Nationalisation d’EDF à 100 % : Comme si l’ÉTAT n’était pas DÉJÀ seul MAîTRE à bord !

Vous connaissez évidemment Bruno Le Maire. Pour le dire vite, c’est notre ministre de l’Économie et des Finances depuis plus de cinq ans – et Dieu sait combien il a toujours brillé (à sa façon) à ce poste. Mais pour le dire dans le détail, il faut savoir que dans le gouvernement Castex formé à l’été 2020, il était ministre de l’Économie, des Finances… et de la Relance ! Et puis dans le tout récent gouvernement Borne, il est devenu ministre de l’Économie, des Finances… et de la Souveraineté industrielle et numérique !

On reconnaît ici l’attachement viscéral d’Emmanuel Macron à la magie des mots. Il suffirait de dire « relance » et la France se mettrait soudain à croître et embellir ; il suffirait de dire « souveraineté » et elle évoluerait soudain dans une indépendance économique idyllique. Dans la foulée du discours de politique générale de la Première ministre Élisabeth Borne, ajoutons qu’il suffirait apparemment de dire « France Travail » en lieu et place de Pôle Emploi et la courbe du chômage en serait immédiatement toute retournée.

Côté relance, l’incantation n’a pas vraiment fonctionné comme béatement prévu. Selon l’évaluation de la Cour des Comptes (une de plus, toujours dans le même sens d’un État « super gaspi ») le plan France Relance à 100 milliards d’euros sur 2021 et 2022 s’est surtout révélé être un magma complexe, hétéroclite, brouillon et peu efficace de mesures empaquetées à la hâte sous un joli logo et moult opérations de communication. 

Mais oublié, tout cela et tout le reste. Il est donc maintenant question de nationaliser EDF à 100 %. Souveraineté, Mme Mabrouk ! Indépendance énergétique ! martelait Bruno Le Maire ce matin sur Europe 1. Et l’indépendance énergétique, Mme Mabrouk, « ça n’a pas de prix ! » (début de la vidéo ci-dessous) :

La formule n’est pas très heureuse ; à moins que le ministre ne soit l’inconsciente victime d’un lapsus hautement révélateur. Je crains en effet que les contribuables ne s’aperçoivent assez vite que les grands projets de l’État stratège français n’ont pas de prix au sens où ils tendent assez rapidement à se transformer en puits sans fond. Rien n’est jamais trop ni trop beau pour assurer la splendeur de la France, ce pays tellement pas « comme les autres » dont ladite splendeur s’évapore à mesure que les dépenses publiques et la dette publique s’accroissent.

Du reste, concernant EDF, les contribuables présents et futurs ont déjà eu et auront encore l’occasion de constater qu’il leur revient de tenir à bout de bras une entreprise très endettée (42 milliards d’euros à fin 2021 et probablement bien plus que 50 milliards à la fin de cette année), perpétuellement au bord de la faillite et perpétuellement renflouée par l’État (notamment 3 milliards d’euros en 2016 et 2,7 milliards en mars 2022). 

Une entreprise privée particulièrement mal gérée que l’État se doit de reprendre pour la sauver de la cupidité courtermiste du marché, notre EDF ?

Que nenni ! Une entreprise tout ce qu’il y a de très publique où l’État reste le grand décisionnaire du haut de sa participation de 84 % au capital. Un État juge et partie, et surtout apprenti sorcier, qui détermine des politiques publiques telles que le bouclier tarifaire sur l’électricité pour alléger la facture des consommateurs tout en mettant par la même occasion l’entreprise dont il est actionnaire, où plutôt dont les contribuables sont les actionnaires, en grande difficulté. Le tout dans un marché européen globalement concurrentiel.

Et puis, qui est responsable des mises à l’arrêt actuelles (qui tombent fort mal dans le contexte de la guerre russe en Ukraine) de 29 réacteurs sur 56 pour problèmes de corrosion (Edit du 10 juillet 2022 : et périodes de maintenance allongées) ? Qui est responsable de la gestion de projet défaillante de l’EPR de Flamanville, si ce n’est l’État actionnaire tout-puissant ? Qui a décidé de ramener la part du nucléaire dans le mix électrique de 75 à 50 % ? Qui a décidé avant même que la nationalisation à 100 % soit effective que la succession de l’actuel PDG de l’entreprise était dorénavant engagée pour une entrée en fonction de la nouvelle équipe dès la rentrée de septembre ? L’Élysée, Matignon et Bercy, point.

Qu’on ne s’y trompe pas, l’État a toujours été le seul maître à bord d’EDF. Mais la nationalisation à 100 % n’est pas sans apporter ses petits bénéfices politiques.

D’abord le terme lui-même. Pas sûr qu’il suffise à amadouer les opposants les plus collectivistes et/ou souverainistes du gouvernement, mais le fait est qu’Emmanuel Macron continue à se placer dans une sorte de filiation avec le Conseil national de la Résistance et avec les politiques publiques très étatiques mises en place au sortir de la Seconde Guerre mondiale, en l’occurrence les grandes nationalisations financières et industrielles de 1944 et 1945. Notre amie l’URSSAF, les Jours Heureux, le Conseil national de la Refondation, et maintenant la nationalisation d’EDF : on discerne comme une tendance que le profil politique de Mme Borne, socialiste de toujours, tend à confirmer. 

Plus essentiel encore peut-être, le fait de passer de 84 % à 100 % va permettre de placer l’électricien intégralement hors marché. Les actionnaires privés n’étaient guère nombreux, mais leur existence donnait lieu à des échanges d’actions très éloquents quant à la valeur réelle de l’entreprise : après une introduction en bourse à 32 € en 2005 et une période d’euphorie jusqu’en 2007, le titre n’a fait que perdre du terrain jusqu’à tomber à 7 ou 8 € (8,90 € aujourd’hui) :

En 2005, le ministre de l’Économie de l’époque Thierry Breton décrivait la privatisation de 16 % du capital de la façon suivante :

« EDF a de très beaux actifs, de grands projets, un très bon management. C’est ce qui fera que, progressivement, le cours de Bourse pourra augmenter. »

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Force est de constater que l’État actionnaire très majoritaire n’a pas tenu ses promesses. Et qu’il a surtout utilisé l’entreprise dans une forme de pilotage à vue destiné à arranger ses bidons plutôt que ceux des autres actionnaires et des contribuables. Lorsqu’il a imposé à EDF le rachat de l’activité réacteurs d’AREVA, par exemple, ou lorsqu’il se versait de jolis dividendes bien dodus quitte à devoir recapitaliser ensuite.
 
La nationalisation totale possède alors l’incomparable avantage de supprimer l’évaluation désobligeante des marchés. La gouvernance ne changera pas, mais elle se fera dorénavant dans l’opacité de l’administration, derrière des portes fermées, hors de tout contrôle hormis celui d’une Cour des Comptes jamais entendue. Ça promet.
 

Illustration de couverture : Les quatre réacteurs de la centrale nucléaire du Bugey dans l’Ain. Photo AFP.

17 réflexions sur “Nationalisation d’EDF à 100 % : Comme si l’ÉTAT n’était pas DÉJÀ seul MAîTRE à bord !

  1. Bruno le rigolo dont l’intelligence n’est pas prise à sa juste valeur dit que c’est stratégique et que c’est pour le bien des Français. Comme avant Donc rien de changé Toujours aussi benêt le pauvres. Attention il prépare son coup pour 2027

  2. Heureusement pour moi un politiciens m’ a prévenu qu’ une affaire en or par l’ état ,accessible à tout un chacun se transforme vite en perte financière pour ceux ci,mais c’est de l’ argent perdu pour la France !

  3. Mais en attendant « de supprimer l’évaluation désobligeante des marchés », il semblerait que l’action EDF qui était plutôt en repli, a fait un bond de plus de 12% à l’annonce de la nationalisation.
    Ce qui tendrait à prouver que cela sera loin d’être un catastrophe pour tout le monde.

    • @Mildred : l’action EDF ne vaut plus grand-chose depuis longtemps. Sa valeur oscille entre 8 et 10 € depuis 2015 environ, très loin des sommets qu’elle atteignait en 2008 (plus de 70 €). Le +12 % ne vaut donc pas tripette.

  4. Mais que dit Bruxelles sur cette nationalisation? Est-elle conforme au droit Européen et à nos engagements? Je doute que dans un marché Européen ouvert à la concurrence, un état puisse nationaliser une entreprise, puis la recapitaliser pour lui permettre de se développer en vue d’investir dans les EPR. Quelles seront les contre-parties inévitables que Bruxelles demandera à la France? Je suis surpris de cette vision un peu myope de nos dirigeants et le manque de discernement de nos journalistes.

  5. Phase 1: Mise en place de l’ARENH afin de placer EDF état de faillite. Grâce à cette concurrence déloyale, des milliards d’argent public sont transférés directement des poches de l’état et du peuple français dans les poches de sociétés privées. Ça, c’est fait.

    Phase 2: L’état vole au secours d’EDF en renationalisant, épongeant au passage les petits actionnaires qui lui ont fait confiance. C’est en cours.

    Phase 3: Fin 2025, démantèlement d’EDF, avec vente de la partie nucléaire aux américains (General Electric, probablement)
    Perte totale de l’indépendance nucléaire française, dans le civil, et surtout, dans le militaire; c’est l’objectif principal.

    Phase 4: Démantèlement de la force nucléaire française: on va confier les clés à l’Europe, qui les refilera à des sociétés privées américaines.

    Phase 5: la guerre sera enfin de nouveau possible en Europe, sans que les élites risquent de prendre une bombe atomique sur la tronche ce qui, il faut bien l’admettre, posait problème.

    • Euh… vous prenez de la drogue ? Vous êtes complotiste ? Prenez une douche froide, ça vous remettra les idées en place.

      Votre point 5 est particulièrement pervers. Si je comprends bien, ça vous ferait bicher que « les élites », quel que soit le sens de cette expression, puissent « se prendre une bombe atomique sur la tronche » ? Vous pensez qu’il existe des bombes atomiques qui tuent les « élites » mais pas le gentil « peuple » dont vous faites certainement partie ?

      Quant à la guerre, je vous « rassure », elle est parfaitement possible en Europe : elle a eu lieu en Yougoslavie récemment, elle a lieu en Ukraine actuellement, et il n’est nullement exclu que la Russie s’en prenne aux pays baltes, à la Moldavie ou à la Pologne. Ni que les provocations incessantes de la Turquie conduisent à une guerre avec la Grèce.

      Et donc, en fait, pour EDF, vous voudriez quoi ? Parce que la privatisation, vous avez l’air d’être contre, la nationalisation, vous avez l’air d’être contre aussi, donc ce serait quoi, votre genre de beauté ?

    • Le point 5 est particulièrement intéressant. Les « élites » ont déjà préparé le terrain en faisant croire pendant la guerre en Ukraine que Poutine menaçait d’utiliser l’arme nucléaire.

      • @ Anne

        « Les élites » ont fait croire pendant la guerre en Ukraine que Poutine menaçait d’utiliser l’arme nucléaire ?

        Vous vous moquez du monde. Poutine, son gouvernement et ses collaborateurs passent leur temps depuis des années à menacer l’Occident d’annihilation nucléaire. Ils ont redoublé leurs menaces depuis l’invasion de l’Ukraine. Elles n’ont jamais cessé.

        A un moment, il faudrait que les gens comme vous cessent d’étaler leur ignorance, et acceptent de faire l’effort d’apprendre, plutôt que de croire n’importe quel imbécile sur Internet qui va conforter leurs préjugés parce qu’il est un agent de propagande, conscient ou inconscient, de l’impérialisme russe.

        Vous semblez disposer d’un ordinateur et d’une connexion Internet. Il est de votre devoir d’utiliser un moteur de recherches pour aller chercher l’information à la source, et vous renseigner avant d’écrire n’importe quoi.

        Le site de la présidence russe (autrement dit, du Kremlin) est remarquablement bien fait. Il est bien meilleur que celui de l’Elysée. Les déclarations de Vladimir Poutine y figurent dans leur intégralité, en russe et dans la traduction anglaise autorisée par Moscou. De nombreux outils de traduction automatique vous permettent de les convertir en français.

        Poutine a, à de multiples reprises, menacé l’Occident d’attaque nucléaire préventive si celui-ci aidait l’Ukraine à résister. Il a même menacé de déclencher le feu nucléaire en représailles aux sanctions économiques contre la Russie, un point de doctrine de l’emploi nucléaire qui n’est défendu par aucun autre pays disposant de la bobme atomique.

        Les menaces nucléaires incendiaires, outrageantes, caricaturales de Dmitri Medvedev, obligé de Poutine, sont facilement accessibles sur Internet. Comme le sont celles de multiples autres collaborateurs du président russe. Et celles des présentateurs vedettes de la télévision d’Etat russe, qui rivalisent de rodonmontades.

        A un moment, il faut arrêter de raconter n’importe quoi.

  6. La fixation des prix imposés par l’Etat, actionnaire majoritaire est le résultat d’un compromis scabreux entre le prix de revient, et le prix politique. En situation de monopole, la cogestion historique (1946) entre la direction et la CGT figée sur des avantages statutaires extravagants dans le contexte actuel (rapport cour des comptes https://www.ccomptes.fr/system/files/2019-02/06-politique-salariale-EDF-SA-Tome-2.pdf),
    EDF fonctionnait avant 1995 comme une coopérative de consommateurs. Elle empruntait la quasi-totalité des sommes nécessaires au financement des investissements, et revendait à prix coûtant, sans autre coût financier que le remboursement de la dette.

    L‘Etat actionnaire a continué d’exercer son rôle de régulateur, de réglementeur et de tuteur. Or il est économiquement impossible pour une entreprise d’entrer sur un marché ouvert à la concurrence, sans pouvoir manoeuvrer librement sur les tarifs.

    Pour autant l’Etat a continué d’imposer :
    – des obligations de service public, le droit au branchement électrique pour tous et au même prix, assorti de la nécessité récente d’un bouclier tarifaire
    – de jouer son rôle d’aménageur de l’espace public et du territoire
    – de laisser un parc nucléaire vieillissant aux coûts d’entretien importants et des nouveaux chantiers explosant les budgets
    – l’obligation de la transition énergétique sans contrepartie financières (Les renouvelables éolien et du photovoltaïque ne se développent que grâce à des subventions massives sous forme d’un achat garanti, financées par une taxe prélevée sur les ventes de toutes les formes d’électricité, coût plus de 7 milliards).
    – de recueillir des dividendes pour pouvoir dissimuler une partie de l’endettement dont il a besoin pour couvrir ses frais de fonctionnement

    C’est comme ce qui attend le secteur automobile, comment plomber encore plus que plus ?

    Politiquement invendable en franchouille, une vraie ouverture à la concurrence aurait dû se traduire à court terme par une augmentation massive des prix de l’électricité pour rémunérer ces capitaux et préparer les sommes nécessaires au renouvellement du parc, voir la transition énergétique. Ensuite à moyen terme, les tarifs se mettent à baisser sous la pression de la concurrence.

    Pour cela, il faut une volonté politique de fer !

  7. Comme vous êtes mauvaise langue! L’Etat vend des actions à 30 euros et les rachete à 8! Pour une fois qu’il fait une bonne affaire ! l’Etat a « shorté » avec succès EDF. Et si les grincheux de la bourse ne sont pas capables de voir que l’entreprise est magnifiquement gérée, tant pis pour eux! (Bravo pour avoir retrouvé la citation de Thierry Breton elle est savoureuse.) Et si par hasard l’entreprise devait être un petit peu renflouée par le contribuable, ou si les tarifs devaient un petit peu continuer à monter, ce sera la faute à Poutine, aux non vaccinés ou au rechauffmique, c’est tout. Les médias sauront vous l’expliquer.
    Gràce à l’Europe et aux autres grands esprits qui la dirigent, on pourra emprunter à pas cher pour passer ce petit moment un peu délicat. Et ce n’est pas des sites comme celui ci qui arriveront à tromper le peuple en marche vers le bonheur collectiviste.

      • Je crois qu’il faut arrêter avec ce raccourcis sur l’opération Alstom.
        Dans le contexte transfert de la production d’énergie des centrales thermiques vers le renouvelable, on peut quand même comprendre qu’Alstom n’avait ni la taille critique, ni les ressources financières pour s’adapter aux chutes de commandes prévisibles. Donc il était devenu impératif de vendre !

        GE avait finalement racheté la branche Power d’Alstom pour 9,7 milliards d’euros. GE était déjà en très mauvaise santé et à la suite de l’achat : dépréciation de 22 milliards de dollars (19,6 milliards d’euros) des actifs de cette division.
        Au lieu de pousser des cris d’orfraie, tous les commentateurs – politiques, syndicaux et médiatiques – qui ont dramatisé la cession de ce grand nom de l’industrie française devraient réfléchir un peu; Hélas c’est rare.

        Alors ensuite nos guignols de compétition (les mêmes que tous ceux cités précédemment), s’aperçoivent dix ans après que le nucléaire c’est pas si mal et même crucial pour notre avenir énergétique.
        D’où la relance… et donc il a été décidé de racheter GEAST, pour environ 1,1 milliard de dollars partie de la branche Power d’Alstom, vendue 588 millions d’euros en 2015.
        Economiquement, je ne comprends pas ce qu’il y a à redire dans le contexte pour le moins court-termiste et versatile pour ne pas dire irresponsable. (L’opinion générale c’est nous hein)

        Et accrochez-vous : En mars 2022, l’État français serait prêt à céder 20 % de GEAST à Rosatom, la multinationale russe spécialisée dans le nucléaire.
        Le genre d’info incorrecte qui passe sous les radars.

  8. La raison principale de la nationalisation vient certainement du fait que l’état impose les prix de vente à EDF et lui doit donc une compensation.
    Un point qui est complètement passé sous silence dernièrement est le blocage des prix de l’électricité à +4% façon Ségolène mais uniquement pour les particuliers alors que pour les entreprises la hausse libre se situe à 30% minimum (des entreprises ont actuellement intérêt à faire tourner un groupe électrogène tournant au gasoil d’1MW plutôt que se fournir sur le réseau).
    Ce blocage de la hausse nécessite forcément une compensation pour EDF, tout comme les conditions de vente des MW aux alternatifs, tout comme les conditions de rachat de l’éolien et du PV avec revente à perte, ça va commencer à faire un gros chèque et comme vous dites, il serait préférable que tout cela se fasse dans l’opacité, y’aura plus besoin de publier les comptes, et au besoin on pourra revendre ce qui marche pas trop mal aux copains…

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