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CGT : lutte finale ou fin de partie ?

Mise à jour du 3 avril 2018 : Premier jour de grève des cheminots. Selon la SNCF, la proportion de grévistes auraient été de 34 %. Pagaille pour les voyageurs, défilés syndicaux émaillés d’incidents (casses de vitrines, poubelles incendiées), blocage des universités. Grève reconduite pour mercredi 4 avril.

Qu’on ne dise pas que nos syndicats archéo-marxistes sont incapables de s’adapter aux évolutions du monde. Le patron de la SNCF Guillaume Pepy avait à peine confié dans une tribune au Monde sa conviction que « la SNCF doit se réinventer » – avec une originalité qui décoiffe – que les syndicats maison s’empressaient de mettre sa recommandation en pratique dans leur domaine de prédilection, la culture de la grève. 

Vent debout contre la fin du recrutement au statut des cheminots prévue dans la réforme de la SNCF du gouvernement et très remontés par la procédure par ordonnances, la CGT, l’UNSA, la CFDT et SUD-Rail ont annoncé avec un bel ensemble un coup de force syndical d’un genre nouveau : deux jours de grève sur cinq pendant trois mois à compter du 3 avril prochain selon un calendrier annoncé d’avance.

Cette innovation, qui associe longue durée et intermittence, laisse perplexe. Va-t-on vers un conflit dur, dans un remake nostalgique des grandes grèves de l’hiver 1995 qui avaient contraint Jacques Chirac et Alain Juppé à retirer leur réforme des régimes spéciaux de retraite ? C’est en tout cas le message que les syndicats s’efforcent de faire passer dans l’opinion publique. Le patron de la CGT Cheminots Laurent Brun ne se lasse pas de le répéter :

« On est sûrement parti pour l’un des plus importants mouvements sociaux de l’histoire de la SNCF. »

Et de fait, on voit bien l’horrible pagaille que le planning des grèves ne manquera pas de créer. Aux trajets professionnels ou privés habituels, vont s’ajouter tous ceux des vacances scolaires de printemps, des ponts du mois de mai, des examens écrits et oraux des lycéens et étudiants, le tout nimbé dans l’illusion lyrique de la révolution que ne manquera pas de raviver le cinquantenaire de mai 68.

Ajoutez à cela la grève de la fonction publique du 22 mars, les grèves des différents personnels d’Air France les 23 et 30 mars (veille du week-end de Pâques) et les mécontentements qui se profilent, notamment à la SNCF, à propos de la réforme des retraites qu’Emmanuel Macron devrait lancer prochainement, et vous comprenez que tout est fait pour allumer la fameuse « convergence des luttes » qui avait plongé la France dans une ambiance quasi-insurrectionnelle à l’époque des « Nuits debout » et autres contestations musclées contre la loi travail de Myriam El Komri au printemps 2016.

Le décor du grand barnum syndical made in France est donc bien en place pour de nouvelles aventures. Reste à savoir si acteurs et spectateurs se sentiront suffisamment motivés pour y participer.

Du côté de l’opinion publique, les sondages récents montrent que les Français approuvent très majoritairement (65 %) la réforme de la SNCF annoncée par le gouvernement et qu’ils sont plus nombreux à désapprouver la grève qu’à l’approuver (43 % contre 34 %), même si 61 % des personnes interrogées disent avoir une bonne opinion des cheminots.

Du côté des cheminots eux-mêmes, dont seulement 20 % sont syndiqués, on peut se demander si la longueur de la grève associée à son intermittence ne va pas finir par lasser. Contrairement à la grande époque de 1995, les jours de grève ne sont plus payés et l’abandon du statut ne concerne pas les personnels en poste actuellement, mais seulement les futurs recrutements à partir d’une date à déterminer. On peut imaginer un mouvement très suivi au début puis progressivement déserté faute de motivation si des résultats concrets tardent à se présenter.

Pour les syndicats, le seul résultat concret attendu officiellement pour l’instant consiste en l’abandon de la suppression du statut des cheminots pour les nouvelles recrues. C’est du reste pourquoi le mouvement de grève ne démarrera qu’après le week-end de Pâques. Présenté comme une attention particulière à l’égard des voyageurs en ce grand week-end de réunions familiales, ce délai est surtout l’occasion de faire avancer les négociations avant de se lancer dans une grève de trois mois qui a tout d’un dangereux coup de poker.

Car peut-on imaginer que le gouvernement renoncera à sa mesure de fin des recrutements au statut cheminot ? On a certes déjà vu des gouvernements se dire et se dédire et des Présidents désavouer leur Premier ministre, à commencer par le duo Macron Philippe cet été à propos des budgets 2017 et 2018. Mais dans le cas qui nous occupe, si la mesure en question est écartée, il ne restera pas grand chose de la réforme de la SNCF. Le gouvernement a donc tout intérêt à s’y tenir pour maintenir son aura réformiste, d’autant qu’il a le soutien d’une majorité de Français sur le sujet.

Pour mieux faire passer une pilule finalement bien douce, pour faciliter les recrutements ultérieurs et pour s’assurer le soutien des cadres, il a d’ailleurs déjà indiqué que les facilités de circulation (billets gratuits) seraient conservées pour tous les personnels. En cas de durcissement du conflit, il a encore à sa disposition la possibilité de reculer la date de mise en place de la mesure.

Il pourrait également proposer de maintenir un statut de cheminot pour tout le monde, salariés actuels et futurs, mais en le modifiant par rapport à ce qu’il est aujourd’hui, en terme d’emploi à vie et de modalité de départ en retraite. Il y a de fortes chances que cette idée soit encore moins du goût des cheminots actuels et que la fin du recrutement au statut apparaisse finalement comme la meilleure proposition.

Le gouvernement assure que sa détermination est entière – Bruno Le Maire l’a encore répété hier – mais il n’est pas sans jouer lui aussi sa partie de poker. Si la mesure sur le statut des cheminots ne se fera sentir que tardivement dans les comptes de la SNCF, si elle n’affecte pas du tout les salariés actuels et si elle apparaît comme largement insuffisante par rapport à tous les défis que l’entreprise va devoir relever face à l’ouverture du transport passagers à la concurrence, elle a cependant une portée symbolique forte.

Dès lors qu’un premier statut spécial disparaît, c’est l’ensemble des régimes spéciaux qui sont menacés, c’est toute la fonction publique qui est remise en cause, c’est l’emploi à vie qui prend l’eau. Là se situe peut-être le point sensible qui pourrait amener une part importante de la population à soutenir le mouvement, bien au-delà du périmètre de la seule SNCF. Après tout, il y a en France 5,5 millions de fonctionnaires, soit presque 20 % de la population active, et les emplois dans la fonction publique haute ou moins haute continuent de faire rêver.

Mais à mon sens, le gouvernement bénéficie aujourd’hui d’une occasion inédite pour faire passer sa réforme et briser l’emprise paralysante de nos vieux syndicats marxisants sur la plupart de nos structures socio-économiques.

Elle tient au fait que la CGT Cheminots, grande inspiratrice de toute l’opération de résistance, a un nouveau patron depuis peu. Formé comme il se doit à l’UNEF et au PCF, entré à la SNCF en 2000 et rapidement détaché à plein temps à la CGT, Laurent Brun, 39 ans, dirige le premier syndicat de l’entreprise ferroviaire depuis un an seulement.

On voit mal un tout nouveau leader CGT de la SNCF accueillir un projet de suppression du sacro-saint statut de cheminot sans broncher. Il le dit lui-même :

 « Je ne serai pas le patron de la CGT Cheminots qui enterrera le statut! »

C’est précisément cette situation où il est en quelque sorte obligé de montrer les muscles – vis-à-vis de la CGT nationale, vis-à-vis des autres syndicats, vis-à-vis de lui-même, qui pourrait enferrer le mouvement de grève dans une radicalisation aveugle, non seulement contre une opinion publique excédée par la prolongation des grèves, mais aussi à la longue contre la majorité des cheminots.

Bien décidé à en découdre, il a poussé l’intersyndicale de la SNCF à engager un bras de fer avec le gouvernement dans des termes tellement radicaux que c’est toute la crédibilité syndicale qui est mise à risque. Enclencher le mouvement dans la durée avec force cris de guerre et ne rien obtenir de significatif ruinerait profondément, si ce n’est définitivement, le petit reste de bienveillance que nos syndicats jusqu’au-boutistes, toujours prêts à l’affrontement et jamais à la négociation dans l’intérêt de tous, continuent de susciter bon an mal an dans l’opinion.

Le gouvernement tient là une occasion unique de mettre un terme à leurs nuisances répétées alors qu’ils sont très faiblement représentatifs des salariés (11 % en moyenne entre public et privé) et néanmoins largement subventionnés par les contribuables aussi bien directement que via toutes les combines autorisées par l’opacité du système paritaire qui prévaut en France, ainsi que le révélait dès 2012 le tonitruant rapport Perruchot jamais officiellement publié.

On ne peut que souhaiter au gouvernement, fort du soutien actuel des Français, de tenir sur son projet, quels que soient les profonds désagréments que la grève annoncée ne manquera pas de faire subir à bon nombre d’entre nous, à supposer qu’elle parvienne à durer, et quelle que soit par ailleurs l’insuffisance de l’ensemble de la réforme envisagée au regard de la situation globale de la SNCF.

La fin du statut des cheminots, en tant que telle et pour la symbolique qu’elle porte, signerait enfin l’entrée de la France dans des rapports sociaux apaisés, faits de justice sociale et de coopération intelligente plutôt que dans l’affrontement suranné et improductif de la lutte des classes. Elle pourrait même être la première étape de l’émergence d’un syndicalisme plus représentatif et plus intéressé par les problématiques de développement économique pour tous que par sa propre conservation.


Pour l’ensemble de la réforme de la SNCF proposée par le gouvernement, réforme qui me semble globalement des plus timides, voir l’article : SNCF : une réforme entre « OUI » et « non » du 28 février 2018.


Illustration de couverture : Grève des cheminots CGT contre la loi Travail El Komri, gare de Lyon Perrache, juin 2016. Photo AFP.

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