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Brexit : « Boris is after my job » Cameron says

Juillet 2019 : « Boris is after my job » disait Cameron en 2016. Trois ans plus tard, voilà le pétulant Boris Premier Ministre de sa majesté en remplacement de Theresa May. Portrait.

Le vote britannique sur le Brexit, c’est-à-dire sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE), aura lieu dans moins de deux semaines, le jeudi 23 juin 2016 prochain. Depuis le fameux « I want my money back » de Margaret Thatcher en 1979, depuis la possibilité obtenue dans le Traité de Maastricht de 1992 de rester en dehors de la zone euro, depuis le statut particulier relativement à l’espace Schengen sur la libre circulation (1997), l’adhésion britannique à l’Europe ne s’est pas faite sans de nombreuses réticences intérieures et de tout aussi nombreuses concessions de la part des partenaires européens. A l’affiche de cette nouvelle confrontation inédite, les deux meilleurs ennemis du monde : David Cameron pour le maintien et Boris Johnson pour la sortie.

Le sujet européen est si épineux outre-Manche qu’on ne peut qu’admirer la décision du premier ministre David Cameron de proposer ce référendum, non sans risque pour sa carrière, à des Britanniques très divisés sur la question. Mais comme il l’a dit lui-même, les enjeux sont élevés et dépassent les destins politiques personnels :

« C’est peut-être la décision la plus importante que le peuple britannique va devoir prendre au cours de notre vie. »

Depuis la France, on observe avec attention ce qui se passe à l’autre bout de l’Eurostar car les mêmes questionnements, alimentés notamment par la crise grecque pour les questions financières et par la crise des migrants pour les questions de frontières, sont au coeur de notre débat public et tendent à reformater le paysage politique entre les souverainistes et les européens plutôt qu’entre la droite et la gauche.

Au Royaume-Uni, les opinions sont tellement partagées sur le Brexit que les clivages politiques habituels ne sont plus guère pertinents non plus. On observe une ligne de fracture qui passe entre l’Angleterre (pro) et l’Ecosse (anti), entre les plus de 50 ans (pro) et les moins de 35 ans (anti), entre les tabloïds (pro) et le Financial Times et The Guardian (anti).

Alors que l’UKIP, parti euro-sceptique de droite dirigé par Nigel Farage, arrivé en tête lors des élections européennes de 2014 avec 27 % des voix, soutient logiquement le Brexit, deux anciens premiers ministres opposés, John Major du parti conservateur, et Tony Blair du parti travailliste, se retrouvent sur la même ligne pour inciter leurs compatriotes à rejeter ce projet.

Au sein même du parti Conservateur, le Premier ministre fait campagne pour le maintien dans l’UE, moyennant la demande de quelques concessions supplémentaires plus ou moins bien accueillies, tandis que Michael Gove, secrétaire d’Etat à la Justice, et Boris Johnson (photo ci-dessous), qui vient de céder son siège de maire de Londres au Travailliste Sadiq Khan, lui-même favorable au maintien, sont résolument engagés pour le Brexit.

Dès lors, on comprend sans peine que l’ambiance est plutôt électrique chez les Tories. Selon différents témoignages, Cameron considère que « Gove is nuts » et que « Boris is after my job » c’est-à-dire : Gove est cinglé et Boris veut mon job !

Les partisans du Brexit fondent leurs arguments sur le slogan « Take control » : reprenons le contrôle de notre budget, de nos frontières, de nos décisions et de notre démocratie. En face, leurs opposants craignent que la sortie ne signifie isolement et affaiblissement du pays et cherchent à rétablir la vérité sur la contribution exacte du Royaume-Uni au budget européen, compte tenu de ce qu’il en reçoit par ailleurs : elle n’est pas si élevée que les premiers le disent, loin s’en faut.

La vidéo ci-dessous récapitule en une minute les partisans anti et pro Brexit. Profitons-en pour faire la connaissance de Boris Johnson et sa célèbre crinière blonde, et remarquons au passage que lorsqu’il annonce à la presse sa décision de soutenir le Brexit contre la position du premier ministre, il déclare :

« The last thing I wanted was to go against David Cameron or the government, but after a great deal of heartache I don’t think there’s anything else I can do. I will be advocating Vote Leave. » (21 février 2016).

En d’autres termes, Boris Johnson dit qu’il défend une position de principe tandis que David Cameron l’accuse de petits calculs politiques à ses dépens. En réalité, ce qui pourrait n’être qu’une rivalité politique comme on n’en connait que trop prend des allures de drame personnel, voire de tragédie cornélienne, car les deux hommes, bien que très différents au physique comme au moral et toujours dans un rapport d’émulation depuis l’origine, sont de vrais amis de plus de trente ans.

Interrogé sur ses relations avec Boris Johnson depuis la prise de position de ce dernier, David Cameron a répondu : « I’m still friends with Boris, just perhaps not such good friends. » Selon plusieurs sources, le premier ministre n’a pas ménagé sa peine pour dissuader Johnson de soutenir le Brexit. Il lui aurait même offert de choisir lui-même son poste au gouvernement.

Ils se sont rencontrés à Eton, institution scolaire fréquentée par l’élite anglaise qui a formé à ce jour 19 premiers ministres britanniques et encore plus de ministres. Ayant deux ans d’écart – Johnson est né en 1964 et Cameron en 1966, ils ne font véritablement connaissance que lorsqu’ils se retrouvent à l’université d’Oxford, autre incubateur fameux d’hommes politiques anglais.

En particulier, ils fréquentent tous deux le Bullingdon Club, société étudiante très huppée réputée pour ses grands banquets provocateurs et quelque peu destructeurs de vitres et de vaisselles, toujours remboursées avec beaucoup de libéralité le soir même, dans la plus pure tradition de l’extravagance anglaise pratiquée avec délectation en tenue de soirée.

De ce point de vue, Boris Johnson est un délice pour nous autres Français car il correspond parfaitement et naturellement à l’archétype du gentleman anglais légèrement excentrique qu’on aime adorer et détester en même temps. On le reconnait de loin à sa tignasse blond paille toujours hirsute, à son physique pataud et à son langage truculent et décomplexé.

Né à New York de parents plutôt bohèmes issus de la haute société anglaise d’un côté et d’origine turque de l’autre, il connait avec ses frères et soeurs une enfance sans véritable chaleur familiale. Ballotés entre Londres, Bruxelles et Washington, souvent laissés à eux-mêmes, les enfants Johnson doivent se débrouiller seuls.

Incontestablement intelligent, et tout aussi incontestablement paresseux, Boris s’est surtout taillé une réputation de pitre sympathique doué d’un fort charisme dont tout le monde se souvient en souriant. Parmi ses petites manies, citons par exemple son goût pour les discours délivrés en Latin à des dignitaires du Malawi en visite à Eton.

A Oxford, il occupe le poste étudiant le plus envié, celui de Président de la prestigieuse société de débats Oxford Union (photo ci-contre avec Melina Mercouri, ministre grecque de la culture), alors que David Cameron y a fait un passage beaucoup plus terne.

C’est cependant Cameron qui en sortira le plus brillamment diplômé, même si, d’après les dires de ses amis, Johnson se considère comme le plus doué des deux.

Après Oxford, Cameron rejoint le parti conservateur comme analyste tandis que Boris Johnson se lance dans une carrière d’historien et de journaliste. En 1999, il devient rédacteur en chef du magazine hebdomadaire conservateur The Spectator, lequel a une orientation beaucoup plus atlantiste qu’européenne.

En 2001, il se présente aux élections générales et obtient son premier siège de député du parti conservateur. Mais en 2004, il ment sur ses affaires privées au chef du parti de l’époque et se retrouve écarté des fonctions les plus intéressantes. Malgré tout, son habitude des médias, sa faculté à rebondir et sa facilité à se tirer d’affaires par un discours fleuri et chaleureux font de lui un homme populaire apprécié jusque dans les rangs de l’opposition.

En 2008, il est élu une première fois à la mairie de Londres où il se montre plutôt assidu au travail. C’est lors de ce premier mandat qu’il met en place des vélos surnommés Boris Bikes inspirés des Vélibs parisiens. En 2012, il est réélu à la tête de la capitale britannique alors que le parti conservateur essuie une lourde défaite aux élections locales. Sa position personnelle en est confortée, d’autant qu’il permet à son parti de perdre la tête haute. Les Jeux Olympiques de l’été 2012 organisés à Londres constituent un succès supplémentaire à son actif qui lui ouvre franchement le chemin vers le 10 Downing Street, résidence officielle du premier ministre britannique.

Or depuis qu’il s’est lancé à fond dans la campagne pour la sortie de l’UE, soit depuis février dernier, Boris Johnson semble avoir perdu sa faculté à toujours retomber sur ses pattes. Il accumule les bévues et les outrances, comparant le projet européen à celui d’Hitler, ou faisant des remarques déplacées sur les origines kenyanes du Président américain Obama lorsque celui-ci exprime son souhait de voir le Royaume-Uni rester dans l’UE. Dans les débats télévisés sur le Brexit, comme celui d’hier soir (9 juin 2016) par exemple, il est systématiquement accusé de vouloir prendre la place du premier ministre, ce qui a pour effet de dévaloriser son engagement par rapport à celui de David Cameron qui risque la démission en cas d’échec.

David Cameron ayant gagné les élections générales de 2015 avec la majorité absolue, les espoirs de Boris Johnson d’accéder à ce poste résident maintenant dans la réussite du Brexit, car dans ce cas le premier ministre, ayant perdu son pari, serait contraint de démissionner ; ou alors, en cas d’échec du Brexit, dans sa faculté à contrer un possible concurrent conservateur pour les prochaines élections générales de 2020, en l’occurrence George Osborne, actuel Chancelier de l’Echiquier (ministre des finances) de David Cameron, ou alors Michael Gove, cité plus haut, et crédité maintenant d’une bonne avance sur Johnson au cas où il faudrait remplacer Cameron à la tête des Conservateurs.

On sera fixé sur l’issue du Brexit dès le 23 juin prochain au soir. Selon les sondages les plus récents, le résultat semble très indécis. La semaine dernière, deux instituts (Yougov et TNS) donnaient le Brexit en tête avec respectivement 45 et 43 % des intentions de vote contre 41 % pour le maintien. 16 % des électeurs sont encore indécis. De quoi réconforter Boris.

Mais selon d’autres estimations, le vote en faveur du maintien pourrait l’emporter par hausse de la participation. Suite à un débat télévisé entre Cameron (maintien) et Farage (sortie) qui s’est tenu mardi 7 juin dernier, les inscriptions en ligne sur les listes électorales ont été si nombreuses que le site gouvernemental destiné à les enregistrer s’est planté. Il pourrait s’agir de jeunes électeurs habituellement peu concernés par le vote mais majoritairement favorables au maintien dans l’UE.

Depuis leurs années collège, Johnson et Cameron sont très proches. Ils ont fait beaucoup de choses ensemble et sur le plan politique, ils se sont même souvent prêté main-forte. Mais l’un et l’autre savent depuis le début à titre personnel qu’ils ont l’étoffe pour devenir premier ministre, et « Cameron y est parvenu le premier. » Boris Johnson est devenu maire de Londres, un excellent job, mais pas encore tout à fait « the » job dont l’étudiant le plus populaire d’Eton et d’Oxford se sent en droit de rêver.

Personne ne le croit lorsque, interrogé sur ses projets concernant le 10 Downing Street, il répond par une pirouette à sa façon :

« Qui pourrait voter pour un couillon bloqué au milieu d’un câble ? »

dans une allusion à une petite aventure amusante mais quand même un peu grotesque qui lui est arrivée pendant les Jeux Olympiques de 2012 alors qu’il essayait une tyrolienne suspendue au-dessus de Londres (vidéo ci-dessous, 56″) :


Mise à jour du vendredi 24 juin 2016 : le référendum sur le Brexit a donc bien eu lieu hier et les Britanniques ont choisi à 51,9 % de QUITTER l’Union européenne.

Mise à jour du jeudi 30 juin 2016 : A la surprise générale (« volte-face extraordinaire » dit le Financial Times), après le succès du Brexit dont il était l’un des chefs de file, Boris Johnson a annoncé aujourd’hui renoncer à briguer la succession de David Cameron comme leader du parti conservateur et donc comme premier ministre britannique.
Parmi les candidats au poste, notons Michael Gove, actuel ministre de la Justice et également ardent partisan du « Leave », ainsi que Theresa May, ministre de l’Intérieur, donnée favorite. Boris Johnson aurait évalué que la popularité grandissante de ces deux candidats ainsi que le faible soutien de la presse traditionnellement conservatrice, risquaient de le conduire à l’échec.
Il se murmure que Boris Johnson pourrait abandonner la politique pour revenir à son métier de journaliste, au Daily Telegraph, par exemple, où il tient déjà une chronique hebdomadaire.
Incroyable dénouement pour cette compétition Cameron/Jonhson qui voit les deux hommes quitter la scène politique au même moment, le premier dans la grandeur de l’échec accepté et le second dans l’ombre d’une victoire confuse pour laquelle on lui reproche beaucoup d’approximations et un manque de préparation de la sortie du Royaume-Uni de l’UE.

La suite est à lire dans l’article Brexit et conséquences : Theresa May sera-t-elle Prime Minister ? (8 juillet 2016)


Illustration de couverture : Boris Johnson, homme politique britannique du parti conservateur, membre du Parlement, maire de Londres de 2008 à 2016, actuellement en campagne pour le Brexit, c’est-à-dire la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Photo :  © Archives AFP Ben Stansall.

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