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« Celui-ci est mon Fils bien-aimé »

ARTICLE  DE  PÂQUES  2019  Le baptême de Jésus dans le Jourdain par Jean le Baptiste.

Il y a un an, j’assistais à la messe de Pâques à Notre-Dame de Paris. Alors que le temps de la Résurrection est à nouveau là et que le feu n’a pas été loin de faire vaciller notre belle cathédrale à la fois si majestueuse et si familière à nos yeux, je prie Marie, qui lui a donné son nom, pour que nos bâtisseurs du XXIème siècle – ils sont nombreux, ils sont talentueux – lui redonnent vite solidité, élan et modernité pour accompagner les hommes dans leur quête de sens pendant dix siècles encore.

La période pascale est aussi pour moi l’occasion de repenser au pape émérite Benoît XVI. D’abord parce qu’il a fêté ses 92 ans le 16 avril dernier, et surtout parce que c’est le moment privilégié où je me replonge dans son Jésus de Nazareth(*), ouvrage en trois parties dans lequel il cherche à nous faire découvrir « la figure et le message de Jésus » :

« J’ai essayé de développer un regard sur le Jésus des Evangiles et une écoute de ce qu’il nous dit susceptibles de devenir rencontre. »

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Ainsi, Jésus de Nazareth n’est pas seulement une « vie de Jésus » dans laquelle B16 nous déroulerait avec précision la chronologie et la topographie concernant le Christ. Mais Jésus est néanmoins une figure historique ; c’est d’ailleurs parce qu’il a appartenu au temps historique que la Résurrection acquiert du sens. Le livre de B16 se présente donc classiquement sous la forme d’un découpage chronologique de la vie du Christ.

En 2007, paraît le premier volume qui va du baptême dans le Jourdain (début de la vie publique de Jésus) à la Transfiguration. En 2011, B16 publie la suite consacrée à l’entrée à Jérusalem (Rameaux) jusqu’à la Résurrection (Pâques), c’est-à-dire la Semaine sainte. Le volume dédié à l’enfance de Jésus rejoint les deux premiers en 2012, tout en occupant la première place chronologique.

Après avoir abordé ici l’Annonciation qui marque le tout début de l’aventure chrétienne, puis les Rameaux et la Cène qui scandent la Semaine sainte, puis la Résurrection, message de vie éternelle qui forme le sommet absolu de la foi chrétienne, et enfin l’Ascension où Jésus quitte un point de la terre et du temps pour devenir proche de tous les hommes de tous les temps, j’opère aujourd’hui un petit retour en arrière pour orienter le projecteur sur le baptême de Jésus, événement très historique et fondamentalement divin par lequel Dieu, en quelque sorte, introduit officiellement son fils sur la scène mondiale.

Très historique car Luc, agissant comme un véritable journaliste, transmetteur méticuleux des témoignages oculaires « après avoir recueilli avec précision des informations concernant tout ce qui s’est passé depuis le début » (Luc 1, 3), commence le récit du baptême par :

« L’an quinze du règne de l’empereur Tibère, Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode étant alors au pouvoir en Galilée (…) » (Luc 3,1)

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L’on parle bien d’un temps historique sérieux et repérable, sans aucune référence mythique douteuse ; l’on parle bien de la grande Histoire, de l’histoire universelle où l’Empire romain était l’arbitre des élégances politiques et culturelles sur la scène mondiale – pas seulement de la petite histoire locale à laquelle Luc avait par exemple cantonné Jean le Baptiste lorsqu’il avait situé sa naissance « au temps d’Hérode le Grand, roi de Judée » (Luc 1, 5). Jésus, lui, appartient au temps universel de l’empereur Tibère.

Comme le souligne B16, il ne s’agit pas là d’une simple datation. Tout d’abord, dans le monde historique, Jésus est ainsi placé par Luc au même premier rang que l’empereur. Avec son fameux « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » (Luc 20, 25), Jésus se chargera de dédoubler le plan pour faire apparaître alors deux réalités différentes qui peuvent parfaitement cohabiter dans l’esprit humain.

Ensuite, et là on rentre de plain-pied dans la divinité du Christ et le mystère de la Résurrection, l’ombre de la Croix se projette déjà, avec la mention de Ponce Pilate et d’Hérode, puis un peu plus loin dans le texte, celle des grands prêtres Anne et Caïphe, personnalités qui seront instrumentales dans la condamnation finale de Jésus.

Ainsi donc, le récit des Évangiles nous dit que Jean le Baptiste baptise les hommes dans les eaux du Jourdain. Il les appelle à la conversion et, se plaçant dans la tradition de l’Ancien Testament, annonce un plus grand que lui qui viendra baptiser dans le feu et l’Esprit-Saint :

« Il parcourut toute la région du Jourdain, en proclamant un baptême de conversion pour le pardon des péchés, comme il est écrit dans le livre des oracles d’Isaïe, le prophète : Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers. » (Luc 3, 3-4)

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Marc, un autre des 4 évangélistes, nous précise que toute la Judée et tout Jérusalem accouraient à lui (Mc 1, 5). En cette époque dominée par le monde romain où le descendant du grand roi David était un obscur charpentier du nom de Joseph vivant à Nazareth, c’était enfin une occasion de réjouissance pour les Juifs ; enfin l’on sentait que de grandes choses allaient arriver, « enfin s’annonçait une nouvelle intervention de Dieu dans l’histoire » (B16).

Cette occasion d’espérance est renforcée par le fait que le baptême donné par Jean est totalement novateur. Il ne s’agit pas des ablutions religieuses auxquelles se livrent habituellement les Juifs, mais d’un événement unique qui transforme la vie :

Ce baptême « ne peut être répété et doit être l’accomplissement concret d’une conversion qui redéfinit pour toujours la vie entière. » (B16)

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L’aspirant au baptême entre dans les eaux du Jourdain et, reconnaissant ses péchés, il laisse les flots à la fois détruire tout ce que son passé comporte de lourd et redonner du sens à sa vie. Il abandonne tout ce qui défigure son existence, pour renaître à une vie nouvelle plus proche de Dieu. Le baptême de Jean, préfiguration du baptême chrétien, est bien comme un « passage » de la mort à la vie, comme une mort et une résurrection.

Mais voilà que Jésus à son tour s’approche pour se faire baptiser par Jean.

Pour nous qui connaissons Jésus, une question surgit immédiatement : mais quels sont donc les péchés dont Jésus veut se laver ? Matthieu, autre évangéliste, nous raconte la scène :

« Jean voulait l’en empêcher et disait : C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par toi, et c’est toi qui viens à moi ! Mais Jésus lui répondit : Laisse faire pour le moment, car il convient que nous accomplissions ainsi toute justice. Alors Jean le laisse faire. » (Mt 3, 14-15)

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Les paroles de Jean montrent qu’il a « reconnu » Jésus. Il sait qui il est. Il sait qu’il a devant lui celui dont, lui, Jean le Baptiste, doit préparer le chemin. D’où son étonnement d’abord, et d’où son acceptation ensuite : il « le laisse faire ».

Quant à Jésus, ce ne sont pas ses péchés – il est sans péché – ce sont les péchés du monde que déjà il prend sur lui. Il se charge des fardeaux de l’humanité entière et il les noie dans les eaux du Jourdain.

Matthieu poursuit :

« Dès que Jésus fut baptisé, il remonta de l’eau, et voici que les cieux s’ouvrirent : il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. Et des cieux, une voix disait : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en lui j’ai mis tout mon amour. » (Mt 3, 16-17)

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C’est ainsi que le premier acte de la vie publique de Jésus, le baptême donné par Jean, apparaît déjà comme une préfiguration de sa mort sur la Croix tandis que Dieu le présente pour ainsi dire « officiellement » au monde entier comme son « Fils bien-aimé » à travers la symbolique d’une colombe.

Fils bien-aimé, comme nous, les baptisés, sommes tous les enfants « bien-aimés » de Dieu. Car oui, Dieu est entièrement défini dans ce mot. Dieu est amour, une promesse de vie éternelle, une promesse de Résurrection.

Pour le dire comme Benoît XVI :

« C’est uniquement avec la Croix que se révèle toute la signification du baptême de Jésus, son consentement à prendre sur lui toute justice. Le baptême est l’acceptation de la mort pour les péchés de l’humanité, et la voix qui se manifeste au baptême – « celui-ci est mon Fils bien-aimé » – est une anticipation de la Résurrection. »

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La scène du baptême consacrant donc Jésus comme le Fils bien-aimé de Dieu, ce n’est pas sans « surprise » – le mot est de B16 – que nous découvrons immédiatement après que la première idée de l’Esprit-Saint fut de placer Jésus en tentation :

« Jésus, après son baptême, fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le démon. » (Mt 4, 1)

Mais comme le souligne B16, Jésus doit parcourir toute l’histoire des hommes, en souffrir jusqu’au bout pour pouvoir la transformer. La confrontation avec le démon est une lutte intérieure pour sa mission, une « descente dans les épreuves qui menacent les hommes » et finalement l’affirmation de ses choix et de sa liberté.

A ce sujet je vous suggère de lire mon article La liberté, bonheur ou souffrance des hommes ? qui propose quelques réflexions sur les trois tentations du Christ au désert.

Bonne fête de Pâques à tous !


(*) Jésus de Nazareth, Du baptême dans le Jourdain à la transfiguration, Joseph Ratzinger, Editions Flammarion, 2007.


Cet article a rejoint ma série « Jésus de Nazareth ».


Illustration de couverture : « Le Baptême de Jésus » par Fra Angelico (environ 1400 – 1455), Couvent San Marco, Florence. Cet épisode des Évangiles marque le début de la vie publique de Jésus.

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