Retraites : François Bayrou rédige ENFIN une note UTILE !

Dans sa note sur les retraites publiée jeudi dernier, François Bayrou montre que l’excédent de 3 milliards d’euros annoncé pour cette année est en réalité un déficit structurel de 30 ! 

Il s’ennuyait ferme, notre François Bayrou national, dans son grand bureau de l’hôtel Beistegui. La vue imprenable sur la place des Invalides et la Tour Eiffel avait beau être l’une des plus belles du Paris gouvernemental, la proximité avec l’Assemblée nationale avait beau être sinon stratégique du moins fort appréciable, sa table de travail restait désespérément vide de tout dossier important malgré sa double fonction de Haut-commissaire au Plan depuis septembre 2020 et de président du Conseil national de la Refondation depuis trois mois.

Il est vrai que plusieurs « notes d’ouverture » censées éclairer les choix collectifs de la France face aux défis sociaux, technologiques et environnementaux du futur lui avaient permis de se rappeler à intervalle régulier au bon souvenir de l’exécutif et du législatif, mais dans l’ensemble, il s’était montré d’une si grande discrétion dans l’exécution de ses missions que plus personne ne savait au juste ce qu’il faisait et que les rares qui le savaient encore avaient toujours trouvé ses travaux plutôt minces. Même la « planification écologique » introduite par Emmanuel Macron dans l’entre-deux tours de la dernière élection présidentielle pour damer le pion à la Nupes avait fini par lui échapper au profit de la Première ministre.

Bref, il s’ennuyait ferme, notre Bayrou. Quand soudain, la remise en selle récente de la réforme des retraites dans des termes très simplifiés pour ne pas dire simplistes lui a fourni l’occasion de monter au créneau pour alerter la France entière sur l’extrême fragilité financière de notre système. Quitte à s’opposer bruyamment aux méthodes de son partenaire politique, celui-là même qui, en le nommant à ces postes plus ou moins fantomatiques, lui permet de grenouiller encore longtemps dans les hautes sphères du pouvoir.

Pour résumer le fil des événements sur le sujet, disons que la retraite universelle à points voulue par Emmanuel Macron lors de son premier mandat s’est heurtée à une multitude d’oppositions très différentes et très déterminées qui ont culminé dans les grèves et les manifestations de la fin de l’année 2019. Sur ce, pandémie de Covid ; tout le monde passe à autre chose. Mais pendant ce temps, nos comptes publics se dégradent encore plus, rendant une réforme significative sur le plan de la baisse des dépenses publiques absolument incontournable.

Lors de la campagne électorale de 2022, Emmanuel Macron annonce donc que s’il est réélu, il proposera une réforme essentiellement centrée sur le recul de l’âge légal de départ en retraite de 62 à 65 ans. Une mesure qu’il édulcore considérablement dans l’entre-deux tours de l’élection, face aux propositions de retour à 60 ans portées autant par la Nupes que par le Rassemblement national. Il est alors question de s’en tenir à 63 ou 64 ans et de jouer aussi sur la durée de cotisation.

Sur ces entrefaites, le Conseil d’orientation des retraites (COR) indique dans son rapport annuel publié en septembre dernier que notre système a généré respectivement 900 millions et 3 milliards d’euros d’excédents en 2021 et 2022 mais qu’il renouerait avec les déficits dès 2023 et pour longtemps si rien n’est entrepris pour contrecarrer cette tendance.

De quoi faire plaisir à tout le monde. Les syndicats, ne voyant que le retour aux excédents, considèrent que la réforme voulue par le gouvernement est inutile car uniquement marquée au sceau de l’idéologique libérale et de l’austérité (sic) tandis que le gouvernement, ne voyant que les déficits, confirme que son plan est bien de remonter l’âge légal à 65 ans. La Première ministre Elisabeth Borne devrait en faire l’annonce officielle ce jeudi 15 décembre. (Edit du 12 décembre à 11 h 30 : reportée au 10 janvier 2023).

Ou du moins, de quoi faire plaisir à presque tout le monde car de son côté, François Bayrou n’achète ni les excédents annoncés par le COR ni la réforme gouvernementale, trop brutale, trop 49.3 et pas assez expliquée aux Français à son goût. Dans une note publiée le jeudi 8 décembre dernier, il s’est justement donné pour objectif de clarifier les chiffres, histoire de fournir à chacun des éléments de réflexion précis sur la situation réelle des retraites.

À noter qu’il confirme parfaitement les conclusions auxquelles étaient arrivés l’IFRAP et l’Institut Molinari quelque temps auparavant, à savoir que le système global, loin de dégager un excédent de 3 milliards d’euros cette année, est en fait en déficit structurel de 30 milliards d’euros par an au minimum. Un déficit essentiellement concentré sur les régimes du secteur public et qui risque en outre de s’aggraver considérablement dans les années à venir du fait des évolutions démographiques prévisibles.

D’où vient l’écart avec le COR ? D’une petite imprécision essentielle sur le triple rôle de l’État dans le financement des retraites :

· En tant qu’employeur, il verse chaque année de l’ordre de 25 milliards de cotisations patronales. Rien de plus normal.
· En tant qu’artisan de politiques publiques redistributives, il verse également aux caisses de retraite la compensation exacte des exonérations de cotisations qu’il autorise par ailleurs pour favoriser l’emploi, la compétitivité, etc., soit 90 milliards d’euros annuels de plus. Là encore, contribution justifiée (à partir du moment où l’on avalise les politiques précitées).
· Et puis, mélangé à tout le reste comme si c’était parfaitement naturel, comme s’il s’agissait de cotisations retraite normales, il verse aussi de quoi équilibrer les régimes de la fonction publique et les régimes spéciaux tels ceux de la SNCF et de la RATP, soit encore 30 milliards d’euros par an. Et nous voilà à l’équilibre pour les retraites, mais via la grande illusion des déficits et de la dette publique qui pèsent sur les contribuables d’aujourd’hui et de demain.

On peut rendre grâce à François Bayrou d’avoir effectué ce travail de remise à plat. N’étant pas spécialement étiqueté libéral comme l’IFRAP ou l’institut Molinari, peut-être parviendra-t-il à obtenir une certaine écoute chez les commentateurs économiques et dans l’opinion publique.

Le problème, comme souvent, c’est qu’à la justesse du constat, au discours de vérité sur la dramatique réalité de la situation, succèdent des propositions de remède soit inexistantes soit nettement insuffisantes. François Bayrou se retranche derrière l’idée de dire que les Français doivent disposer de toutes les données pour aborder le débat sur les retraites, mais jamais il n’évoque le fait que le système par répartition dans lequel nous nous enfermons par fausse appréciation de ce que signifie vraiment justice sociale porte en lui-même tous les germes des déficits et des injustices qu’il en est venu à occasionner. 

Comme la plupart des politiciens, comme la Cour des Comptes, comme Emmanuel Macron, comme le gouvernement et comme les oppositions, il ne songe qu’à sauver notre modèle social, lequel est sous perfusion aux frais des contribuables depuis plusieurs décennies. Voilà typiquement un domaine où quelques vigoureuses mesures de fin de vie seraient pourtant les bienvenues…


En complément de cet article, je suggère la lecture de RETRAITES : un dossier déjà LOURD et toujours aussi MAL PARTI ! (20 septembre 2022).


Illustration de couverture : Le Haut-commissaire au Plan François Bayrou (Modem). Photo AFP.

8 réflexions sur “Retraites : François Bayrou rédige ENFIN une note UTILE !

  1. Bonjour,

    Je suis surpris que le problème des retraites soit le plus souvent réduit à leur (problématique) financement.
    Comme si rien chez nous n’avait fondamentalement changé depuis une soixantaine d’années, ni la durée moyenne de vie, ni la pénibilité du travail.
    Il y a pourtant un monde entre le mineur silicosé qui mourait avant ses 60 ans et le fonctionnaire multivacciné qui espère vivre entre 80 et 90 ans.

    Quand on voit un Jack Lang 83 ans qui s’accroche à son Institut comme une moule à son rocher, un Alain Juppé 77 ans recasé au Conseil constitutionnel, un Jean-Luc Mélenchon 71 ans qui peine à laisser sa place, un Alain Duhamel 82 ans qui officie toujours sur BFMTV, un Claude Lelouch 85 ans qui a encore des projets, Michel Drucker 80 ans multifonctions, on se dit que pour certains la « retraite » ne doit pas avoir que des avantages !

    Curieusement, personne ne propose un bouleversement total du sacro-saint Code du travail comme si les gens devaient s’adapter aux textes et non l’inverse…

    Pourquoi ne pas envisager une modulation du temps de travail, une souplesse qui accompagnerait les différentes parties de la vie des actifs devenue plus longue et moins pénible ?
    Temps plein, temps partiel pour voir grandir ses enfants, pour soutenir des proches en difficulté, temps réduit avec l’âge mais sans décrocher totalement du monde du travail, sans la « mort sociale » qui conduit nombre de jeunes retraités au bénévolat.

    La cessation totale d’activité n’a pas de sens.

    Pourquoi ne pas inventer un temps d’activité choisi qui serait en grande partie financé par une ré-organisation de toutes les « aides » distribuées depuis le chômage jusqu’aux multiples allocations ?

    Il y a une grande frilosité dans tous les partis et instances diverses à envisager une autre organisation sociale.

    C’est déjà ce qui m’avait frappé au moment du mariage pour tous.
    Le mariage avait depuis des siècles une fonction sociale, il donnait une place aux femmes, aux enfants légitimes, il permettait les alliances, il était indissoluble, etc…
    A partir du moment où les femmes sont devenues autonomes, que les enfants légitimes ou non avaient les mêmes droits, que les alliances se faisaient par ajout de capitaux et non de dots, que le divorce est devenu banal, le mariage n’avait plus de fonction et pouvait être supprimé ou remplacé par un contrat simple entre deux personnes y compris de même sexe.

    Mais la simplification est une perte de pouvoir.
    Mieux vaut complexifier… tous nos chers experts le diront !

    • « Curieusement, personne ne propose un bouleversement total du sacro-saint Code du travail comme si les gens devaient s’adapter aux textes et non l’inverse…
      Mais la simplification est une perte de pouvoir.
      Mieux vaut complexifier… tous nos chers experts le diront ! »

      Ben oui, bien d’accord. On complexifie pour mieux nous voler !

      Thierry Benne avait fait les comptes (complexes) pour mettre en évidence comment l’Etat se goinfre (ici comme ailleurs) pour un service très largement médiocre voir moins que nul puisque déficitaire et à renflouer :
      https://fr.irefeurope.org/publications/articles/article/inflation-letat-se-goinfre-les-retraites-trinquent/

      « On reste atterré de la docilité, de l’insouciance, du manque de vigilance d’une population qui n’a manifestement pas réalisé que sa propre euthanasie financière » conclue-t-il.

  2. Enfin, un texte clair, concernant les chiffres.
    Par contre je ne comprends pas bien la pique contre le système actuel par répartition. Le remplacer par quoi ? Par la capitalisation ? Ça revient globalement au même : un prélèvement sur les actifs pour nourrir les vieux (voir sur Google, mes nombreux articles sur ce sujet).
    Il faudrait mieux raisonner en nombre des hommes : actifs, retraités, enfants, etc. On s’aperçoit alors qu’il faut travailler plus, soit en partant plus tard, soit en travaillant davantage chaque semaine, soit encore en faisant travailler des retraités, comme ça se produit spontanément, notamment chez le médecins

  3. Je ne sais si sa réforme des retraites n’est toujours soutenue que par les retraités mais visiblement not’ bon Président a décidé qu’à chaque mois suffirait sa peine. Décembre sera donc le mois du match France-Maroc, et janvier sera peut-être celui de la réforme des retraites et tout l’art devra consister à faire passer cette loi sans le recours à l’article 49-3 !
    Pour ce faire Macron pourra sans doute compter sur la bonne volonté qu’on voit déjà poindre chez Éric Ciotti, le nouveau président des LR (ou de ce qu’il en reste).

  4. Lorsque je lis « +3 milliards ou -30 milliards » c’est du doigt mouillé, comme la prévisions météo.. Pour moi mais je n’y connais rien des instances supranationales nous demandent de contraindre nos politiques publiques et redistributives, vu le montant de nos dettes nous ne sommes plus tout à fait maître de nos décisions. Cependant nos représentants pourraient utilement faire preuve de pédagogie en informant clairement leurs citoyens cela reviendrait sans doute à dire qu’ils ont échoué, pas terrible pour les élections futures. Ils pourraient aussi plafonner toutes les retraites par répartition y compris et surtout celles de nos excellents leaders à disons 2000 euros ce qui est déjà pas mal, ce serait bien perçu dans le cadre d’une réforme car selon que l’on regarde vers le haut où vers le bas nous voyons la richesse ou la misère..

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