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Le retour du « Pognon de dingue »

Il y a deux ans, dans un tweet très étudié publié dans la nuit par sa conseillère presse de l’époque, Emmanuel Macron jetait un énorme pavé dans les non-dits du modèle social dont nous tirons année après année une gloire grotesque :

« Moi, je fais un constat qui est de dire, tout le système social, on met trop de pognon, on déresponsabilise et on est dans le curatif. (…) Regardez : on met un pognon de dingue dans les minima sociaux et les gens, ils sont quand même pauvres, on n’en sort pas. »

En quelques mots simples, concis et frappeurs, mais seulement des mots hélas, Emmanuel Macron faisait LE constat de ce qui prive la France de la prospérité et de la compétitivité qui pourraient être les siennes : un modèle social non pas ultra-libéral comme on l’entend dire ultra-bêtement ultra-souvent, mais au contraire ultra-coûteux, ultra-déresponsabilisant et finalement ultra-inefficace pour réduire le chômage, augmenter le pouvoir d’achat et donc réactiver le fameux « ascenseur social » dont on se plaint qu’il ne fonctionne plus tout en chérissant les causes de la panne.

Seulement des mots, car à ce moment-là, en 2018, alors que nous étions à dix ans de la crise de 2008 et pas encore dans la crise économique consécutive au confinement anti Covid, alors donc que nous étions dans une période favorable aux réformes, rien de bien sérieux ne fut entrepris pour corriger les vices structurels qui pétrifient la France dans le chômage de masse, les dépenses publiques, les impôts et taxes, les déficits, la dette et une délirante inflation législative et réglementaire en cours d’être généreusement accentuée par la pression écologique.

Code du travail ? Il a été… modifié, oui, mais de façon tellement superficielle ! Ni la lancinante question des 35 heures (qui désorganisent complètement le travail et brise notre compétitivité) ni celle du salaire minimum (parmi les plus élevés de l’OCDE relativement au salaire médian, soit 62 % en 2018) n’ont été abordées. Suppression de l’ISF ? En partie, certes, mais relativement à la pression fiscale, ce ne fut jamais que l’épaisseur du trait comme en témoigne notre taux de prélèvements obligatoires qui, à plus de 46 % du PIB en 2018, persiste à faire de la France la championne du monde de la ponction fiscale.

À l’évidence, pour le gouvernement, il était alors tellement plus « courageux », urgent, structurant et important de ramener la vitesse maximum sur les routes secondaires de 90 à 80 km /h ! Il était tellement plus important d’augmenter les taxes déjà énormes sur les carburants (mesure finalement annulée devant la colère populaire), il était tellement plus impérieux de collectiviser encore plus notre système de retraite (malgré un alignement bienvenu des régimes spéciaux sur le régime général), etc.

Arrive 2020, arrive le Coronavirus, arrive le confinement généralisé (faute de masques, de gel hydro-alcoolique et de tests, redisons-le) qui met brutalement notre économie à l’arrêt, et arrive en conséquence une crise économique gravissime qui, selon les projections de l’OCDE, devrait entraîner un repli du PIB français de 11,4 % en 2020, soit, encore une fois, un record parmi les pays développés (chiffres sans seconde vague épidémique représentés par les bâtons rouges du graphique ci-dessous, cliquer pour agrandir) :

Comme rien de sérieux n’a été fait avant, comme nous partons dans la crise sans la moindre réserve budgétaire mais avec un déficit public qui fut encore de 3 % en 2019 et avec un taux de chômage (8,1 % en 2019) deux fois plus élevé que celui de nos voisins qui ont eu la bonne idée et la bonne volonté d’effectuer leurs indispensables réformes libérales (Pays-Bas, Allemagne), il ne nous reste plus que la solution française classique du « pognon de dingue » et son cortège de dette publique – qui ne trouvera son extinction que dans des impôts futurs et/ou de l’inflation – pour essayer d’adoucir la terrible crise sociale qui s’annonce. 

La crise sanitaire du Covid-19 a mis en évidence tous les défauts criants de notre système de santé. Dans le débat qui a émergé sur la place publique, il fut question des salaires des soignants dont le niveau par rapport à ce qui se pratique dans les autres pays de l’OCDE est effectivement à la traîne. Mais il fut également question d’organisation et d’allocation des ressources. On constate en effet que la France est avec l’Allemagne l’un des pays qui dépensent le plus pour leur santé (11,2 % du PIB en 2018) mais que son taux de personnel hospitalier non-soignant est également parmi les plus élevés.

Or le « Ségur » de la santé annoncé en grande pompe par Emmanuel Macron vient de s’achever sous les louanges de ses promoteurs gouvernementaux et il n’a porté que sur les revalorisations salariales à hauteur de 8,1 milliards d’euros, ce qui n’est pas peu dire. Le reste, qui est en rapport direct avec la qualité des soins, a été une fois de plus opportunément oublié. Le pognon de dingue coule à flots jusqu’à la prochaine crise et les réformes attendront.

De la même façon, dans son entretien télévisé du 14 juillet, Emmanuel Macron a annoncé un plan de relance de 100 milliards d’euros en plus de ce qui a déjà été mis sur la table jusqu’à présent (soit 450 milliards y compris les prêts garantis par l’État). Il a notamment détaillé la création imminente de 300 000 emplois aidés, 100 000 postes supplémentaires en service civique et 200 000 places de plus en formation pour les jeunes, notamment les moins qualifiés, afin de leur éviter les affres du chômage. S’y ajoutent les habituelles mesures de baisse de cotisations sociales pour les salaires inférieurs à 1,6 smic.

Le fait est que les perspectives de l’emploi ne sont guère réjouissantes. Dans ses projections de juin dernier, la Banque de France anticipait un pic de chômage à 11,5 % pour le printemps prochain contre 8,1 % à fin 2019. Selon les suivis mensuels de la DARES(1), à fin mai 2020, la crise avait déjà amplement manifesté ses effets destructeurs sur l’emploi.

Sur trois mois (mars, avril et mai 2020), la catégorie A des demandeurs d’emploi complètement sans emploi a bondi de presque 1 million de personnes, s’établissant à un niveau jamais atteint de 4,4 millions de chômeurs. Si l’on rajoute les catégories B, C, D et E (travail partiel, formations, emplois aidés), la hausse est de l’ordre de 450 000 et porte le nombre total de demandeurs d’emploi à 6,8 millions :

Demandeurs d’emploi en France entière (hors Mayotte) – Situation à fin mai 2020
Sources : DARES (mars 2020avril 2020, mai 2020)

(En milliers)                                             DARES  FRANCE  ENTIERE
  Catégorie A Catégories ABC Cat. ABCDE
Mai 2007 2 400,0 3 500,0  
Décembre 2017 3 709,5 5 920,6 6 614,4
Décembre 2019 3 533,2 5 727,2 6 401,7
Mars 2020 3 732,5 5 855,1 6 521,7
→ Variation mois + 246,1 + 177,5 + 166,7
Avril 2020 4 575,5 6 064,4 6 712,9
→ Variation mois + 843,0 + 209,3 + 191,2
Mai 2020 4 425,6 6 125,4 6 781,8
→ Variation mois -149,9 + 61,0 + 68,9
→ Var. en 3 mois + 939,2 + 447,8 + 426,8

Si l’on comprend fort bien pourquoi le gouvernement souhaite atténuer « quoi qu’il en coûte » la catastrophe sociale qui se profile, on ne peut que déplorer le « courtermisme » irréfléchi qui préside à tout ceci. 

Prenons les allégements de charges. Si c’est l’une des solutions privilégiées pour redonner de l’allant à notre économie, pourquoi ne nous posons-nous pas plus de questions sur la lourdeur globale de notre modèle social ?

Et si l’on craint de voir débouler en masse les jeunes les moins qualifiés à Pôle emploi, pourquoi distribuons-nous le Bac à tout le monde, cette année encore plus que d’habitude, sous le faux prétexte de l’égalité ? À force de demander de la « bienveillance » aux correcteurs compte tenu de la situation sanitaire exceptionnelle, le taux de réussite est passé de 88 % en 2019 à… 96 % en 2020 ! Autrement dit, sur 746 000 candidats, environ 60 000 de plus que l’an dernier vont se retrouver à l’université et plus probablement au chômage. Quitte donc à créer sur fonds publics de nouvelles formations que l’Éducation nationale a complètement échoué à délivrer.

Quant à protéger les demandeurs d’emploi les moins qualifiés à coup de contrats aidés qui n’ont jamais favorisé par la suite l’entrée dans un emploi marchand – et c’est du reste la raison pour laquelle Emmanuel Macron les avait considérablement diminué(2) après les pics atteints sous Hollande (de presque 200 000 en 2015 et 2016 à environ 80 000 en 2018) – pourquoi ne décidons-nous pas de baisser notre salaire minimum qui s’avère être l’un des plus élevés de l’OCDE relativement au salaire médian(3) des salariés à temps plein ?

Toutes les études sérieuses montrent en effet que loin de favoriser le pouvoir d’achat, un salaire minimum trop élevé tasse les revenus vers ce salaire minimum et exclut les personnels les moins qualifiés du marché du travail. 

Notons enfin que l’idée très dirigiste qui circule actuellement devant l’adversité du coronavirus de réactiver un Commissariat au Plan participe pleinement de cette fatalité du pognon de dingue déversé à fonds perdus des contribuables dans l’économie.

Bref, on dirait bien que la crise de 2008 n’a rien appris à nos dirigeants successifs. Non seulement ils n’ont pas mis à profit les périodes d’alignement des planètes (taux, pétrole et dollar bas) pour engager des réformes de structures profondes et sérieuses, mais ils s’apprêtent à recommencer à nouveau les mêmes erreurs. Tout surpris par l’urgence, ils ne connaissent qu’une seule méthode, celle du « pognon de dingue » déversé par milliards dans notre modèle social dont notre économie met ensuite des années à se remettre plus ou moins bien. Ça promet.


(1) Direction des statistiques du ministère du Travail. 
(2) À noter que les effectifs de la fonction publique n’ont pas baissé pour autant.
(3) Le salaire médian partage la population en deux groupes de même effectif.


Illustration de couverture : Emmanuel Macron a répondu aux questions des journalistes Léa Salamé et Gilles Bouleau , 14 juillet 2020. 

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