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SCHIAPPA : lutte contre les discriminations et double langage

Journée noire, hier 6 février 2020, pour Marlène Schiappa, l’égalité H/F et la lutte contre les discriminations dont elle porte les couleurs au sein du gouvernement !

Non seulement Isabelle Kocher, désormais connue comme « la seule femme à la tête d’un groupe du CAC 40 » n’a pas été renouvelée dans ses fonctions de directrice générale d’Engie, mais l’annonce solennelle de la « stratégie interministérielle de lutte contre les discriminations » avec promesse de « name and shame » prévue également hier s’est transformée en une discrète réunion de travail que la secrétaire d’État n’a même pas évoquée lors de son passage sur Europe 1 le matin même.

Les violences sexuelles dans le sport et dans le monde du cinéma, les douze nominations du film J’accuse de Roman Polanski aux Césars 2020, la question de l’excision, l’affaire Mila – tous les sujets féministes du moment furent abordés, mais pour la stratégie gouvernementale contre les discriminations à l’embauche, on attendra. Et pour cause : selon des confidences de l’entourage de Marlène Schiappa, « il n’y a pas encore de stratégie”.

Pourtant, à en croire de précédentes déclarations de la secrétaire d’État, sur RTL notamment (vidéo ci-dessous, 02′ 49″), on allait voir ce qu’on allait voir ! Du jamais vu auparavant, justement :

« Il y a eu des mesures contre les discriminations qui ont été prises mais il n’y a jamais eu de stratégie interministérielle avec la totalité du gouvernement mobilisée sous l’autorité du Premier ministre. »

Or il reste beaucoup à faire, aussi bien en matière de logement qu’en matière d’emploi ou de loisirs :

D’abord veiller à la montée en puissance de la « Brigade anti-discrimination » créée en avril dernier avec le ministre de la ville et du logement Julien Denormandie, et dont l’idée lui avait été suggérée par un intervenant lors du débat qu’elle avait animé dans l’émission Balance ton post de Cyril Hanouna.

Puis poursuivre les testings et intensifier le « name and shame », c’est-à-dire la dénonciation publique des entreprises qui discriminent afin de les livrer à l’opprobre de l’opinion publique :

« – La journaliste : (Le 6 février) vous allez les dénoncer, ces entreprises qui n’embauchent pas ? Vous allez faire une liste qui sera publiée ? – Marlène Schiappa : Oui, tout à fait. »

Rien que de très noble et de parfaitement justifié, car in fine, c’est aussi la lutte contre le communautarisme qui motive ces mesures très spéciales inspirées du politiquement correct anglo-saxon. Or pour Mme Schiappa, « le communautarisme se nourrit aussi de ces discriminations ».

Ce n’est pas forcément toujours faux, mais les actions proposées ont-elles la moindre chance d’aboutir à quelque chose ? Et surtout, s’appuient-elles sur une mesure sérieuse de la discrimination effectivement pratiquée en France ?

Tout est parti d’une étude demandée par le gouvernement à des chercheurs des universités Paris-Est Marne-La-Vallée et Paris-Est Créteil. Entre octobre 2018 et janvier 2019, ceux-ci ont envoyé plus de 17 000 lettres de candidature ou de demande de renseignements fictives à 103 entreprises classées parmi les 250 premières capitalisations boursières. La première moitié des lettres émanait de candidats dotés d’un prénom et d’un nom d’origine française et l’autre moitié de candidats dotés d’un profil identique mais avec nom et prénom d’origine maghrébine.

Pour France Inter qui a diffusé l’étude, mais pas que, si le gouvernement semble peu pressé d’accorder trop de publicité à ce testing, c’est évidemment que les résultats en sont catastrophiques :

« Les candidats nord-africains ont près de 20 % de réponses en moins que les candidats français. »

La discrimination fondée sur l’origine serait pratiquement un sport national, notamment chez les grandes entreprises. En revanche, le lieu de résidence du candidat serait assez peu significatif. Conclusion des chercheurs :

« L’étude met en évidence une discrimination significative et robuste selon le critère de l’origine à l’encontre du candidat présumé maghrébin. »

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Mais à examiner les résultats chiffrés de plus près, il y a largement de quoi douter du caractère concluant de l’étude. Car finalement, sur 103 grandes entreprises testées fictivement, seules 5 à 15 sont identifiées comme discriminantes.

De plus, toute personne ayant recruté un jour sait bien qu’une embauche ne se résume pas seulement à un CV. La plus ou moins grande abondance de candidats dans le secteur économique qui recrute ainsi que la personnalité du candidat et le sentiment qu’on a, ou pas, qu’il va être capable de s’intégrer aux équipes et qu’on va pouvoir s’entendre avec lui comptent tout autant. Toutes choses que ces testings ne prennent pas en considération, ce qui réduit largement la pertinence de leurs conclusions. Une embauche est à l’évidence une sélection multifactorielle mi-objective mi-subjective.

Quoi qu’il en soit, à défaut d’avoir une « stratégie », Marlène Schiappa de retour chez Hanouna hier soir, a tenu sa promesse de « name and shame » à grand spectacle et livré au public le nom de 7 entreprises « qui ont une forte présomption de discrimination à l’embauche » tout en avançant des données différentes de celles de l’étude précitée : Air France, Accor Hotels, Altran, Arkema, Renault, Rexel et Sopra Steria.

C’est du reste une technique qui fut déjà utilisée par l’équipe au pouvoir – par Emmanuel Macron lui-même pour stigmatiser cinq entreprises qui payaient leurs factures en retard alors qu’il était ministre de l’économie de François Hollande (2015), par la secrétaire d’État à la Transition écologique et solidaire Brune Poirson à l’encontre de quatre entreprises qui triaient mal leurs déchets (2019) et par Marlène Schiappa pour dénoncer deux entreprises qui avaient refusé de participer à une réunion de sensibilisation à la féminisation des instances dirigeantes (2017).

Si les deux premiers exemples de « name and shame » ont au moins pour eux l’avantage de s’appuyer sur une violation effective de la loi, il n’en va pas de même du procédé de Mme Schiappa. Dans ce dernier cas, il s’agit tout simplement et tout autoritairement de livrer à la vindicte populaire des entreprises qui n’ont nullement enfreint le droit mais qui ont eu l’incommensurable audace de ne pas obéir au doigt et à l’oeil à la secrétaire d’État.

Quant à la « forte présomption » sur laquelle repose sa dernière liste sur la base de testings parfaitement fictifs, elle vaut manifestement condamnation sans qu’il n’y ait de jugement régulier à charge et à décharge. La réprobation de Mme Schiappa bien relayée par le public suffira.

C’est la version « bonnet d’âne » de nos écoles d’antan appliquée aujourd’hui à tous les membres de la société pour peu qu’ils n’obtempèrent pas aux injonctions morales de nos dirigeants et de tous les bienpensants, ONG, associations, etc., qui les pressent d’agir. Imaginez le tollé si un instituteur s’avisait aujourd’hui de planter un bonnet d’âne sur la tête d’un élève… Quelle odieuse discrimination ce serait !

C’est là que le double langage de Mme Schiappa apparait au grand jour. Sur Europe 1 hier, elle se défendait de parler au nom d’un ordre moral. Seul le respect du droit lui importait. Une préoccupation à géométrie très variable, manifestement :

Quant à l’éviction d’Isabelle Kocher, tant Bruno Le Maire que Marlène Schiappa ont dit et répété que seuls les critères économiques entreraient en ligne de compte dans la décision de l’État, actionnaire à 23 % d’Engie.

Mais là encore, abus de double langage. Selon Nicolas Doze sur BFM :

« Le mot d’ordre qui circule à l’Elysée pour remplacer Isabelle Kocher, c’est qu’il faudra absolument une femme. »

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De leur côté, Le Maire et Schiappa travaillent à une loi sur l’égalité dans le monde économique qui prévoit d’instaurer des quotas de femmes dans les comités de direction des entreprises (dits aussi comex, codir, comités de pilotage, comités stratégiques, etc.) sur le modèle de ce qui se fait déjà au niveau des conseils d’administration depuis 2017 avec la loi Copé-Zimmermann, c’est-à-dire l’obligation qu’y siègent au moins 40 % de femmes.

Naturellement, rien ne se fera contre les entreprises. Mais, ajoute immédiatement Marlène Schiappa après cette remarque qui s’avère donc de pure forme :

« Si on a en face des gens qui sont opposés à nous, on n’y arrivera pas. Donc avec Bruno Le Maire, on travaille avec beaucoup de volontarisme, beaucoup de détermination pour notre objectif qu’est l’égalité femme-homme dans l’économie. (…) Il faut à un moment se donner des objectifs fermes et ne pas laisser les choses se faire sinon elles ne se font pas. Il y aura des quotas, oui. »

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Marlène Schiappa veut croire que la loi Copé-Zimmermann a eu beaucoup d’influence depuis 2017 ; il faudrait donc continuer dans cette voie coercitive. On observe cependant que si l’égalitarisme parfait auquel elle aspire n’est pas réalisé, les progrès sont réels depuis plus de 10 ans : aujourd’hui, la part des femmes dans les comités de direction des entreprises du CAC 40 atteint 20,9 % contre 7,3 % en 2009.

Quant aux principaux intéressés, il savent au fond d’eux-mêmes qu’en ce domaine une loi avec quotas, obligations et interdictions n’est pas la panacée, même si de prime abord il peut sembler plus facile et plus rapide d’en passer par la contrainte pour forcer le système à évoluer :

« Je n’aime pas l’idée de quotas, c’est assez humiliant et une défaite de l’intelligence. » (Alexandra Boutelier, Directeur général du Consortium Stade de France)

« On peut pas changer les gens comme ça avec une simple loi. » (André, 52 ans, demandeur d’emploi d’origine camerounaise et handicapé)

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Ce qu’on pourrait faire, en revanche, ce serait de restaurer l’autorité et la qualité de notre système éducatif en général et ce serait de renforcer l’attractivité et le contenu programmatique des filières en lien avec la nouvelle économie numérique qui recrute énormément et qui recrutera encore plus dans les années à venir.

Mais l’on préfère à l’évidence organiser des « Semaines du goût » à l’école et nommer des « référents Égalité » dans les collèges puis réarranger le monde à coup de quotas et de « name and shame ». Tout pour l’épate médiatique, rien sur le fond. Ça promet.


Illustration de couverture : Marlène Schiappa, Secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, Europe 1, 6 février 2020.

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