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Oui, l’entreprise a un rôle social : il s’appelle « profit » !

Changer l’objet social de l’entreprise, supplanter la notion de profit qui ne peut que témoigner de la noirceur d’âme des actionnaires et lui ajouter des obligations d’intérêt général en matière environnementale et sociétale, tel était déjà le souhait d’Emmanuel Macron en 2014 lorsqu’il était ministre de l’économie de François Hollande. Mais à l’époque, le Conseil d’Etat avait retoqué sa proposition, jugeant que cela revenait à multiplier les contraintes et les risques de pénalisation pesant sur les entreprises. 

Aujourd’hui, il revient à la charge à travers le Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, ou #PACTE, porté par Bruno Le Maire. Dès avant Noël, le ministre de l’écologie Nicolas Hulot avait annoncé la couleur aux patrons du MEDEF :

« Nous allons faire évoluer l’objet social des entreprises, qui ne peut plus être le seul profit, sans considération pour les hommes et les femmes qui travaillent, sans regard sur les désordres environnementaux. »

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Un objectif qui a manifestement été entendu cinq sur cinq par l’ex-secrétaire générale de la CFDT Nicole Notat et l’actuel patron de Michelin Jean-Dominique Senard, et un objectif que Bruno Le Maire a répété alors qu’il recevait de leurs mains le rapport qu’il leur a commandé afin d’alimenter le projet de loi qui sera proposé sur le sujet au mois d’avril :

• Alors que les syndicats et la gauche comptaient sur la contrainte légale dans tous les domaines pour obtenir gain de cause, tandis que les rangs patronaux plaidaient plutôt pour laisser le libre choix aux entreprises, on peut dire que le rapport Notat Senard louvoie habillement entre ces deux pôles.

De façon contraignante, il propose tout d’abord d’augmenter le nombre de salariés dans les conseils d’administration et de surveillance des entreprises de plus de 1000 salariés à partir de 2019. Par exemple, les administrateurs salariés seraient 3 sur un total de 16 administrateurs au lieu de 2 sur 15 actuellement. Cette évolution n’est guère foudroyante, mais on se demande si elle est simplement utile au-delà de son petit côté affichage en faveur des salariés. Ces derniers ont accès à d’autres instances, le comité d’entreprise par exemple, et ils ont la possibilité d’être représentés par des syndicats qui pèsent largement sur la vie de l’entreprise.

Surtout, le rapport propose de modifier l’objet social de l’entreprise dans le code civil, option qui était redoutée par le MEDEF, notamment parce que toutes les entreprises sont mises à la même enseigne, même les plus petites et les plus fragiles. Selon l’article 1833, peu retouché depuis 1804 :

« Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés. »

On peut remarquer que même datant du début du XIXème siècle, le libellé est simple : il exclut toute association frauduleuse, il reconnaît la liberté d’association des personnes ainsi que leur droit de propriété sur l’objet de l’association.

Pour moi, il se suffit largement à lui-même, car l’intérêt commun des associés, c’est avant tout que leur affaire fonctionne, ce qui suppose sans qu’il soit besoin de le dire que l’affaire en question s’insère dans des relations harmonieuses avec les fameuses « parties prenantes » (ou « stake holders » en anglais) que sont les salariés, les clients, les fournisseurs, les pouvoirs publics et même l’opinion publique sur tous les sujets de société qui l’occupe à différentes époques.

Il est cependant question d’ajouter l’alinéa suivant :

« La société doit être gérée dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. »

Le risque d’une telle précision réside dans le fait que l’entreprise pourra être poursuivie pour non respect de ces deux critères, lesquels sont cependant très vagues et pourraient donner lieu à toutes sortes d’interprétations.

Si l’on se souvient que l’introduction du concept de responsabilité limitée(1) a eu pour effet de développer considérablement l’esprit d’entreprise et l’innovation en Occident, on peut penser qu’une telle réforme constituera une véritable régression. En accroissant les contraintes, elle pourrait décourager la prise de risque inhérente à la création d’entreprise et aboutir à terme à de la destruction de valeur.

Mais là encore, on ne peut s’empêcher de voir un effet d’affichage, une volonté d’enfoncer le clou après l’accord de Paris obtenu lors de la COP21 de 2015. L’environnement fait partie des thèmes très médiatiques du moment, la société dans son ensemble y est de plus en plus sensible, les entreprises sont par nature sensibles aux sensibilités de la société si elles veulent vendre. Sans compter qu’elles ont déjà mille normes à respecter en la matière. Mais peu importe, se disent nos dirigeants, figeons tout un peu plus dans le marbre de la loi, qu’on puisse se vanter ensuite de notre réformisme.

Le rapport fait d’ailleurs explicitement référence aux acquis de la COP21 et voit dans cette réforme de l’entreprise une façon de « tempérer certains excès de la mondialisation pointés par le Président de la République lors du Forum économique mondial de Davos. » Quand on sait que le libre-échange et le capitalisme sont considérés par les étatistes comme des « excès » de la mondialisation, alors qu’ils furent les artisans de la sortie de la pauvreté de millions de personnes, on peut s’attendre à tout.

Du côté des préconisations qui ne seraient pas obligatoires mais laissées à l’appréciation des conseils d’administration, figure la possibilité de faire mention d’une « raison d’être » dans les statuts de l’entreprise, ce qui lui permettrait ensuite de devenir une « entreprise à mission ». Dans ce cas, l’entreprise aurait alors l’obligation de se doter d’un « comité d’impact » (un comité de plus) destiné à vérifier que la mission est bien remplie et où siégeraient aussi les « parties prenantes » de l’entreprise.

Pour ma part, je trouve terriblement réducteur qu’on veuille autant circonscrire a priori les activités de l’entreprise et soumettre ses décisions à une sorte de tribunal populaire réunissant des acteurs qui sont pour la plupart (salariés, clients, fournisseurs) déjà en relation avec l’entreprise via des contrats précis et négociés, et pour d’autres (ONG, pouvoirs publics) des acteurs qui n’ont ni implication financière ni responsabilité dans l’entreprise. Pour ces derniers, donneront-ils leurs conseils dans le meilleur intérêt de l’entreprise ou selon leur propre agenda ?

Mais tant que tout ceci reste optionnel, pourquoi pas ? Si ce n’est qu’en fait d’entités « à mission », il existe déjà les associations, les fondations, les ONG etc.. Pourquoi vouloir transformer l’entreprise en association, en MJC ou en centre social ?

• Entre autres motivations, cette réforme des entreprises prétend répondre à la défiance que les Français auraient à leur égard. Mais plutôt que d’expliquer ce que font les entreprises et comment elles fonctionnent, le gouvernement, en plein délire constructiviste, préfère changer les entreprises, les dépouiller de ce qui fait leur spécificité et les transformer en une sorte d’annexe des pouvoirs publics dont elles adopteraient toutes les priorités, fondées ou non. Il préfère soumettre patrons et actionnaires à la défiance populaire, justifiant ainsi tous les encadrements de leurs activités.

Comme si l’Etat était bon juge en matière entrepreneuriale ! Il n’est que de penser à la situation de la SNCF, qu’on se voit soudain acculé à réformer du fait de l’ouverture prochaine à la concurrence, pour savoir que l’Etat est surtout expert en faillites retentissantes qui se chiffrent en milliards d’euros gaspillés sur le dos des contribuables particuliers et entreprises.

On oublie trop souvent que la seule création de richesse réalisée sur cette terre est le fait des activités marchandes. Ce sont leurs chiffres d’affaires qui sont à l’origine de tous les salaires, de tous les revenus et de tous les impôts. On m’objecte souvent :

« Vous ne parlez que de chiffre d’affaires, vous vous fichez bien de l’humain ! »

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Mais d’où viennent-ils tous ces « moyens » que ne cessent de réclamer à cor et à cri tous ceux qui font de telles objections, si ce n’est au départ du chiffre d’affaires réalisé par des entreprises innovantes et performantes ?

Quant à l’horrible profit, c’est-à-dire ce qui reste une fois que tout ce qui précède a été payé aux salariés, aux fournisseurs et à l’Etat (pour qu’il laisse hélas libre cours à sa trop imposante redistribution), il est la garantie que l’entreprise va continuer à tourner, qu’elle va garder la confiance des actionnaires qui la capitalisent, qu’elle va continuer à innover, investir, produire et satisfaire des consommateurs. Il est la garantie qu’elle va continuer à acheter les biens et services d’autres entreprises. Il est la garantie qu’elle va continuer à embaucher et payer des salaires.

Là réside l’énorme, l’indispensable valeur sociale de l’entreprise, pour peu qu’on la laisse se développer dans un environnement concurrentiel qui l’oblige à donner le meilleur d’elle-même vis-à-vis de ses clients et de ses salariés.

Le profit n’est pas la marque de l’égoïsme délétère particulier des actionnaires ou des entrepreneurs indépendants, c’est la récompense de leurs efforts pour servir des clients au meilleur prix en utilisant au mieux leurs ressources. C’est la récompense du chef d’entreprise performant. Ainsi que le disait Ludwig von Mises(2) :

« C’est de l’intelligence de l’entrepreneur, de son travail de réflexion, que les profits émergent en dernier ressort. » 

Aussi, « l’une des fonctions principales du profit consiste à placer le contrôle du capital entre les mains de ceux qui savent comment l’employer au mieux pour la satisfaction du public. »

Les entreprises qui ne font pas de profit sont vouées à changer de modèle économique avant qu’il ne soit trop tard ou à disparaître. L’absence de profit n’est en rien le signe d’une générosité particulière, c’est celui d’un échec (dont l’Etat dans ses oeuvres nous donne tous les jours la merveilleuse illustration).

Il en résulte que si l’on veut favoriser le bien-être des salariés ainsi que le meilleur service des consommateurs, préoccupations environnementales comprises, il est préférable d’avoir affaire à des entreprises en situation de concurrence qui réalisent des profits. Tout le reste, dont le #PACTE se fait largement l’écho, n’est qu’un blabla bienpensant anti-capitaliste parfaitement inutile. 


(1) L’entrepreneur indépendant ou les associés ne sont pas engagés sur la totalité de leurs biens, mais uniquement sur leur apport au capital de l’entreprise (concerne les SA, SARL, SAS et variantes).

(2) Dans Planning for Freedom and twelve other essays and addresses, IX Profit and Loss, 5 The social function of profit and loss.


Pour compléter l’argumentaire sur l’ensemble du #PACTE, lire l’article « Entreprises : Bruno le Maire a un plan » (17/01/18)


Illustration de couverture : Nicole Notat et Jean-Dominique Senard remettent leur rapport « L’entreprise, objet d’intérêt collectif » (9 mars 2018). Photo :  twitter @_Bercy_

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