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CHÔMAGE (III) : Quand le taux britannique tombe à … 3,8 % !

L’Office for National Statistics, c’est-à-dire l’équivalent britannique de notre INSEE, vient lui aussi de publier ses chiffres sur l’emploi au premier trimestre 2019. On apprend ainsi que le taux de chômage du Royaume-Uni est tombé à 3,8 % (graphe ci-dessous), alors que la France continue à planer à 8,8 %. Cet exemple particulièrement révélateur, mais pas unique en Europe, constitue un excellent prolongement de mes deux articles précédents sur le chômage français qui persiste à être structurellement élevé (Chômage I) et sur les fausses solutions keynésiennes (Chômage II).

Un taux de chômage de 3,8 % contre 8,8 % chez nous : le match Royaume-Uni / France semble plié. Il l’est d’ailleurs depuis un bon moment : fin 2015, c’était environ 5 % outre-Manche contre 10,3 % en France.

Mais ce serait compter sans les multiples subterfuges, excuses et pieuses protestations qui nous enjoignent systématiquement en pareil cas (comme dans cet article de France Culture) de considérer que notre modèle social se caractérise par une exigence supérieure d’égalité et de solidarité tandis que les petits boulots, les contrats « zéro-heure », la précarité et la pauvreté seraient sans conteste l’infâme marque thatchérienne de l’économie britannique :

« Il faut dire que cette baisse du taux de chômage est largement due à une multiplication des emplois précaires, petits boulots et autres jobs indépendants. Ces derniers ont explosé au Royaume-Uni depuis une dizaine d’année, grâce à la libéralisation et la flexibilisation toujours plus importante du marché du travail. »

S’ensuit l’inévitable couplet sur les terribles réformes Hartz de libéralisation du marché du travail dans le cadre des réformes entreprises par Gerhard Schröder entre 2002 et 2005 en Allemagne – pays dont le taux de chômage est actuellement de 3,2 %, excusez du peu !

L’analyse des chiffres montre cependant une réalité très différente.

Au premier trimestre 2019, le nombre de chômeurs britanniques a diminué de 65 000 personnes pour tomber à un total de 1,3 million. A comparer à nos 2,5 millions (dans les statistiques(*) de l’INSEE) pour une population équivalente de 67 millions.

Ajoutons que non seulement le Royaume-Uni jouit d’un taux de chômage très inférieur à celui de la France, mais que le taux d’activité, c’est-à-dire le nombre de personnes actives par rapport au nombre total de personnes de 15 à 64 ans, y atteint 78,5 %. Le même résultat pour la France tombe à 71,9 % (graphe ci-dessous à gauche), c’est-à-dire juste en dessous de la moyenne de l’OCDE comme le montre le schéma de droite (chiffres de 2017) – cliquer pour agrandir :

          

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Les statistiques britanniques publiées hier nous apprennent également que les salaires (primes incluses) ont augmenté de 3,2 % sur un an, soit 1,4 point de plus que l’inflation qui fut de 1,8 % sur la période. Comme aux Pays-Bas, le dynamisme de l’économie a amené le pays au plein emploi. Il en résulte des tensions pour recruter, notamment dans les secteurs du commerce de détail, les activités sociales et médicales et l’hôtellerie-restauration, ce qui pousse momentanément les salaires à la hausse.

On observe en effet que même en cette période d’incertitude sur le Brexit qui fait que, de façon assez extravagante, les élections européennes auront tout de même lieu, le dynamisme comparé de l’économie britannique ne se dément pas. Alors que la croissance française fut de 0,3 % au premier trimestre 2019 – c’est-à-dire moins que prévu, ce qui n’a pas empêché Bruno Le Maire de faire assaut de satisfaction – la croissance du Royaume-Uni s’est montée à 0,5 %.

Quant aux petits boulots et aux contrats « zéro-heure » dont on finirait par croire en France qu’ils constituent les seules formes d’emploi disponibles pour nos pauvres voisins anglais, il convient de remettre les choses à leur place. A l’époque où de grandes réticences se manifestaient en France contre la loi Travail de Myriam El Khomri, on nous expliquait volontiers que lorsqu’on avait un contrat « zéro-heure » en Angleterre :

« On vous appelle de temps en temps et on vous dit : vous allez pouvoir travailler une heure, et ensuite on vous laisse. » (Natacha Polony, BFMTV)

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Une fois de plus, ces propos convenus et répétés en boucle sont très éloignés de ce qu’il se passe vraiment. A fin décembre 2018, les fameux contrats « zéro-heure » concernaient seulement 2,6 % des personnes dans l’emploi sur presque 33 millions d’emplois. La moyenne des heures hebdomadaires travaillées à ce titre était de 24 heures contre 36 heures pour l’ensemble des emplois et la tranche d’âge des jeunes de 15 à 24 ans était la première concernée.

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A ce stade, il n’est pas inutile de rappeler que le chômage des jeunes (moins de 25 ans) atteignait presque 22 % en France fin 2018, tandis qu’il n’était que de 11,4 % au Royaume-Uni (schéma ci-contre, cliquer pour agrandir).

Que cet écart béant ne suscite pas en France d’autres commentaires que le verbiage habituel contre la précarité ultra-libérale en vigueur au Royaume-Uni est non seulement incompréhensible mais surtout gravement irresponsable de la part de tous nos dirigeants politiques.

Tout à l’inverse, on trouve toujours un organe de presse ou un autre – par exemple dans cette reprise d’une dépêche AFP dans un article de l’hebdomadaire Le Point – pour vous faire savoir que si le chômage est bas, les chômeurs restants ne sont pas, mais alors pas du tout à la fête. Mais contrairement à ce qui se passe chez nous, et comme le souligne une travailleuse sociale anglaise interrogée pour l’occasion :

L’allocation chômage britannique « n’est pas faite pour que les gens puissent vivre avec, plutôt pour qu’ils retrouvent un emploi le plus vite possible. »

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Là se situe en effet l’une des grandes différence entre les pays à faible taux de chômage et la France. Que préfère-t-on ? Des personnes autonomes dans l’emploi, ainsi amenées à accumuler les expériences professionnelles et rendues capables de rebondir, ou des personnes sans emploi donc en manque d’expérience de terrain, parfois sur très longue durée, mais soutenues ad vitam ?

Pour finir, j’aimerais souligner qu’on se tromperait en faisant du critère d’appartenance ou non à l’Union européenne le seul élément déterminant de la plus ou moins grande vitalité économique des pays européens. Le Royaume-Uni est certes sur le départ et à l’instant où j’écris, j’hésite à le classer parmi les membres ou les non membres de l’Union européenne.

Mais quoi qu’il en soit, et quelles que soient ses raisons pour rechercher plus de liberté en dehors des frontières européennes, il est suffisamment d’exemples au sein même de l’UE, y compris parmi les pays qui en font partie depuis l’origine, notamment l’Allemagne ainsi que mon exemple favori, les Pays-Bas, pour montrer que les différences tiennent fondamentalement au degré de libéralisme en vigueur dans le pays considéré, c’est-à-dire au primat de l’esprit de responsabilité individuelle sur l’esprit de redistribution collectivisée.

Car ce n’est pas l’UE qui nous oblige à étatiser et monopoliser l’éducation et la sécurité sociale, ce n’est pas l’UE qui nous pousse aux déficits budgétaires, à la dépense publique incontrôlée et à la dette galopante, ce n’est pas l’UE qui nous oblige à entraver l’activité de nos entreprises par une loi Pacte purement française et ce n’est pas l’UE qui demande que toutes ses directives soient appliquées au centuple selon la méthode du « gold plating » (ou sur-réglementation) que les Français affectionnent.

D’où la froideur compréhensible avec laquelle les propositions d’Emmanuel Macron pour l’Europe, lesquelles consistent à vouloir appliquer de l’Atlantique aux Carpates les belles idées qui ruinent la France, ont été accueillies par nos principaux partenaires…

Bref, le chômage britannique à 3,8 %, encore un exemple à méditer, je crois.


(*) Précision du 16 mai 2019 : La France mène deux suivis du chômage, celui de l’INSEE évoqué plus haut et celui de la DARES qui compte environ 3,5 millions de chômeurs inscrits dans sa catégorie A (personnes complètement sans emploi). Les deux statistiques devraient correspondre mais depuis quelques années, elles sont fortement divergentes.


Illustration de couverture : L’horloge de Big Ben et le drapeau britannique, Londres, Royaume-Uni.

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