Et si notre modèle social adoré était en fait l’artisan de nos difficultés ?

Les rapports de notre propre Cour des Comptes comme ceux des grands organismes économiques internationaux se suivent et se ressemblent : la France doit impérativement mettre un terme à sa fuite en avant dans la dépense publique, les déficits et la dette.

Qu’on s’illusionne tous collectivement au point de voir dans cette folle cavalcade de notre modèle économique et social l’aboutissement sublime de la solidarité, de l’égalité et du « quoi qu’il en coûte » propre à une France supérieurement juste et généreuse ne change rien à l’affaire. Faute de procéder enfin et en profondeur à de vraies réformes structurelles, le pays manquera de marges de manœuvre budgétaires pour encaisser les chocs à venir ; il verra ses services publics se dégrader encore plus et il s’enfoncera pour longtemps dans une atonie économique désastreuse pour la prospérité de ses habitants.

Aujourd’hui, c’est le FMI qui nous le dit. Dans un rapport publié lundi dernier (21 novembre 2022), il suggère à la France de mettre un frein au « quoi qu’il en coûte » tous azimuts, de mieux cibler ses aides et de faire baisser son déficit dès l’an prochain afin de commencer à stabiliser la dette et non pas attendre 2024 comme prévu par le gouvernement (le déficit resterait plongé à 5 % du PIB en 2023 comme en 2022).

Si rien n’est fait, le FMI prévoit que la France se retrouverait avec un déficit encore accroché à 5 % en 2027 (et non 3 % comme espéré par Bercy) et donc avec une dette désespérément calée sur une trajectoire de hausse, tandis que dans le même temps, la zone euro reviendrait en moyenne à 2,5 % de déficit et l’Allemagne à 0,5 % (voir graphe ci-contre extrait du site Les Echos).

Quelles actions prendre pour contrecarrer cette évolution déprimante et appauvrissante ? Toujours les mêmes, ressassées depuis des années par l’Union européenne, l’OCDE ou la Cour des Comptes, mais perpétuellement oubliées, reportées ou négligées.

Compte tenu de la « pression fiscale déjà élevée » qui prévaut en France, ce sont les dépenses qu’il faut absolument réduire, les courantes, les exceptionnelles et les structurelles. Et cela passe inéluctablement par une réforme des retraites, une réforme de l’assurance-chômage, une « rationalisation » des aides fiscales et sociales, une « rationalisation » des effectifs de la fonction publique et une « rationalisation » de l’organisation de nos nombreuses administrations. Ajoutons les lourdeurs persistantes de notre marché du travail qu’il conviendrait de lever ainsi que les faiblesses scolaires criantes de nos élèves qu’il faudrait réparer de toute urgence.

À utiliser ainsi à plusieurs reprises le terme de « rationalisation », ne dirait-on pas que le FMI suggère sans le dire que la France évolue dans un système parfaitement irrationnel ? Probablement pas. Même les acteurs publics ne parlent que de rationaliser leurs actions et d’introduire de l’efficience dans le service public. Même notre Cour des Comptes n’envisage nullement de remettre en cause notre modèle économique et social. Ses remontrances récurrentes n’ont d’autre objectif que de l’amender afin d’en assurer la pérennité.

C’est pourtant exactement ce que je pense ; nous vivons, la France vit dans l’irrationalité la plus totale.

Rappelons à toutes fins utiles qu’en 2021, la France a terminé l’année avec un taux de dépenses publiques sur PIB de 59 %, un taux de prélèvements obligatoires de 44,3 %, un taux de déficit public de 6,5 % et un taux de dette publique de 113 %, soit un niveau particulièrement élevé, parfois le plus élevé du monde développé pour toutes ces grandeurs (ici comparaison OCDE sur les dépenses publiques en 2020). Ce n’est pas pour rien que la France est connue pour être la championne du monde des taxes et des dépenses. Ce n’est pas pour rien qu’on a vu surgir la colère des premiers Gilets jaunes.

Rappelons que son taux de chômage, le plus bas depuis longtemps, mais néanmoins le double de celui de ses grands voisins, se situe aux alentours de 7,4 % contre 3 à 3,5 % pour l’Allemagne et les Pays-Bas.

Rappelons que tous les tests internationaux sans exception placent la France à la traîne de ses pairs quant au niveau éducatif des élèves. Rappelons en outre que la dégringolade des connaissances et des compétences observée dans nos écoles depuis plus de 30 ans affecte les enfants de tous les milieux socio-professionnels dans un nivellement par le bas des plus trompeurs.

Rappelons enfin que notre système de santé, quoique allant de plans de sauvetage en plans de sauvetage qui se comptent en centaines de millions d’euros, est perpétuellement en crise et de moins en moins attractif pour les soignants. Les pénuries de médicaments ne sont pas rares et les délais pour obtenir des rendez-vous chez les spécialistes s’allongent.

Et bien sûr, pas question, ou si peu, d’aller chercher de l’éducation, de la santé ou des formules de retraite en dehors de nos monopoles étatiques, au nom de cet état d’esprit « collectif » issu du Conseil national de la Résistance qui serait moralement si supérieur à l’initiative privée et à la prise de responsabilité individuelle.

Résultat des courses, plus la France dépense, plus elle s’enfonce. Plus elle porte haut les valeurs de solidarité et de justice sociale, plus elle est injuste. Plus elle redistribue, plus elle est en réalité inégalitaire. Plus elle est stratège, plus les ratés industriels s’accumulent. Plus elle veut protéger les citoyens, plus elle les infantilise. Tel est le douloureux paradoxe français.

D’où question : et si notre modèle économique et social adoré était en fait le principal artisan de nos difficultés ? Voici le débat qui aurait dû prendre la première place lors de la campagne pour la dernière élection présidentielle. Voici le débat, que je n’hésite pas à qualifier de civilisationnel, qu’il faudra bien lancer un jour. Mais aujourd’hui, à l’Assemblée nationale, on préfère examiner le cas crucial de l’abolition de la corrida. Vous parlez d’une révolution ! Ça promet.


Illustration de couverture : l’évolution de la dette publique française jusqu’au 2è trimestre 2022, INSEE.

21 réflexions sur “Et si notre modèle social adoré était en fait l’artisan de nos difficultés ?

  1. Pas sûr que ce soit modèle social qui pose problème mais son organisation, sa gestion et la façon dont elle est utilisée. Beaucoup vivent sur le dos de la bête et donc non aucun intérêt à réduire sa voilure , les contrôles sont moins nombreux qu’ avant.
    J’ ai rencontré il y a quelque jours un canadien qui me disait que nous avions de la chance d’ avoir la sécu.
    Peut-être que celui-ci fonctionnerait mieux si l’ état stratège ne perdait pas autant d’ argent dans des champs d’ éoliennes, des énergies renouvelables etc

    • Votre Canadien est un ignorant. Le système de santé canadien est l’un des plus socialistes du monde, largement plus que le système français. Par conséquent il est très mauvais.

      Il est probable que les résultats du système français soient, en moyenne, meilleurs. Votre Canadien attribue cela à l’étatisme français. Il a tort. Le système français est meilleur que le canadien dans l’exacte mesure où il est plus libéral.

      Quant à votre supposition selon laquelle ce ne serait pas notre système social qui serait en cause, mais son organisation, elle relève du rêve éveillé.

      Le système français, c’est justement une organisation particulière : le socialisme, l’étatisme. Vous ne pouvez pas avoir un rond carré, ou de l’eau sèche. Les éternels babillages sur une « meuilleure efficacité » des services publics, sur une dépense publique « meilleure » mais pas inférieure, n’ont jamais produit de résultats.

      Une bonne dépense publique est une dépense publique faible. Une bonne fonction publique est une fonction publique en petit nombre. Un bon Etat est un Etat sans « moyens ».

      A partir du moment où vous allez dans la direction opposée, « l’organisation » se désorganise toute seule. C’est la quantité qui fait la qualité, et le rapport est inversement proportionnel.

      • Toujours la même rengaine donc je précise que l’ idée de système social est de ne laisser personne au bord de la route point mais rien n’ obligé à l’ angélisme et à la culpabilité à outrance. On peut faire du social sans faire de l’ incitatif malheureusement les individus votent pour qui lui ressemblent et selon ses intérêts. Vous me faites penser à ceux qui confondent psychologie et psychanalyse.

      • @ Reddef

        « Toujours la même rengaine. »

        Oui, bien sûr. Moi, c’est une rengaine. Vous, c’est une analyse originale et lucide basée sur des faits minutieusement vérifiés.

        « L’idée de système social est de ne laisser personne au bord de la route point mais rien n’ obligé à l’ angélisme et à la culpabilité à outrance. »

        Vous me parlez d’idées. Moi je vous parle de faits. C’est la différence entre l’idéologie et la réalité.

        Vous disiez quelque chose de complètement différent, tout à l’heure :

        « Pas sûr que ce soit modèle social qui pose problème mais son organisation, sa gestion et la façon dont elle est utilisée. »

        Au moins, les notions d’organisation et de gestion ont un certain rapport avec la réalité. Maintenant, vous évoquez des notions sentimentales et psychologiques comme « ne laisser personne au bord de la route », « l’angélisme » et « la culpabilité à outrance ».

        Moi je vous parle de choses concrètes : l’argent que l’Etat vous prend sous forme d’impôts, et les résultats concrets qu’il fournit (ou pas) en échange.

        Ce dont vous parlez ne peut ni être prouvé ni réfuté. Cela n’a donc pas sa place dans une discussion politique.

        Au demeurant, si l’on essaie de trouver une signification à l’objectif de « ne laisser personne au bord de la route », la seule possible est celle du communisme intégral : vous êtes en train de nous dire que quoi qu’il arrive, l’Etat doit porter secours à tous les citoyens afin qu’ils restent « au milieu de la route ».

        Le communisme, ça ne marche pas. On a essayé pendant 170 ans, ça a toujours abouti aux pires catastrophes. Il serait temps d’en prendre son parti.

        « On peut faire du social sans faire de l’ incitatif. »

        Donc là, vous parlez uniquement de l’aspect assistanat de l’étatisme. Ce que vous dites est faux. Tous les actes économiques ont un effet incitatif.

        Si l’Etat donne de l’argent aux gens sans rien en échange, cela produit une incitation à ne pas travailler. Cette incitation peut être plus ou moins grande, mais elle existe nécessairement.

        Si une entreprise privée donne aux gens de l’argent en échange de leur travail, cela produit une incitation à travailler.

        Cela étant dit, on peut soutenir que certaines allocations sont nécessaires dans une certaine mesure, mais il est fallacieux de prétendre qu’elles n’ont aucun effet désincitatif par rapport au travail.

        D’ailleurs, certaines allocations sont explicitement conçues dans un but incitatif. Les allocations familiales ont pour but d’inciter de faire des enfants. Les subventions pour vélos électriques ont pour but d’inciter les gens à abandonner leur voiture pour le vélo électrique.

        Vous oubliez l’autre partie du problème : la fonction publique. C’est là que se posent les problèmes d’organisation et de gestion que vous évoquiez.

        A partir du moment où un certain seuil est franchi dans les effectifs, cela veut dire qu’il y a trop de gens pour faire le travail, ce qui se constate à l’oeil nu dans n’importe quelle administration. Oui, oui, dans les hôpitaux aussi.

        A partir de ce moment, les fonctionnaires vont s’organiser pour se distribuer des privilèges : statut de la fonction publique, impossibilité d’être renvoyé, grèves incessantes, etc. Résultat : les « moyens » augmentent et le nombre des fonctionnaires aussi.

        Comme ils sont de plus en plus nombreux à voter et à faire grève, il est de plus en plus impossible de les obliger à travailler.

        Là où vous avez dix personnes pour faire un travail qui pourrait être fait par une seule, personne ne bosse puisque c’est toujours aux autres de le faire. Si vous virez neuf personnes et que vous supprimez le statut de la fonction publique, le gars qui reste est obligé de faire le boulot, sinon il est renvoyé.

        Si votre salaire est payé par l’Etat et non par les gens que vous êtes censés servir, l’incitation à travailler est faible. Si vous êtes payé directement par la personne qui attend votre service, eh bien vous feriez mieux de vous bouger le cul, parce que sinon, le client ne vous donnera pas son argent. Et votre patron vous virera assez rapidement.

        Pas besoin de mobiliser la « psychanalyse » pour cela. Le bon sens suffit. Et surtout, la simple observation des sociétés socialistes par rapport aux sociétés libérales. Ou l’observation des services publics par rapport aux services privés.

        Faites l’expérience d’interagir avec une administration, puis d’interagir avec une entreprise privée. C’est infiniment plus rapide, plus agréable et plus efficace avec une entreprise privée.

  2. Notre système social et le reste, d’abord c’est « too big to fail » dans le sens où il y a trop gens qui en dépendent. On ne peut pas le réformer d’un coup, et les tentatives timides d’y aller même doucement, se paieront très cher politiquement. Aucun politique n’est prêt à y sacrifier sa carrière, des comme ça on n’en fait plus, et le moule a été brisé.
    Donc, on continue comme ça, après tout, tant qu’on peut emprunter …

  3. Beaucoup de gens pensent que cette dette de quelque 3000 milliards hors de contrôle est une épine dans notre pied et engage durablement toute velléité de développement sur le principe de celui qui possède l’argent tient le volant. J’observe très rapidement que notre dette a augmenté de 1000 milliards dans deux administrations : Sarkozy et Macron soit 100 milliards par an… Réduire cette dette passe par un état d’esprit hélas aujourd’hui absent tant au niveau de l’état qu’au niveau des collectivités à croire que ce n’est pas le problème de nos autorités. Le gouvernement d’Élisabeth Borne est le plus cher de la 5ième république, juste un chiffre rapporté par le grand observateur de nos finances René Dossière : « le montant quotidien des intérêts de la dette atteint 144 millions »…. Il faudra un jour remettre à plat et ce sera encore les pauvres qui en supporterons les principales conséquences.. Un idée pour toutes les retraites par répartition dont celles des politiciens professionnels et si elles étaient plafonnées à disons 2500€..

  4. N iéme constat identique aux précédents concernant l’inefficience de notre modèle français, ses dépenses sociales non maîtrisée, son étatisation abusive et sa bureaucratie pléthorique, ses services publics inorganisés et inefficaces, sa fiscalité record, ses dépenses de fonctionnement colossales au détriment de l’investissement, son insuffisance de création de richesses permettant d’amortir tout ça, son endettement structurel.
    On peut y ajouter le manque de courage récurrent de tous les derniers présidents et gouvernements élus (y compris les non rééligibles !), ayant probablement acquis la certitude durant leur mandat que le contexte culturel et sociologique de ce pays ne permettrait jamais de corriger quoi que ce soit par la voie politique au regard des efforts immenses à faire pour rétablir une bonne gestion. Ajouté au fait que ces efforts et sacrifices ne produiraient de toutes façons et au mieux leurs effets qu’à terme, ne profitant jamais à ceux qui les auraient engagés !
    C’est donc bien la finance et les marchés permettant encore à la France d’exister qui décideront de notre avenir, et au fond tout le monde le sait bien. C’est pour ça qu’ils continuent à taper dedans et à profiter abusivement du confort de l’instant

  5. Il est pourtant un domaine où nous avons fait preuve d’une « efficience » certaine : c’est celui qui concerne le salaire de nos patrons du CAC 40. Il eût été consolant que le FMI l’ait reconnu en y consacrant un paragraphe de son rapport !

    • sauf que le salaire de nos patrons du CAC 40 ne dépend aucunement de l’état, mais de leurs performance à la tête de leurs société, et il est voté par le CA donc a l’aval des actionnaires, qui en sont les propriétaires, pour simplifier. Et que, heureusement, il existe encore des sociétés privées qui font, ce pour quoi elles existent, ç savoir des bénéfices.

  6. « Mais aujourd’hui, à l’Assemblée nationale, on préfère examiner le cas crucial de l’abolition de la corrida. Vous parlez d’une révolution !  »
    Le vote concernant cette abolition (qui ne passera malheureusement pas) se fera aujourd’hui. Nos brillants élus peuvent bien consacrer une journée à ce qui est une coutume archaïque, sanguinaire, violente perpétuée pour le plaisir de quelques ilotes.

  7. « Une bonne dépense publique est une dépense publique faible. Une bonne fonction publique est une fonction publique en petit nombre. Un bon Etat est un Etat sans « moyens ». »

    On pourrait répéter la rengaine tous les jours sur les panneaux publicitaires à tous les coins de rues…
    …et peut-être, les français pourraient penser que ce n’est pas en remettant encore du pognon que ça va mieux marcher.
    Hors régalien, vous avez entendu un politique qui clame : ce n’est pas mon problème, je m’en occuperai pas, c’est votre problème, organisez-vous ?
    Inaudible en franchouille.

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