La sortie de crise selon Le Maire : 50% esbroufe, 50% dirigisme vert

Il fallait voir le ton grave et la mine importante du ministre de l’Économie Bruno Le Maire alors qu’il expliquait cette semaine sur BFM TV que le gouvernement avait « mis sur la table » 450 milliards d’euros, soit « 20 % de la richesse nationale » pour « sauver notre économie » complètement bouleversée par le confinement anti Covid-19 :

Oui, Mesdames et Messieurs, 450 milliards ! 20 % de la richesse ! Vous vous rendez compte de l’engagement exceptionnel et exemplaire de ce gouvernement ? Comme disait non sans fierté le ministre des Comptes publics Gérald Darmanin quelque jours plus tôt, « peu de pays au monde ont fait autant que nous ». En effet.

En réalité, des sommes aussi abyssales, des sommes qu’il faudra bien payer un jour, devraient susciter les plus grandes inquiétudes pour l’avenir, mais il faut croire que pour Bruno Le Maire et son collègue de Bercy, la quantité sur-dosée est gage de qualité et de crédibilité. Que ne ferait pas le gouvernement pour impressionner les Français et les convaincre une bonne fois pour toutes que l’État s’occupe de tout ?

C’est ainsi que Bruno Le Maire gonfle à plaisir des chiffres déjà vertigineux en incluant dans les 450 milliards d’aides à l’économie les 315 milliards d’euros de prêts garantis par l’État. Pour l’instant, ce sont les banques qui financent ces prêts tandis que l’État encaisse sa commission de garantie. Le Trésor, donc nous les contribuables, n’en serons de notre poche que si les entreprises bénéficiaires font faillite. Or il est assez peu probable qu’elles se retrouvent toutes dans cette situation.

Mais peut-être Bruno Le Maire s’imagine-t-il que cette stupide esbroufe gouvernementale aura pour effet de rassurer les acteurs économiques et les poussera à retrouver leur niveau d’activité habituel le plus vite possible.

Or le point de conjoncture publié par l’INSEE hier 27 mai 2020 montre surtout que du côté des entreprises comme du côté des consommateurs, la reprise plus ou moins rapide de l’activité dépend beaucoup de la confiance des acteurs dans l’avenir et de la fin des interdictions et limitations d’activité qui perdurent encore dans les secteurs de l’hébergement-restauration, les transports, et les activités culturelles notamment. 

Parmi les éléments mis en évidence par l’INSEE, on note que le déconfinement qui a commencé le lundi 11 mai a enclenché un rebond significatif de la consommation des ménages. Dès la première semaine, elle se situait environ 6 % en deçà de son niveau « normal » alors que l’écart estimé lors du précédent point de conjoncture était de -32 %. Les secteurs les moins dynamiques sont bien ceux qui restent soumis aux exigences du confinement tels que carburants, transports, hébergement, etc. :

Du côté de la production, on observe que depuis le début du déconfinement, elle est remontée progressivement de telle sorte que « la perte d’activité liée à la crise sanitaire ne serait désormais ‘plus’ que de l’ordre de -21 % contre -33 % estimé début mai ». De la même façon que pour le versant consommation, les secteurs encore soumis à confinement comptent parmi les plus pénalisés :

Quant au niveau de confiance des acteurs de l’économie, il me semble intéressant de noter que les ménages sont plus inquiets des perspectives financières de la France en général que de leur propre situation personnelle, d’où un net penchant en faveur de la nécessité d’épargner qui se double depuis le déconfinement d’un rebond des opinions en faveur de la nécessité de consommer.

De leur côté, les entrepreneurs sont encore très pessimistes, quoique moins qu’au mois d’avril 2020 qui avait vu leur moral chuter très sévèrement. De ce point de vue, le secteur de l’agro-alimentaire résiste bien tandis que tout ce qui est hébergement-restauration est, encore une fois, au plus bas.

À noter cependant que les enquêtes sur le moral des ménages et des entreprises ont été menées du 28 avril au 19 mai 2020, ce qui inclut pratiquement deux semaines de confinement et pèse en conséquence sur le résultat final.

   
                                   Ménages                                                                             Entreprises

Au vu de tout ceci, l’INSEE table sur un recul du PIB de 20 % au 2ème trimestre 2020, après un recul de 5,8 % au premier (record européen, rappelons-le). Le recul global de 8 % sur l’année 2020 anticipé par le gouvernement ne pourra être tenu que si l’activité économique retrouve son niveau d’avant crise dès le mois de juillet – une situation que l’Institut juge peu réaliste.

D’autant moins réaliste, je crois, que le gouvernement s’ingénie à rendre le déconfinement le plus compliqué possible alors que sa levée dans tous les secteurs constitue une condition indispensable du retour « à la normale ».

Tout à l’inverse, les déplacements ainsi que l’accès aux plages et aux espaces verts restent soumis à de multiples contraintes, le plus souvent sans justifications sanitaires évidentes. Les règles sur les conditions de travail en entreprise ainsi que l’accueil des clients dans les commerces sont drastiques et tendent à créer pour les employeurs et les commerçants une forme d’insécurité juridique peu propice au dynamisme de la reprise. 

Mais au fond, s’agit-il vraiment de revenir « à la normale » ?

Bruno Le Maire, à l’unisson avec Emmanuel Macron et tout le gouvernement, peut se gargariser tant qu’il veut des milliards qu’il met sur la table pour « sauver » notre économie, il apparaît de façon de plus en plus évidente que les aides en question relèvent en réalité d’une sorte de chantage que les entreprises ne peuvent refuser maintenant que nombre d’entre elles ont été mises à terre par la décision gouvernementale de confiner strictement.

S’il ne s’agissait que d’aider les entreprises… Et encore. Quand on s’aperçoit que la crise économique consécutive au confinement anti Covid n’est que la goutte qui a fait déborder le vase de situations préalablement peu florissantes, il est de beaucoup préférable de laisser les secteurs concernés se restructurer puis repartir de l’avant que de maintenir artificiellement en vie des entreprises en échec à coup de subventions qui ne servent qu’à retarder le moment de la faillite.

Mais en l’occurrence il s’agit aussi de profiter de la crise pour imposer aux entreprises – aussi bien les moins en forme comme Air France ou Renault que celles qui ne souffrent que des effets du confinement – le respect de quelques conditions qui, toutes, brillent par leur dirigisme vert :

« Air France doit devenir la compagnie la plus respectueuse de l’environnement de la planète. C’est la condition à laquelle je suis le plus attaché. » (Bruno Le Maire)

« Faire de la France la première nation productrice de véhicules propres en Europe (…) c’est tout le sens du plan de relance. » (Emmanuel Macron à propos du plan de relance du secteur automobile)

.
On a déjà entendu ce genre de rodomontades écologiques dans la bouche de nos dirigeants. Lors de sa visite au Salon de l’agriculture 2019, Emmanuel Macron voulait déjà faire du vignoble français « le premier vignoble du monde sans glyphosate ».

Autrement dit, alors que la situation économique de la France est des plus précaires et alors que nos finances publiques étaient tout sauf saines avant le début de la crise du Covid-19, le gouvernement n’hésite pas à nous endetter encore plus pour exiger d’entreprises fragilisées qu’elles augmentent leur risque en changeant complètement de modèle économique.

Là où il faudrait un retour au marché et un assouplissement significatif des contraintes et réglementations qui pèsent depuis trop longtemps sur les entreprises françaises, là où il faudrait remettre de la confiance et de la liberté, le gouvernement n’a pas d’autre idée que de complexifier à l’extrême les étapes du déconfinement et d’y ajouter son lot d’esbroufe et de dirigisme idéologique.

Il est vrai qu’entre monde d’avant et monde d’après, toute une escouade de « gentils people » secondés par Attac, Oxfam ou la CGT d’un côté et par Julien Aubert et ses amis LR de l’autre sont venus dénoncer les supposées violences sociales et écologiques du supposé « néolibéralisme » français dans nos médias. Et il est vrai aussi que 2022 se rapproche. Ça promet.


Illustration de couverture : File d’attente devant un magasin Zara le premier jour du déconfinement, 11 mai 2020 – Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire sur BFMTV, 25 mai 2020.

10 réflexions sur “La sortie de crise selon Le Maire : 50% esbroufe, 50% dirigisme vert

  1. Merci pour votre billet, une fois de plus, pertinent.
    Par contre, pour remonter le moral, c’est raté.

    Pour rebondir sur le glyphosate, il faut savoir que sa suppression entrainerait un surcoût pour la SNCF de 500 M.d’€ par an. Et pour l’agriculture, c’est plus d’un Milliard par an, sans trop compter les coûts cachés. Exemple, la dégradation accélérée des voiries, entre autres.

    Par contre pour le plan de relance automobile « verte », ce n’est peut être pas si idiot: le consommateur n’ achète pas de VE pour les raisons que l’on sait (autonomie…), donc, les aides octroyées par les pouvoirs publics (nous, donc) devraient être finalement très limitées.
    Par contre, pour l’image, c’est bingo.

  2. Mme Meyer, je partage vos analyses, et c’est désespérant pour la France.
    Et je crains que les choses n’aillent pas en s’améliorant.
    Quant à ce néolibéralisme dont tout le monde parle, j’attends que quelqu’un le définisse….

    • Le néo-libéralisme, c’est un peu comme la poubelle des toilettes : on y met tout ce qui nous répugne. Ça peut être tout et son contraire, sans souci de cohérence. De fait, on y trouve à peu près tout, sauf du libéralisme, justement.

  3. Le gouvernement a le dos large, mais tout n’est pas sa faute. Rappelons-nous la façon dont de nombreux fonctionnaires se sont carapatés chez eux aussitôt le confinement décrété, sous prétexte de « protéger les autres » : je pense aux postiers, parmi d’autres.

    Or, le gouvernement avait bien expliqué que le confinement des « inutiles » servait justement à permettre aux « utiles » de travailler — et entre autres, à ces monstres de dévouement dont nous ne saurions nous passer : les fonctionnaires.

    Maintenant que le gouvernement a déconfiné, je vois de grands magasins de vêtements afficher : 4 personnes à l’intérieur seulement, d’autres fermer les cabines d’essayage, et des cavistes (Nicolas pour ne pas le nommer) dresser des murs physiques pour empêcher les clients de toucher aux bouteilles, avec avertissement hargneux à l’entrée : interdit de faire ceci, obligatoire de faire cela…

    Cela, ce n’est pas le gouvernement qui y oblige. J’aimerais voire la tronche du PIB, avec des magasins qui interdisent de toucher à la marchandise, qui découragent de flâner « pour voir », qui rendent l’expérience d’achat aussi plaisante qu’une file d’attente en URSS.

    Avec un peu de chance, on va revenir aux boutiquiers hostiles et mesquins des années 50 et 60 (oui, oui, les Trente Glorieuses…), chez lesquels on avait l’impression de déranger en entrant, et où l’on avait intérêt à acheter un truc avant de sortir, à moins de vouloir se faire insulter au passage.

    Raison pour laquelle tant de leurs confrères se sont sentis obligés, par la suite, de marquer « Entrée libre » sur la porte de leurs magasins, comme si cela ne devait pas aller de soi…

    • “ Cela, ce n’est pas le gouvernement qui y oblige.”

      Si, dans les commerces tout comme dans les entreprises;
      Les commerces et les entreprises peuvent être poursuivis par leurs salariés ou leurs clients pour ne pas avoir appliqué les “mesures barrières” qui sont devenues un immense gloubiboulga : pour vous en convaincre, c’est bien l’état qui a demandé l’occupation d’un siège sur 2 dans les transports (il est revenu dessus depuis). C’est l’état qui dit et si vous faites comme il dit vous êtes exonéré de poursuites (quoique là c’est même pas sûr).

      En cas de poursuites, c’est à vous de prouver que vous avez tout fait, non seulement mettre en œuvre mais aussi faire respecter les mesures prises, pour protéger votre personnel et vos clients.

    • Voici le courrier reçu par une entreprise de ma connaissance le 31 mars 2020 de la part de son inspectrice du travail :

      « Madame, Monsieur

      Au regard de la pandémie de COVID 19, nous sommes actuellement au stade 3, ce qui implique le respect d’un certains nombres de mesures de prévention.

      Pour commencer, je vous demande de me communiquer l’ensemble des mesures prises par votre entreprises pour éviter la propagation du virus avec notamment le respect des principes de prévention gouvernementaux édictés avec en premier lieu la distanciation de minimum un mètre entre deux salariés et ce sur tous les postes occupés et pendant toute la durée de la prestation de travail ainsi que la possibilité de se laver très régulièrement les mains. Je vous demande également de m’indiquer quelle est votre organisation du travail sur le site de pour permettre le respect de ces consignes.

      Par ailleurs, je vous demande de me communiquer les éléments suivants :

      – votre document unique d’évaluation des risques mis à jour des mesures de prévention liées au COVID 19
      – le nombre de salariés travaillant simultanément dans le même espace
      – la copie des consignes transmises pour faire respecter les mesures d’hygiène et les moyens pris pour permettre leur respect (une vidéo ou des photos des lieux permettant de respecter les consignes d’hygiène ainsi que les distances les séparant des postes de travail)
      – l’organisation du travail mis en place pour permettre le respect des mesures d’hygiène régulièrement
      – les coordonnées (mail et téléphone) de votre secrétaire du CSE
      – la liste des sous-traitants mis à jour et étant venu sur votre site depuis février 2020, si vous avez des sous-traitants
      – les plans de préventions et les protocoles de sécurité mis à jour avec l’introduction des mesures de préventions liées au COVID 19
      – les mesures de nettoyage renforcées sur les postes de travail
      – le justificatif de l’adhésion à un service de santé au travail et l’avis du médecin du travail sur les mesures que vous prenez

      Si toutefois des droits de retraits étaient exercés ou des dangers grave et imminent déclenchés par les représentants du personnel, et des cas de COVID 19 avéré se déclaraient dans votre entreprise, il vous appartiendrait de les prendre en considération pour déterminer comment respecter les gestes barrières. Si rien n’était fait pour lutter contre la propagation du virus COVID 19, vous pourriez voir exposer votre faute inexcusable pour non respect de votre obligation de protection de la santé et la sécurité de vos salariés dans l’hypothèse d’une action devant le juge, voire une éventuelle mise en danger d’autrui.

      Dans cette période de crise, je vous invite à favoriser le dialogue social pour trouver en commun des solutions concernant les mesures de prévention, qui doivent notamment passer par une organisation du travail dans laquelle est permise une distance d’un mètre au minimum et de se laver les mains très régulièrement, visant à appliquer les gestes barrières édictées par le gouvernement. »

      C’est moi qui ai mis un certain passage en gras.

      • La formulation « Pour commencer, je vous demande de me communiquer… » me paraît assez contradictoire avec « Je vous invite à favoriser le dialogue social ».

        Une confirmation de plus que « dialogue social » veut dire dictature étatique, sous laquelle le chef d’entreprise est obligé de ramper devant les syndicats.

  4. Il y a aussi les 75% !

    A l’occasion d’une recherche d’un appel d’offre, quelle n’a pas été ma surprise de constater que durant le confinement nos fonctionnaires avaient travaillé !
    Eh oui RM ils ont travaillé et en particulier les acheteurs publics. On peut compter ainsi 3904 appels d’offre lancés entre le 16/3 et le 11/5 du petit achat de la petite commune aux plus gros de la grande collectivité ou de l’agence étatique méconnue, équipements ou prestations.
    https://www.boamp.fr/avis/liste
    La machine à cracher du pognon a bien résisté au virus, il n’y a eu aucune retenue !

    Preuve que Darmanin, Le Maire ou même Macron, n’ont aucun pouvoir pour ralentir ou modifier la trajectoire du Titanic. Certes les concours de la fonction publique ont été suspendus et pour cause mais les voilà déjà repartis de plus belle.

    Ce sera l’hécatombe pour les entreprises du secteur marchand très certainement -9%, -7%, -4% et -2% pour les années 2020 à 2023 de chute du PIB pour les spécialistes.
    Du coup très grossièrement un cumul d’environ -20% de PIB marchand mais comme les dépenses publiques elles, ne peuvent baisser en tout cas une pandémie n’en vient pas à bout alors mécaniquement 56+20, les dépenses publiques vont atteindre 75% du PIB, l’équivalent des meilleures années en Union Soviétique !!!

    Je m’étais fait ce raisonnement un peu saugrenu j’en conviens mais oh surprise voila que je tombe sur un article d’Eric Verhaeghe qui par un raisonnement différent arrive à la même conclusion déjà pour 2020 mais en y ajoutant toutes les mesures spéciales d’aides.
    https://lecourrierdesstrateges.fr/2020/05/27/les-depenses-publiques-depasseront-les-75-du-pib-cette-annee/

    75%, retenez ce chiffrage !

Répondre à Jacques Huse de RoyaumontAnnuler la réponse.