Quand la météo est vraiment très très mauvaise dans le Nord (mais chacun sait que cela n’arrive presque jamais), nous sommes contraints d’abandonner notre habituelle randonnée dominicale avec pique-nique dans les Flandres et de nous replier dans des lieux plus abrités. Depuis deux ans, nous avons une nouvelle solution alternative extrêmement plaisante : la visite du musée du Louvre-Lens.
Construit sur le site de l’ancienne fosse n° 9 des mines de Lens selon le projet de l’agence d’architecture japonaise SANAA, le musée comprend un immense parc paysager de 20 hectares et un enchaînement de bâtiments de 28 000 m2 dont 7 000 m2 pour les expositions permanentes et temporaires. Les collections présentées sont toutes issues du Musée du Louvre parisien.
Sur le plan architectural, le projet des deux architectes de SANAA est parti de l’idée pleine de charme de quelques barques entraînées par un courant et échouées les unes après les autres sans ordre précis sur les berges d’une rivière :
C’est bien sûr une idée que le visiteur arrivant par la force des choses au ras du sol ne pourra pas percevoir, à moins de se déplacer en hélicoptère. Le plan ci-dessus propose néanmoins un aperçu de ce que cette idée donne, une fois transcrite dans les contraintes d’un cahier des charges.
L’ensemble du bâtiment appartient clairement au genre minimaliste : angles droits, tonalité gris très clair, parois vitrées destinées à recevoir le reflet des jardins, eux-mêmes plantés d’herbes sèches et de plantes argentées, dans des trous ménagés selon un dessin original dans une immense terrasse d’accès en béton blanc. J’aime beaucoup.
Mais il est certain que les jours de ciel bas (rares dans le Nord, comme chacun sait) la superposition du gris sur le gris pourrait presque passer pour légèrement déprimante. Les aménagements intérieurs présentent la même économie de couleur et de forme. J’aime moins. Ça pourrait presque passer pour un manque d’hospitalité.
Heureusement, les collections viennent apporter la chair et le sang qui manquent aux murs et aux planchers.
La salle la plus réussie est sans conteste la Galerie du temps. L’idée muséographique est à la fois lumineuse et toute simple. Tellement simple qu’on se demande même comment personne n’a eu cette idée plus tôt. Ce ne sont pourtant pas les éminentes personnalités des arts et des lettres qui manquent dans notre exception culturelle française.
Bref, dans la Galerie du temps (photo ci-dessous), quelques 200 œuvres sont présentées chronologiquement (!) de 3500 avant J.-C. jusqu’aux environs de 1850 après J.-C. De ce fait, le visiteur n’est pas écrasé par une surabondance de pièces d’une même époque et il peut se faire facilement une idée des enchaînements historiques et artistiques.
La dernière fois que j’y suis allée, j’ai regardé les oeuvres en me disant que les peintres et les sculpteurs prenaient vraiment un soin tout particulier pour représenter les vêtements et les coiffures. Voilà comment cette Galerie du temps est devenue dans mon esprit une Galerie de la mode, que j’illustre ci-après par onze exemples allant de 3300 avant J.-C. à 1800 de notre ère.
Asie centrale, 3300 avant Jésus-Christ :
Cette dame porte une robe que les Menines n’auraient pas reniée. Ne serait l’indéniable solidité qui émane de la statue, les falbalas qui décorent la jupe et les épaules ne sont pas sans rappeler les ornements qu’on trouve chez les personnages féminins de Molière ou sur les tutus des danseuses classiques.
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Mésopotamie (Iraq), 3000 avant Jésus-Christ :
Homme barbu dans le plus simple appareil, c’est à dire sans habits, c’est à dire nu. J’aimerais dire à un certain nombre de jeunes fashion victims de ma connaissance qu’appareil signifie dans ce cas vêtements et qu’on retrouve cette idée dans la marque American Apparel.
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Mésopotamie (Iraq), 2120 avant Jésus-Christ :
On a envie de dire : “Sympa ta robe !” comme dans Astérix mission Cléopâtre. Mais c’est le couvre-chef qui fait tout et il décourage toute tentative de familiarité, contrairement à ce qu’on pourrait penser en voyant les doigts de pied à l’air.
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Egypte, vers 1800 avant Jésus-Christ :
Et là, on est tenté par “Sympa ta jupe !” Mais le plus compliqué ici semble être la coiffure. Combien de temps chaque matin ?
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Pompéi, vers 30 après Jésus-Christ.
L’épaule négligemment dénudée : un truc connu, de toute éternité semble-t-il.
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Rome, vers 50 après Jésus-Christ :
Gardes prétoriens. Jupe, aigrette, poignard et bouclier. Nous les femmes pensons que le pantalon est plus adapté que la jupe pour monter à cheval, mais manifestement les hommes ont pensé le contraire pendant des siècles.
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France, vers 1600 après Jésus-Christ :
Henri IV et son épouse Marie de Médicis : Inspiration Michelin pour la culotte de Monsieur et les manches de Madame. Joli décolleté, plus agréable à voir, et à porter sans doute, que la fraise ci-dessous.
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France, XVIè siècle :
Monument mortuaire : il ne serait pas correct de se présenter dans l’au-delà sans les bouclettes les plus rigides. Malgré tout, le confort d’un petit coussin sous les genoux n’est pas à négliger.
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France, XVIIè siècle :
Duc Cardinal de Richelieu : Sympa tes chaussures ! Heureusement qu’on sait qu’un cardinal ne court jamais, parce que tout cet attirail parait assez peu adapté à la course à pied.
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Pas mal du tout ce D’Alembert ! La chemise blanche largement ouverte sur la poitrine : déjà la marque du philosophe soucieux de son image.
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Espagne, vers 1 800 après Jésus-Christ :
Une élégante de Francisco de Goya. Deux siècles après, Tom Ford dira encore que le noir est la couleur de l’élégance.
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Si, en sortant du Louvre-Lens, vous avez l’impression que vous vous trouvez in the middle of nowhere et qu’il ne vous reste plus qu’à regagner Paris, sachez que vous vous trompez 🙂 Vous pouvez compléter votre journée dans le Nord-Pas-de-Calais par au moins quatre visites originales.
Je vous suggère d’abord la découverte d’un terril, dont les formes triangulaires sont nettement visibles depuis le musée. Beaucoup d’entre eux ont été (trop) aménagés pour les loisirs, mais mon préféré est celui de Germignies dont l’aménagement s’est fait au fil du temps par dispersion naturelle. Il est maintenant entièrement planté de bouleaux et donne un cadre de balade en forêt peu commun dans la région. Une petite contre-indication : évitez les pantalons blancs, pour vous et surtout pour vos enfants.
Seconde possibilité, la visite des hauts lieux de la 1ère Guerre mondiale. En plus de l’Anneau de la Mémoire qui a été inauguré récemment à Notre-Dame de Lorette, je recommande plus particulièrement les souterrains et tranchées de Vimy. Située sur la ligne de front, cette position fut reprise aux Allemands par un corps canadien en 1917. Toutes les installations d’origine ont été conservées. Ce sont des étudiants canadiens qui assurent les visites. Et qui racontent des anecdotes comme celle-ci : Hitler fut estafette à Vimy côté allemand. Les estafettes transmettaient des message entre les différentes lignes de front et sortaient donc des tranchées à leurs très grands risques et périls. Leur espérance de vie moyenne était de moins de trois semaines.
Quelques kilomètres de plus en direction de la côte, et on saute directement dans la Seconde Guerre mondiale avec l’énorme blockhaus d’Eperlecques. Construit bien à l’abri d’une forêt par les Allemands dans le but de fabriquer de l’oxygène liquide et d’assembler et envoyer des V2 sur l’Angleterre, il a été découvert dès le début par les Anglais et détruit en 1944 au moment où les Allemands, inconscients d’être surveillés, aboutissaient au terme de la construction. Les ruines sont néanmoins spectaculaires et illustrent avec beaucoup de vraisemblance, selon moi, un paysage de fin du monde.
Enfin, il n’est pas possible de s’approcher de la métropole lilloise sans faire une halte, même courte, au Musée d’Art et d’Industrie André Diligent, dit La Piscine de Roubaix. Superbement installé dans une vaste piscine Art Déco des années 1930, il reflète tout le dynamisme et toute la richesse qui furent les caractéristiques de Roubaix entre 1850 et 1950. Les collections, initialement composées des dessins des industries textiles de la région, se sont élargies à l’ensemble des arts plastiques de cette même période. Le musée accueille également des expositions temporaires variées, dont par exemple une très belle rétrospective Camille Claudel tout récemment.
Si ça vous dit :
Adresse du Musée : 99, rue Paul Bert – 62 300 Lens
Téléphone : 03 21 18 62 62
Accès : Coordonnées GPS 50.432348 – 2.804418
Photos : Toutes les photos, y compris la photo de couverture représentant le musée, sont personnelles.
superbe papier Nathalie
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odile