, qu’on a vu récemment à l’œuvre dans les McDonald’s de Marseille et qui nous confirme, malgré tout ce que peuvent objecter mes plus virulents critiques, qu’en France, les syndicats d’extrême-gauche trouvent bel et bien leurs origines dans les proximités du Parti communiste français avec l’Union soviétique et qu’ils sont de ce fait idéologiquement opposés à la libre entreprise.

Dès lors, le syndicalisme d’inspiration révolutionnaire léniniste revendiqué par M. Brun ne peut être qu’une obstruction à la liberté d’entreprendre conjuguée à des stratégies personnelles pour obtenir les statuts protégés garantis par notre code du travail hyper normatif.

CQFD 🙂


(*) D’autres volets sont nettement moins indispensables…


Cet article sur Laurent Brun a rejoint les 42 portraits de ma page Portraits politiques.


Illustration de couverture : Laurent Brun, patron de la CGT Cheminots, en 2018. Photo AFP. En médaillon, Lénine.

7 réflexions sur “Je dirige la CGT Cheminots et j’adore LÉNINE ! Qui suis-je ?

  1. Intéressant comparatif géographique et historique sur la retraite des cheminots :

    https://entrepreneurs-pour-la-france.org/Les-impasses/La-fuite-sociale/article/Cheminots-de-tous-les-pays-unissez-vous

    Où l’on apprend que les scandaleux avantages de ces messieurs datent non seulement de la création de la SNCF par le Front populaire, mais remontent bien avant, en 1847 : autant dire à la naissance du chemin de fer lui-même.

    Lequel a légèrement évolué depuis.

    Autre factoïde rigolo : la retraite à 50 ans pour les conducteurs de trains a été accordée à cette date par « le grand capital et la finance juive cosmopolite », puisque c’est la Compagnie du Nord, contrôlée à l’époque par Rothschild, qui a consenti cet avantage (qui n’était pas, alors, « acquis »).

    L’effroyable conservatisme français (au mauvais sens du terme) a maintenu ce privilège injustifié pendant 170 ans. Il a fallu « un banquier de chez Rothschild » pour, enfin, l’éradiquer.

    Moi je dis : vive Rothschild et la finance juive mondialisée. Il a fallu un Rothschild pour mettre en oeuvre ce progrès social en 1847 (justifié à l’époque), il a fallu « une marionnette de chez Rothschild » pour y mettre fin en 2019.

  2. Mr Brun ne cherche en réalité qu’à prolonger par ses présences médiatiques opportunes ses lignes de CV (Unef etc ) pour probablement prétendre remplacer Martinez le moment venu. Pas tant idéologue que ça le pépère..

  3. Jeremy Corbyn ,et Laurent Brun ont manqué d’aller voir « L’homme de fer » du grand cinéaste Andrzej Wajda, cela leur aurait permis de s’apercevoir qu’ils ont loupé une séquence de l’histoire.

    Ben oui il était justifié de mettre en oeuvre un progrès social en 1847 et pas que pour les chemins de fer. Cela accompagnait normalement une énorme croissance du PIB. Il était donc dans l’air du temps de procéder à L’Extinction du paupérisme ouvrage dont l’auteur était le futur Napoléon III. Son programme en 1852 propose : «La classe ouvrière ne possède rien, il faut la rendre propriétaire.»
    La vie rurale, alors dominante, se caractérisait par son autarcie jusqu’en 1851 ; elle cesse d’être fermée sur elle-même, grâce au développement des communications ferroviaires. Les produits régionaux quittent leur terroir, ce qui améliore la situation du paysan.
    Non plus la journée de travail est, légalement, de 11 heures à Paris et de 12 heures en province, mais cette durée est souvent dépassée, par exemple 13 heures à Roubaix, 14 à Lyon. Un record : dans l’Ardèche et le Gard, c’est la durée du jour qui fixe l’horaire, soit, l’été, de 14 à 16 heures… La France est active, travaille durement et réussit.

    Auparavant dès 1843, Guizot avait formulé la phrase ainsi : « Enrichissez-vous par le travail et par l’épargne »
    Nous sommes dans la période libérale de la France jusqu’à la fin du siècle, et nous étions devenus ainsi la première puissance économique au monde. Et les français ne se sont jamais autant enrichis; lire Jacques Marseille « L’argent des français ».

    Alors quand les syndicalistes d’aujourd’hui vont répéter en boucle qu’il faut conserver les acquis coûte que coûte, on est en plein surréalisme ! Technologies et marchés sont méconnaissables avec les temps de leurs promulgations.
    Les progrès sociaux sont les bénéfices du PIB de façon incontournable. Notre condition humaine ne relève nullement des acquis mais de la lutte continuelle contre la précarité matérielle et des avantages qui en résultent.

    • « Les produits régionaux quittent leur terroir, ce qui améliore la situation du paysan. »

      Malheureux ! Vous blasphémez la religion « localiste » ! Si vous habitez Troufignon-les-Hirondelles dans la Creuse, vous ne devez consommer que le blé, le poivre, les bananes, le camembert et les iPhone produits sur place ! Sinon, vous êtes un criminel environnemental ! Circuits courts, nom de Dieu, circuits courts !

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