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Gilets jaunes : la sortie de CRISE n’est pas pour demain

« Comme il semble loin, ce temps où des Français en gilet jaune descendaient dans la rue pour s’opposer à la hausse des taxes sur les carburants et dénoncer à juste titre la France comme le pays champion du monde des taxes ! » Ces mots que j’écrivais au lendemain de l’acte 14 des Gilets jaunes, combien j’ai encore plus de raisons de les écrire après la véritable guérilla urbaine à l’ombre des Black Blocs qui a caractérisé l’acte 18 de samedi dernier !

Comme ce temps semble loin, et combien il fut court ! Très vite, le retour de l’ISF et la haine du riche ont pris le dessus ; très vite, les revendications sont devenues typiquement « vénézuéliennes » (on sait pourtant comment cela finit) ; très vite, les manifestations du ras-le-bol fiscal ont été dissoutes dans l’émeute et la casse des symboles de « l’oligarchie et de la luxure » – pour reprendre la phraséologie quelque peu approximative de Sophie Tissier, l’une des figures des Gilets jaunes :

Alors oui, les forces de l’ordre n’ont pas été à la hauteur, tant du point de vue de la stratégie de maintien de l’ordre que du point de vue de la chaîne de commandement. Ce n’est pas moi qui le dis mais Laurent Nuñez, le secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Intérieur. L’impact de cet acte 18 annoncé comme marquant la fin du Grand débat semble avoir été nettement sous-estimé.

Et il est vrai que le Black Bloc a ses propres objectifs et ses propres méthodes. Groupe ultra-violent d’extrême-gauche, il s’infiltre dans des mouvements de contestation pour donner une image radicale de la faiblesse de l’Etat de droit et déstabiliser le monde capitaliste. En France, on l’a vu à l’oeuvre lors des manifestations contre la loi El Khomri (2016) et plus récemment lors des défilés du 1er mai 2018. Dans ce cadre, les Gilets jaunes ne constituent qu’un opportun vecteur de ses démonstrations de force.

Il serait cependant naïf de s’imaginer que les gentils Gilets jaunes de l’acte 18 ont été pris en otage à l’insu de leur plein gré par de méchants Black Blocs. « Qu’est-ce qu’on en a à faire que le Fouquet’s ait cramé ? » demande Sophie Tissier dans la vidéo ci-dessus. Evidemment, ça l’ennuie de savoir qu’une mère et son enfant (sauvés de justesse par un policier) aient failli perdre la vie consécutivement à l’incendie d’une banque par les Black Blocs, mais tant que ces derniers s’en tiennent à des dégâts matériels sur des symboles du capitalisme, elle les soutient !

Le respect de la propriété privée, les emplois en jeu dans les boutiques et les restaurants dévastés, tout cela lui passe au-dessus de la tête. L’important, c’est la lutte, comme dirait Philippe Poutou. L’important, c’est la rue, comme dirait Jean-Luc Mélenchon.

D’autres témoignages du même style font froid dans le dos. John, animateur de 28 ans venu de Nancy :

« Les black blocs, avant ils faisaient peur à tout le monde, maintenant on trouve que c’est un plus. C’est eux qui font avancer les choses, nous, on est trop pacifistes. »

Ou Ana, 33 ans, factrice venue de Toulouse :

« C’est génial que ça casse, parce que la bourgeoisie est tellement à l’abri dans sa bulle, qu’il faut qu’elle ait peur physiquement, pour sa sécurité, pour qu’ils lâchent. »

« Leur faire peur », tel était déjà l’un des slogans de la Nuit debout (2016).

Autrement dit, nos Gilets jaunes de l’acte 18 ont adopté les postures d’extrême-gauche d’un Frédéric Lordon avec une décontraction et une souplesse idéologique déconcertante.

Cet économiste atterré propulsé « parolier » des Nuits debout par François Rufin (député insoumis depuis 2017) déclinait en effet son activisme anti-capitaliste virulent en ces termes :

« C’est bien pour cela que nous sommes rassemblés ici ce soir (nuit debout du 31 mars 2016) : pour imaginer la catastrophe. Apportons-leur (aux tenants du monde libéral) la catastrophe. »

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Y a-t-il un autre message politique à retenir de l’acte 18 des Gilets jaunes ? Je ne crois pas, je ne vois pas. Les collectivistes ont gagné. Les anti-capitalistes ont gagné, et bien gagné.

Car on ne parle pas seulement des 32 000 manifestants de samedi dernier dans toute la France, chiffre politiquement dérisoire, mais d’un soutien populaire qui reste élevé à 49 % malgré la lassitude qui s’installe, et dont l’essentiel se concentre chez les électeurs de Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen (74 et 75 % de soutien) et dans une moindre mesure chez ceux de Benoît Hamon (52 %) :

Dans ces conditions, au-delà du retour à l’ordre public que le gouvernement doit absolument reprendre en main, on voit mal Emmanuel Macron trouver la sortie de crise dans les préconisations libérales classiques qui associent choc fiscal (à la baisse) et baisse des dépenses publiques. Dans la situation actuelle de tension et de violence, ce message serait non seulement parfaitement inaudible et fortement rejeté, mais il n’a jamais été à l’ordre du jour.

Il suffit de relire la lettre de Macron eux Européens pour comprendre que pas un seul instant il n’est question pour lui de remettre en cause notre modèle social, bien que ce dernier prenne l’eau de toutes parts et soit le premier responsable de notre marasme économique et social. Dans l’idée du Président, il est plutôt question de convaincre nos partenaires européens de s’y rallier plutôt que de nous réformer.

Il suffit d’entendre Bruno Le Maire disqualifier en permanence le profit réalisé par les entreprises et pérorer sans fin sur leur nouveau rôle social et environnemental, il suffit de le voir chercher de l’impôt partout, et surtout chez les riches et les grandes entreprises, sous la pompeuse hypocrisie de la « justice sociale » qui n’est jamais que l’augmentation d’une redistribution de revenus déjà largement plus colossale en France que partout ailleurs – « moi je vais vous dire où il est l’argent : l’argent, il est chez les géants du numérique. » Etc. etc.

Force est de constater que depuis l’élection d’Emmanuel Macron, et malgré ses mille protestations très startupeuses, tout le discours économique de l’équipe au pouvoir renforce dans l’opinion publique l’idée que le mode de production capitaliste est malsain et qu’il convient de l’encadrer vigoureusement dans des législations étroites et des impôts nouveaux.

Selon les dernières déclarations du Président de la République devant un aréopage d’intellectuels, le seul début de mesure vraiment libérale de son gouvernement, la transformation de l’ISF en IFI qui permettait aux capitaux de se réorienter librement vers la production, pourrait même être soumis à de nouvelles conditions d’investissement. Un alibi technique, en quelque sorte, afin de faire comprendre qu’on n’est pas loin de reculer sur l’ISF.

C’est en ce sens que l’on peut dire que la fin de la crise des Gilets jaunes n’est pas pour demain : de par les réclamations des manifestants eux-mêmes, qui ont reçu hier l’appui des syndicats sur le pouvoir d’achat et la défense des services publics, et de par les sympathies dirigistes du gouvernement, la sortie de crise consistera inéluctablement, et comme d’habitude, à aggraver tous les défauts de notre modèle économique et social, donc à recréer de la crise pour plus tard.

On peut éventuellement envisager ainsi un retour au calme ponctuel, mais il sera de très courte durée. Même si Emmanuel Macron parvenait à gagner les élections européennes de mai prochain, ce qui lui donnerait indubitablement un peu d’air sur le plan politique, la situation économique structurelle du pays ne s’améliorerait pas.

Il se pourrait qu’une conjoncture mondiale favorable permît de masquer les faiblesses de la France pendant un temps, mais d’une part ce n’est pas ce qui est prévu pour les mois à venir, et d’autre part, dès l’embellie internationale terminée, notre drame national reprendrait de plus belle : dépenses, impôts, dette, chômage… et de nouveaux gilets jaunes mécontents … et de nouvelles violences … et de nouvelles fausses solutions.

Je ne me résous pas à voir mon pays s’enfoncer aussi obstinément dans le marasme économique et l’affrontement civil consubstantiels au socialisme. Je ne me résous pas à entendre que c’est la générosité et la politique du cœur qui motivent le maintien d’un système qui nous entraîne de façon aussi voyante vers le fond. 

Alors j’écris, j’écris, j’écris, pour essayer de convaincre un Français après l’autre, un lecteur après l’autre, que l’unique solution à la crise des Gilets jaunes, celle que nous vivons aujourd’hui comme celles que nous nous condamnons à vivre encore, passe par une réforme libérale totale.

Je sais, c’est inaudible et aucun parti politique n’en parle ; mais j’écris.


Illustration de couverture : Gilets jaunes acte 18, Boutique Hugo Boss des Champs Elysées (avant d’être vandalisée), Paris, 16 mars 2019. Photo : Henri Seckel pour Le Monde.

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