Emprunt forcé : Lecornu recherche désespérément sa mesure de gauche

Et si l’on obligeait les riches à prêter gratuitement de l’argent à L’État ? Ce dernier les rembourserait au bout de cinq ans – enfin, si c’est possible – et on dirait qu’il s’agit d’une contribution de justice sociale des plus riches pour financer l’innovation, la santé, la défense, bref, tous ces trucs qui font sérieux dans un projet de gouvernement responsable. Et hop, le modèle social français serait sauvé et l’on pourrait continuer à dépenser comme avant !

Telle était en effet la proposition avancée il y a quelques jours par le sénateur socialiste Patrick Kanner alors que la version initiale du Projet de loi de finances (PLF) pour 2026 vient d’être transmise au Sénat pour examen après le rejet en bloc de la partie « recettes » à l’Assemblée nationale. Il estimait que cette disposition donnerait un signal fort de justice fiscale tout en rapportant de 6 à 15 milliards d’euros dans les caisses de l’État à coût zéro au lieu des 3,5 % payés aujourd’hui par la France pour s’endetter.

Une proposition dont l’avenir semble heureusement compromis dans la mesure où ni le gouvernement, ni la majorité de droite au Sénat, ni les Écologistes n’en veulent. Et si vous voulez savoir pourquoi, assez curieusement, les Écologistes écartent cette idée typiquement « de gauche », n’allez surtout pas vous imaginer que ce serait par refus de la coercition et/ou de la confiscation autoritaire des biens ! C’est uniquement parce que pour eux le projet ne va pas assez loin. Rembourser les riches ? Non, mais quelle idée ! Les riches doivent payer, point :

« Un emprunt, il faut le rembourser, donc cela ne résout rien. Ce dont on a besoin, c’est de corriger l’injustice fiscale, pour que les très riches paient davantage. » (Mélanie Vogel, sénatrice Les Écologistes des Français de l’étranger)

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Quant au gouvernement, il a fait savoir par la voix du ministre de l’Économie Roland Lescure que la France n’avait pas de problème pour se financer sur les marchés (merci l’Union européenne, merci l’euro, merci l’Allemagne) et qu’elle n’a donc pas besoin de mettre en place un emprunt forcé auprès des foyers fiscaux les plus aisés. Au contraire, estime-t-il, un tel emprunt donnerait aux marchés un signal « pas forcément très positif ».

Il faut croire que M. Lescure n’avait pas été mis dans la confidence des intenses tractations en cours entre le Premier ministre Sébastien Lecornu et le Parti socialiste. C’est pourtant un secret de Polichinelle : l’adoption du PLF 2026 dépend presque exclusivement de la satisfaction du Parti socialiste. Et qui dit « adoption du PLF » dit évidemment « stabilité gouvernementale », « sérieux des institutions » et grande probabilité de #LecornuMania rebondissante. Quel fin manœuvrier ! Quel habile négociateur ! dira-t-on à propos du Premier ministre, tandis que le budget adopté ne sera jamais que la continuité des maux français alimentés depuis des décennies par une course folle dans la dépense publique, les impôts et les déficits.

Or le rejet de la taxe Zucman à l’Assemblée nationale puis le rejet de toute la partie « recettes » qui comportait nombre de mesures fiscales à la hauteur des espoirs de la gauche rendent l’affaire de plus en plus compliquée. D’où l’impérieux besoin pour Sébastien Lecornu de trouver au plus vite de quoi enlever au Parti socialiste toute envie de le censurer. Bref, trouver rapidement la mesure de gauche acceptable par la majorité des parlementaires. De la part d’un ex-LR, c’est croquignolet. Mais le pouvoir… c’est tellement irrésistible !

Il s’avère en effet que M. Kanner n’est nullement le père de l’emprunt forcé. L’idée est venue dès septembre dernier de quelques chefs d’entreprise désireux d’éviter la taxe Zucman ou toute autre taxe encore plus confiscatoire sur le patrimoine professionnel tout en donnant du grain à moudre à la gauche. L’idée est loin de faire l’unanimité chez les patrons, mais elle séduit Sébastien Lecornu qui s’empresse de convaincre les socialistes qu’ils en sont les astucieux auteurs. Comme le dit malicieusement le sénateur centriste Hervé Marseille :

« Cette histoire, c’est paroles des socialistes, musique de Matignon. »

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L’opération vient donc d’échouer. Mais l’on peut subodorer que ce n’est que partie remise, car comme le rappelle de son côté Patrick Kanner sans précautions inutiles :

« Nous, on joue le compromis, et on tente d’améliorer un budget qui n’est pas le nôtre. Mais si les amis de M. Macron et de M. Lecornu rejettent toutes nos propositions, il n’y aura pas de budget, et eux-mêmes devront quitter la scène. »

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Quitter la scène, voilà ce que M. Lecornu veut éviter à tout prix. Lui-même a offert la suspension de la réforme des retraites à la gauche (et au RN, du reste). Lui-même a déclaré que les débats de fond relevaient d’une future campagne présidentielle, certainement pas de sa responsabilité gouvernementale propre. Et pendant ce temps, l’Assemblée nationale vote la nationalisation d’ArcelorMittal, comme si cela allait miraculeusement rendre l’entreprise attractive pour ses potentiels clients et investisseurs et comme si le contribuable n’allait pas y laisser des sommes amères !

On m’objecte souvent que de toute façon, il faut bien adopter un budget et qu’au vu de la composition de l’Assemblée nationale, il n’y a pas vraiment moyen de faire autrement. Si l’objectif des gouvernants est de durer, en effet. Mais si l’objectif était pour une fois de dire la vérité aux Français ? Si l’objectif était d’arrêter de les prendre pour des petits enfants incapables d’évaluer le réel ? Si l’objectif était d’arrêter de les rouler dans la farine de la stabilité et de la symbolique qui n’ont jamais rien résolu et ne résoudront rien ? Risqué bien sûr, mais tellement plus nécessaire !


Mise à jour du vendredi 28 novembre 2025 à 21 h 30 : face à l’opposition de la majorité des sénateurs, Patrick Kanner a retiré son amendement sur l’emprunt forcé.


Illustration de couverture : le sénateur socialiste Patrick Kanner (Photo X) et le Premier ministre Sébastien Lecornu (Photo AFP).

15 réflexions sur “Emprunt forcé : Lecornu recherche désespérément sa mesure de gauche

  1. En tout cas, quand on lit ce que l’on lit, que l’on voit ce que l’on voit et qu’on entend ce qu’on entend, il ne faut pas se faire d’illusion sur ce que pensent les « riches », sur ce qu’ils font en ce moment ou sont sur le point de faire : quitter ce Titanic fiscal communiste au plus vite ….

  2. Outre les visées destructrices du cron aux ordres des pires individus de notre planète, il est évident que le pragmatisme financier des taxés de tous niveaux est nettement plus élevés que celui d;une grosse partie des cafards enrichis qui pullulent dans touts les strates de l’autorité étatique.

  3. Un emprunt obligatoire à taux zéro viole l’article 17 de la DDHC: « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. »

    • Votre « si » montre bien que tout est possible. Lorsque les situations d’exception rendent ces « si » possibles, le pouvoir fait en sorte qu’on soit justement dans des situations d’exception.

      Dans la future guerre « tiède » contre la Russie, ne cherchez pas l’action du côté des troupes françaises (quelques milliers d’hommes) ni des batailles car il n’y aura probablement aucune confrontation directe. Le vrai théâtre d’opérations sera à l’arrière.

      Comme au bon vieux temps du COVID, tout ce qui cloche dans la société française trouvera soudain une explication rationnelle : la guerre. Vraiment tout ? Mais oui, tout ! Les pénuries de médicaments et de personnel hospitalier, le marché immobilier en panne, la faillite organisée de l’industrie française, les impôts qui flambent, etc. La liste complète en douze volumes figure en annexe du traité instituant la coalition des volontaires.

      Ajoutez à cela les inévitables entorses aux règles démocratiques, avec l’aval du Conseil d’État, s’il vous plaît, restons corrects. Puis la stigmatisation redoublée des opposants, désormais « agents de l’étranger ». Sans oublier la corruption, cette vieille compagne des temps de guerre. J’en parle de manière purement hypothétique, bien entendu, chacun sait que ça n’existe pas chez nous. Du moins tant qu’on n’en parle pas.

      Et tout le monde d’acquiescer, d’un air grave : « Ah oui, c’est la guerre. Faut comprendre ! » Personne ne se souviendra que tout ceci existait bien avant la première balle tirée.

      • Pour faire bonne mesure, lisez donc, sur la LPM 2024-2030:

        https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2024/11/ProgIndusDef_2024_11_Reforme_Code_Defense_Note.pdf

        Page 5 – Les réquisitions liées aux intérêts de la défense nationale

        Avec, toujours selon moi, un article 16 en épée de Damoclès.

        Le danger véritable, maléfique, c’est l’histrion du 55.

        Je ne parviens à comprendre comment un pervers mégalomane, vomi par 90% de la population peut encore demeurer aux commandes, avec toute une capacité de nuisance, sans que nous n’y puissions rien.

        @Rob

        Mes deux fils ont foutu le camp, pour mon plus grand soulagement.

      • @Leo: Je partage votre inquiétude. Que constatons-nous ?

        Un parlement fragilisé par un désordre qui semble presque orchestré : absence de coalition, absence de programme. Une minorité au pouvoir propose un budget, tandis que chacun y va de sa petite mesure démagogique. Bref, une certaine pagaille.

        Pendant ce temps, Macron adopte la posture du spectateur en affirmant : « Je n’interviens pas ». Une stratégie qui pourrait lui permettre d’apparaître comme le recours naturel lorsqu’il invoquera les « intérêts supérieurs de la nation ».

        S’ajoutent à cela la loi sur la fin de l’anonymat sur Internet, présentée comme une protection de la jeunesse, et les pressions pour créer un « Ordre des journalistes », deux initiatives qui, curieusement, visent à encadrer l’expression critique et à dissuader les voix dissidentes.

        Le tableau est préoccupant, certes. Mais nos jeunes ont montré qu’ils savaient résister aux injonctions douteuses, et nous serons là pour les soutenir. D’ailleurs, on imagine mal comment certaines mesures coercitives pourraient être appliquées dans tous les territoires. Disons que la réalité du terrain pourrait réserver quelques surprises.

  4. Il fut un temps où l’impôt jaillissait tout seul, comme le pétrole au Texas. Il suffisait d’ajouter une rubrique sur une fiche de paie ou un impôt sur une TVA et ça coulait tout seul. Mais voilà : le puits est sec. Le pic fiscal est atteint. Les nappes pognonifères de la classe moyenne sont taries, les TPE sont à l’os, et même les professions libérales achètent sur Vinted.

    Alors on passe au forage non conventionnel. Direction l’épargne des français, ce schiste bitumineux de la justice sÔciale. Depuis le temps qu’ils rêvent de la fracturer. Pour l’instant, ils percent les dernières couches de résistance et se rapprochent du filon. On fracture le contribuable à coups de moraline, on injecte des récits de justice sociale sous haute pression, et parfois, miracle républicain, ça jaillit : une niche fiscale effondrée, un héritage capté, un prêt forcé à taux zéro. Le rendement est incertain, mais le cartel promet de mettre tout en oeuvre pour aller chercher la dernière goutte. Et nous, pauvres contribuables, rêvons de passer à l’électrique. La chaise électrique, bien sûr, pour tous ces pollueurs. Une solution durable, zéro émission, parfaitement alignée avec les objectifs climatiques.

      • @reddef: Ah oui, très juste ! Pas plus tard qu’hier soir, j’abordais le sujet au dîner avec ma délicieuse épouse, histoire de la détendre un peu car je la sentais légèrement crispée, malgré ses efforts pour le dissimuler. Mais le fait est qu’elle ne peut rien me cacher. Seize ans de vie commune m’ont donné une maîtrise des signaux faibles. Cette façon qu’elle a de faire circuler la vaisselle en orbite basse autour de la pièce ne trompe pas. J’ai néanmoins sauvé la soupière. Victoire modeste mais réelle. Je lui parlais donc de mes dernières contributions sur le blog de Nathalie MP. Seulement voilà : mon épouse n’a pas votre finesse d’analyse. Plutôt que d’évoquer H16 comme vous le faites avec tant de justesse (merci à vous), elle a préféré me gratifier d’un chapelet d’aménités dont certaines n’ont même pas encore été inventées par l’Académie française. La bienséance, et surtout cette satanée modération automatique, m’interdisent de les rapporter ici. J’ai bien essayé d’élever le débat, mais j’ai rapidement compris qu’il valait mieux me baisser pour laisser passer les objets contondants.

  5. Tout le monde se tue a dire qu’il faut absolument un budjet, mais non désolé ce n’est pas obligatoire! Le pays peut très bien tenir sous loi spéciale jusqu’a 2027, comme en début 2025 c’était le cas.

    La loi spéciale a une vertue, elle permet de faire de sacrés economies et de geler les principales dépenses

    • @Mildred: « La réalité du terrain pourrait réserver quelques surprises » : comprenez que mobiliser dans certains quartiers hostiles à l’aventurisme militaire européen s’annonce délicat. Le pouvoir choisira-t-il la confrontation ou la compromission avec les barbus et les narcos ? Pour ma part, je parie sur un subtil mélange des deux : dérive autoritaire du régime accompagnée d’un discret renoncement à certains principes républicains. Le fameux « en même temps ».

    • Non mais alors Dupont-Aignan peut toujours jouer sa partition personnelle… »il avait toujours dit ceci cela… » hein !
      Mais notre guide suprême lui aussi joue sa partition personnelle et manifestement sa position le rend plus visible et c’est un bon acteur. Il s’agit pour lui de montrer les gros bras, les 100 rafales, la mobilisation des armées imminente, chaque semaine la bise à Zelensky, le leadership de la coalition avec les partenaires anglais et allemands, etc…
      Se montrer et causer quotidiennement pour pouvoir déclarer que grâce à l’énooorme pression qu’IL aura pu exercer sur la Russie, « on » aura obtenu la paix. Peu importe les conditions, voilà l’homme qui conviendra pour l’Europe, puisque c’est son objectif.

      Trop risible ? Pas si sûr !

  6. Nous sommes majoritairement dans une société d’enfants gâtés survalorisant l’immédiateté, ignorante de l’histoire et de l’arithmétique (en se limitant à ces deux fondamentaux). Donc ce sont TikTok et twitter qui animent la vie courante, le gazouillis d’un cerveau de moineau, c’est dire…
    Donc un concours hebdomadaire de déclarations futiles de la part de nos politiques est suffisant. Après les m2 fictifs de la taxe foncière, voilà l’idée de la semaine dernière, l’impôt forcé (d’ailleurs un plagiat de tentatives passées) mais il est déjà à la poubelle, à la suivante !
    Mais dans la vie vraie, comment s’étonner de l’anxiété de nos entrepreneurs qui demeurent attentistes.
    Un pays sans budget, c’est finalement plus rassurant, voir l’Espagne, la Belgique, US, etc…
    Que nos politiques se taisent et en premier celui qui est dans la position suprême nous apaiserait.

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