[THÉÂTRE] Quand Macron découvre les contributions du Grand débat…

REPLAY : Pour conclure ma mini-rétrospective libérale sur une note adaptée à la détente dominicale, voici une petite satire politique de ma composition qui, je l’espère, vous arrachera quelques sourires (publication initiale le 17 mars 2019).

La scène se passe au Palais de l’Élysée le vendredi 15 mars 2019 vers 16 heures dans le bureau du Président de la République. Mais attention, ceci est une fiction, un petit vaudeville, donc toute ressemblance etc. serait bien évidemment fortuite !

La phase participative du Grand débat national lancé en janvier 2019 pour sortir de la crise des Gilets jaunes s’achève le soir même (ça, c’est vrai).

Emmanuel Macron a donc demandé qu’on lui fasse parvenir les contributions et il s’apprête à les lire en compagnie du ministre du Budget Gérald Darmanin, du ministre de l’Économie Bruno Le Maire, de la secrétaire d’État à l’égalité hommes/femmes Marlène Schiappa et du ministre de l’Intérieur Christophe Castaner.

Ce dernier passe une bonne partie de la réunion au téléphone avec Laurent Nuñez, le secrétaire d’État qu’on lui a désigné d’office pour compenser son « inexpérience ».

Comme il fait beau, les fenêtres sont ouvertes et l’on entend un vacarme infernal de moteurs, coups de klaxon et cris en provenance de la rue du Faubourg-Saint-Honoré. Des camions tentent d’entrer dans la cour de l’Élysée, mais ils sont bloqués par des élèves en grève pour le climat (la grève scolaire, vraie aussi).


Macron (se penchant à la fenêtre) : Mais que se passe-t-il ? Et qu’est-ce que c’est que tous ces camions ?

Castaner : Attends, je demande à Nuñez. (Au téléphone) Allo, Laurent, vous pouvez me renseigner sur les camions qui arrivent à l’Elysée ? … Ah bon … les contributions du grand débat … Ah, tout a été imprimé … Ah oui, évidemment, en vélo, c’était pas trop pratique … Elle a refusé la réquisition des vélibs ? Non mais Hidalgo, quelle emmerdeuse ! … Vous voulez dire qu’ils sont tous en panne ? Non mais quelle nulle ! (se tournant vers Macron) Bon, ce sont les …

Schiappa (le coupant, outrée) : M. le Président, cette façon de traiter les femmes en politique, ce n’est plus possible… Imaginez, si cela se sait…

Macron (les coupant tous les deux, agacé) : (À Schiappa) Oui, oui, vous avez raison, on compatit, mais ce n’est pas le sujet, gardez votre rhétorique pour les plateaux-télé et laissez-nous travailler. (À Castaner) Mon vieux, va falloir y aller mollo sur les shooters de vodka et les sorties en boîte, parce que me faire livrer les contributions du Grand débat sur papier et par camion le jour de la grève scolaire pour le climat, ce n’est plus de l’incompétence, c’est carrément de l’inconscience ! Tu les entends, les gamins ? « Ni débat, ni RCA ! » Moi, je veux bien soutenir les jeunes dans leur démarche climatique ; en fait, question UE et question fiscalité, ça m’arrange. Mais pas question qu’ils fusillent mon Grand débat !

Le Maire : Ah, quand même ! Merci M. le Président. Enfin quelqu’un qui se préoccupe de fiscalité ! Comme si on pouvait gouverner sans impôt ! J’ai parfois l’impression d’être le seul à chercher du pognon ! Vous êtes au courant qu’on a un déficit à combler, j’espère ! Vous êtes au courant qu’avec tout ce qu’on a lâché aux Gilets jaunes, la commission de Bruxelles nous a plus que jamais dans son collimateur…

Castaner (le coupant) : Manu, je proteste ! Cette histoire de boîte de nuit, c’est un véritable scandale. Cette façon qu’a tout le monde de se mêler des affaires privées de tout le monde, c’est devenu dingue ! Quelle époque, on ne peut même plus faire un pas dehors sans avoir des comptes à rendre !

Schiappa : Ce qui est dingue, c’est l’image des femmes que cela véhicule ! Il paraît que le quinquennat est placé sous le signe de la lutte contre le harcèlement et contre les violences faites aux femmes, mais je commence à avoir des doutes quand je vois tous les machos de ce gouvernement.

(Tollé des ministres qui se mettent à parler tous en même temps)

Le Maire : M. Le Président, vous ne pouvez pas laisser dire ça ! Avec ma loi PACTE, Je suis le premier à prendre des mesures hyper-strictes pour établir la parité absolument partout en entreprise…

Castaner : Non mais je rêve ! Marlène, tu as certainement vu la vidéo de Closer et tu as pu te rendre compte qu’il n’y avait aucune violence dans mon comportement. Bien au contraire, si tu vois ce que je veux dire… Je suis la douceur incarnée. Si on pouvait essayer de ne pas tout mélanger…

Darmanin : Oui, c’est pénible à la fin, toutes ces accusations. J’en ai fait les frais et je peux vous dire que malgré tout le courageux courage que j’ai eu pour traverser cette épreuve, ce n’est pas marrant.

Schiappa : Je n’ai pas été nommée à ce poste pour vous voir continuer à faire les « marrants » aux dépens des femmes. Et je le répète, c’est une question d’image.

Macron : Marlène a raison, on ne saurait être trop prudent. Il ne faudrait pas qu’on se retrouve avec des accusations de harcèlement au sein du gouvernement. Chez les jeunes communistes ou chez Oxfam, c’est déjà pas jojo pour nous car la gauche morale en prend un sacré coup ; donc je vous demande à tous d’être le plus discret possible. Mais revenons au Grand débat. C’est quoi cette idée idiote de tout imprimer et d’envoyer des camions ?

Castaner : Oh moi, tu sais, je n’aime pas lire à l’écran, alors Nuñez me met tout noir sur blanc en police taille 16. Entre nous soit dit, j’aimerais autant des petits résumés de dix lignes chaque lundi, mais il insiste pour que je sois au courant de tout, mes responsabilités, tout ça…  Il a dû penser que tu voulais le même traitement. C’est beaucoup plus confortable, je t’assure. Pour les camions, attends deux secondes, je demande. (Au téléphone avec Nuñez) Au fait, Laurent, pourquoi tant de camions ? … Ah, oui, quand même ! … Mais dites donc, quel succès ce débat ! (Se tournant vers Macron) Manu, ton débat, c’est le jack pot, les Français adorent ! D’après Laurent, il y a 16 000 cahiers de doléances et plus de 1,4 million de contributions. Forcément, ça fait du volume.

Darmanin : M. le Président, si vous permettez, j’ai comme l’impression que le Ministère de l’Intérieur aurait besoin de quelques courageux conseils sur la numérisation de l’administration. Si vous le souhaitez, je suis tout prêt à étendre aux problématiques de police les courageux processus que nous avons courageusement mis en place sur le courageux prélèvement à la source.

Macron : Merci, Darmanin, je connais votre enthousiasme et votre dévouement sans faille. Mais le prélèvement à la source est une opération bien trop délicate pour que je songe à vous en détourner une seule seconde.

Castaner (sournois) : Surtout qu’on n’a encore rien vu. Attention les régularisations en début d’année prochaine ! Facile de se vanter quand rien ne se passe.

Darmanin (tout rouge d’indignation) : Mais tais-toi ! Tout se passe très bien et tout est courageusement sous contrôle. J’aimerais que tu puisses en dire autant avec ta gestion des manifs des Gilets jaunes… Ta douceur incarnée, parlons-en ! Tout le monde critique ton usage des LBD, même l’UE, même l’ONU ! C’était ton idée ou celle de Laurent Nuñez ?

Macron (tapant sur son bureau) : Si vous n’êtes pas capables de vous calmer, je vous renvoie tous et j’appelle Brigitte ! Allons, reprenons. Si je vous ai convoqués aujourd’hui, c’est pour faire un premier bilan du Grand débat et réfléchir aux suites à donner. Ce que tu me dis, Christophe, sur l’abondance des participations ne me surprend pas. Les Français adorent parler politique et c’est bien pour ça que j’ai lancé le débat, histoire de calmer les esprits et gagner du temps. (Regardant par la fenêtre) Je vois qu’un camion a pu entrer dans la cour. Mon petit Darmanin, si vous alliez courageusement chercher un premier carton ? Vous m’obligeriez beaucoup.

Darmanin s’empresse. 

Castaner (en aparté à Macron) : Il va falloir le mater et le surveiller de près, celui-là. Il voudrait prendre ta place que ça ne m’étonnerait pas !

Macron (idem) : C’est bien possible, alors ne me le braque pas. Le succès du prélèvement à la source, c’est important pour lui, mais ça l’est encore plus pour moi. J’ai donné le feu vert et c’est moi qu’on viendra chercher si ça foire. Je suis prêt à lui offrir Matignon s’il le faut.

Castaner (idem) : Et moi qui pensais que j’étais le mieux placé pour succéder à Philippe ! (Voyant la mine ahurie de Macron) Nan, j’rigole !

Darmanin (revenant avec une grosse caisse portant le numéro 1) : Le chauffeur m’a dit que les contributions les plus significatives étaient dans ce carton. Le reste, c’est plus ou moins la même chose.

Macron : Parfait, parfait, je vois que Nuñez a bien travaillé. Allez, c’est parti pour la première contribution. Marlène, soyez gentille, fermez les yeux et tirez un papier.

Schiappa (faisant mine de plouffer) : Pic nic douille, c’est toi l’andouille ! Oh pardon, M. le Président, mais on fait toujours ça, avec mes filles. Bon, je lis, attention, surprise ! … Oh ça alors ! (elle lit) « Macron démission ! »  … Et c’est signé … j’ose à peine vous le dire …

Macron (grand seigneur) : Mais si, mais si, dites. Les Français sont en colère, on le sait, il est normal que des désaccords s’expriment. Allez.

Schiappa : Gérardo Collombo.

Les autres : Oh, l’infect salopard !

Castaner : On a pourtant été sympa avec lui quand il est parti. Si je me souviens bien, Darmanin avait même loué son courage ! Bah, il est à Lyon et il sucre les fraises. Laissons-le jouer au parrain dans son coin.

Macron : Malheureux, ne parle pas comme ça des vieux ! J’ai déjà les retraités sur le dos, pas la peine d’en rajouter. On vient tous de la gauche…

Le Maire et Darmanin : Pas nous !

Macron (se tournant vers eux) : Franchement, je ne voudrais pas vous vexer, mais on s’y tromperait. Il n’y en a pas deux comme vous pour roucouler sur la « justice sociale » et remettre en cause le culte du profit des entreprises.  Et c ‘est bien pour ça que je vous ai recrutés ! (Reprenant) Je disais donc que venant de la gauche, le politiquement correct, ça nous connaît. Je ne comprends pas pourquoi vous faites tous vos affranchis aujourd’hui ! Ressaisissez-vous, que diable ! Pas touche à mes femmes et pas touche à mes vieux ! Bon, Marlène, papier suivant !

Schiappa (piochant et lisant comme précédemment) : M. le Président, je suis désolée, mais c’est encore « Macron démission ! » 

Les autres : Quoi ? ? Et Nuñez dit que le carton est représentatif ? C’est qui, cette fois ?

Schiappa : Je ne sais pas trop. C’est signé « La République, c’est moi ! »

Les autres : Mélenchon ! Oh, l’infect salopard !

Darmanin : Ça, on savait que c’était un salopard. Remarquez qu’il fait moins le malin quand il est directement face à vous, M. le Président. Il manque complètement du courage qui est la marque de fabrique de ce gouvernement. Imaginez-le gérer le prélèvement à la source ! Oh, la blague ! De toute façon il est en chute libre dans les sondages et nous, courageusement, on remonte.

Castaner : Oui, on s’en fout de Mélenchon. Next, Marlène !

Le Maire : Laissez-moi piocher le suivant, M. le Président, j’ai l’impression que la main de Mme Schiappa n’est pas assez innocente (Tout le monde rit sauf Marlène qui fait mine de quitter le bureau. Le Maire pioche, lit et déclame) « Macron démission ! » 

Stupeur. Marlène revient, pas mécontente, et tire la langue à Le Maire. Macron se précipite sur son téléphone.

Macron : Cette fois, c’est trop, j’appelle Brigitte ! (Au téléphone avec sa femme) Mon amour, tu es disponible ? Ici, ça ne va pas trop fort et j’ai besoin de tes conseils… Comment ça, à la manufacture de Sèvres ? … Mais on a déjà commandé des tas d’assiettes ! … Quoi ? Tout est cassé ? … C’est bien ce que je disais, tout va très très mal. (À Castaner) Le camion de livraison de la manufacture de Sèvres a eu un accrochage avec un de tes camions juste devant l’Élysée. Toute la nouvelle vaisselle est cassée et il faut tout racheter ! C’est malin ! Pour tout arranger, il y avait un journaliste de Closer sur les lieux !

Castaner : Closer ? Pas étonnant. Depuis le coup de la boîte de nuit, ils me suivent partout ! Ce sont les pires ! A côté, Mediapart, c’est Pomme d’Api et Fabrice Arfi, c’est petit ours brun !

Le Maire : Quand je vous disais qu’on a besoin de plus d’impôt ! Remplacer la vaisselle, offrir un poste au journaliste, ça coûte de l’argent tout ça ! Heureusement que je suis là pour y penser !

Castaner : Bon, on continue, et maintenant, c’est moi qui pioche. (Il déplie le papier) Ah, ah, voilà du nouveau ! Je le savais, j’ai toujours eu de la chance au poker !Enfin, nouveau, si on veut : « Rendez-nous Hollande ! »

Les autres : Mais tu te fous de nous ?

Macron : Allez, fais-moi mal et dis-moi que c’est signé Hollande ! Au point où j’en suis !

Castaner : Non, c’est signé Lucette, de Vandœuvre. C’est qui ? Tu la connais ?

Macron : Misère, Lucette ! Il ne manquait plus qu’elle ! Oui, vous savez, Lucette, cette brave dame de la France profonde qui a offert un café à Hollande ! Mais on a appris ensuite que tout avait été mis en scène par le conseiller com’ de Hollande, du café servi au bouquet de fleurs, en passant par ce que Lucette avait le droit de dire ou pas dire. Enfin, si jamais Julie Gayet le quitte, Hollande pourra toujours se tourner vers Lucette, elle est dingue de lui ! En revanche, pas sûr qu’elle soit du genre scooter…

Le Maire : C’est à n’y rien comprendre, on croirait presque que la France regrette Hollande. Il paraît même que son bouquin se vend comme des petits pains ! Mieux que le mien en tout cas.

Macron : Hollande a beaucoup de défauts, mais au moins il ne l’a pas écrit en étant en poste. Puis-je vous rappeler, cher Bruno, que vous êtes ministre de l’Économie et qu’à ce titre, on attend de vous un minimum de présence à Bercy ?

Le Maire : M. Le Président, rassurez-vous. J’écris toujours à Bercy et si une idée de taxe me passe par la tête, comme c’est souvent le cas quand je compose de la poésie, je demande immédiatement à mes équipes de la mettre à l’étude. D’ailleurs, en parlant de taxe, vous êtes sûr qu’on a bien dépouillé toutes les contributions du grand débat ?

Schiappa (farfouillant dans la caisse) : J’ai l’impression qu’il ne reste plus que des « Macron démission ! »

Le Maire : Bizarre. Je m’étonne de ne rien lire sur ma taxe GAFA. Pourtant, chaque fois que j’en parle aux Français, ils sont d’accord avec moi : il faut aller chercher l’argent là où il est. Et vous voulez que je vous dise où il est, l’argent ?

Les autres (un peu agacés par son ton pontifiant) : Heu…

Le Maire : L’argent, il est chez les riches et moi, je n’aime pas les riches.

Macron : C’est bien ce que je pensais, vous êtes très gauche-compatible. À se demander si Olivier Faure ou Benoît Hamon ne vous conviendraient pas beaucoup mieux que moi….

Le Maire (certain de faire de l’humour et riant déjà tout seul) : Certainement pas, ils ne sont pas Présidents, eux !

Schiappa (toujours plongée dans la caisse) : Attendez, voilà du nouveau ! « Rendez-nous les 90 km/h ! » 

Macron : Ah, enfin ! Merci Marlène ! Je me disais aussi, Philippe ne pouvait pas passer comme ça entre les mailles du filet. Après tout, c’est lui qui a mis le bololo partout avec sa limitation de vitesse ! Moi, j’étais contre, vous vous rappelez ?

Les autres : Heu…

Macron : En tout cas, maintenant j’ai une idée. En tant que Premier ministre courageux et responsable, Philippe propose un référendum de fin de Grand débat sur la limitation de vitesse. Souhaitez-vous rester à 80 km/h ou revenir aux 90 km/h ? Il perd, il démissionne, et me voilà bien débarrassé ! Marlène, vous qui savez si bien plouffer, organisez un tirage au sort entre MM. Darmanin et Le Maire pour savoir qui lui succédera.

Schiappa : M. le Président, vous oubliez la parité. Je suis candidate, et Aurore Bergé également. La presse se fera une joie d’analyser vos priorités si le poste ne revenait pas à l’une de nous.

Les autres (interloqués) : Mais vous n’avez aucune compé, heu, expérience !

Schiappa : Nous sommes des femmes, ça suffit largement ! Pensez à la « grande cause » du quinquennat ! C’est vous qui l’avez voulue ! (elle sort son téléphone et compose un numéro) Allo, Closer ?

Macron (fébrile, au téléphone) : Brigiiiitte ! Tu es revenue ? Rappelle-moi, c’est urgent ! Tout va très très mal !

Avec, par ordre d’apparition :

   


Illustration de couverture : [Théâtre] Quand Emmanuel Macron découvre les contributions du Grand débat national.

2 réflexions sur “[THÉÂTRE] Quand Macron découvre les contributions du Grand débat…

  1. Ah le fameux grand débat !
    C’était déjà une fiction, en sus d’une fumisterie dont notre histrion élyséen est coutumier.

    Merci à vous, Nathalie, d’en avoir remis une couche; le rire va devenir un luxe.

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