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Vous avez dit BULLE DE SAVON ? #BAYROU

J’ai du mal à dire ce que François Bayrou a accompli dans toute sa vie politique. Mon seul souvenir concerne son passage comme ministre de l’Éducation nationale (1993-1997) qu’il avait mis à profit pour redonner de l’actualité à la suppression* des devoirs écrits à la maison en primaire. Une très mauvaise idée, à mon avis. Mais à part ça, je ne vois pas.

Bayrou, c’est avant tout l’obstination narcissique d’un homme convaincu de son grand destin présidentiel. C’est du discours, de l’arrogance et de la vertu triple épaisseur jetée à la face de tous ses adversaires. Ce sont des louvoiements permanents entre la droite et la gauche, des alliances nouées et dénouées pour mieux se faufiler, en vain, vers les sommets. Ce sont des coups d’éclat et des leçons de morale assénées avec suffisance par un politicien isolé et ingérable qui se prend depuis toujours pour l’homme sage, lettré, influent et indispensable de la vie politique française.

En cette année 2017, le 22 février précisément, alors qu’il se sentait habité par une « joie sauvage » capable de lui faire « déplacer des montagnes » et tenter une quatrième candidatureil n’a pourtant pas hésité à « sacrifier » son évident destin présidentiel en faveur d’Emmanuel Macron. Pour la France, naturellement. Parce que les circonstances l’exigeaient, parce que les risques étaient immenses, parce que l’extrême-droite frappait à nos portes.

Et peut-être aussi parce que les sondages lui donnaient au mieux 4 à 5 %, non ? Et peut-être aussi parce que Macron était en train de profiter à fond des ennuis judiciaires de François Fillon à droite et de la sélection de Benoît Hamon à gauche, ce qui autorisait tous les espoirs pour sa victoire finale, non ?

Pour mesurer l’immense « sacrifice » de Bayrou à sa juste valeur, il n’est pas inutile de rappeler (lui ne se souvient de rien) qu’il fut un temps pas si lointain où il professait le plus grand scepticisme vis-à-vis d’Emmanuel Macron sur toutes les chaînes de radio et de télévision – comme beaucoup de ministres actuels, il faut bien le dire ; cette élection s’est transformée en véritable soupe populaire pour politiciens sans conviction.

Ainsi, après l’avoir traité « d’hologramme » et de « bulle de savon » vouée à éclater prochainement, après avoir condamné avec la dernière énergie ses liens avec les milieux financiers comme le premier mélenchoniste venu, symptômes évidents de toute absence de morale en politique, morale dont lui, Bayrou, est amplement pourvu, notre mousquetaire s’est encore illustré deux semaines avant son ralliement en se moquant allègrement des innombrables citations littéraires ou philosophiques d’Emmanuel Macron qui ne parvenaient pas à masquer l’absence de substance de ses discours (vidéo ci-dessous, 04′ 01″) :

C’est vraiment l’hôpital qui se fout de la charité. Quand François Bayrou a-t-il manifesté la moindre substance en politique ? Lorsqu’il a appelé à voter pour François Hollande en 2012 au nom du « dépassement des clivages » qui a si bien fonctionné pour Emmanuel Macron ?

Si ce dernier manque de substance, il est difficile d’en trouver la moindre chez Bayrou qui, avec le Modem, n’a jamais cherché qu’à s’insinuer entre la gauche et la droite pour réaliser son destin présidentiel personnel. En 2007, ça n’a pas trop mal fonctionné (18,57 % des voix au premier tour de la présidentielle, Bayrou en a encore les chevilles enflées) mais il faut dire qu’on sortait de deux mandats Mitterrand puis deux mandats Chirac. L’envie de printemps était déjà là.

Alors qu’il en a fait des tonnes sur son abnégation et la générosité de son geste, alors qu’il a répété à qui voulait l’entendre que s’il était aux côtés de Macron (personnalité soudain extrêmement brillante à ses yeux) c’était juste pour aider, François Bayrou n’a jamais été autre chose qu’un candidat de troisième zone, sans véritable impact dans la vie politique française depuis 20 ans, qui s’est mis opportunément à la remorque du mieux placé pour tenter un ultime revival.

Non sans avoir exigé au préalable, en bon vertueux qu’il est toujours, de porter une loi de moralisation de la vie publique (vidéo ci-dessous, 01′ 13″) qui le ferait enfin passer à la postérité espérée, alors que tant d’autres politiciens ont à répondre de malversations dans l’utilisation des fonds publics, à commencer par François Fillon qu’il avait volontairement combattu en soutenant d’abord Juppé – qui a été condamné, allez comprendre…

Emmanuel Macron n’a eu aucun mal à s’entendre avec lui sur ce point. Tout ce qui pouvait renvoyer Fillon à sa « lèpre démocratique » était bon à prendre.

Plus globalement, en février 2017, Macron avait beaucoup à gagner d’une alliance avec le Modem dont le concept était à peu près le même que celui d’En marche ! : les voix qui feraient la différence à la présidentielle et, plus important encore, la possibilité d’obtenir une majorité parlementaire à l’issue des législatives. Des postes de députés, un portefeuille de Garde des Sceaux, quelques ministres Modem, une jolie loi de moralisation très médiatique et des critiques vite balayées sur le recyclage des vieux routiers de la politique, c’était peu de choses en comparaison des bénéfices possibles.

Seul véritable bémol, Bayrou est connu de la France entière pour être un personnage autocratique et ingérable, toujours prompt aux revirements et aux coups de gueule. C’est un point que Macron n’ignorait pas en signant leur rapprochement. Le tout, c’était d’arriver à maintenir l’attelage LREM / Modem jusqu’à la fin de la séquence électorale, faire le compte des députés LREM et aviser.

François Bayrou n’avait d’ailleurs pas tardé à manifester sa mauvaise humeur à propos des circonscriptions, pas assez nombreuses à son goût, que LREM avaient réservées au Modem. Ce premier clash fut maîtrisé et la bonne entente candide put régner à nouveau en Macronie. Les premières alertes sur des emplois fictifs** au Modem donnèrent lieu à de nouveaux écarts verbaux et à un recadrage du Premier ministre, mais la tempête fut apaisée le temps des élections.

En revanche, dès les résultats connus, dès Macron certain d’engranger 308 députés en propre, soit 19 de plus que le seuil de la majorité absolue, Bayrou, son narcissisme, ses colères et ses emplois fictifs en prime perdaient tout intérêt. Déjà mis à mal par l’affaire Ferrand, qui jetait une lumière assez peu printanière sur les équipes de LREM, Macron n’avait nul besoin de s’embarrasser en plus d’un ministre de la Justice instable et possiblement escroc.

Cependant, l’exécution à laquelle s’est livrée Macron en poussant Bayrou à la démission, pour nécessaire et anticipée depuis le début qu’elle fût, n’est pas aussi magistrale qu’il y paraît à première vue. En acceptant l’alliance proposée par Bayrou, Macron ne pouvait deviner que son futur ministre en charge de la moralisation de la vie publique serait prochainement épinglé pour des comportements précisément contraire à cette moralisation. Sinon, il ne l’aurait jamais nommé à ce poste. Un grand moralisateur qui quitte un gouvernement pour présomption de magouille, ça fait moche. Qui quitte un gouvernement « printemps autrement », ça fait encore plus moche.

Macron aura toujours la ressource de dire qu’il coupe les branches pourries, mais autant l’affaire Ferrand que de nouvelles investigations qui concernent maintenant la ministre du travail alors qu’elle était directrice de Business France tendent à montrer que ce faisant, il joue sa crédibilité politique au jour le jour plutôt qu’il ne déroule un plan implacable écrit d’avance.

Pour Bayrou, ça s’est terminée mercredi dernier par une démission sans gloire et un retour à Pau la queue entre les jambes, sur le mode ridicule (pour lui) et réjouissant (pour nous, spectateurs atterrés) de l’arroseur arrosé. Il était ministre d’État, il redevient maire ; il devait moraliser la vie publique, on présume qu’il est un vulgaire petit magouilleur comme tant d’autres ; il avait réussi à faire entrer 42 députés Modem à l’Assemblée, nul ne sait s’ils ne saisiront pas l’occasion pour se recomposer eux aussi. Où l’on voit qu’en matière de « bulle de savon », Bayrou est un maître. 

Il n’était pas dit cependant qu’il abandonnerait le terrain sans une ultime tentative de passer pour la victime sacrificielle de forces complotistes opposées à son grand projet de moralisation. S’il part ce n’est pas parce qu’il a quelque chose à se reprocher, Bayrou n’a rien à se reprocher. C’est uniquement pour protéger sa loi, protéger le gouvernement, protéger Emmanuel Macron auquel il reste indéfectiblement attaché. Un peu comme Hollande, qui a renoncé à se représenter pour « protéger son bon bilan » !

« Je ne mettrai peut-être pas vingt ans à revenir cette fois-ci » aurait-il dit à des journalistes. Envisagerait-il un come-back ? Au secours ! comme disait le PS à une époque.

Encore une histoire de politique ordinaire. Ne vous y trompez pas, c’est sous Macron que ça se passe, et ce n’est pas fini.


* Cette suppression a été actée dans une loi de 1956 qui n’a jamais été vraiment appliquée. Bayrou a cherché à la rendre plus effective en 1996, et il semblerait maintenant que ce soit aussi le projet de l’actuel ministre.
** Comme le FN, le Modem est soupçonné de financer ses permanents avec des fonds publics de Bruxelles en leur attribuant fictivement des postes d’attachés parlementaires européens. Ce serait notamment le cas de Karine Aouadj, secrétaire particulière de Bayrou et « assistante parlementaire » de Marielle de Sarnez.


Illustration de couverture : En septembre 2016, François Bayrou se disait « entièrement sceptique » sur l’affaire Macron et il le traitait (entre autres) de « bulle de savon ».

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