Liberté d’expression : qui a PEUR du nouveau TWITTER ?

Elon Musk rachète Twitter ! L’homme le plus riche du monde s’offre ce qu’il appelle lui-même « la place publique numérique [digital town square] où sont débattues les questions vitales pour l’avenir de l’humanité. » Il y a un petit côté « moi, riche et célèbre, maître du monde » dans la façon dont s’est nouée cette affaire en quelques jours pour 44 milliards de dollars. Mais là n’est pas le reproche essentiel adressé au patron de SpaceX et Tesla.

Tout autre milliardaire plus acquis aux idées de contrôle des « discours de haine » et des « fake news » sur internet aurait certainement été accueilli avec joie. Mais voilà, Elon Musk déboule sur le marché de l’information et des opinions avec le dessein spécifique d’y renforcer la liberté d’expression et soudain, rien ne va plus : pour nombre de grands démocrates autoproclamés et autres gentils « woke » conscientisés, son projet reviendrait ni plus ni moins à menacer la liberté et la qualité des médias traditionnels et à soutenir Trump, le patriarcat et le suprémacisme blanc !

À propos de Trump, qu’ils se rassurent. Ce dernier a expliqué qu’il ne reviendrait pas sur Twitter mais resterait sur Truth Social, le réseau qu’il a lui-même créé. C’est du reste un élément important à prendre en compte : Twitter n’est ni la seule « place publique » au monde – j’aime penser qu’à sa façon, mon blog est aussi une petite place publique au sein de l’univers de la production et de l’échange d’idées – ni la plus importante, loin s’en faut.

De nouveau lieux peuvent apparaître, d’autres s’effondrer, car finalement, l’utilisateur (payant ou pas) des médias et des réseaux sociaux reste le roi : lui seul décide d’y participer ou pas, lui seul choisit le support qui lui convient le mieux, lui seul exerce ses préférences dans le choix de ses « amis », ses publications personnelles, ses « likes » et ses « partages ». À Elon Musk de montrer que son nouveau Twitter sera digne de l’intérêt et de la confiance de ses utilisateurs actuels et futurs. La transparence qu’il compte instaurer à propos des algorithmes utilisés pour gérer l’ordre de présentation des publications joue clairement en sa faveur.

Cependant, face à la levée de boucliers pratiquement hystérique qu’il a dû affronter depuis l’annonce du rachat, il a précisé qu’il n’envisageait pas d’étendre la liberté d’expression en dehors des contours légaux existants, mais simplement de s’interdire les censures non exigées par la loi :

Mais quand on sait à quelle vitesse les États (de l’Union européenne, en l’occurrence) s’affairent pour resserrer les barrières sociales et fiscales autour d’internet, on peut vraiment se demander si l’intervention d’Elon Musk changera quoi que ce soit à l’obligation de pensée conforme qui s’installe de plus en plus bruyamment dans les textes de lois. Comme le rappelait notre secrétaire d’État au numérique Cédric O, attention, il va falloir respecter les dispositions du tout nouveau Digital Services Act. Pas question de laisser proliférer des publications qui pourraient perturber les gentils utilisateurs :

J’ai déjà eu l’occasion de souligner dans d’autres articles combien il était difficile de définir la « haine en ligne » et de tracer une limite avec la liberté d’expression. Prenons l’exemple de la discrimination religieuse et du blasphème. Lorsque la jeune Mila tenait sur Instagram les propos ci-dessous :

« Je déteste la religion (…), le Coran, il n’y a que de la haine là-dedans, l’Islam, c’est de la merde, c’est ce que je pense. (…) Votre religion, c’est de la merde, votre Dieu, je lui mets un doigt dans le trou du cul, merci, au revoir »,

propos qui lui ont valu harcèlement, menaces de mort et toute la bêtise idéologique de la Garde des Sceaux d’alors, était-elle dans la « haine » ou faisait-elle simplement usage de sa liberté d’expression ?

Quant aux « fake news », les gouvernements sont-ils si certains de ne jamais se tromper qu’ils seraient bons juges en la matière ? Rien ne vaut la contre-argumentation pour réfuter des affirmations qui nous semblent fausses. De plus, l’expérience a montré à maintes reprises que toutes les tentatives d’interdiction n’ont jamais réussi à mettre fin à une pratique ou une rumeur et tendent au contraire à lui donner un surcroît d’intérêt. 

C’est exactement ce qu’a pu constater Facebook. Régulièrement accusés de servir de trop bons vecteurs à la propagation quasi instantanée de « fake news « aux quatre coins du globe, les réseaux sociaux ont été sommés de faire le ménage chez eux. En 2017, les dirigeants de Facebook considéraient plutôt qu’ils n’avaient pas à être « les arbitres de la vérité », mais ils ont commencé tant bien que mal à mettre des contrôles en place et butent sur l’irrésistible charme de l’interdit ou du sulfureux désigné comme tel :

« Indiquer avec un drapeau rouge qu’un contenu est faux ne suffit pas à changer l’opinion d’une personne, et peut même avoir l’effet inverse. »

.
Mettre un drapeau rouge, ordonner des bannissements permanents – voilà ce que Musk ne veut plus faire. Après tout, les gens sont adultes. Doivent-ils être soumis à une sorte de contrôle parental toute leur vie ?

Eh bien, oui, d’après le philosophe et grand adepte des tweets comminatoires Raphaël Enthoven. Pour lui, c’est très simple, trop de liberté tue la liberté ! « Il y a quelque chose de liberticide dans une liberté totale » a-t-il affirmé sur Europe 1, ajoutant qu’un Twitter sous la houlette d’Elon Musk constituait pour lui « une perspective liberticide et non pas libérale » (vidéo, 02′ 40″) :

Ah oui, parce que depuis quelque temps, Raphaël Enthoven se revendique libéral et fait partie de ces libéraux qui ont appelé à voter pour Emmanuel Macron au second tour de la récente élection présidentielle. Donc, à l’en croire, on serait plus libre dans le cadre d’une liberté d’expression encadrée ? Quel retournement acrobatique des concepts !

Rappelons d’entrée de jeu que la diffamation et les injures publiques telles que « sale arabe » ou « sale juif » décochées nommément à quelqu’un (exemples d’Enthoven dans la vidéo) peuvent donner lieu à des poursuites judiciaires.

Dans le débat sur la liberté d’expression qui nous occupe, il ne s’agit pas de cela, mais de savoir qui pourrait avoir le pouvoir supérieur de décider quelles opinions ont droit de cité et quelles autres ne l’ont pas. Inutile de vous dire qu’hormis un petit couplet de pure propagande politique sur le futur Digital Services Act, M. Enthoven ne répond pas à la question. Tout simplement parce qu’il n’y a pas de réponse satisfaisante, à part le recours à une liberté d’expression totale.

Mais en réalité, les préoccupations des « inquiets » face au free speech revendiqué par Elon Musk ont moins de rapport avec je ne sais quel désir d’harmonie pure et parfaite sur des réseaux sociaux où tout ne serait que luxe, calme et vérité qu’avec la volonté nettement moins louable de vouloir voir leurs idées et elles seules s’imposer à l’opinion publique. Bref, le fameux deux poids deux mesures, marque indélébile (et débile) des militants de tout bord.

J’aimerais rappeler à Raphaël Enthoven qu’en janvier 2020, date anniversaire des attentats islamistes de 2015 contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, il estimait sur Twitter que :

« Les gens qui disent ‘la liberté de la presse ? Oui, mais… attention au blasphème !’ ne sont pas des gens mesurés, mais des lâches qui donnent à leur trouille les contours flatteurs de la pondération. Et dorment tranquilles après avoir botté en touche. »

.
J’adhère absolument à ces propos, j’adhère absolument à ce qu’il disait à la même époque en défense de Mila que j’ai évoquée plus haut. De ce fait, j’ai d’autant moins de scrupules à lui retourner le compliment :

Les gens qui disent : « La liberté d’expression ? Oui, mais… attention aux débordements, on ne peut pas tout dire ! » ne sont pas des gens mesurés, mais des lâches qui donnent à leur trouille les contours flatteurs de la pondération. Et dorment tranquilles après avoir botté en touche.


Sur Elon Musk, je suggère la lecture de Elon MUSK : la tête dans les rêves et les pieds sur terre (11 avril 2016) et de La FAIM dans le monde et les SIX milliards d’Elon Musk (3 novembre 2021).


Illustration de couverture : Elon Musk (Tesla, SpaceX) rachète Twitter, 25 avril 2022.

30 réflexions sur “Liberté d’expression : qui a PEUR du nouveau TWITTER ?

  1. J’abhorre ce que nous raconte avec aplomb Raphaël Enthoven et sa pensée « woke »…
    En écrivant ce premier mot, je me préserve de potentiels dénonciateurs qui se perdraient par ici ou de potentiels algorithmes qui traqueraient les pensées subversives. Par bêtise, inculture ou lecture trop rapide, ils pourraient trouver en ce mot un sens d’adoration … Lol comme on dit sur les réseaux sociaux 🙂

  2. Elon Musk, devient l’empereur de la multinationale du bavardage qui anime notre quotidien et fait les rois. Pendant ce temps certains s’étonnent de la disparition des vieux partis politiques qui ont oublié que derrière ce bazar il y avait un Peuple, un État et une nécessaire élite pour les servir. Le concept du temps long et du gouverner c’est prévoir est désormais remplacé par les cotations de S&P, Moody’s et Fitch Ratings.. Qui dirige actuellement la France… Deux cierges à Notre Dame..

  3. Bonjour Madame
    Quel plaisir de lire vos billets
    Même si Monsieur Musk est très clivant ce rachat de tweeter montre bien les différentes prises de position sur la liberté d’expression
    Qui peut juger si une pensée est bonne ou pas,une personne une entreprise un état…
    Qui?
    La civilisation a évolué grâce à différentes pensés
    PS
    J ai apprécié votre texte sur la prière.

    • C’est à dire qu’il serait difficile à une personne pauvre d’acheter un canal médiatique, comme vous dites.

      C’est bizarre, cette rage des communistes français (dont certains se revendiquent de droite) à déplorer que les médias appartiennent à des « milliardaires ». Bah oui, un média, ça vaut des milliards, donc leurs propriétaires sont des milliardaires.

      Vous préféreriez que les médias soient pauvres, aux mains de coopératives ouvrières de dix personnes incapables de payer des journalistes pour faire des enquêtes ? Vous pensez que de tels « canaux médiatiques » seraient des contre-pouvoirs efficaces ?

      Le Français veut une chose et son contraire. Il va falloir choisir entre la haine des milliardaires et la haine de la pauvreté. C’est Mao Tsé-Toung qui disait : je préfère que les pauvres restent pauvres. Les riches ne font pas la révolution. Vous voulez le bien-être des Français, ou le communisme ?

      • Y a qu’ à voir les médias français détenu par des riches je ne les lis plus. Je n’ empêche pas un milliardaire d’ acheter un média je me dis juste que Musk a peut-être une idée en tête et pis c’ est tout 😀

      • L’information est à mon sens la grande victime, par exemple que savons nous aujourd’hui exactement de la position des uns et des autres dans cette affreuse guerre d’Ukraine. Certains articles disent blancs, d’autres noirs lorsqu’on écoute des historiens comme Annie Lacroix-Riz il est permis de s’interroger.. Quant au reste nous avons assisté pour cette élection à un grand moment disons de propagande..

      • @ Louis

        Je ne suis pas certaine qu’Annie Lacroix-Ritz, dont les sympathies communistes sont connues, soit la mieux placée pour donner une idée équilibrée de ce qui se passe en Ukraine. Les médias d’extrême-gauche l’adorent, les poutinistes de droite aussi, mais les auteurs du Livre noir du communisme comme Courtois ou Werth sont très dubitatifs sur ses travaux sur l’Holodomor par exemple.

      • @ Reddef

        Tout à fait. Elon Musk a une idée en tête en rachetant Twitter, et c’est d’y faire régner la liberté d’expression. Enfin, davantage qu’aujourd’hui, ce qui est déjà pas mal. Je suis pour. Pas vous ?

        Le plus rigolo, c’est que la presse américaine est remplie d’articles alarmistes expliquant que les gauchistes effacent leurs comptes Twitter en masse, avant même que le rachat n’ait eu lieu, avant même que la direction d’Elon Musk n’ait commencé à avoir la moindre conséquence concrète sur la politique de modération.

        Moi je dis : Elon Musk devrait annoncer plus souvent le rachat de réseaux sociaux ou de médias.

        Au passage, ça en dit long sur les idées des Degauche ordinaires : la simple annonce que les autres utilisateurs de Twitter bénéficieraient de la liberté d’expression les terrifie tellement, qu’ils prennent la fuite.

        Notez bien que rien, dans les déclarations d’Elon Musk, n’indique qu’ils ne pourraient pas, eux, continuer à diffuser leur idéologie collectiviste et punitive. Pas plus que la possibilité, pour le titulaire d’un compte Twitter, de bloquer tel ou tel intervenant qui lui déplaît n’est remise en cause.

        Non, c’est bien la liberté d’expression des autres qu’ils refusent.

        Remarquez qu’il s’agit d’une liberté extrêmement modérée. Par exemple, Elon Musk admet les restrictions apportées par les lois françaises contre le « racisme », la « haine », les « discriminations » et ainsi de suite, qui permettent déjà d’interdire à peu près tout.

        Elon Musk annonce simplement que Twitter cessera de faire du zèle en étant plus liberticide que le législateur lui-même.

      • “ C’est à dire qu’il serait difficile à une personne pauvre d’acheter un canal médiatique, comme vous dites.”

        Merci RM pour cette barre de rire pour le rappel de cette tautologie qui n’avait pas frappé Reddef

  4. On peut toujours spéculer sur la liberté d’expression annoncée par Musk qui peut n’être que du marketing pour emballer l’opération.

    Si on laisse de côté les thèmes idéologiques à la mode, Elon Musk est un marginal, il dérange et cela déplait au grand capital américain et aux concurrents, ce qui est normal.
    Dans le contexte, les financiers détracteurs, constatent aussi un effondrement de Facebook en février et la récente débâcle de Netflix, les actions technologiques à grande capitalisation avec des valorisations étirées sont vulnérables et Tesla en fait partie disent-ils. 90 % des revenus de Tesla proviennent de la fabrication de voitures exclusivement électriques, vulnérable car mono-produit.

    Donc l’opération d’Elon Musk sur Twitter comporte des parts mystérieuses pour ne pas dire risquées dont le retour sur investissement qui peut paraitre improbable. Musk déclare que c’est un business rentable, et qui pourrait le devenir encore plus grâce à lui, une fois qu’il en aura « libéré le potentiel ». Un modèle original reste à inventer, une option premium, etc…

    • « 90 % des revenus de Tesla proviennent de la fabrication de voitures exclusivement électriques, vulnérable car mono-produit. »

      Pas trop compris car tout fabricant de voiture est mono-produit

  5. Aucun rapport quoi que…………Paul Valéry: « la guerre, ce sont des gens qui ne se connaissent pas et s’entretuent, pour le plus grand profit de gens qui se connaissent très bien et ne s’entretuent pas. »

  6. Ne dirait-on pas que même le Conseil Constitutionnel ait décidé de sacrifier à l’adage : « On ne peut pas tout dire » ?
    En effet, nous apprenons qu’il y aurait eu des fraudes à l’élection présidentielle française dont les résultats seraient traités aux USA. Or le recours déposé par plusieurs avocats aurait été purement et simplement déclaré irrecevable par le greffe de cette noble institution :

    https://lecourrierdesstrateges.fr/2022/04/29/fraudes-a-la-presidentielle-le-greffe-du-conseil-constitutionnel-refuse-de-transmettre-le-recours-citoyen/

    • Non, Mildred, vous n’apprenez pas qu’il y aurait eu des fraudes à l’élection présidentielle, ni que ses résultats ont été traités aux USA. Vous vous laissez empapaouter par un site complotiste qui le prétend, et qui raconte systématiquement n’importe quoi.

      Mais vous aimez ça, vous faire empapaouter. On ne peut rien pour vous.

    • ” Moi j’ aurais financé et créé un autre réseau social et pis c’est tout.”

      Oui, c’est tout… ce que vous auriez fait et on n’aurait jamais entendu parler de vous 😀

      A priori vous n’avez jamais compris pourquoi une entreprise en rachète une autre au lieu de repartir de zéro… ni pourquoi un fonds de commerce se vend en rapport de son CA et/ou de son résultat

      Dans le domaine des télécommunications par exemple, à l’époque de la concentration des opérateurs, lors des négociations, le coût de rachat par abonné fixe c’était 1000€ et 500€ pour un mobile : tous des incompétents ?

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