Fin de vie & Aide active à mourir : La grande réticence des soignants

C’est devenu une sorte de tradition élyséenne : pas de mandat présidentiel réussi sans sa grande arche culturelle et/ou sociétale. François Mitterrand a aboli la peine de mort, son prédécesseur avait légalisé l’avortement et François Hollande a ouvert le mariage aux couples homosexuels. Quant à Emmanuel Macron, il a mis l’extension de la PMA aux femmes célibataires ou lesbiennes au menu de son premier mandat.

Nouvelle étape pour le second : « l’aide active à mourir » sur laquelle le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a émis il y a un mois un avis favorable sous certaines conditions.

Actuellement, la fin de vie en France est régie par la loi Claeys-Leonetti de 2016 dont le principe fondateur énonce d’une part que « toute personne a droit à une fin de vie digne et apaisée » et d’autre part que « les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour que ce droit soit respecté ». Au cœur du dispositif, le renforcement de l’accès aux soins palliatifs, le rejet de l’acharnement thérapeutique, le droit des patients à refuser un traitement, les directives anticipées des patients sur l’arrêt ou le prolongement des traitements, la désignation d’une personne de confiance et, dans les cas ultimes, le droit à une sédation profonde et continue jusqu’au décès.

La voie ouverte par le CCNE dans son récent avis sur « l’aide active à mourir » pourrait déboucher concrètement sur la dépénalisation du suicide médicalement assisté et de l’euthanasie. Un grand débat national est donc en instance d’être lancé, avec pour but affiché de faire évoluer la législation sur la fin de vie d’ici la fin de l’année prochaine. Dès ce mois-ci, une « convention citoyenne » organisée par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) aura pour mission de réfléchir à la question et de faire connaître ses conclusions en vue d’alimenter le débat et, éventuellement, une nouvelle loi.

Avertis par les méthodes de travail très idéologiquement encadrées de la Convention citoyenne pour le climat, on peut presque parier que les propositions de la nouvelle Convention seront largement guidées par les revendications de l’Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité (ADMD). Mais il se trouve que le projet en question semble très favorablement accueilli par les Français.

Selon un sondage IFOP effectué à la demande de cette association et publié avant-hier (12 octobre 2022), 78 % d’entre eux espèrent que les travaux de la convention citoyenne aboutiront à faire évoluer la législation dans le sens de l’aide active à mourir.

Le tri par religion montre que les plus réticents, sans y être majoritairement hostiles, sont les catholiques pratiquants (61 %) tandis que les catholiques non-pratiquants sont dans la moyenne. Les citoyens d’autres religions sont à 67 % et les personnes sans religion à 85 %. Côté affiliation politique, les électeurs de Valérie Pécresse lors du 1er tour de l’élection présidentielle de 2022 sont à 58 %, ceux d’Éric Zemmour à 61 %, ceux de Macron et Le Pen à 81 % et 80 % respectivement, et ceux de Mélenchon à 87 %.

Un enthousiasme que l’on ne retrouve pas, loin s’en faut, du côté des soignants les plus directement concernés, ceux qui travaillent au chevet des malades en fin de vie et les accompagnent de leur mieux jusqu’au bout.

Un autre sondage d’avant hier, publié en exclusivité sur le site du magazine Marianne et réalisé par l’institut OpinionWay pour la SFAP (Société française d’accompagnement et de soins palliatifs) auprès de 1 335 personnes exerçant dans des services de soins palliatifs (dont 1 009 soignants et 326 bénévoles) montre sans équivoque qu’ils sont d’une part massivement satisfaits du cadre législatif en vigueur (90 %) et d’autre part presque aussi massivement hostiles (85 %) à l’évolution de la législation actuelle vers l’instauration d’une mort intentionnellement provoquée :

    

En cas de légalisation de l’aide active à mourir, la modalité qui aurait leur préférence serait le suicide assisté par mise à disposition d’une substance létale – et encore ne sont-ils qu’un petit 25 % à envisager cette solution.

Autrement dit, un rejet clair et net, sous-tendu par le sentiment tout aussi clair et net que la mort intentionnellement provoquée ne peut pas être considérée comme un soin (opinion partagée par 83 % des personnes interrogées) et par la profonde négativité associée à l’idée d’euthanasie parmi les personnels soignants ou bénévoles des services de soins palliatifs (voir document ci-dessous). À tel point que plus des 2/3 d’entre eux envisageraient de faire jouer leur clause de conscience (35 %) ou de quitter leur poste actuel (34 %) si une évolution vers l’euthanasie administrée par un soignant devait effectivement se produire.

À la base de cette hostilité, la forte impression d’être amenés à trahir leur serment d’Hippocrate, la tristesse de constater que ce serait une sorte de désaveu voire un échec de leur mission d’accompagnement des patients et le sentiment désagréable de devoir porter sur leurs épaules une responsabilité qui n’est pas vraiment la leur. Mais également les enseignements tirés de leur expérience auprès des malades en fin de vie.

D’après Christophe Trivalle, chef du service de soins de suite et réadaptation Alzheimer en gériatrie à l’hôpital Paul-Brousse (AP-HP), « les demandes d’euthanasie active sont rares et elles émanent souvent plutôt des proches, des familles en détresse. » Une détresse qu’il conviendrait peut-être de soulager aussi.

Dans cette optique, l’amélioration de la prise en charge des patients en fin de vie, qu’ils soient hospitalisés en soins palliatifs ou dans leur service d’origine, oncologie notamment, ainsi qu’une meilleure connaissance des malades et des familles quant aux possibilités de la loi actuelle et un peu d’anticipation dans les prises en charge sont des pistes de progrès qui reviennent régulièrement dans la bouche des soignants interrogés par Marianne :

« La législation actuelle permet déjà énormément, notamment d’induire un coma médicamenteux, mais la loi est mal connue des citoyens, alors que la qualité des soins dépend aussi de la connaissance qu’ils ont de leurs droits. » (Sarah Dauchy, présidente du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie)

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Quant à l’état de l’offre médicale, la loi Claeys-Leonetti met certes l’accent sur l’accès aux soins palliatifs – et le CCNE réitère cette exigence dans son avis récent – mais force est de constater que comme dans nombre d’autres services hospitaliers, beaucoup reste à faire, beaucoup pourrait être amélioré :

« Les soins palliatifs sont sous-financés, et il y a un manque de formation à l’accompagnement en fin de vie dans tout l’hôpital. » (Christophe Trivalle)

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Sous-financés, peut-être pas, si ce n’est au sens où une mauvaise allocation des ressources couplée à une vision fonctionnarisée de la santé fait que les millions d’euros des nombreux plans de sauvetage successifs de l’hôpital n’empêche pas ce dernier d’être perpétuellement en crise.

Mais bien sûr, comme sur tous les sujets sociétaux en rapport avec la vie, son début, sa fin, il n’est pas de réponse simple, il n’est pas de solution évidente.

Les libertés individuelles et la responsabilité personnelle de faire le choix de sa propre fin de vie sont en jeu, mais faut-il pour autant associer le « droit de mourir dans la dignité » à l’introduction d’une aide active à mourir ? Cette façon de s’exprimer sous-entend qu’il y aurait des façons « indignes » de vivre et de mourir et que la dignité serait l’apanage exclusif des tenants de l’euthanasie active. Elle tend de plus à invisibiliser, écarter les progrès qui pourraient être faits dans l’application de la loi actuelle. 

Ne serait-il pas terrifiant de penser que la « dignité » proposée résulterait pour partie de l’incapacité de l’État à offrir à ses citoyens des services de fin de vie de qualité ? Ne serait-il pas terrifiant de faire de ce sujet de société si important et délicat une sorte de variable d’ajustement des capacités de l’hôpital ? Ce n’est certainement pas ce qui est envisagé par les partisans de l’aide active à mourir. Mais disons que les remarques des soignants méritent d’être entendues. Bref, le débat est lancé.


Illustration de couverture : Accompagnement des malades en fin de vie et soins palliatifs.

18 réflexions sur “Fin de vie & Aide active à mourir : La grande réticence des soignants

  1. Tout repose sur cette notion extrêmement floue et juridiquement, médicalement, éthiquement, impossible à définir : la dignité.
    Inutile d’avoir des illusions : les gros doigts de l’Etat ne sauront pas manier la dignité

  2. Je connais qq’un très concerné par le dossier et je retrouve ses griefs dans votre article, en particulier que les soignants ont prêté serment et que ce n’est pas leur rôle de donner la mort.
    Personnellement, je trouve que cette évolution va dans le sens global de la déresponsabiliation. L’ètat vous prend en charge pendant toute votre vie, doit vous apporter éducation, soins, énergie, moyens de transport, logement, salaire (revenu universel), et maintenant il prendra également en charge votre passage vers l’au-delà.
    Comme vous évoquez, pour des personnes ne pouvant survivre sans machine, il est possible légalement de débrancher, d’arrêter les soins et d’appliquer une sédation.
    Pour une personne en état de se donner la mort soi-même, cela devrait être de sa responsabilité de le faire et non de déléguer à une partie tiers.
    Les cas les plus difficiles AMHA, sont les cas des handicapes lourds comme Vincent Humbert dont l’affiare avait relancé la discussion. On peut comprendre le désir de personnes lourdement handicapées de ne plus vouloir vivre tout en n’ayant pas les moyens de se donner soi-même la mort. Je ne sais pas si la loi Léonetti prévoit qq chose pour ce type de cas.

  3. Bonjour le personnel soignant ne s’est vraiment pas posé ce questionnement, ni le fait de trahir le serment d’Hyppocrate, ni sa responsabilité, lorsqu’en 2021 2022 il a participé activement et en usant de son autorité aux campagnes d’injection d’un produit expérimental au sujet duquel le president du comité scientifique avait déclaré que nous n’avions aucune connaissance sur les effets, curatifs ou nocifs, et a participé au refus d’utiliser les differents traitements, hydrocloroquine ou ivermectine. Il n’a pas non plus défendu ni les soignants ni les francais refusant cette injection.
    Beaucoup continuent dans cette attitude.
    Il n’a jamais informé correctement la population sur ces produits, empechant de ce fait le libre consentement.
    Alors pour moi tout est question d’argent. Le covid et les injections ont rapporté beaucoup d’argent, donc le personnel soignant y est favorable.
    Le maintien en survie rapporte beaucoup d’argent, donc le personnel soignant y est favorable, et s’oppose fermement à l’euthanasie , qui serait une perte sèche.
    Les arguments philosophiques ne sont qu’une excuse, un paravent.
    Et je pense que chacun se pose ce débat fondamental, et est capable de faire son choix. Nul besoin de l’autorisation d’un médecin. Une officine privée peut se charger de l’administration du produit dans des conditions confortables et avec un veritable libre consentement.

    • Voilà un argument auquel je n avait même pas pensé mais qui doit nous faire réfléchir quand nous voyons comment certains médecins ont géré la crise COVID nous ne pouvons qu être soupçonneux.
      Je ne pense pas qu une loi serait une solution surtout créé en toute opacité.
      Pourquoi pas des officines privées et à chaque être humain de choisir sa fin de vie si il le peut.

    • En abordant les commentaires, je me demandais si qqun allait aborder le sujet des médicos et des vaccins, merci.
      Apparemment ça a moins bousculé leur éthique que l’euthanasie vu que 34 ou 35% iraient jusqu’à faire jouer leur clause de conscience dans ce cas seulement… qu’ils disent
      Merci aussi pour la proposition d’une officine privée, j’y pensais aussi
      En effet mélanger les soins de vie et les soins de mort dans la même entité n’est vraiment pas une bonne idée.

  4. Les infirmières, aides-soignantes sont des soignants et ne sont pas tenus de respecter le serment d’Hippocrite que je sache, pour autant pour les médecins qui l’ont fait il y aurait à redire…. J’ai travaillé dans le milieu palliatif il faut savoir que des malades en fin de vie j’en ai connu et je ne compte plus les appels téléphoniques la nuit au médecin pour lui relater l’état de tel ou tel malade avec comme réponse « administrez lui le cocktail » – inutile de vous faire un dessin je suppose.

  5. Le débat est lancé, certes, mais je crains que ce ne soit qu’ici !
    Car si on se reporte à la manière dont a été adoptée la loi sur la « PMA pour toutes », le CCNE qui avait rendu un avis négatif en 2005, avait rendu un avis positif en 2017. et la loi fut votée.
    Or depuis 2013 le CCNE s’opposait à une loi sur la légalisation de la mort choisie, et vient d’opérer ce que d’aucuns appellent un « revirement spectaculaire ».
    L’affaire est donc pliée, et la loi sur l’euthanasie sera votée ainsi que le président Macron l’a promis à Line Renaud en l’élevant à la dignité de Grand- Croix de la Légion d’Honneur.

  6. Bonjour très bon article, je pense que nous avons dépassé le mur du son pour ce qui est de la santé en général et de notre rapport à la mort en particulier.
    Nous allons vers plus d’ égoïsme ,donc les coûts des soins étant ce qu’ ils sont…

  7. « …Ne serait-il pas terrifiant de penser que la « dignité » proposée résulterait pour partie de l’incapacité de l’État à offrir à ses citoyens des services de fin de vie de qualité ? Ne serait-il pas terrifiant de faire de ce sujet de société si important et délicat une sorte de variable d’ajustement des capacités de l’hôpital ? »

    Voilà un questionnement tout à fait pertinent…

    Le même Etat ne montre-t-il pas déjà la même incapacité à créer des places de prison ce qui l’amène à multiplier les peines alternatives, voire les peines non exécutées sans réflexion sur la nécessité et le sens de l’enfermement, du bannissement, des délinquants ou criminels ?

    Les sujets « sociétaux » plaisent à la macronie en ce qu’ils occupent les médias et les esprits, créent le buzz, occultent les problèmes économiques et donnent l’illusion de l’action.

    Multiplier et renforcer les services de soins palliatifs serait beaucoup moins porteur d’un point de vue médiatique que le suicide assisté ou l’euthanasie, c’est pourtant me semble-t-il, essentiel quand il est question de fin de vie et de « dignité ».

    Avant de légiférer sur une fin de vie « active », ne pourrait-on savoir comment est appliquée la loi Léonetti ?
    Y a-t-il seulement un suivi de cette loi ?
    Combien de « sédations profondes » et dans quelles conditions ?
    Les personnes âgées que je côtoie pour la grande majorité ne connaissent même pas le principe des directives anticipées…

    D’une manière plus générale, ne serait-ce pas le rapport à la mort qui serait à revoir dans notre société technologique et scientifique qui cache la mort comme s’il s’agissait d’une défaite ?

    Comme vous le dites, il n’y a pas de réponse simple à ce qui est pourtant le fondement de notre condition de vivant.
    Selon les cas et les circonstances, un embryon sera traité comme un déchet à éliminer ou comme un humain dont l’arrivée sera « applaudie à grands cris »
    Quid de la personne en fin de vie ?

    A travers certains de ses représentants, la science toute puissante n’hésite pas à « combattre » la mort, à la refuser, comme si la mort n’était pas constitutive de la vie… mais aussi à donner la mort si elle le juge bon.
    Cela ressemble fort à un abus de pouvoir.

  8. Pour ne pas renverser la décision très difficile -éventuelle- de mort assistée vers l’entourage et/ou aux soignants (médecins, « décideurs » et paramédicaux, « exécutants ») devant un « candidat » à cette assistance, il serait surtout judicieux que les directives anticipées soient très précises sur cette possibilité qui n’y existe pas formellement.
    Librement exprimée par la personne et/ou, par délégation, à son tiers de confiance, et mise en œuvre dans des structures adaptées qui ne soient pas de « soins » (palliatifs ou non). Dans le cas contraire -non exprimées- seulement possibles des soins palliatifs (jusqu’à la sédation profonde et continue au décès).
    Pour mémoire les IVG, devenues légales, ont été effectuées dans des hôpitaux -le mien en tout cas- par des vacataires volontaires, devant le [refus] retrait de soignants.

    • En fait on se pose des questions sur un sujet sur lequel on ne devrait pas : le patient doit [devrait] donner son accord formel sur chaque intervention, et ce en connaissance de cause : s’il ne le donne pas, c’est une reconnaissance tacite qu’il n’a pas l’intention de continuer à vivre dans cet état, et en cas d’impossibilité d’établir un contact avec lui, on doit [devrait] s’en remettre à la personne de confiance qu’il a désigné lors de son entrée.
      Ce n’est à personne d’autre de se substituer à leurs volontés, et surtout pas au corps médical qui se prend trop souvent pour dieu, genre tais-toi et laisse faire ceux qui savent
      Je n’ai jamais eu à signer ce genre de documents lors d’une admission : il faut peut-être commencer par là

      • Et si par malheur, à l’entrée à l’hôpital, le patient n’a donné aucun « accord formel » pour quoi que ce soit, et que de plus, il n’a pas voulu désigner de « personne de confiance », alors « ON » est autorisé – quel que soit l’âge du malade – de décréter qu’il est en « fin de vie », de le coller dans un lit, et sans même que le chef de service ne se déplace pour venir au chevet de ce patient voir de quoi il en retourne, « ON » le met sous morphine en attendant la mort, sans autre forme de procès.
        C’est en tous les cas ainsi que cela se passait au CH St-Brieuc en 2020.

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