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Chômage : bazar bizarre

Article également publié sur le site Contrepoints le samedi 5 mars 2016.

Formidable nouvelle, hier 3 mars 2016, dans tous nos journaux ! Les statisticiens de l’INSEE ont fini tous leurs calculs, ils ont fait les petites corrections nécessaires de-ci de-là et nous ont livré leur merveilleuse conclusion : la courbe, « the » courbe, s’est enfin inversée ! Alors que le taux de chômage était encore de 10,4 % au 3ème trimestre 2015 pour la France et son outre-mer, il est descendu à 10,3 % (10,1 % et 10 % pour la métropole seule) à la fin de l’année 2015 ! Que d’émotion, une telle radicalité dans l’évolution des tendances est simplement bouleversifiante !

Comme le titre l’hebdomadaire Le Point, nous sommes peut-être en train de contempler un « frémissement » propre à redonner de « l’espoir » à François Hollande en vue de sa candidature en 2017. On sait, et on commente abondamment depuis septembre 2012, que le Président a en effet lié la possibilité de demander un nouveau mandat présidentiel aux Français à sa réussite éclatante dans la lutte contre le chômage.

Du point de vue de Hollande, s’il y a « frémissement » de la courbe du chômage à la baisse, ce sera un mouvement bienvenu, parce que lorsqu’on regarde ce qui se passe par ailleurs dans le champ politique français, on est saisi par l’état de désorganisation, de délitement, de division et de coups bas qui règne de toutes parts.

Entre fronde de députés socialistes, aigreurs aubrystes, démission de Taubira et demande de primaires à gauche, entre blocages des routes par les taxis et grogne musclée des agriculteurs, entre pétition et manifestation des étudiants de l’UNEF contre la future loi Travail dont on ne sait plus trop si elle est encore on ou définitivement off, entre opposition à la déchéance de la nationalité et inquiétude face à la nouvelle loi pénale présentée par le Garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas, le tout sur fond d’un exécutif de moins en moins populaire dont on murmure que Manuel Valls pourrait chercher à s’échapper, on se demande si le gouvernement sait bien exactement ce qu’il fait, où il va et avec qui il y va.

Et pour ce qui est du « frémissement », immédiatement qualifié par Myriam El Khomeri, ministre du travail, de « signal encourageant », il est préférable de garder son calme tant, à ce niveau, soit une baisse de 0,1 %, on est plus dans l’épaisseur du trait que dans un retournement statistique significatif. Il n’en demeure pas moins que le chômage ayant pris rang de marqueur essentiel de la carrière politique de François Hollande, Président de la République en exercice, tout nous incite à regarder de près de quoi il retourne ou ne retourne pas.

Premier point, et même seul point véritablement important, qui ruine presque tout mon article, le communiqué de l’INSEE ne manque pas de préciser (en petit mais quand même) que ses chiffres sont une « estimation donnée à +/- 0,3 point près du niveau du taux de chômage et de son évolution d’un trimestre à l’autre. » Conséquence immédiate, une baisse de 0,1 % du taux de chômage n’a aucune signification. Elle ne peut donc en aucun cas constituer un « signal encourageant » et le « frémissement » à la baisse pourrait tout aussi bien être un engourdissement voire un frémissement en sens inverse. Bref, à part le fait de fixer des chiffres, le document de l’INSEE n’apporte pas d’information nouvelle sur le chômage.

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En revanche, il nous rappelle une fois de plus que nous autres Français, toujours veinards quand il s’agit de profiter d’administrations sur-démultipliées, bénéficions de deux comptages du chômage, celui de l’INSEE et celui de la DARES, cette dernière étant la Direction des études et statistiques du Ministère du travail.

Or leurs chiffres ont une nette tendance à diverger de plus en plus, comme nous le montre un intéressant graphique extrait du journal Le Monde (voir ci-dessus).

Ainsi, à fin décembre 2015, l’INSEE dénombre 2 860 000 chômeurs en France Métropolitaine tandis que la DARES en compte 3 580 500 en catégorie A (après en avoir d’abord recensé 3 590 600 dans une première publication). C’est clair, l’ordre de grandeur n’est pas vraiment le même : la DARES est 25 % au-dessus de l’INSEE. Si le taux de chômage de 10 % correspond bien au chiffre de l’INSEE, ce taux deviendrait 12,5 % appliqué au chiffre de la DARES. A quoi tient cette différence majeure ?

L’INSEE applique la définition du Bureau international du Travail (ou BIT), organisme de l’ONU en charge des questions d’emploi et de population active dans le monde. Il considère donc que les chômeurs sont les personnes de plus de 15 ans qui répondent simultanément à trois critères  :

  • être sans emploi, c’est-à-dire ne pas avoir travaillé au moins une heure durant une semaine de référence.
  • être disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours.
  • avoir cherché activement un emploi dans le mois précédent ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de trois mois.

En principe, cette définition correspond bien à ce que la DARES appelle les chômeurs de catégorie A. Ces derniers sont les personnes inscrites à Pôle Emploi, sans emploi, tenues de faire des actes positifs de recherche d’emploi. Mais il se peut fort bien qu’un chômeur recensé par l’INSEE ne soit pas inscrit à Pôle Emploi, et l’inverse est également vrai. Les exemples donnés par les administrations concernées sont plus ou moins convaincants et n’ont pas fait l’objet d’études approfondies (à ma connaissance) : l’INSEE cite des gens découragés qui disent aux sondeurs qu’ils ne font plus de recherche d’emploi, tout en restant inscrits à Pôle Emploi. Mais s’ils ne font plus de recherche active, ils ne devraient plus être non plus dans la catégorie A.

A cette question de définition, qui n’explique guère la différence observée, s’ajoute une question de méthodologie. La DARES comptabilise chaque mois les chômeurs effectivement inscrits dans les listes de Pôle Emploi, elle compte tous les chômeurs inscrits. De son côté, l’INSEE procède par une enquête trimestrielle, une forme de sondage sur un échantillon représentatif de 110 000 personnes. C’est un bel échantillon, mais cela reste un sondage avec ses marges d’erreur.

D’autre part, en plus des chômeurs estimés à 2 860 000 à fin décembre 2015, l’INSEE suit ce qu’il appelle « le halo autour du chômage. » Non seulement on est immédiatement frappé par la rigueur qu’une telle dénomination implique, mais il se trouve que ce « halo » se monte au modique chiffrage de 1,4 millions de personnes. Ajoutées aux 2,86 millions évoqués d’abord, on arrive à 4,26 millions, encore un autre chiffre dont ni l’interprétation ni le lien avec les catégories A, B, C, D et E de Pôle Emploi ne sont clairs :

En France métropolitaine, parmi les personnes inactives au sens du BIT, 1,4 million souhaitent un emploi sans être comptées comme chômeurs au sens du BIT : elles constituent le halo autour du chômage. (INSEE, communiqué du 3 mars 2016)

Voici comment l’INSEE explique sa façon de comptabiliser les chômeurs par rapport à la DARES, ou plutôt : voici comment des petites vidéos pédagogiques ne vous apprennent surtout rien d’intéressant (cliquer sur « voici » en vert pour voir la vidéo).

Si l’on en croit le graphique du Monde déjà mentionné ci-dessus, les chiffres des deux organismes sont restés cohérents jusqu’en 2010, pour commencer à s’éloigner l’un de l’autre jusqu’à devenir carrément divergents à partir de 2013.

C’est justement au début de cette année-là qu’une réforme du questionnaire de l’INSEE a été mise en place. On ne vous demande plus si vous êtes « à la recherche d’un emploi, même à temps partiel ou occasionnel » mais simplement si vous êtes « à la recherche d’un emploi. »

Ce petit changement tend à faire basculer un certain nombre de réponses positives vers le non, au point d’améliorer le taux de chômage de 0,3 % à 0,5 % (voir graphique ci-contre). Selon la direction de l’INSEE, « le but était de fluidifier les questionnaires et de les harmoniser au niveau européen. » Halo, fluidifier, qui dit que les administrations manquent de poésie ? Et l’on ne saurait accuser l’INSEE de vouloir faciliter la tâche de François Hollande puisque celui-ci a fondé sa promesse « d’inversion de la courbe » sur les chiffres de la DARES « plus sensibles aux emplois aidés » comme nous le dit une fois de plus Le Monde avec un certain humour qui s’ignore.

Si les chiffres de la DARES sont donc préférés par le gouvernement et tendent à rendre compte plus précisément de la situation des différentes catégories de chômeurs, ils ne sont cependant pas à l’abri des controverses. La publication la plus récente concernant les chiffres arrêtés à fin janvier 2016 en est une preuve de plus (voir tableau de suivi ci-dessus). Elle fait état d’une baisse importante des demandeurs d’emplois en catégorie A par rapport à décembre (- 27 900) ce qui pourrait réjouir François Hollande, mais on constate par ailleurs une augmentation « bizarre » des sorties des statistiques (voir page 9 de ce lien) pour défaut d’actualisation ainsi que des radiations administratives en forte hausse, à tel point que la DARES elle-même s’est livrée à une petite mise en garde à la fin de son communiqué :

Pour l’interprétation des chiffres de cette publication, il convient donc de privilégier les évolutions en tendance plutôt qu’au mois le mois.

Ajoutons que depuis quelques temps ces sorties sont comptabilisées en moyenne sur trois mois, ce qui revient à les lisser, et non plus mois par mois. Il est donc de plus en plus difficile de savoir exactement comment les chiffres évoluent.

Quels que soient précisément les chiffres, on peut cependant dire qu’ils sont plutôt orientés à la hausse et qu’ils expérimentent de temps en temps un micro repli à la baisse. Ce n’est guère étonnant, rien ne changera en profondeur de ce côté-là tant que la France ne sera pas sur les rails d’une certaine croissance économique emmenée par un recul des normes, des prélèvements et des blocages qui paralysent l’esprit d’entreprise. 

Se réjouir d’une baisse du taux de chômage de 10,1 % à 10 % comme le fait Myriam El Khomeri est risible dans la mesure où les pays comparables au nôtre sont à 5 ou 6 % (Royaume-Uni et Allemagne). Dans la mesure également où des pays en bien plus grandes difficultés que nous sont parvenus à faire des réformes dont l’impact se voit nettement sur le chômage. L’Espagne, par exemple, est passé d’un taux de 26 % à moins de 21 % en adoptant des mesures de flexibilité et des accords d’entreprises très proches de ce que la loi Travail dévoilée ces derniers jours projette de faire chez nous.

Cette loi Travail, correctement amendée et affûtée, serait un bon début, un vrai « signal encourageant » pour la prospérité future de notre pays. On en est encore plus convaincu quand on voit d’où viennent les oppositions : de l’UNEF, des syndicats les plus rétrogrades et de Martine Aubry, sainte dame patronnesse des 35 heures, du « care » et des fermetures obligatoires le dimanche. Les représentants d’une France non pas apaisée et dynamique, mais confuse, immobile et injuste.


Illustration de couverture : Logo de l’INSEE, Institut national de la statistique et des études économiques, « Mesurer pour comprendre. »

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