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M. le Président, se proclamer EUROPÉEN ne suffit pas !

S’il est un sujet sur lequel Emmanuel Macron n’a jamais cultivé le flou, c’est bien celui de son attachement à l’idée d’Europe. A l’époque de la campagne présidentielle, il avait même reçu la meilleure note parmi les cinq premiers candidats quant à son engagement européen. Il affirmait aussi avec une belle lucidité que la France devait d’abord s’occuper de faire ses propres réformes structurelles indispensables avant de demander à l’Union européenne (UE) de se réformer. Un minimum quand on est le mauvais élève de la classe. 

Aujourd’hui cependant, même si l’on n’est qu’en début de mandat, on a pu mesurer combien les réformes de structure lancées par Emmanuel Macron étaient diaphanes et remettaient à plus tard le moment crucial d’engager la France sur la voie de la vraie rigueur budgétaire et de la nécessaire libéralisation de son économie. Je pense en particulier à la réforme du code du travail et au PLF 2018.

Dans le même temps, chaque nouvelle proposition du Président pour « refonder » l’UE ressemble à s’y méprendre à une tentative de lui appliquer les vieilles recettes dirigistes et dépensières de la France plutôt que d’en faire un espace de liberté dans lequel inscrire une France enfin débarrassée de ses tabous économiques étouffants.

Oh, certes, l’attachement européen est intact ! Après avoir utilisé l’hymne européen comme fond musical de sa victoire au soir du 7 mai, Emmanuel Macron ne vient-il pas d’officialiser la reconnaissance par la France de tous les symboles de l’UE que sont le drapeau aux douze étoiles, l’hymne tiré de l’Ode à la joie de Beethoven, la devise « Unie dans la diversité », l’euro comme monnaie commune et la journée de l’Europe le 9 mai ?

C’est bien sûr une réponse politique à ceux qui, comme Florian Philippot du temps où il était encore en phase avec Marine Le Pen, traitaient le drapeau européen de « torchon oligarchique » ou à ceux qui, comme Jean-Luc Mélenchon (vidéo) et ses députés Insoumis, ont été pris de palpitations citoyennes en le découvrant aux côtés du drapeau français dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale.

Mais tout ceci reste extrêmement symbolique, car la véritable question, surtout pour un Président de la République, est moins de se proclamer européen envers et contre tout que de définir quel Européen on est et quelle Europe on a en tête.

Quand la France a mis le pied pour la première fois dans le marché commun créé par le traité de Rome de 1957, elle était en pleine crise politique (Algérie) et économique et semblait incapable d’affronter le défi de la concurrence qui se présentait à elle. Le général de Gaulle était extrêmement méfiant à l’égard de l’intégration européenne et souhaitait obtenir des clauses de sauvegarde pour la France. Jacques Rueff, l’auteur du plan Pinay-Rueff de 1958 qui allait assainir les finances du pays et le mettre sur la voie de la croissance par libéralisation de son économie, l’en a dissuadé.

D’une fibre libérale inconnue des autres hauts fonctionnaires français de l’époque, Jacques Rueff encourageait au contraire la France à s’ouvrir sans crainte sur l’extérieur. Partisan de l’orthodoxie budgétaire et de la vérité des prix, il était tout aussi attaché à l’idée d’Europe qu’Emmanuel Macron, mais dans une version qui s’opposait au protectionnisme et qui encourageait la libre circulation des hommes, des marchandises et des capitaux.

Pour lui, la Communauté économique européenne naissante (CEE) était une chance que la France devait saisir pour entrer enfin de plain-pied dans le vaste monde de la concurrence, seule possibilité pour elle de voir ses entreprises se développer et donc de se moderniser au bénéfice de tous ses habitants. Il ne s’agissait pas de réduire l’Europe aux dimensions dirigistes et protectionnistes de la France, mais d’élargir la France aux dimensions libérales de l’Europe et du monde. Ce ne fut pas sans mal, en raison des réticences nombreuses, mais ce fut néanmoins un succès.

Malgré de fréquentes déclarations dans lesquelles il est question de libérer les énergies et faire de la France une startup présente à tous les postes avancés de la modernité, malgré une fibre européenne appréciable, Emmanuel Macron tient malheureusement sur l’Europe un discours qui a tout de l’anti-Rueff : la France n’est plus poussée à se moderniser dans le contexte d’une Europe libérale, c’est l’Europe qui est priée de revenir aux considérations sociales qui prévalent en France.

[Avec, redisons-le, très peu de résultats, l’argument imparable que personne ne veut voir étant notre taux de chômage à plus du double de celui de nos voisins allemands, britanniques ou néerlandais, voir ci-contre.]

Quelques jours après son élection, Emmanuel Macron était en visite en Allemagne et tentait de faire prévaloir l’idée d’un budget de la zone euro et la mise en place d’investissements d’avenir pour relancer la croissance. En filigrane, se profilaient les surplus budgétaires allemands que les pays déficitaires comme la France n’ont aucun scrupule à vouloir mettre à contribution plutôt que de chercher à baisser leurs propres dépenses chez eux.

Puis fin août, en tournée dans les anciens pays de l’est, il n’avait pas de mots assez forts pour vilipender le système des travailleurs détachés qui permet à une entreprise d’envoyer temporairement un salarié dans un autre pays européen en lui conservant le niveau de protection sociale dont il bénéficie dans son pays d’origine. Le système fonctionne pour tous ; il ne tient donc qu’à la France de baisser le coût de sa protection sociale ou d’en briser le monopole pour devenir plus compétitive. Mais à entendre M. Macron, il semble bien qu’il faut au contraire que l’Europe s’aligne sur le coûteux modèle social français (que le monde entier nous envie, aime-t-on penser).

Autre exemple caractéristique, les Etats généraux de l’alimentation (EGA). Suggérés par Nicolas Hulot et promis par Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle, ils se sont tenus récemment (ce n’est pas fini) avec l’objectif de chercher des solutions à la crise permanente qui étreint l’agriculture française depuis des années malgré son énorme potentiel.

Elément central : fixer le « juste prix » de rémunération des agriculteurs par rapport à la grande distribution notamment. Dans son discours (fleuve et alambiqué) de clôture du premier round des EGA, le Président a certes demandé à l’ensemble du secteur de s’organiser, se regrouper etc… mais il s’est surtout montré prêt à légiférer par ordonnance pour que le prix ne soit plus négocié selon un contrat proposé par l’acheteur mais par addition des coûts :

« Nous modifierons la loi pour inverser cette construction du prix qui doit pouvoir partir des coûts de production » (…) « Enfin, pour lutter contre les prix abusivement bas et pour permettre de stopper la course au prix, j’ai entendu votre proposition de relever le seuil de revente à perte et l’encadrement des promotions. » 

Quel rapport avec l’UE ? Un énorme rapport, car l’agriculture française vit depuis des années et des années de subventions, quotas de production et prix fixés artificiellement à travers la Politique agricole commune (PAC) de l’UE. Dans son budget global de 150 milliards d’euros, 40 % part dans la PAC dont le premier bénéficiaire est la France avec environ 10 milliards de subventions redistribuées aux agriculteurs, non sans beaucoup trop de contraintes administratives et réglementaires.

Si l’agriculture française souffre d’une chose, c’est de vivre en dehors de la réalité du marché, sans repères économiques tangibles sur lesquels s’appuyer pour s’améliorer. Les propositions d’Emmanuel Macron, qui incluent également le souhait que la PAC soit à la hauteur de la politique agricole française, ne font rien pour ramener le monde agricole sur le terrain du réel.

Non seulement il n’est pas question de faire disparaître progressivement la PAC, mais l’idée de fixer le prix à partir des coûts est une véritable incitation à ne pas rechercher la compétitivité, avec le risque de voir les distributeurs se tourner de plus en plus vers des productions plus compétitives dans d’autres pays européens. Ou plus lointains : en Nouvelle-Zélande, par exemple, où des réformes libérales ont eu lieu dans les années 1980 (voir B-2 du lien) dont la réussite fut telle qu’aucun agriculteur ne voudrait revenir à l’ancien système des subventions et des prix de soutien.

Enfin, Emmanuel Macron est parti ce jeudi 19 octobre dernier à Bruxelles pour un sommet européen avec la ferme intention de faire part de ses inquiétudes concernant la précipitation avec laquelle la commission européenne négocie les traités de libre-échange en cours :

« L’Europe qui protège, c’est (…) une Europe qui sait trouver les bons accords de libre-échange, les bonnes négociations pour protéger ses travailleurs et ses consommateurs. »

Le traité avec le Canada (CETA) est entré en vigueur fin septembre, mais il doit encore faire l’objet d’une validation des parlements nationaux. Le TAFTA avec les Etats-Unis est toujours en négociation. Le moins qu’on puisse dire, c’est que la France y montre un enthousiasme très limité.

Il s’agit bien d’un retour à l’esprit protectionniste, car s’il n’est pas question de droits de douane, il est par contre question de limiter les échanges via un rehaussement des normes et des réglementations en matière de santé, d’environnement et de protection sociale. Bref, il est question d’adopter les réticences classiques de José Bové et autres altermondialistes pour lesquels les Canadiens et les Américains forment à l’évidence des hordes de populations malades et réduites en esclavage.

Je suis moi-même très attachée à l’idée d’Europe. Je pense néanmoins qu’il est temps d’enrayer la folle propension de l’UE à se transformer en monstre bureaucratique pour en revenir à un espace attaché aux libertés individuelles et au libre-échange avec le reste du monde. C’est une question cruciale de liberté et de prospérité.

ll est donc extrêmement décevant de constater que toutes les idées de M. Macron en matière de refondation de l’Europe consistent à vouloir lui appliquer le désespérant modèle français. Sous le terme apparemment positif de « protection », il vend en fait de la peur et de la précaution paralysante, il vend du chômage, de la stagnation et la probable continuation du décrochage que nous commençons à connaître par rapport aux grandes économies mondiales.


Illustration de couverture : Emmanuel Macron devant le drapeau européen orné de sa (bonne) note EE+ en matière d’engagement européen (mars 2017) – Photo : © Sipa Press.

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