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Taxe à 3 % sur les dividendes : Derrière le fiasco, la débâcle morale de l’État

Le gouvernement avait à peine achevé la présentation de son projet de loi de finances pour 2018 que le Conseil constitutionnel, en invalidant totalement la taxe à 3 % sur les dividendes le 6 octobre dernier, venait porter un coup sévère, un coup à 10 milliards d’euros, à la périlleuse trajectoire de retour à l’équilibre qu’il avait réussi à imprimer – sur le papier – à nos comptes publics à l’horizon 2022.

On sait combien notre situation budgétaire est tendue. On sait à quel point il nous est difficile de revenir à un déficit public inférieur à 3 % du PIB. C’est un objectif dont Nicolas Sarkozy s’est peu préoccupé, justifié qu’il se croyait par les nécessités de « la crise » à partir de 2008. Et c’est un objectif que les gouvernements de François Hollande ont ensuite allègrement reculé d’année en année, pour finir par présenter un budget 2017 à 2,7 % de déficit dont tout montre qu’il était bel et bien entaché « d’insincérité », comme l’a signifié la Cour des Comptes dès juin 2017.

L’état d’esprit français qui prévaut depuis si longtemps fait qu’on ne veut renoncer à rien de notre État providence et de notre administration pléthorique tout en espérant contre l’évidence que tout ira mieux comme par enchantement. Concrètement, on compte surtout sur la croissance mondiale à laquelle on entend s’accrocher pour continuer à mener notre train de vie dispendieux sans que cela se voit trop dans les comptes publics ou dans les chiffres du chômage.

Conséquence n° 1, nos dépenses publiques en euros constants ne baissent jamais. Rapportées au PIB, elles atteignent aujourd’hui le montant exorbitant de 57 %, ce qui nous place hélas dans les premiers pays dépensiers du monde. Contrairement à ce que le gouvernement actuel raconte un peu partout, elles ne baisseront pas non plus en 2018. Au contraire, elles vont augmenter de 0,5 % en volume.

Dans ces conditions, réduire le déficit public, et donc enrayer aussi la folle augmentation de notre dette publique, revient obligatoirement à chercher des recettes fiscales partout, tout le temps, frénétiquement et fébrilement. Conséquence n° 2, nos prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales) sont aussi parmi les plus élevés du monde comparativement au PIB (45 %) et ils ne baissent jamais en euros constants. En 2018, ils augmenteront de 1 % une fois corrigés de l’inflation. Mais là encore, l’état d’esprit français y trouve satisfaction : il n’est que trop normal, moral même, de surtaxer les riches et les grandes entreprises dès que le budget dérape.

L’histoire de la taxe à 3 % sur les dividendes s’inscrit exactement dans ce contexte de fuite en avant joyeusement acceptée.

En 2012, Hollande vient d’être élu. Bien sûr, il va mettre fin à la « casse sociale » avidement organisée par son prédécesseur en faveur des plus riches. Lui, Hollande, n’aime pas les riches ; le monde de la finance est son adversaire et il a même l’idée de créer une tranche d’imposition à 75 %(*) pour les plus hauts revenus. À ce moment-là, le déficit public est de 5,3 % du PIB (2011) et le nouveau président s’est engagé pendant la campagne électorale à revenir en dessous des 3 % dès 2013.

Une drôle de quadrature du cercle fiscal en perspective pour son gouvernement, d’autant qu’un impôt (portant sur des OPCVM non résidents, mais peu importe) venait d’être censuré par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) pour non respect de la libre circulation des capitaux. Aussi, afin de récupérer autrement les recettes fiscales évanouies, une taxe de 3 % sur les dividendes distribués est instituée à la va-vite dans la loi de finance rectificative d’août 2012. Certaines PME en sont exonérées.

Un dividende étant ce qui est versé aux actionnaires une fois que l’entreprise a payé toutes ses taxes et son impôt sur les sociétés (IS), cette nouvelle taxe constitue de fait une augmentation de l’IS. Autant dire que cela tombe très bien ; non seulement l’État va pouvoir se prévaloir de rentrées fiscales assez rondelettes, de l’ordre de 2 milliards d’euros par an, mais en plus, il taxe les riches et le monde de la finance !

Notons que cette idée avait été suggérée à l’origine par Christian Eckert, futur secrétaire d’État au budget du futur ministre de l’économie Michel Sapin, et notons que dès le début, d’énormes doutes sur sa constitutionnalité et sur sa compatibilité avec nos engagements européens avaient été émis. Cela n’a pas dissuadé l’équipe Hollande de poursuivre dans le « sérieux budgétaire » bien particulier qui l’a toujours caractérisée.

Mais les entreprises assujetties, alertées par leurs conseillers fiscaux, ont saisi les différentes instances compétentes. Elles ont fini par obtenir gain de cause, d’abord auprès de la CJUE en mai 2017 pour les dividendes reçus de filiales installées dans l’UE, et maintenant auprès du Conseil constitutionnel pour tous les dividendes en raison du non respect du principe d’égalité devant la loi. Les sommes indûment prélevées doivent donc être remboursées.

Suite à la décision de la CJUE, le gouvernement avait décidé de ne pas reconduire cette taxe et il avait provisionné dans ses comptes 5,7 milliards d’euros de remboursements étalés jusqu’en 2021. Mais la décision récente du Conseil constitutionnel a fait monter la facture totale à la somme astronomique de 10 milliards.

Autant dire que cette affaire, qui complique terriblement la donne budgétaire, est en train de virer au règlement de compte politique. C’est un véritable « scandale d’État », s’est indigné le ministre de l’économie Bruno Le Maire, qui a l’avantage, en tant qu’ex-opposant à Hollande, d’être complètement hors du coup, de même que son collègue du budget Darmanin et le Premier ministre Édouard Philippe.

Qui savait ? Le Président Hollande, le Premier ministre Ayrault, le ministre de l’économie Moscovici, le ministre du budget Cahuzac ? Valls, Sapin et Eckert ? Et que dire d’Emmanuel Macron lui-même ? Il fut conseiller de Hollande pour les affaires économique de 2012 à 2014 puis ministre de l’économie de 2014 à 2016. Apparemment tout le monde savait depuis le début que l’affaire était rédhibitoire, tout le monde a laissé faire, et voilà que les pieds nickelés de Bercy, Matignon et l’Élysée sont rattrapés par la patrouille, comme dirait Bruno Le Maire.

Mais il serait dommage de s’arrêter en si bon chemin. Autant que la blague soit bonne jusqu’au bout ! Déjà dûment impressionnés par cette invraisemblable combinaison malsaine de négligence et d’incompétence, et totalement bluffés par l’incroyable sentiment d’impunité qui permet à nos dirigeants de faire absolument tout et n’importe quoi avec l’argent des autres sans en subir jamais les conséquences, on ne peut qu’admirer la façon dont le gouvernement actuel envisage maintenant d’arranger les choses.

Car non seulement il est question d’étaler le remboursement dans le temps, ce qui est  assez compréhensible, mais – accrochez-vous – Bercy réfléchit maintenant à une taxe additionnelle ou à une surtaxe qu’il pourrait appliquer aux grandes entreprises pour se tirer d’affaires ! Faire payer ses propres victimes, voilà comment l’État, notre État toujours prêt à redresser « nos torts » par ses impôts et ses réglementations imbéciles, compte s’acquitter de sa mission de garant des personnes et des biens :

« L’idée de mettre en place une contribution exceptionnelle sur les très grosses entreprises n’est pas écartée (…) Face à cette situation exceptionnelle, ils (les chefs des grandes entreprises) peuvent comprendre que nous leur demandions un effort. » (Bruno Le Maire)

Inutile de dire que l’idée que ce soit l’État qui fasse un effort en rognant sur ses dépenses pour se trouver en mesure de rembourser des entreprises qui ont été spoliées par sa seule faute n’est bien évidemment venue à l’esprit de personne, au gouvernement ou en dehors.

On serait très loin du compte si l’on ne voyait dans cette incroyable débâcle financière et morale de l’État que l’incompétence crasse d’une équipe gouvernementale particulière ou si on la limitait à des questions de pure technique fiscale. Si cette affaire doit nous enseigner quelque chose, c’est d’abord que l’État, absolument tentaculaire en France, se sert et se servira le premier quoi qu’il arrive ; c’est ensuite que la situation budgétaire dans laquelle la France vit d’expédients depuis trop longtemps ne peut plus durer.

Ces 10 milliards seront-ils la goutte insupportable qui va enfin faire déborder le vase de la dépense publique effrénée et alerter les citoyens sur l’insoutenabilité complète de notre modèle économique et social ? Marqueront-ils le début d’une prise de conscience qui rendra les Français plus attentifs au murmure libéral qui recommande d’en passer pour de bon par la baisse réelle des dépenses et des impôts pour arrêter d’hypothéquer l’avenir, pour limiter le pouvoir (de malversation) de l’État et pour redonner de l’autonomie aux individus ?

Je l’espère, mais j’en doute. À entendre les commentaires, même sarcastiques ou atterrés, aucun changement de logiciel n’est à l’ordre du jour. Des technocrates vont trouver une solution et la vieille machine puante et déglinguée va repartir comme avant.


(*) Cette mesure, abandonnée début 2015 après une forte contestation et des menaces de censure du Conseil constitutionnel, n’aura pas rapporté grand chose au budget de l’État, mais elle témoigne à elle seule de la volonté de brimer fiscalement « les riches » en permanence, quitte à faire n’importe quoi.


Illustration de couverture : Fronton du Conseil constitutionnel qui vient d’invalider totalement la taxe à 3 % sur les dividendes instaurée en 2012.

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