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La bataille du glyphosate [Replay]

Mise à jour du 16 novembre 2023 : Bataille du Glyphosate, le retour ! Faute d’accord entre les pays membres de l’Union européenne, la commission européenne a annoncé ce jour le renouvellement de l’approbation du glyphosate pour 10 ans. Et c’est reparti pour le psychodrame !

On a encore trouvé des quantités abominables de glyphosate dans le pipi de 30 célébrités de l’écologie et de l’audiovisuel ! « On », c’est l’association Générations futures qui milite contre les pesticides et pour l’agriculture bio. « Encore », parce qu’une opération médiatique similaire avait déjà été réalisée auprès de 48 députés européens il y a un an. 

« Abominable » ? Parce que selon Générations futures c’est la preuve que le glyphosate est partout, parce qu’on parle de l’herbicide le plus utilisé dans le monde, parce que c’est l’horrible Monsanto qui l’a développé, parce qu’il est insidieusement calibré pour fonctionner de pair avec des semences OGM et parce que – attention, carte maîtresse – l’Agence cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a classé ce produit dans sa catégorie 2A des « cancérigènes probables » en mars 2015.

Les résultats des analyses d’urine menées par Générations futures sont publiés au moment précis où l’Union européenne (UE) va devoir prendre une décision cruciale d’interdiction ou de renouvellement de l’autorisation du glyphosate.

• Dans l’UE, l’autorisation du glyphosate est arrivée à échéance en juin 2016. A cette date, les pays membres n’ont pas pu se mettre d’accord sur l’avenir de la molécule, notamment en raison des différences d’évaluation entre l’OMS et plusieurs autres agences importantes de sécurité sanitaire.

En effet, après le classement du produit en cancérigène probable par l’OMS, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a conclu sa propre revue de novembre 2015 par :

« Le groupe d’examen par les pairs a conclu qu’il est improbable que le glyphosate soit génotoxique (c.à.d. qu’il endommage l’ADN) ou qu’il constitue une menace cancérogène pour l’homme. »

L’EFSA a précisé avoir pris en considération le rapport du CIRC ainsi que beaucoup d’autres études et souligne qu’elle s’est centrée sur l’évaluation du glyphosate et non sur celle des co-formulants qui peuvent entrer dans la composition des herbicides proposés à la vente, contrairement à la démarche du CIRC.

Un pré-rapport établi par un État membre de l’UE, en l’occurence l’Allemagne via son Institut d’évaluation des risques (BfR), avait abouti aux mêmes conclusions d’innocuité du glyphosate tout en pointant les risques associés à un co-formulant du nom de tallowamine. S’agissant des produits à base de co-formulations glyphosate / tallowamine, ils sont aujourd’hui pratiquement tous sortis du marché.

De son côté, l’Agence de protection de l’environnement américaine (EPA) a mené une révision complète des risques liés au glyphosate en septembre 2016 et a conclu de toutes les études examinées que  le produit :

« est un cancérigène improbable pour l’homme, dans les doses compatibles avec l’évaluation des risques sur la santé. »
(not likely to be carcinogenic to humans” at doses relevant to human health risk assessment, page 141)

.
Tout ce qui précède est très loin de confirmer l’étude du CIRC. Assez ironiquement, l’OMS est en quelque sorte revenue sur la classification 2015 de son agence cancer dans une étude menée conjointement avec la Food and Agriculture Organization de l’ONU (FAO) en mai 2016. Centrée sur les risques liés à l’ingestion de résidus de glyphosate (ou de sa dégradation métabolite EMPA), elle conclut également que :

« Il est improbable que le glyphosate pose un risque cancérigène à l’homme via son régime alimentaire. »
(glyphosate is unlikely to pose a carcinogenic risk to humans from exposure through the diet, § 1.2)

.
À propos de l’OMS, il n’est pas inutile de remarquer que la catégorie 2A des cancérigènes probables est utilisée lorsqu’il existe une « preuve limitée » (limited evidence) que le produit soit cancérigène pour l’homme et une « preuve suffisante » (sufficient evidence) pour les animaux de laboratoire.

Rappelons-nous également que les émissions de diesel, le tabagisme et les viandes transformées (charcuterie) ont été classés en catégorie 1 (cancérigènes pour l’homme), tandis que la viande rouge est en catégorie 2A comme le glyphosate. Un véritable inventaire à la Prévert ! On a envie de rire. Dans un petit document pédagogique relatif aux viandes, l’OMS précise même que :

« La viande transformée a été classée dans la même catégorie que d’autres agents, causes de cancer, comme le tabagisme et l’amiante, mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils sont tous aussi dangereux. Les classifications du CIRC décrivent la force des données scientifiques sur un agent comme étant une cause de cancer, mais n’évaluent pas le niveau du risque. »

Transposons : un requin, c’est dangereux. N’empêche qu’à Paris, autour du bassin du Luxembourg, le risque de mourir par attaque de requin est nul. Question d’exposition.

Autrement dit, ces classifications laissent une large place aux interprétations les plus variées ou même les plus délirantes. Nos activistes écologistes verront dans le 2A du glyphosate un risque mortel immédiat, tandis que le 1 de la charcuterie n’a pas l’air de les affoler plus que ça (heureusement !). Mais derrière la charcuterie, pas de sinistre géant du capitalisme à blâmer, donc … passons … et revenons au glyphosate.

Quant aux animaux de laboratoire, notons que les écologistes s’appuient volontiers sur une étude de 2012 particulièrement affolante (photos à l’appui) conduite par Gilles-Eric Séralini sur des rats nourris avec du maïs transgénique NK603 de Monsanto présentant une bonne tolérance aux glyphosates. Mais ses méthodes superbement approximatives sont très loin d’avoir convaincu la communauté scientifique.

• En juin 2016, face à l’indécision des pays membres, l’UE a prolongé son autorisation de 18 mois en attendant une ultime étude, celle de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA). Or celle-ci a annoncé il y a trois semaines (le 15 mars) qu’elle ne classait pas le glyphosate parmi les agents cancérigènes, ouvrant ainsi la voie à une nouvelle autorisation du produit en Europe.

Pour une association telle que Générations futures, pas question de laisser le glyphosate triompher. D’où l’opération pipi des célébrités, quitte à se livrer à des manipulations assez grossières sur l’opinion publique. Mais c’est une habitude de cette association. Il se trouve qu’elle a participé de très près au documentaire de Cash Investigation « Produits chimiques : nos enfants en danger » diffusé le 2 février 2016 sur France 2. Le moins qu’on puisse dire, c’est que cette émission n’a pas brillé par sa rigueur scientifique.

Dès le début, la journaliste Elise Lucet nous affirme que d’après l’EFSA « 97 % des produits alimentaires contiendraient des résidus de pesticides. » Enorme, n’est-ce pas ? Il y a vraiment de quoi avoir peur pour notre avenir et nos chers enfants ! C’était le but du reportage, bien sûr. Sauf qu’en réalité, l’EFSA a dit :

« Plus de 97 % des échantillons alimentaires analysés contiennent des résidus de pesticides dans les limites légales. »

Et : « 54,6 % des échantillons ne contenaient aucun résidu détectable »

.
Voilà qui commençait assez mal, mais qui caractérise fort bien les activités de Générations futures. Dans l’affaire des analyses d’urine, inutile de dire que la présence de Delphine Batho, ex-ministre de l’écologie, de Charline Vanhoenacker, journaliste de France Inter, ou Emily Loizeau, chanteuse, n’apporte rien à l’étude à part le côté people censé capter l’attention des masses, et ne démontre en rien la dangerosité de l’herbicide incriminé.

Inutile de dire également qu’un petit échantillon de 30 personnes dont on ne sait rien des métabolismes n’est absolument pas représentatif de quoi que ce soit. C’est un point que l’association admet volontiers. Elle ne prétend pas faire des études scientifiques, elle veut juste témoigner que le glyphosate, molécule terriblement dangereuse selon elle, est partout. Tellement partout que :

« 100 % des échantillons analysés contenaient du glyphosate à une concentration supérieure à la valeur minimale de quantification du test (LQ = 0,075ng/ml). » 

100 % ! C’est du lourd, du super-dangereux ! « Le test est sans appel ! » s’exclame la journaliste du Monde qui rapporte l’affaire. Voilà ce qu’il faut comprendre, au risque d’enfoncer quelques portes ouvertes. Le glyphosate est l’herbicide le plus utilisé, c’est même pratiquement le seul, tous les autres ayant été interdits grâce aux bons offices des écologistes. Qu’on en trouve des résidus dans les urines (qui véhiculent les déchets hors du corps humain, rappelons-le) n’est pas étonnant.

Et que les concentrations trouvées soient supérieures à la valeur minimale de quantification du test, la belle affaire ! La valeur de quantification est justement la limite basse que les techniques actuelles permettent de déceler. Par construction, par définition, tout ce qu’on trouvera sera supérieur à la valeur de quantification. Générations futures veut nous impressionner avec des éléments chiffrés qui n’ont aucune signification particulière au regard de la dangerosité supposée du produit.

L’étude compare ensuite la concentration moyenne trouvée dans les 30 échantillons d’urine à la teneur admise dans l’eau potable, et nous révèle qu’elle est 12,5 fois plus élevée. Encore un taux bien angoissant. Si ce n’est que personne ne peut prétendre que l’urine soit de l’eau potable. Il se trouve que les études métaboliques montrent que le glyphosate est rapidement éliminé du corps. Le fait qu’on en retrouve dans l’urine est en réalité une excellente nouvelle.

On aimerait plutôt savoir si les quantités décelées sont le signe d’expositions trop importantes au produit. Naturellement, Générations futures ne nous en dit rien, mais sur ce point, le BfR allemand a justement répondu que non. A partir de sept études différentes, il a relevé qu’il était courant d’y constater la présence de résidus de glyphosate, mais que les quantités correspondantes d’ingestion alimentaire ou d’exposition professionnelle relevées étaient respectivement très nettement inférieures à la dose journalière admise  (0,5 mg par kg de poids corporel et par jour) ou à la norme acceptable d’exposition (0,1 mg par kg de poids corporel et par jour), lesquelles ont été fixées avec de belles marges de précaution.

Dans le cas précis du test de Générations futures, les entreprises de l’agrochimie ont répondu hier que la concentration moyenne constatée (1,25 ng/ml) correspondait à une exposition 2800 fois inférieure (!) à la dose journalière admise.

• On est donc bien en pleine bataille du glyphosate, tant l’agriculture telle qu’on la pratique aujourd’hui se trouverait chamboulée par son interdiction. Comment procède un agriculteur ? Une fois la récolte de blé d’une saison effectuée, il gratte un peu son champ en surface pour faire germer toutes les graines (de blé ou d’autres herbes) qui s’y trouvent.

Quand elles ont germé et poussé, deux solutions. Soit l’agriculteur passe partout un désherbant systémique (qui descend dans le système racinaire et tue la plante), afin d’obtenir un terrain où sa récolte suivante ne sera pas en concurrence avec d’autres herbes inutiles pour l’accès à l’eau, aux engrais et aux sels minéraux de la terre. En pratique, il s’agit du glyphosate, même en France où les culture d’OGM sont interdites.

Soit il n’a pas de désherbant à sa disposition et il lui faut labourer en profondeur tout le terrain pour enterrer les plantes résiduelles et les faire mourir avant d’ensemencer pour la récolte de la saison suivante. Dans ce dernier cas, cela suppose une agriculture plus mécanisée qui émet plus de dioxyde de carbone et qui perturbe plus les êtres vivants du sol, deux choses que les écologistes n’aiment pas.

A la lecture de tout ceci, on a tendance à penser que les activistes de l’écologie, pas le moins du monde éclairés par leur ancienne croisade catastrophique contre le DDT, se préoccupent fort peu de science et de cohérence. Ils ne sont jamais avares de grandes opérations médiatiques qui ne démontrent rien, mais qui créent des peurs imaginaires, avec le projet réel plus ou moins bien caché de lutter contre le progrès et le développement au nom d’un respect de la nature et des hommes tout relatif. Dans le cas du glyphosate, c’est toute la production agricole, celle qui nourrit les hommes, qui est en jeu.


Articles liés à découvrir dans la série Ecologie positive, notamment sur les OGM, sur les abeilles et sur les produits bio.


Pour en savoir plus
1. Sur l’émission Cash Investigations « Produits chimiques : nos enfants en danger » : le décryptage du site Science et pseudo-science.
2. Sur les différences d’évaluation du glyphosate entre l’agence cancer de l’OMS (IARC) et les agences de nombreux pays : le décryptage du site de Wackes Seppi.


.Mise à jour du mardi 26 septembre 2017 : La Commission européenne a proposé de renouveler l’autorisation du glyphosate (herbicide) pour 10 ans. Mais le gouvernement français ne l’entend pas de cette oreille. Son porte-parole, Christophe Castanera annoncé hier que le glyphosate serait interdit pour tous ses usages d’ici la fin du quinquennat, puis il est revenu sur ses propos en indiquant que le Premier ministre avait demandé un rapport sur « les conditions d’un plan de sortie » de ce produit. Le glyphosate ayant été jugé par de multiples agences sanitaires comme non dangereux pour l’homme dès lors que les conditions d’utilisation sont respectées, est-ce bien utile ? 

Mise à jour du mercredi 25 octobre 2017 : La décision sur la prolongation ou non de l’autorisation du glyphosate dans l’UE pour une durée de 10 ans – ramenée hier à 5 à 7 ans –n’a pu être prise aujourd’hui car les Etats membres n’arrivent pas à se mettre d’accord. La Commission européenne a annoncé que le vote est reporté tandis que la France a fait savoir qu’elle acceptait de passer d’une durée de 3 à 4 ans si cela pouvait faire avancer le dossier.

Comme on l’a vu plus haut, le CIRC (agence cancer de l’OMS) est le seul organisme qui ait classé le produit en catégorie 2A « cancérigène probable ». Cette catégorie est utilisée lorsque il existe une « preuve limitée » (limited evidence) que le produit soit cancérigène pour l’homme et une « preuve suffisante » (sufficient evidence) pour les animaux de laboratoire.

C’est cet unique rapport qui sert d’argument massue aux écolos pour pousser à l’interdiction du glyphosate contre toutes les autres études qui concluent toutes qu’il est un « cancérigène improbable » pour l’homme.

Or Reuters (article du 19 octobre 2017) a eu la possibilité de comparer le premier rapport du CIRC et la version publiée finalement. Il s’avère qu’entre les deux, de nombreuses études montrant que le glyphosate n’était pas cancérigène pour les animaux ont été éliminées du rapport :

« One effect of the changes to the draft, reviewed by Reuters in a comparison with the published report, was the removal of multiple scientists’ conclusions that their studies had found no link between glyphosate and cancer in laboratory animals. »

Interrogés sur ces « disparitions », les chercheurs du CIRC n’ont pas voulu ou pas su répondre.

Dans quelques années, « La bataille du glyphosate » sera à n’en pas douter un cas d’école sur la façon dont les lobbies écolos manipulent les populations du XXIème siècle dans la plus pure tradition des superstitions, des peurs et des croyances qu’on croyait d’un autre âge. Où sont passées Les Lumières ?

Mise à jour du 22 novembre 2017 : Une étude indépendante ayant porté sur 54 000 agriculteurs suivis pendant 20 ans montre que l’exposition au glyphosate n’élève pas le risque de cancer. 

Mise à jour du lundi 27 novembre 2017 : Les pays membres de l’Union européenne se sont mis d’accord pour renouveler l’herbicide glyphosate pour 5 ans. 18 pays ont voté pour, 9 contre (dont la France) et un pays s’est abstenu. 

Mise à jour du 29 mai 2018 : dans l’examen de la loi agriculture et alimentation, les députés ont rejeté les amendements visant à interdire complètement le glyphosate d’ici 2021. Et ils ont eu raison ! De son côté, le gouvernement souhaite que des alternatives soient mises sur le marché avant la mise à l’index.


Illustration de couverture : Le Round Up de Monsanto, désherbant à base de Glyphosate. En France, la vente aux particuliers sera interdite à partir de 2019. La vente en libre-service est interdite depuis cette année. Il faut s’adresser à un vendeur censé recommander un produit alternatif.

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