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Cette élection est complètement dingue ! (et ce n’est pas fini…)

« Cette élection présidentielle est complètement dingue ! » Ainsi s’exclamait le candidat des écologistes Yannick Jadot en apprenant que François Hollande renonçait à briguer un second mandat. C’est exactement ce que je pense. La formule n’est certes pas très élaborée, elle n’a ni la carrure universitaire ni les épaules journalistiques, elle est sans componction et se rit des analyses alambiquées. Mais on comprend bien ce qu’elle veut dire : rien ne se déroule comme prévu, rien ne se passe comme d’habitude. 

Les premiers sont les derniers, les candidats « légitimes » abandonnent gentiment le terrain aux Brutus, les absents sont les gagnants, certains gagnants se retrouvent avec leur femme sur les bras, alors que d’habitude c’est plutôt par les maîtresses dans les bras que les ennuis arrivent, bref, on va de surprises en coups de théâtre, sans oublier malgré tout les habituels coups tordus, élection présidentielle oblige.

Mais plus sérieusement, je crois que cette présidentielle est dingue au sens premier du mot : plus qu’incroyable, plus qu’inhabituel, il signifie instabilité, perte de la raison, déraillement des sens et caractérise la confusion extrême qui règne aujourd’hui dans les idées et les choix politiques.

Dimanche soir, dans l’émission du Figaro consacré aux résultats de la primaire de gauche, j’entendais un jeune votant socialiste expliquer que pour la présidentielle il hésitait entre Macron et Hamon. Mon Dieu, comment dire ? Il est vrai que d’un point de vue libéral, il n’y a guère de différence entre celui (l’Ancien) qui propose un programme typé extrême-gauche et celui (le Moderne) qui ne dit rien mais dont tout le monde sait qu’il fera du Hollande bis, voire ter voire terrifiant. Mais pour un socialiste qui se respecte, le choix devrait être clair : le premier représente la vraie gauche et le second est qualifié au choix de social-traître quand on voit le verre vide et de social-démocrate quand on voit le verre plein. C’est précisément le choix « irréconciliable » qui fut proposé aux socialistes dimanche entre Valls et Hamon.

Heureusement que j’ai eu l’idée d’aller vérifier directement sur le site dédié qui avait vraiment gagné les « primaires citoyennes. » Hamon le frondeur (59 %), parait-il. Il aurait même réussi à évincer notre ex-Premier ministre Valls (41 %). Incroyable ! Car à lire et entendre tout ce que la presse nous rapportait dimanche soir et hier des réactions et des ralliements politiques consécutifs au vote, j’étais convaincue qu’Emmanuel Macron était le grand vainqueur de cette consultation électorale.

Grâce à un tweet de Pierre Bergé, dont personne ne pourra nier l’engagement « progressiste » ni les amitiés avec Mitterrand, Chirac, Royal et Hollande, j’étais sous l’impression que le Parti socialiste s’était finalement rallié à la bannière du jeune Macron avec l’idée de faire vivre son hémisphère « Moderne » :

La confusion des idées a incontestablement du bon, au moins pour un temps. En ce domaine, la fulgurante percée d’Emmanuel Macron nous apporte une preuve de plus que le silence est d’or. Le silence, ou plutôt, car il faut bien faire des discours pour soulever l’enthousiasme du peuple, le flou artistique habillé chez Rotschild et coiffé à Bercy. Si Macron parvient à l’emporter en mai sans en dire plus que ses appels actuels assez vagues au rassemblement des « progressistes », ce sera encore un coup de tonnerre à rajouter au compte de tous les épisodes invraisemblables mais vrais de cette élection complètement dingue.

Cependant, avec l’entrée officielle en campagne, avec la tradition des professions de foi, avec la nécessité de présenter un programme un tant soit peu cohérent avec tout ce qu’il dit et ne dit pas, tout ce qu’il annonce puis rétracte, tout ce qu’il rejette puis finalement récupère, dans un vaste mouvement « gauche droite gauche et gagne », je pense qu’il va être obligé de sortir de l’ambigüité, poser deux trois propositions sur la table, c’est-à-dire sur des petits prospectus en trois volets à distribuer dans les boîtes aux lettres. Or ceci ne se fait jamais sans risque. Première petite difficulté qui attend Emmanuel Macron.

La seconde difficulté tient au caractère si inhabituel de cette élection, à son caractère dingue et instable, à la dislocation entre les idées et les hommes, surtout à gauche pour ce dernier point. Je la vois de plus en plus comme un jeu de Go. Rien n’est jamais formellement acquis. Les encerclements d’un jour s’évanouissent le lendemain par mouvement d’un pion, puis se reforment ailleurs le surlendemain. Celui qu’on voyait perdant prend l’avantage et cet avantage pousse à d’autres encerclements qui prennent à leur tour le dessus.

Un équilibre sera atteint. Toute la question est de savoir si cela peut se faire avant ou après l’élection présidentielle.

La victoire de Benoît Hamon dans la primaire de gauche, miraculeusement associée au passage à vide de Fillon en raison de la polémique sur les emplois de sa femme, fait clairement les affaires d’Emmanuel Macron. On est en train de vivre la force de l’encerclement de son mouvement En marche ! sur la fracture idéologique du Parti socialiste et sur la déstabilisation d’une frange de la droite et du centre.

Selon les derniers sondages disponibles, le Front national engrangerait au premier tour 25 % des voix, Fillon 22 %, Macron 20 à 21 %, Hamon 15 % , Mélenchon 10 % et Jadot 2 %. Si l’on arrêtait les compteurs à ce stade, un second tour Macron Le Pen deviendrait aussi probable qu’un second tour Fillon Le Pen, la dynamique étant plutôt du côté du premier (le potentiel législatif en moins).

Mais les compteurs sont loin d’être arrêtés. La machine idéologique de la gauche est au contraire en pleine recomposition pour ne pas dire en pleine éruption.

Compte tenu de l’adage sur les perdants qui deviennent les gagnants, faut-il envisager maintenant un ultime renversement avec une victoire de Jadot et ses 2 % actuels en mai 2017 ? Quand on voit d’où vient un Hamon, sur le plan de l’insignifiance de la personne comme sur celui de la médiocrité dangereuse des idées, on se dit que tout est possible. A vrai dire cette idée est moins loufoque qu’il n’y paraît car si bien sûr Jadot à lui tout seul ne peut sans doute pas grand chose, ses 2 % additionnés aux 10 % de Mélenchon et aux 15 % de Hamon représentent quand même 27 %. Ajoutez 1 % de Poutou et Arthaud et vous avez un joli bloc de tête.

Sur le plan idéologique, tout pousse ces trois-là à s’entendre. Yannick Jadot a fait savoir qu’il était disposé aux discussions et Jean-Luc Mélenchon a analysé le résultat de la primaire de gauche comme étant une confirmation de ses idées. Quant à Hamon, nouveau champion d’un Parti socialiste qui n’est plus ce qu’il était mais qui reste grand dans le folklore politique français, qui garde une force d’appareil électoral et qui dispose de beaucoup d’élus, il se sent des responsabilités de rassemblement pour « battre la droite et l’extrême droite. » 

On a vu des alliances pré-électorales se faire avec bien moins de convergence d’idées, à commencer par celle entre Hollande et les écologistes sur le dos de la centrale nucléaire de Fessenheim pour son élection en 2012. Pour l’instant, évidemment, aucun n’est prêt à renoncer à sa participation personnelle au premier tour. Mais aucun n’est en mesure d’accéder au second tour non plus. On peut cependant être certain que des mouvements de troupes sont puissamment à l’oeuvre.

De ce fait, je conseillerais volontiers à Emmanuel Macron de ne pas trop se reposer sur ce « boulevard » que tout le monde lui annonce, lui espère ou lui prépare activement. L’élection n’est pas terminée, la composition du plateau du jeu de Go est loin d’avoir dit son dernier mot. Sur le plan des contenus, il est évident que les regroupements cohérents hommes/idées n’ont pas encore été développés complètement ni partout.

Si un accord de gouvernement se faisait à l’extrême-gauche, ce serait catastrophique pour la France, mais sa probabilité d’occurrence est loin d’être nulle. Il serait à l’inverse dans l’intérêt des trois concurrents de tête, c’est-à-dire Marine Le Pen, François Fillon et Emmanuel Macron, d’empêcher qu’il puisse se faire.

Oui, « cette élection présidentielle est complètement dingue » et ce n’est certainement pas fini ! Ce devait être Juppé, puis Fillon, puis maintenant Macron. Attendons et voyons comment les combattants, une fois requinqués après ce round primaire de gauche, vont reformer leur lignes.


Illustration de couverture : Jack Nicholson dans Vol au-dessus d’un nid de coucou de Milos Forman, 1976.

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