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Genepi : encore une intéressante histoire de subvention

Mise à jour du 2 août 2021 : Sur fond de confit avec l’administration pénitentiaire, l’association Genepi a annoncé ce jour sa dissolution, estimant que ses interventions en prison (cours, essentiellement) consistent à recouvrir le système carcéral d’un « verni humanitaire » alors que son objectif réel doit être  la lutte « révolutionnaire » pour l’abolition de toutes les formes d’enfermement. Flash-back :

50 000 € représentent bien peu de choses au regard de nos 1 300 milliards de dépenses publiques annuelles, mais, une fois n’est pas coutume, c’est le montant de la subvention que ne recevra plus le Genepi, cette association dédiée initialement à la réinsertion sociale des détenus grâce à des cours dispensés en prison par des étudiants.

Cette décision budgétaire ô combien inhabituelle s’inscrit certes dans le contexte très particulier des relations dégradées entre le Genepi et l’administration pénitentiaire, mais elle n’est pas sans suggérer d’intéressantes possibilités ultérieures de même nature qui pourraient s’avérer très bénéfiques pour nos comptes publics – donc pour notre prospérité économique, et pour notre faculté de choisir nous-mêmes les actions que nous finançons via le don plutôt que la coercition fiscale – donc pour notre liberté.

Le Genepi a été créé en 1976 à l’initiative de Lionel Stoléru, conseiller du Président de la République de l’époque, Valéry Giscard d’Estaing. Sur le plan carcéral, le début des années 1970 avait été marqué par de nombreux mouvements de contestation des prisonniers concernant leurs conditions de détention. Grèves de la faim, émeutes et surveillants pris en otage se succèdent jusqu’à culminer en juillet 1974 avec la mutinerie de la prison de Loos (Nord) notamment.

Le mois suivant, VGE visite les prisons de Lyon et serre la main des détenus. Ce geste inédit met fin aux violences et signe le coup d’envoi d’une réforme pénitentiaire qui donne une large part à la réinsertion sociale. Dans ce cadre, le Genepi a pour objet de faire le lien entre l’univers carcéral et l’environnement professionnel en envoyant des étudiants, issus des grandes écoles au départ, donner des cours en prison.

Entièrement couvée par le ministère de la Justice, l’association développe cependant assez rapidement une philosophie propre qui l’éloigne de ses objectifs initiaux – et de ceux de l’administration pénitentiaire. Voulant à tout prix éviter de cautionner le système carcéral en limitant ses actions à « la réinsertion sociale des personnes incarcérées », elle a redéfini ses statuts en 2011 et œuvre dorénavant :

« en faveur du décloisonnement des institutions carcérales par la circulation des savoirs entre les personnes incarcérées, le public et ses bénévoles ».

La formule est vague mais traduit concrètement une prise de position farouchement opposée à l’enfermement. Il y a certes lieu, encore en 2019, de s’interroger sur les conditions de détention dans les prisons françaises, ne serait-ce qu’en raison de la surpopulation carcérale qui atteint des proportions alarmantes. Mais la position du Genepi va plus loin : c’est le principe de l’incarcération elle-même qui est remis en cause.

S’en est suivie une incompréhension croissante entre ses membres et le personnel des prisons, incompréhension qui a atteint son point paroxysmique en février 2018 lorsque l’association a lancé sa campagne « L’Etat enferme, la prison assassine » (voir photo de couverture).

C’est dans ce contexte tendu qu’à l’automne 2018, la décision tombe : la convention qui liait le Genepi à l’administration pénitentiaire n’est pas renouvelée, de même que la subvention qui l’accompagnait avec une régularité d’horloge depuis le début.

À vrai dire, le torchon brûlait depuis un bon moment, à tel point que l’année précédente, l’administration pénitentiaire souhaitait déjà réduire la subvention à 30 000 €. Mais à la veille de l’élection présidentielle, le ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas n’avait pas jugé bon d’accéder à sa requête… C’est la première leçon de cette affaire : les subventions sont opportunistes et clientélistes.

Pour l’heure, le ministère de la Justice considère que les interventions du Genepi en prison sont devenues de moins en moins fréquentes (de 12 500 heures à 5 800 heures annuelles en 4 ans) et que les « cours » dispensés concernent de moins en moins les matières d’enseignement telles que droit ou langues étrangères et de plus en plus des activités plus olé olé du style sport et échanges socio-culturels.

De son côté, le Genepi crie à la décision politique, ce en quoi il n’a pas forcément tort. Le ministère lui reproche clairement de tenir un discours qui a dépassé le stade de la critique pour devenir une attaque en règle contre l’administration pénitentiaire et ses personnels.

D’où la seconde leçon : les subventions sont éminemment politiques et créent une dépendance néfaste entre l’Etat et les entités qui les reçoivent.

Ces dernières s’imaginent qu’elles en bénéficient en raison de leur qualité intrinsèque que l’Etat, dans sa neutralité supposée, serait le mieux à même d’apprécier.

Mais contrairement à l’idée répandue selon laquelle les subventions permettent de préserver l’indépendance financière des acteurs associatifs (ou entreprises) et garantir la pluralité des points de vue (de la presse, par exemple), la réalité oblige à dire que les subventions sont dirigées par l’Etat selon un plan politique et idéologique précis qui correspond aux fins sociales qu’il souhaite encourager.

Dès lors que l’Etat s’estime mal secondé, voire combattu, dans ses efforts constructivistes, la subvention est inéluctablement vouée à disparaître comme on le constate avec cet exemple. Autre possibilité, celle qui prévaut en général : l’association choisit de filer doux pour conserver la « bienveillance » étatique.

Mon histoire n’est pas complètement terminée. Finalement, devant « l’émotion » provoquée par la rupture entre l’association et le ministère de la Justice après 42 ans de coopération, une nouvelle convention a été signée la semaine dernière, mais elle ne le fut qu’à la condition expresse qu’il n’y aurait plus de subvention à la clef et que les interventions se cantonneraient plus strictement au soutien scolaire. Le Genepi retourne donc en prison mais sans ses 50 000 €.

Il le déplore, naturellement, mais comme le déclare son Président, qui a la charge d’animer 4 salariés, une quinzaine de services civiques et 800 bénévoles :

« Nous allons devoir trouver de nouveaux financements et adapter notre fonctionnement. »

That’s the spirit ! comme diraient les Anglais.

Nous arrivons ainsi à la troisième leçon : la subvention ne sera pas renouvelée, mais l’association n’est pas vouée à disparaître pour autant.

Elle n’en a du reste pas l’intention comme en témoignent les propos rapportés ci-dessus. Confrontée à la nécessité d’attirer l’intérêt du public pour lever des fonds sous forme de dons au lieu de compter automatiquement et sans se fatiguer sur le produit de l’impôt obligatoire, elle va forcément se remettre en cause, réfléchir à ses missions, à son positionnement, à son organisation.

Au Genepi d’évoluer et de convaincre, et les personnes sensibles à son message, libres de leur choix, contribueront financièrement à son succès qui témoignera alors à son tour de sa valeur pour la société. Ceci réalisé de façon réellement indépendante du point de vue des idées comme des financements.

Il existe enfin une quatrième leçon : si l’Etat a pu décider de supprimer une subvention et si l’on ne déplore pour l’instant aucune conséquence catastrophique hormis le désir du Genepi de se battre pour continuer à exister, on en déduit assez facilement qu’un Etat libéral pourrait renouveler l’opération avec une, puis deux, puis toutes les associations et autres entités gourmandes de subventions.

On pense d’abord aux secteurs de la presse et de la culture, mais pourquoi pas aussi à l’agriculture qui est en train de crever malgré toutes les aides qu’elle reçoit ? Pourquoi pas aussi dans les énergies renouvelables dont l’intérêt réel est complètement faussé par une orgie de subventions « volontaristes » destinées à forcer la transition écologique plutôt que la laisser se développer au rythme des besoins de la société ?

Rien ne dit que toutes les entreprises ou associations survivraient à la fin des subventions. Mais dans la mesure où ces dernières servent aussi à maintenir en vie à grand frais pour le contribuable des canards boiteux dont personne ne veut, la société aurait tout intérêt à voir se développer les services qui comptent pour elle tandis que ceux qui se révéleraient incapables de s’adapter disparaîtraient.

On serait donc tenté d’encourager le gouvernement de M. Macron à poursuivre dans le détricotage des nombreuses subventions qui pèsent négativement sur nos comptes publics et nous privent de nos choix.

Mais quand on mesure que loin d’être des aides désintéressées, elles forment un vaste compost malodorant d’arguments électoraux, de renvois d’ascenseurs, d’instruments de sujétion et de moyens politiques de pression et de censure, on redoute plutôt de voir la subvention du Genepi revenir dans la danse le jour où l’association aura fait la preuve de sa bonne volonté.


Sur le même sujet, je vous suggère également la lecture de : Poids de l’Etat, culture du don et liberté (18 octobre 2017) et Rien n’est bon dans « subvention » (19 juillet 2018).


Illustration de couverture : Campagne « L’Etat enferme, la prison assassine » de l’association Genepi, février 2018.

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