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Encore quelques mots sur le Chili

Cet article complète Qu’il est difficile de quitter la route de la servitude ! publié le 23 octobre.

Le général Augusto Pinochet a régné sur le Chili de 1973 à 1990. La féroce répression politique qu’il a menée contre ses opposants se chiffre à 3 200 morts et disparus, 38 000 cas de torture et des dizaines de milliers d’exilés. Ces circonstances qui manifestent assez clairement le mépris dans lequel il tenait les droits civils suffisent à le ranger résolument du côté des ennemis de la liberté. Le pape Jean-Paul II en visite au Chili lui avait rappelé que « le peuple a le droit de jouir de ses libertés fondamentales, même s’il commet des erreurs dans l’exercice de celles-ci » – mais le Caudillo s’en fichait.

Ajoutez la composante économique et vous n’êtes guère plus avancés car c’est seulement à partir de la transition démocratique de 1988 et surtout après 1990 que la situation s’améliorera significativement.

Malgré les brefs conseils de Milton Friedman, Pinochet (photo) a alterné les moments keynésiens avec les privatisations réservées aux amis, l’armée gardant la haute main sur les mines de cuivre. L’alphabétisation s’est améliorée mais la malnutrition a ravagé les campagnes, les salaires réels ont chuté, le PIB s’est replié de 14 % en 1982, le chômage a caracolé jusqu’à 31 % en 1983 et la dette (publique et privée) a purement et simplement explosé.

Et de toute façon, quelques mesures d’origine libérale prises dans un océan de contraintes et d’oppression n’ont jamais suffi à caractériser un environnement authentiquement libéral. Un point à toujours garder à l’esprit. La liberté économique est une composante importante de la liberté, pas sa seule composante.

En revanche, ce serait tomber bien naïvement dans le piège que la gauche nous tend depuis toujours à propos de ses déroutes économiques et politiques intrinsèques, partout documentées mais partout faussement attribuées à des complots de la CIA et des multinationales, que de s’imaginer que Pinochet fut le fossoyeur de la démocratie et de la prospérité chiliennes.

Comme l’écrivait Jean-François Revel en 1983, soit 10 ans après la chute de Salvador Allende (1970-1973) et l’arrivée au pouvoir de Pinochet :

« Quand Pinochet a tué la démocratie au Chili, elle était déjà morte. »

De la même façon, si la situation économique resta longtemps désastreuse, elle avait déjà été soigneusement détruite par la politique collectiviste d’Allende.

• Il faut savoir d’abord que ce dernier a été élu en novembre 1970 dans le cadre d’une élection triangulaire où il obtint 36,2 % comme candidat de l’Unité populaire, coalition de partis de gauche allant des marxistes-léninistes aux socio-démocrates. Le candidat conservateur recueillit 34,9 % des voix et le candidat démocrate-chrétien 27,8 %. Dans cette situation, la constitution chilienne ne prévoyait pas un second tour entre les deux premiers candidats, mais un vote du Parlement pour trancher entre eux.

On constate donc – avec Jean-François Revel qui décrit par le menu tout le processus dans son livre La tentation totalitaire (1976) d’où je tire mes chiffres – que loin de fomenter l’échec d’Allende, les partis opposés à l’Unité populaire, très majoritaires au Congrès, ont au contraire décidé de le porter au pouvoir alors qu’ils avaient constitutionnellement toute faculté d’opter pour le candidat conservateur.

Les démocrates-chrétiens étaient d’autant plus favorables à Allende qu’ils souhaitaient voir se poursuivre la politique d’Etat-providence qu’ils avaient déjà commencé à mettre en œuvre lorsqu’ils étaient au pouvoir. Ils avaient reçu du nouveau « Compañero Presidente » (petit nom qu’Allende se donnait) l’assurance que celui-ci gouvernerait avec le Parlement – promesse qu’il s’empressa d’oublier une fois élu.

On a beaucoup parlé d’une tentative de corruption ourdie entre la CIA et la multinationale ITT afin de pousser les parlementaires chiliens à voter contre Allende, mais il s’avère finalement que le complot était inutile et que, quand bien même il aurait eu lieu, il échoua.

Il n’en demeure pas moins que le nouveau Président du Chili ne représentait que 36,2 % du corps électoral. C’est peu quand on a en tête d’imposer une politique délicieusement « cubaine » connue sous le nom de « Via chilena al socialismo » (voie chilienne vers le socialisme). Du très classique, en l’occurrence, quand on connait le Manifeste du Parti communiste de Marx et Engels (1848) :

La première année, ce système entièrement tourné vers la dilapidation des richesses créées antérieurement provoqua une illusion de croissance et de prospérité. Mais très rapidement, ce fut la débandade.

L’inflation devint galopante, atteignant plus de 600 % en 1973 contre 28 % en 1971, tandis que les productions tant agricoles qu’industrielles s’effondraient. La pénurie de tous les biens d’usage courant (pain, sucre, farine, huile…) devint chronique et alimenta un marché noir des plus actifs. Le Venezuela avant l’heure, en quelque sorte. Côté finances publiques, les dépenses passèrent de 13 % du PIB en 1970 à 53 % en 1973 et le déficit s’embourba jusqu’à atteindre 24,7 % du PIB en 1973 contre 2,7 % en 1970.

Quant au respect des lois et de la Constitution, Allende s’érigea sans peine en véritable leader communiste propre à servir de modèle à ses nombreux disciples du continent sud-américain, Chávez et Maduro en tête. Qu’une élection – étudiante, syndicale, locale – prive l’Unité populaire de la majorité et l’on voyait aussitôt Allende créer une instance parallèle en sa faveur ou procéder au noyautage de la structure dissidente. Enfin, Allende ne négligea aucun effort pour museler la presse et les journalistes d’opposition.

S’il est avéré que la CIA a versé des fonds au syndicat des camionneurs, lesquels, petits propriétaires indépendants pour la plupart, étaient excédés à l’idée de voir le gouvernement réquisitionner leur outil de travail, il est tout aussi exact que la Présidence Allende marqua l’arrivée au Chili d’un flot ininterrompu d’agents des services spéciaux cubains dans le but de consolider le régime. (Photo : Allende et Castro)

La colère de la population devint si profonde que la triche aux élections prit rang de culture politique afin de maintenir la fable de la réussite du régime et de l’adhésion populaire. Quand, en août 1973, la situation vira à la grève générale et à l’insurrection, Allende fit entrer des militaires au gouvernement et il nomma lui-même Augusto Pinochet au poste de commandant en chef des forces armées.

C’est un peu par hasard et au dernier moment que celui-ci se retrouva en première ligne le 11 septembre 1973 pour mettre fin aux violations constitutionnelles nombreuses du gouvernement, ainsi qu’en avaient décidé les parlementaires chiliens par un vote décisif dès le 23 août. De Charybde, le Chili était à la veille de tomber dans Scylla.

• Compte tenu de cet épisode crucial complexe de l’histoire chilienne contemporaine (le combo Allende Pinochet), il est difficile de regarder la contestation actuelle qui fait rage uniquement comme la simple demande innocente et spontanée de plus de justice sociale. Cette composante existe et le gouvernement de Piñera doit y répondre, mais elle n’est pas seule en jeu.

D’une part, parce que le pays n’est pas en faillite comme il l’était en 1973 puis en 1983, mais au contraire sur un chemin de développement économique et de sortie de la pauvreté attesté, même si beaucoup reste à faire.

Et d’autre part, parce que les rodomontades exprimées bruyamment par le Président vénézuélien Nicolás Maduro et son numéro deux, le Président de l’Assemblée constituante vénézuélienne Diosdado Cabello, en direction du Forum de São Paulo (association de partis de la gauche radicale sud-américaine) dès le lendemain des premières émeutes chiliennes suggèrent avec insistance que les soulèvements qu’on observe dans plusieurs pays du continent répondent à une orchestration précise venue du Venezuela (vidéo, 01′ 42″) :

Récupération opportuniste d’un dirigeant démonétisé en mal d’impact international ? Toujours est-il que Maduro admet l’existence d’un plan de « convergence des luttes » de tous les mouvements sociaux, progressistes et révolutionnaires d’Amérique du Sud et des Caraïbes et qu’il se félicite de son excellent déroulement victorieux. Selon ses propres mots, tout avance encore mieux qu’il ne l’espérait ! À noter qu’il y a seulement un mois, il était en voyage officiel en Russie afin de s’assurer du soutien de Vladimir Poutine, soutien que ce dernier s’est empressé de lui renouveler.

Quant à Cabello, qui préside une instance typiquement « bolivarienne », à savoir la Constituante instaurée par le pouvoir vénézuélien parallèlement à l’Assemblée pour contrer son échec lors des législatives de 2015, il fut encore plus clair :

« Lo que está pasando en Perú, Chile, Ecuador, Argentina, Honduras es apenas la brisita, viene un huracán bolivariano. »
Ce qui se passe au Pérou, au Chili, en Équateur, en Argentine, au Honduras, ce n’est qu’une petite brise. Mais un ouragan bolivarien est en train de se lever.

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Selon lui, l’insatisfaction sociale résultant des diktats du FMI et de l’ultra-libéralisme pinochetiste à l’œuvre dans ces pays est colossale tandis que le Venezuela jouirait d’une paix sociale et d’une prospérité fabuleuses :

« Quién protesta aquí ? El pueblo no, la burguesía, los grupos empresariales (…), las grandes familias, los que destrozaron este país durante años, pero el pueblo no, el pueblo está con la revolución. »
Qui proteste, ici ? Pas le peuple. La bourgeoisie, les entreprises, les grandes familles, ceux qui ont détruit ce pays pendant des années, mais le peuple non. Le peuple est avec la révolution.

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On aimerait en rire. Qui pourrait croire que la révolution bolivarienne serait capable d’apporter le moindre bien à des pays qui ont déjà beaucoup avancé sur le chemin de l’émancipation économique et politique quand elle montre tant de talent à détruire les pays où elle passe, à commencer par le Venezuela ?

Il n’est certes pas question de dire ici que tout est parfait au Chili, au Pérou, en Équateur, etc. Ce n’est pas le cas et il reste un long chemin à parcourir (ci-contre, le Président chilien Sebastián Piñera).

Mais à l’inverse de ce qui se fait au Venezuela, dont la ruine est consommée, ce chemin passe à mon avis surtout par l’approfondissement de l’État de droit, la séparation des pouvoirs, l’indépendance du judiciaire, le renforcement des conditions concurrentielles, la protection des contrats, la fin de tout capitalisme de connivence, l’abolition totale des privilèges, la garantie des libertés individuelles, la liberté d’expression, l’ouverture commerciale, les échanges scientifiques, culturels, éducatifs. Un chemin de liberté et de responsabilité.

Tous domaines dans lesquels « l’esprit cubain », de Castro à Guevara et Allende et de Chávez à Maduro, a lamentablement échoué, quoi qu’en dise la propagande gauchiste.


Illustration de couverture : Vue de la capitale du Chili, Santiago, au pied de la cordillère des Andes.

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