L’État stratège n’est pas un cadeau… Joyeux Noël 2022 quand même !

CHERS  LECTEURS
Je vous souhaite de très belles fêtes de Noël !

Le temps des joyeuses retrouvailles familiales autour des cadeaux et des bons petits plats dans la douce lumière d’un sapin scintillant est de retour ! Beaucoup de folklore et de traditions sympathiques dans les célébrations de Noël qui ont pour elles de rassembler toute la planète. 

Mais aussi, derrière le décor, l’incroyable « mystère » de Dieu fait homme, puis mis à mort, puis ressuscité. Un mystère dont, comme chaque année à pareille époque, ma crèche(*) de blog veut témoigner.

Puisque j’en suis au stade des mystères, je ne résiste pas au malin plaisir de vous révéler, c’est le mot, ce que mon interlocuteur ingénieur évoqué dans l’article de jeudi dernier m’a dit sur sa thèse du réchauffement climatique qui allait être si rapide et si désastreux que l’homme ne parviendrait jamais à le maîtriser, sauf à revenir à un mode de vie radicalement décroissant et donc décarboné :

« Je ne peux rien prouver. Personne ne le peut. »

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N’est-ce pas exactement le fonctionnement de la foi, de la croyance ? Si je comprends bien, lui dis-je, c’est au nom d’une pure croyance que vous proposez de lancer des politiques publiques effroyablement coûteuses qui vont durablement endommager le mode et le niveau de vie des Occidentaux et empêcher les pays en développement d’accéder au même revenu et au même confort ? Je n’ai pas eu de réponse.

Un seul témoignage ne fait pas une école de pensée. Mais l’accumulation de ce genre de propos finit par faire dresser l’oreille (surtout quand on vous demande deux fois par phrase si vous avez une formation scientifique). S’agit-il d’un lyrisme écologique porté par de jeunes militants pleins de bonne volonté (non sans un souverain mépris pour la propriété d’autrui, quand même) ou de l’instrumentalisation de cette naïveté par des politiciens madrés qui ont en tête un tout autre agenda, typiquement dirigiste et anticapitaliste ? Eh bien, les deux ; cela fait longtemps qu’on le sait et qu’on en souffre.

Car il est une autre croyance bien ancrée chez les Français, ce dogme que seul l’État un et indivisible est capable d’envisager intelligemment et à long terme le souverainisme industriel radieux de la France. Autrement dit, des projets décidés au niveau étatique, totalement centralisés depuis le début, mis entre les mains de quelques décideurs politiques, techniques et administratifs, intégralement planifiés d’en haut et laissés au soin d’une seule grande entreprise nationale, en l’occurrence EDF. Encore autrement dit, l’État stratège triomphant, cet État stratège qui permettrait de s’affranchir de la « dictature de l’instant » si caractéristique de l’appât du gain totalement court-termiste et égoïste des acteurs privés.

Si vous vous rappelez, cet automne, on a beaucoup parlé de la façon dont le Parti socialiste – à l’époque de Jospin pour les législatives de 1998 puis sous Hollande pour l’élection présidentielle de 2012 – avait allègrement sacrifié notre filière nucléaire sur l’autel d’un accord électoral de gouvernement avec les Verts. Victimes sacrificielles expiatoires au terme des tractations : 14 réacteurs nucléaires sur les 58 que nous possédions seront fermés d’ici 2035, les deux réacteurs de la centrale de Fessenheim ayant été fermés en février puis juin 2020. Un programme qu’Emmanuel Macron a confirmé dès 2017 :

Message évident : on se détourne du nucléaire. Avec pour résultat concret d’avoir démotivé les équipes chez EDF et dissuadé les étudiants ingénieurs de s’intéresser à cette filière.

Mais on dirait que le vent tourne. La guerre russe en Ukraine ayant engendré des difficultés d’approvisionnement en énergie et, par voie de conséquence, souligné les failles de nos systèmes, on commence à se dire en France que le nucléaire, ce n’est peut-être pas si mal. Emmanuel Macron a annoncé en début d’année la construction de six nouveaux EPR et la mise à l’étude de huit autres, tandis que les écoles d’ingénieurs commencent à relancer des masters en génie nucléaire dans leur catalogue de cours.

Il est cependant une autre caractéristique de notre modèle nucléaire qui compte probablement autant dans les difficultés de la filière que la survie (ratée, finalement) du Parti socialiste : la caractéristique structurelle de l’État stratège qui sait tout, décide tout, et dont les agents – X, corps des Ponts, corps des Mines, etc. que l’on retrouve par paquets dans ces entreprises publiques si florissantes que sont EDF, SNCF et RATP – se croient véritablement sortis tout droit de la cuisse de Jupiter. 

À noter d’abord que si les Français dans leur capacité de consommateurs d’énergie ont pu bénéficier pendant de nombreuses années d’une électricité peu chère comparativement aux citoyens des autres pays européens, ils ont été mis plus que régulièrement à contribution en tant que contribuables pour renflouer financièrement (et par milliards d’euros) l’électricien national afin de le sauver de la faillite.

Surtout, on constate aujourd’hui que notre parc, majoritairement constitué sur une courte période allant du choc pétrolier de 1973 à la fin des années 1980 et selon des caractéristiques de construction identiques pour tous les sites, se retrouve maintenant en grave difficulté. Cet automne, 28 réacteurs sur les 56 encore en opération étaient à l’arrêt pour des questions de maintenance complexes et pour des problèmes de corrosion. Un moment de construction, une seule méthode et au bout du compte, nécessité de « grand carénage » (c’est-à-dire restauration, remise à niveau) pour tous les sites au même moment ou presque.

Il n’est pas interdit de penser que l’équipement nucléaire de la France laissé entre les mains de plusieurs acteurs en concurrence, disons deux ou trois, en désétatisant et en déconcentrant les méthodes et les périodes de construction, aurait permis d’amoindrir cet effet massif d’effondrement qui fait craindre des coupures d’électricité pour cet hiver et oblige déjà la France à importer de l’électricité de pays voisins dont l’Allemagne.

En l’état actuel des choses, un article récent de l’hebdomadaire britannique The Economist intitulé « L’industrie nucléaire française peut-elle éviter l’effondrement ? » souligne que le facteur de charge des réacteurs français, qui permet de déterminer si une centrale fonctionne à pleine capacité, oscille autour de 60 %, contre plus de 90 % aux États-Unis – où le parc nucléaire est largement diversifié du point de vue de ses concepteurs et de ses opérateurs. 

Le nucléaire civil reprend des couleurs ; c’est une bonne nouvelle. En revanche, on a tout à craindre du retour en force de « l’État français fin stratège » qui plaît tellement à la totalité de notre classe politique. Et ça, ce n’est pas une bonne nouvelle. Et je ne parle même pas de la SNCF qui sera une fois de plus en grève pour les fêtes de fin d’année…
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Chers lecteurs, on se reparle au Nouvel An. D’ici là,
TRÈS  JOYEUX  NOËL  2022  À  TOUS !


(*) À propos des crèches dans les mairies, qui ont donné lieu à moult batailles bien politiciennes, je vous invite à relire la première moitié de mon article de Noël 2018.


Illustration de couverture : Crèche d’un marché de Noël de Luxembourg City, 19 novembre 2022, photo personnelle.

14 réflexions sur “L’État stratège n’est pas un cadeau… Joyeux Noël 2022 quand même !

  1. S’il n’y avait que l’électricité mais c’est dans tous les domaines, ça fuit de partout et nous ne produisons plus de rustines. Heureusement que nous avons une ASN (Autorité de Sureté Nucléaire) qui veille si non l’EPR serait en fonction depuis deux ans. Je pense qu’il appartient à l’état stratège de fixer les grands équilibres et d’en assurer les contrôles, l’ASN est un exemple. A quand une telle structure pour la chimie qui déborde aussi de partout, regarder ce qu’ils mettent dans vos shampoings et tout cela se retrouve dans la mer ce grand épurateur. Les grands domaines sont : l’alimentation, l’eau, l’air, l’électricité véritablement le sang de notre civilisation technique et scientifique, l’éducation et la santé. Un dernier chiffre pour qualifier notre état stratège : la charge quotidienne de notre dette est de 144 millions. Il est urgent de redresser la barre avant les cailloux..

    Très joyeux Noël..

  2. Vous n’avez pas toutes les informations : l’Etat Stratège (E.S, marque déposée mais on ne sait pas bien où) a obtenu le report de la Fin du Monde en 2023 (mais sans période précise).
    OK c’est nul mais c’est tout ce que je puis produire d’ici au 31 / 12 / 2022.
    Beau et bon Noël à vous et les vôtres, et un bon millier de mercis pour vos articles !

    • Ô inconnu, toi qui as usurpé le compte de sam player*, je me joins à ton compliment. Joyeux Noël Nathalie, ainsi qu’à tous vos lecteurs. 🙂

      *pour ceux qui le connaissent, sam player, le vrai ne sait pas dire des gentillesses, mais que des méchancetises … 😉

  3. Joyeux Noel pour vous et tous vos lecteurs.
    Je ne peux que m’inscrire en faux, pour une fois, à votre remarquable papier.
    Ingénieur de formation, j’ai vécu depuis 50 ans la prise de pouvoir dans nos grandes entreprises par les Énarques et Sciences Po, et nos malheurs industriels viennent de cette prise de pouvoir qui dure.
    Combien de scientifiques au gouvernement et dans les cabinets ? Et parmi ces rares présents, combien ne sont pas encartés chez les écologistes ou les socialistes, privilégiant leur idéologie sur le réel ?
    Le meilleur exemple étant Mme Borne.

    • Les énarques aussi, disons toute une caste formée spécialement pour le service de l’Etat, jamais challengée et pleine de morgue. Chez EDF et SNCF, ça a toujours été un repaire d’X, certains pas dupes, d’autres totalement adaptés au contexte et considérant de haut le reste du monde.

  4. J’ aimerais être d’ accord à 100 pour cent avec vous mais tant que l’ état était représentatif de la nation tout le monde était content mais depuis des décennies la France et le monde ont basculé du côté obscur de la force !
    L’ individualisme roi triomphe mais paradoxalement contrôlé par les réseaux sociaux et l’ état, les deux étant fortement numérisés. Était-ce mieux avant pas sûr mais nous sombrons intellectuellement, culturellement et moralement; peut-être que les français ont un président à leur image , le français sont friands de politiques pour résoudre les problèmes alors qu’ils leurs suffiraient de s’ en occuper eux même pour les régler.
    Je souhaite un joyeux et appétissant Noël et n’ oublions pas ceux qui n’ ont rien.

    • « Tant que l’ état était représentatif de la nation tout le monde était content mais depuis des décennies la France et le monde ont basculé du côté obscur de la force ! »

      Vous rêvez d’un bon vieux temps qui n’a jamais existé. Quand tout le monde était-il content parce que l’Etat était représentatif de la nation ? Lors des grèves insurrectionnelles de 1947 et 1948 ? Lors du début de guerre civile de 1958 ? Lors des émeutes de mai 1968 ?

      Le sacro-saint général de Gaulle a, à de multiples reprises, incité ses généraux et ses ministres à faire tirer sur les insurgés cette année-là. Sans, heureusement, avoir été suivi.

      Les Français ont toujours été un peuple fortement divisé, indiscipliné, porté à la guerre de tous contre tous. Vous nous la baillez belle avec « l’individualisme roi » qui triompherait aujourdhui. Si seulement !…

      L’individualisme serait un progrès notable sur la mentalité actuelle, s’il s’entendait comme répugnance à dépendre de l’Etat, autonomie, responsabilité de son propre destin, sens de l’initiative, solidarité volontaire (et non forcée par l’impôt), et ainsi de suite.

  5. Nous voyons bien que les entreprises gérées par l état stratège sont toutes déficitaire ( SNCF, EDF ect) et que se sont nous les contribuables qui payons de multiples façons lesdettes.
    Que l état arrête de se mêler de la gestion des entreprises.
    Il n est pas capable de s occuper de faire respecter le droit.
    Toujours un plaisir de vous lire MD je vous souhaite un joyeux Noël ainsi qu’à vos proches et ayons tous une pensée pour les personnes qui sont dans la peine.
    A bientôt.

  6. « la caractéristique structurelle de l’État stratège qui sait tout, décide tout, et dont les agents – X, corps des Ponts, corps des Mines, etc. que l’on retrouve par paquets dans ces entreprises publiques »

    En l’occurrence, il faut tout de même admettre que de l’après guerre aux années 80, la structure a été efficace et obtenu quelques succès en particulier pour le nucléaire. Le plan Messmer a réalisé l’exploit de mettre en un peu plus de 20 ans une soixantaine de tranches nucléaires sur le réseau national avec le concours d’une armée d’ingénieurs et de techniciens. Sans doute était ce le moyen de développer des infrastructures lourdes pour faire naitre l’électricité nucléaire.

    C’est à partir de ces infrastructures qu’il aurait été possible voir utile ou indispensable d’organiser une concurrence avec des acteurs de commercialisation qui deviendraient eux-mêmes à partir de leurs profits, constructeurs d’autres infrastructures, comme réalisé dans d’autres domaines (télécoms par exemple).

    Non plus c’est une fausse concurrence qui a été organisée, perturbée de surcroit par l’obligation incontestable de l’exploitation subventionnée, de nouvelles technologies loin d’avoir fait leur preuve et le dénigrement systémique du nucléaire. Comment s’étonner que ça n’a pas marché et constater les déficits d’EDF ?

    Du coup , on a l’impression que la science a été mise au rebut. Les ingénieurs et toutes les compétences techniques sont parties ailleurs pour intégrer par exemple le monde de la finance bien plus juteux. Et ne restait pour ceux qui ne sont pas partis à gérer à minima la maintenance du vieillissement d’infrastructure qui ne seront même pas renouvelées…

    Et de plus :
    « La pensée écologiste se développe au XXe siècle dans l’opposition à la technique. En France, Jacques Ellul (1912-1994) est l’auteur le plus connu dans ce domaine avec La technique ou l’enjeu du siècle (1954), manifeste antitechniciste dont le succès a été beaucoup plus important aux États-Unis que dans notre pays. L’idéologie écologiste s’est largement construite à partir de ce présupposé antitechnologique. » Comme le rapporte Patrick Aulnas dans un article récent.

    Ainsi votre ingénieur se repent comme ceux d’Agro-Paristech et les autres…

    Joyeux Noël en tout cas à vous tous !

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