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Des « techniques » de campagne à vous dégoûter d’aller voter

Ayant passé une bonne partie de la semaine le nez plongé dans les comptes des banques et la régulation bancaire pour alimenter ce blog, j’ai craint hier d’avoir loupé des événements importants de notre vie publique. Eh bien, oui et non.

Plutôt non, parce que la France est maintenant totalement engagée dans le rythme de la campagne électorale pour 2017, que plus rien ne s’y passe en dehors des objectifs liés à cette formidable échéance et que les techniques de campagne restent manifestement des plus classiques.

Et plutôt oui, parce que si les techniques sont bien connues, déjà vues et largement éventées, elles ont pris cette semaine une ampleur inédite en millions d’euros, en mensonge et en populisme le plus hypocritement racoleur. 

En réalité, pas un jour ne s’écoule sans qu’on ait la preuve de l’activisme démesuré dont les hommes politiques sont capables pour faire pencher la balance en leur faveur et arracher les suffrages des Français.

Du côté des sortants, on tente contre toute raison et toute évidence de donner de la consistance au « ça va mieux » entonné par François Hollande. D’après Manuel Valls, premier ministre aussi bêtement loyal qu’incompétent, la gauche peut gagner si elle défend son bilan ! A l’entendre, la France a sauvé le Mali et la Grèce, elle est devenue hyper-compétitive et la courbe du chômage a encore plusieurs mois pour s’inverser.

Preuve qu’il n’y croit pas lui-même, il est depuis le début de l’année l’artisan d’un certain nombre de mesures dispendieuses parfaitement électoralistes à destination des jeunes, des agriculteurs, des fonctionnaires, des professeurs et j’en passe. Sont-elles plus convaincantes ? A suivre les sondages, pas tellement, François Hollande n’est toujours pas reconnu à sa haute valeur sonnante et trébuchante.

Alors cette semaine, apothéose, feu d’artifice, explosion grotesque : dans le but pas du tout électoraliste d’éviter à 400 salariés d’Alstom d’être… licenciés ? non, déplacés du site de Belfort au site de Reichshoffen en Alsace, l’Etat va acheter à Alstom une bonne quinzaine de rames de TGV dernier cri qui rouleront sur des lignes ferroviaires traditionnelles en attendant de rouler sur les lignes TGV Bordeaux-Toulouse et Montpellier-Perpignan, dont il n’est pas du tout certain qu’elles verront le jour.

« Ce n’est en rien du bricolage, c’est de la stratégie » a assuré Manuel Valls à l’Assemblée nationale en lisant ses notes avec tant de difficultés qu’on se demande s’il comprenait vraiment tout l’ennuyeux détail des équipements qu’il listait (vidéo, 01′ 07″) :

Comme le proclame sans la moindre honte le secrétaire d’Etat aux transports Christophe Sirugue dans une belle envolée de satisfaction mensongère, ce plan industriel ambitieux va permettre de sauver « 1 500 emplois directs et 3 000 emplois indirects de sous-traitants. » Tout ceci n’est bien évidemment pas cher du tout. A 30 millions d’euros la rame plus quelques faux frais, on arrive à 500 millions d’euros, et même 770 millions quand on additionne toutes les largesses de l’Etat stratège. C’est l’Etat qui régale. Et ça donne comme un petit haut-le-coeur.

Du côté de l’opposition de droite, le combat se mène d’abord sur le front de la primaire dont le premier tour aura lieu le 20 novembre prochain. Parmi les 7 candidats en lice, Nicolas Sarkozy est venu faire quelques petites annonces au 20 heures de France 2 vendredi soir. Pas des annonces de dépenses stratégiques dont toute la stratégie consiste à tomber dans certaines poches, oh non, la droite fait globalement campagne sur la maîtrise des dépenses et de la dette. Mais des annonces politiques stratégiques dont toute la stratégie consiste à tomber dans certaines oreilles réceptives.

Plutôt que de donner de l’argent, Nicolas Sarkozy veut donner la parole. Quoi de plus démocratique, quoi de plus respectueux du peuple ? Vendredi, il a distribué les référendums comme s’il en pleuvait, et tout comme Hollande et Valls dirigent leurs dépenses chez les déçus du peuple de gauche pour les inciter à retourner aux urnes en leur faveur, il a clairement ciblé ses propositions vers les déçus du sarkozisme, ceux qui trouvent qu’il n’a pas assez passé le « Kärcher » sur les « racailles », ceux qui sont partis ou qui risqueraient de partir vers le Front national.

Comme il l’explique au journaliste dans la vidéo en lien ici à partir de la 5ème minute, il compte organiser deux référendums lors du second tour des élections législatives de 2017 sur deux sujets extrêmement sensibles en France depuis les attentats islamistes et la crise des migrants : 1. La suspension du droit automatique des regroupements familiaux, et 2. L’internement administratif des individus fichés S « les plus dangereux. »

Malgré les apparences éminemment démocratiques d’un vote populaire sur des questions de lutte contre le terrorisme et de contrôle de l’immigration, il serait vraiment naïf de prendre Nicolas Sarkozy au sérieux sur ce coup-là.

Tout d’abord, on a affaire à un candidat en difficulté dans son propre camp, nettement distancé par un concurrent. « Ça sent le roussi, faut que je trouve la martingale » aurait-il même dit à un de ses anciens ministres. Il cherche donc à réactiver sa campagne.  Et là, rien de bien nouveau : en 2012, il avait déjà proposé deux référendums dans des circonstances analogues. Les sujets, immigration et contrôle des chômeurs, étaient déjà particulièrement bien calibrés pour tenter de faire revenir vers lui les électeurs du Front national.

Ensuite, on voit mal pourquoi ces deux mesures, s’il les juge importantes, ne figureraient pas tout simplement dans son programme. En votant pour lui aux primaires puis à la présidentielle, les électeurs voteraient de fait pour tous les éléments de son programme. S’il parvenait au pouvoir, il n’aurait plus qu’à l’appliquer.

Nul besoin donc de se lancer dans l’organisation d’un double référendum en plus de la consultation législative. Nul besoin, sauf par effet d’affichage d’un candidat en campagne, qui veut se montrer plus démocrate que ne l’exige la démocratie. Sans compter qu’à une époque, il considérait qu’ayant annoncé pendant sa campagne de 2007 que le Traité constitutionnel européen serait ratifié par le Parlement, son élection vaudrait acceptation du peuple.

Beaucoup plus grave, pour moi en tout cas, sa façon de présenter les choses, qui ne peut que flatter l’esprit d’amalgame qui s’insinue avec tant de facilité dans le débat public aujourd’hui. Les fichés S, qui ne sont pas uniquement des individus suspects d’intentions terroristes islamistes mais qui sont globalement perçus comme tels, sont présentés et traités par Nicolas Sarkozy en parallèle de la question migratoire. Tous des terroristes, les migrants ? C’est en effet une thèse qui fait son chemin. Il aurait été dommage de ne pas en profiter, l’air de rien, bien à l’abri dans l’esprit le plus démocratique du monde grâce au dispositif du référendum.

Le sujet de l’immigration est abordé sous l’angle du regroupement familial, dénoncé régulièrement comme le facteur de son développement exponentiel. Dans les faits, il est déjà très encadré et a représenté seulement 12 000 entrées en France en 2015 sur un total de 212 000. Les arrivées en France par mariage avec un conjoint français représentent beaucoup plus de monde, environ 50 000, mais ce n’est pas du regroupement familial. Quant à l’idée d’enfermer préventivement sur des bases administratives des personnes soupçonnées d’intentions, sans aucun charges judiciaires contre elles, elle est dangereuse.

Il y a donc tout lieu de prendre les référendums de Nicolas Sarkozy pour ce qu’ils sont : « une martingale » destinée uniquement à sécuriser les votes de la droite de la droite sur son nom dans cette fameuse course aux électeurs du FN qui ne lui a pas si bien réussi que ça en 2012.

Et il y a également tout lieu de bien comprendre pour qui Nicolas Sarkozy prend les Français en général et les électeurs en particuliers : des êtres simples, idiots même, heureux de voir à la télévision un homme, un vrai, qui tel un super-héros sans peur et sans reproche, arrive sur la scène d’un monde malheureux et le transforme d’un coup de baguette bien simpliste en un lieu d’ordre et de justice.

Car depuis que Patrick Buisson a publié son brûlot sur le quinquennat de Sarkozy, on en sait un peu plus sur l’ancien Président et ce n’est pas joli joli. A ma connaissance, rien de ce que Patrick Buisson a écrit n’a été démenti ou attaqué. Les équipes de Sarkozy se sont empressées de noyer ce livre dans tous les autres ennuis de leur candidat et d’en faire des attaques strictement politiques sans entrer dans le détail.

Toutes les situations rapportées ne sont pas de la même importance, mais l’une me semble particulièrement grave et scandaleuse : lors des manifestations contre le CPE (Contrat première embauche) en 2006, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, ordonna dans un premier temps aux forces de police de ne rien faire contre les casseurs :

« Nous avions pris la décision de laisser les bandes de blacks et de beurs agresser les jeunes Blancs aux Invalides (…) L’émotion fut en effet à son comble, après la publication dans la presse de photos dont l’opinion ne retiendrait qu’une chose : des hordes sauvages étaient entrées dans Paris. »

Dans un second temps, la police intervient et surtout Nicolas Sarkozy apparait sur les lieux « fier de montrer, aux termes d’un scénario réglé au millimètre pour les caméras de télévision, à quel point il maîtrisait la situation. »

Ce récit est glaçant. Aucune raison supérieure d’Etat à invoquer ici, seulement la démesure égocentrique folle d’un homme politique. Comment dès lors considérer ses propositions autrement qu’à l’aune du populisme le plus bassement racoleur, entièrement tourné vers la réalisations de ses ambitions personnelles ? Comment imaginer que ce candidat pourrait jamais « nous représenter » ?

Des « techniques » de campagne à vous dégoûter d’aller voter.


Illustration de couverture : Affiches de campagne de l’élection présidentielle française de 2012.

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