Aux origines de l’univers

Lorsqu’on s’allonge dans un pré par une belle nuit d’été étoilée et qu’on contemple le ciel, on en vient assez inévitablement à se poser les questions de l’existence de Dieu, du fini ou de l’infini de l’univers, du commencement des temps et de l’origine du cosmos.

La particularité du livre du physicien Christophe Galfard L’univers à portée de main(*), dont j’ai déjà évoqué les passages consacrés à la théorie de la relativité et à la théorie quantique dans deux articles précédents, tient à ce qu’il emmène notre imagination au-delà de ce que nos yeux peuvent voir, dans un voyage spatio-temporel destiné à mieux nous faire comprendre à quoi ressemble notre univers et comment les physiciens ont eu les idées qui leur ont permis d’avancer dans leurs descriptions de son histoire et sa géographie. Comme l’écrivait Blaise Pascal dans Les Pensées, « si notre vue s’arrête là, que l’imagination passe outre; elle se lassera plutôt de concevoir, que la nature de fournir. »

L’un des voyages les plus spectaculaires proposés par Galfard consiste à quitter notre planète Terre et à avancer droit devant nous dans l’univers jusqu’à ses confins les plus reculés avec à l’esprit la question presque enfantine : y a-t-il un bord ?

Comme vu dans le premier article, un tel voyage nous emmène au-delà de notre galaxie, à travers notre Groupe local, puis à travers l’Amas de la Vierge et le Superamas de la Vierge. Nous traversons en esprit des milliers de millions de galaxies, composées d’étoiles brillantes, qui bougent et se tournent autour, mais plus nous avançons plus elles se font rares et voilà qu’à une distance de 13,5 milliards d’années-lumière les galaxies ont presque toutes disparu.

Rappelons qu’une année-lumière représente une distance approximative de 10 000 milliards de km ! Ce que nous contemplons est en fait l’univers tel qu’il était il y a 13,5 milliards d’années. Et si nous ne voyons pratiquement pas d’étoiles, c’est que la plupart n’étaient pas encore nées à cette époque reculée. Nous sommes en train d’aborder ce que les physiciens appellent l’âge sombre cosmique. C’est à ce moment-là que les premières étoiles ont commencé à transformer par fusion thermo-nucléaire les petits noyaux d’hydrogène et d’hélium en atomes plus gros qui composent tout ce qui existe dans l’univers, nous compris.

Mais le voyage n’est pas fini, car si tout est devenu sombre, on ne distingue cependant toujours pas de bord. Nous continuons, et à 13,8 milliards d’années-lumière, nous nous trouvons soudain face à un mur. La lumière ne peut le franchir, et au-delà tout est opaque.

Christophe Galfard nous invite à avancer une main prudente pour sonder cette opacité. Nos doigts s’enfoncent dans ce qui semble être de l’énergie, de l’énergie tellement dense que la lumière ne peut s’y propager. Les physiciens disent que nous sommes au moment où notre univers est devenu transparent et le mur qui nous fait face s’appelle la surface de dernière diffusion. Comme il n’y a pas de lumière, nos télescopes ne pourront jamais voir ce qui se passe derrière. Ils sont limités à l’observation de l’univers visible à 13,8 milliards d’années-lumière à la ronde. Ajoutons que des chercheurs ont calculé qu’à ce moment-là, la température de l’univers devait être de 3000 °C.

Qu’est-ce que tout cela signifie ? Il a fallu de nombreuses années aux physiciens avant qu’ils réussissent à donner un sens à ce mur. Et ce sens, c’est la théorie du Big Bang. Afin de mieux l’expliquer, il est nécessaire de parler d’abord de la lumière puis du phénomène d’expansion de l’univers.

Tout ce que nous savons du cosmos provient de la lumière que nous captons dans nos télescopes. Par lumière(**), qu’on appelle aussi radiation électro-magnétique, on entend, par ordre d’énergie croissante : les ondes radio, les micro-ondes, les lumières infra-rouge, les ondes visibles (celles que nos yeux perçoivent, c’est-à-dire les couleurs), les lumières ultraviolettes, les rayons X et les rayons gamma. Toutes ces ondes, sortes de successions de vagues identiques (on pense au mouvement de l’eau lorsqu’on lance un caillou dans une mare), se caractérisent par la hauteur des vagues ou intensité, la distance de deux crêtes consécutives ou longueur d’onde (plus les crêtes sont rapprochées plus l’énergie transportée par l’onde est élevée) et la vitesse de déplacement des crêtes.

S’agissant d’ondes lumineuses, la vitesse est celle de la lumière, soit 300 000 km par seconde. A faible distance, la propagation de la lumière semble instantanée, mais sur les distances qui nous occupent dans l’univers ce n’est pas le cas. Même celle d’un astre proche et familier comme le Soleil, distant de la Terre de 150 millions de kilomètres, met huit minutes et demi pour nous parvenir. C’est pourquoi notre exploration imaginative du début aux confins de l’univers était non seulement un voyage dans l’espace, mais aussi un voyage dans le passé.

Les électrons qui tournent autour des atomes ont la particularité de pouvoir sauter d’une orbitale (couche électronique) à une autre en absorbant (s’ils s’éloignent du noyau) ou en émettant (s’ils se rapprochent du noyau) de l’énergie, cette énergie étant celle d’une onde lumineuse. Il en résulte qu’il nous est possible d’identifier un atome en regardant quelles longueurs d’onde lumineuse il a absorbé. Chaque atome a un spectre d’absorption qui est en quelque sorte sa signature. En analysant la lumière qui nous parvient du cosmos, on peut ainsi déterminer depuis la Terre de quoi est composée la matière de l’univers. Bonne nouvelle : on retrouve partout les mêmes atomes que chez nous. Cette observation a permis de confirmer le premier principe cosmologique qui stipule que les lois de la nature sont les mêmes partout.

À peine accepté, ce principe s’est trouvé bousculé (et a donné lieu à deux nouveaux principes) par le fait que l’analyse de la lumière provenant de galaxies lointaines avait tendance à se décaler vers le rouge de l’arc-en-ciel. Et plus les galaxies étaient distantes de nous, plus le décalage était important. Les lois de la nature seraient-elles finalement différentes selon l’endroit de l’univers ? En fait non. Si l’observation était faite depuis une étoile proche de la galaxie lointaine observée et non plus depuis le Terre, le spectre des couleurs serait respecté.

La différence remarquée depuis la Terre tient à un phénomène qu’on appelle l’expansion de l’univers. Notre univers grandit, non pas en grignotant sur un espace extérieur, mais de l’intérieur, en étirant les distances qui nous séparent de tous les objets qui le compose. Ce ne sont pas les galaxies elles-mêmes qui font un mouvement d’éloignement les unes des autres, mais le « tissu cosmique » qui les sépare qui s’étire. Christophe Galfard donne un exemple à mon avis très parlant, celui de points tracés sur un ballon de baudruche qu’on gonfle : les points ne sont pour rien dans leur éloignement, tout vient de l’extension du caoutchouc du ballon. En 1929, après avoir beaucoup observé les galaxies lointaines, Edwin Hubble formula une loi qui relie la vitesse d’éloignement des galaxies à leur distance.

L’expansion de l’univers semblant confirmée par les observations, les scientifiques se sont dit que si tout ce qui est lointain s’éloigne de nous de plus en plus, alors tout ce qui est lointain a dû être proche à un moment dans le passé. Et si c’est bien en fait le tissu de l’univers qui s’étend, on doit en déduire que c’est tout l’univers dans son intégralité qui devait être plus petit. L’idée suivante consiste à se dire qu’il doit être possible de « rembobiner » l’évolution de l’univers, de dégonfler le ballon de baudruche jusqu’à la dernière extrémité possible.

C’est un peu ce qu’a fait Georges Lemaître, prêtre catholique belge et astronome de l’Université catholique de Louvain. En 1946, constatant que l’expansion de l’univers, puis son rétrécissement théorique, collent avec les théories d’Einstein, il énonce la théorie de « l’atome primitif » qui stipule que l’univers était autrefois d’étendue nulle (ou presque), bien que contenant autant d’énergie qu’il en contient aujourd’hui. Cette théorie d’origine de l’univers s’appelle Big Bang, terme ironique employé à l’époque par un contradicteur de Lemaître. Mais Christophe Galfard précise qu’il serait certainement plus adéquat d’appeler un tel événement :

Déflagration démentielle et universelle impliquant une énergie qui dépasse l’entendement et défie la raison en étant confinée dans un volume tellement minuscule que c’en est absurde.

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L’ironie n’a pas vraiment duré. En effet, aussi incroyable que paraissait la théorie, elle a rapidement trouvé certaines confirmations expérimentales. En 1965, deux physiciens américains, Penzias et Wilson, travaillaient à la demande de la société Bell sur une antenne destinée à recevoir les ondes radio d’un ballon-sonde flottant dans l’atmosphère. Un travail tranquille, sans complication (pour eux). Sauf qu’un bruit bizarre faisait grésiller l’antenne et brouillait le signal qu’ils cherchaient à capter. Après moult vérifications et manipulations pour s’assurer du bon fonctionnement de l’ensemble, ils finirent par attribuer le problème à des déjections d’oiseaux. Mais ils eurent beau nettoyer et re-nettoyer l’antenne, le bruit persistait.

Des physiciens théoriques vinrent à la rescousse, et Penzias et Wilson, qui reçurent le Nobel de Physique en 1978 pour cela, finirent par identifier le bruit comme étant ce qui reste aujourd’hui du rayonnement de l’univers lorsqu’il était entièrement ramassé sur lui-même. Ce rayonnement est appelé fond diffus cosmologique et il représente les radiations de la surface de dernière diffusion parvenues jusqu’à nous.  Ce qui, à l’origine, était de la lumière visible de température 3000 °C, est devenu aujourd’hui, après 13,8 milliards d’années d’expansion, un rayonnement de lumière micro onde correspondant à une température extrêmement froide de – 270,42 °C, température calculée plus de dix ans auparavant par d’autres chercheurs américains.

La théorie du Big Bang nous dit que l’univers a une histoire, ce qui implique très certainement un commencement, lequel a eu lieu il y a 13,8 milliards d’années, lors d’un événement fondateur que nous ne pouvons observer au télescope, car il s’est déroulé derrière la surface de dernière diffusion, dans cette zone opaque de pure énergie où nous avons glissé les doigts lors de notre voyage imaginaire aux confins de l’univers. Cette zone s’appèle l’ère de Planck et elle a commencé 380 000 ans plus tôt que le moment où l’univers est devenu transparent (il y a 13,8 milliards d’année). Depuis ce commencement, il n’a jamais cessé de grandir, et continue à être en expansion autour de tous ses points.

Est-ce satisfaisant ? Oui et non. Du côté du non, on trouve de nombreux physiciens qui cherchent à découvrir la réalité bien en amont de la surface de première diffusion. Leur travaux s’intitulent « inflation éternelle », « théorie des cordes » ou entreprennent de décrire ce qui s’est passé avant l’ère de Planck. Cette dernière tentative, au cœur des travaux de Stephen Hawking, consiste à dire, de façon très quantique, que tous les univers qui auraient pu devenir notre univers actuel après 13,8 milliards d’années existaient au-delà de l’ère de Planck et étaient apparus à partir de rien non pas il y a un certain temps, mais il y a un certain temps imaginaire fini. Ceci est décrit dans une formule mathématique connue sous le nom de fonction d’onde Hartle-Hawking.

Mais pour l’instant, tous ces travaux représentent un grand pas dans l’inconnu et restent du domaine de la physique théorique. Et pour moi, c’est le moment de reprendre une bonne dose d’Aspégic 1000.

Je ne suis pas scientifique, merci de me signaler les sottises.


L univers a portee de la main(*) L’univers à portée de main de Christophe Galfard, Flammarion, 2015.
(**) La lumière peut aussi être considérée comme une particule appelée photon.


Voie lactee NasaIllustration de couverture : Vue de notre galaxie prise depuis les Andes chiliennes à une altitude de 5000 m environ. Photo  de la NASA.

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