Le chiffre indiscutable est en fait une reconstitution réalisée à partir d’une multitude d’informations éparpillées dans les ministères, à l’Urssaf, à Bercy et dans les entreprises. Mais surtout, le chiffre est magnifiquement élevé et son potentiel médiatique est colossal. « Premier budget de l’État ! », « deux fois le budget de l’Éducation nationale ! »… Un peu comme la taxe Zucman, il permet à la gauche d’occuper le devant de la scène politique et de se livrer à son activité favorite : mettre tous les maux de la France sur le dos de ces prédateurs invétérés que sont à coup sûr les ultra-riches et les entreprises.
L’émission de France 2 « Complément d’enquête », toujours en pointe en ce domaine, a immédiatement saisi la balle au bond. Et si les vrais assistés de la République, c’était eux, les ultra-riches et les multinationales ? Telle est en effet la problématique annoncée pour son émission de ce soir, consacrée justement à ces 211 milliards :
💸 211 milliards d’euros : c’est le montant des aides publiques versées aux entreprises en 2023, selon une commission d’enquête du Sénat.
— Complément d’enquête (@Cdenquete) September 15, 2025
C’est + de 2 fois le budget de l’Éducation nationale !
Mais à quoi sert vraiment cet argent ? Qu’en font les multinationales ?
👉La réponse… pic.twitter.com/txIRTbRqTV
Ma position sur les subventions est simple : il faut les supprimer pour tout le monde, pour les particuliers, pour les associations, pour les entreprises… ET baisser les prélèvements obligatoires en conséquence. Le problème, ici, c’est que si le chiffre de 211 milliards est indiscutable, il est aussi complètement idiot.
Nos sénateurs arrivent à ce montant (voir schéma ci-dessous, extrait du rapport) en prenant d’abord 41 milliards d’euros en provenance de Bpifrance, notre banque publique d’investissement. Ceci correspond soit à des prêts (que les entreprises remboursent avec intérêts), soit à des investissements (donc avec des titres en contrepartie), soit à des garanties (très rarement exercées). Mais en aucun cas il ne s’agit de dépenses publiques, et certainement pas de subventions ou d’aides.
Ils y ajoutent 88 milliards de « dépenses fiscales ». Du pur jargon bercynois. Pas l’ombre d’une dépense là-dedans non plus ; on n’a toujours pas touché à nos presque 1 700 milliards d’euros de dépenses publiques (PLF 2025). On parle en fait de réduction d’impôts, soit sous la forme des taux réduits de TVA (2,1 % pour la presse, M. Gay !), soit sous la forme du Crédit d’impôt recherche (CIR), soit sous la forme du Crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) – ce dernier ayant été transformé récemment en allègement de charges sociales.
Les allègements de cotisations sociales forment justement le troisième poste retenu par les sénateurs pour un montant de 75 milliards d’euros. Même chose que précédemment, il n’est pas question ici de dépenses publiques, mais des efforts menés au cours du temps sur les bas salaires pour ne pas pénaliser l’emploi et tenter de ramener le coût du travail français dans les moyennes de l’Union européenne ou de l’OCDE.
Une réduction d’impôt ou une baisse de charges sociales ne sont pas des cadeaux faits aux entreprises, c’est de l’argent qu’on leur prend en moins. Ne pas oublier que ce sont les entreprises qui créent la richesse, pas l’État. Ce dernier se contente de ponctionner les entreprises et les particuliers à un niveau devenu délirant, 45 % du PIB, et c’est précisément pour atténuer ce délire qui plombe année après année la compétitivité et l’emploi du pays que ces politiques d’allègement ont été mises en place.
Tout ceci étant dit, l’on constate qu’il ne reste plus qu’un paquet de 7 milliards d’euros, intitulé « subventions aux entreprises » par les sénateurs, qui puisse rentrer effectivement dans la catégorie des aides publiques appartenant à la grande marmite des dépenses publiques. Comme le chiffre est « indiscutable », je me vois obligée d’en conclure que les vraies aides publiques aux entreprises se montaient à 7 milliards d’euros en 2023. Et pour tout vous dire, je trouve ce chiffre ridiculement faiblard. Où sont les subventions déversées par milliards sur nos glorieuses entreprises publiques ?
211 milliards ou 7 milliards, tout ceci a surtout l’air d’une vaste fumisterie. Peut-être certains sénateurs membres de la Commission d’enquête ont-ils eu eux aussi cette désagréable sensation de participer à une farce. Toujours est-il que la commission a calculé ensuite un montant des aides « au sens strict », le précédent étant considéré « au sens large ».
La part Bpifrance disparaît. Logique, elle n’a rien à faire ici. Et parmi les dépenses fiscales, les effets des taux réduits de TVA sont enlevés du calcul, de même que ceux des dépenses fiscales dites « déclassées » : ce sont des « dépenses fiscales » que Bercy n’appelle plus dépenses fiscales car elles concernent un mode de calcul de l’impôt, pas une politique publique. Exemple : le régime de l’intégration fiscale. Les allègements de cotisations restent inchangés.
Une fois ces petites rectifications apportées, les aides publiques aux entreprises tombent à 108 milliards d’euros. Un chiffre qui reste idiot pour les mêmes raisons que précédemment.
Dans le PLF 2025 signé Bayrou, les prélèvements obligatoires sont évalués à 1 300 milliards d’euros, soit 45 % du PIB, plus haut niveau en Europe et dans l’OCDE. Si l’on y rajoutait les 88+75 = 163 milliards d’impôts et charges sociales prélevés en moins aux entreprises (dans la version « au sens large »), c’est-à-dire si l’on annulait toutes les mesures de réduction d’impôts et de charges sociales, la France se hisserait à un taux de prélèvements obligatoires de… 50 % ! Le paradis socialiste est bien un enfer fiscal.
En réalité, la France est en train de mourir à petit feu de son trop d’impôts, de son trop de dépenses publiques… et du mélange d’incompétence et de malhonnêteté intellectuelle de ses élites politiciennes. Dans la cure d’amaigrissement qu’elle sera bien obligée d’entreprendre un jour, tant ses conditions d’emprunt commencent à se durcir sévèrement, les subventions sont clairement à éliminer. Mais n’allez surtout pas croire qu’on vient de trouver à point nommé 211 milliards d’économies à réaliser.
