Au secours, le BAC d’éco devient furieusement ultra-libéral !

Décidément, Emmanuel Macron nous aura administré jusqu’au bout la preuve de son ultra-libéralisme le plus décomplexé ! De quoi frémir pour la suite. Figurez-vous que jeudi 12 mai dernier, soit exactement la veille de la fin officielle de son premier mandat, lui et son ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer ont obligé les candidats bacheliers de la spécialité Sciences économiques et sociales à plancher sur une épreuve ouvertement acquise aux thèses libérales ! Quelle ignoble propagande !

Scandaleux, pathétique, révoltant, à vomir ! se sont immédiatement récriées les belles âmes indignées sur les réseaux sociaux. Alors attention, chers lecteurs, article à ne pas mettre entre toutes les mains car ce que vous allez y lire est tellement incongru que cela risque de choquer gravement certains profils politiques ultra-sensibles. Voici donc les scandaleuses « questions de cours » de l’un des sujets proposés :

· À l’aide de deux arguments, montrez que le travail est source d’intégration sociale.
· À partir d’un exemple, vous montrerez que l’innovation peut aider à reculer les limites écologiques de la croissance.
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À l’aide d’un exemple, vous montrerez que l’action des pouvoirs publics en faveur de la justice sociale peut produire des effets pervers.

Pour le magazine Alternatives économiques, dont le positionnement néo-keynésien en faveur d’une dépense publique abondante pour résoudre les problèmes de « fin de mois » et de « fin du monde » est connu, les trois questions du sujet reviennent ni plus ni moins à demander aux élèves de montrer « que la politique d’Emmanuel Macron est la bonne ».

Non sans humour, l’auteur évoque une époque où le Medef accusait la publication d’inspirer les sujets du Bac parce qu’il y était question de l’influence positive des syndicats de travailleurs et des conséquences négatives du retrait de l’État. Et de se demander si Emmanuel Macron, réputé s’occuper de tout, n’aurait pas écrit lui-même les sujets de cette année. Selon le journaliste, la question sur les effets pervers possibles des politiques sociales répond pour ainsi dire mot pour mot au « pognon de dingue » que le Président fustigeait au début de son mandat, véhiculant implicitement les clichés nauséabonds d’assistanat et de fainéantise des travailleurs :

« La politique sociale ? Regardez : on met un pognon de dingue dans les minima sociaux et les gens, ils sont quand même pauvres, on n’en sort pas. » (Emmanuel Macron, Twitter, 2018)

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J’aimerais rassurer Alternatives économiques. Chez Emmanuel Macron, il y a les paroles, et puis il y a les actes. Et ce sont deux comportements sans aucun rapport l’un avec l’autre.

Alors oui, Macron a effectivement dénoncé le « pognon de dingue » englouti dans les politiques sociales. Non sans raison, d’ailleurs : fondée depuis 1945 sur un État qui se veut providence, stratège et nounou, la France dépense beaucoup d’argent, de l’ordre de 60 % du PIB actuellement et 56 % avant le Covid, exactement comme à l’époque de François Hollande. Et proportionnellement beaucoup plus que la grande majorité de nos voisins du monde développé, pour des résultats économiques et sociaux comparativement médiocres : plus de chômage, plus de dette publique, plus de difficultés dans nos grands services publics (hôpital, éducation) et plus de contestation sociale que chez nos voisins affreusement ultra-libéraux.

Mais à aucun moment il n’a cherché à renverser la vapeur, comme en témoigne le niveau préoccupant atteint récemment par nos comptes publics. À aucun moment il n’a réellement cherché à prendre à bras le corps ce paradoxe d’un pays à la fois ultra-redistributeur et ultra-mal à l’aise dans ses baskets. Et si vous voulez mon avis, c’est bien dommage.

Je trouve pour ma part que la question 3 introduit une prise de recul louable sur les conséquences des politiques publiques. Elle invite à passer du stade des bonnes intentions à une réflexion sur les conséquences possibles. Elle ne demande pas de montrer que les politiques publiques sont systématiquement dommageables à la justice sociale, mais que certaines d’entre elles pourraient entraîner des effets secondaires peu désirables, voire aboutir à l’inverse de l’effet bénéfique recherché (effet Cobra). Ne serait-ce pas plutôt la volonté de ne surtout pas examiner une politique publique dans toutes ses dimensions, les bonnes et les moins bonnes, qui relèverait de l’idéologie et de l’irresponsabilité ?

Je pense par exemple au salaire minimum et au combat actuel pour le monter à 1 400 euros mensuels nets en France (programme de Jean-Luc Mélenchon) et à 15 $ par heure aux États-Unis. La bonne intention consiste à se dire que si le salaire minimum est fixé à tel ou tel niveau, tous les travailleurs auront un salaire décent leur permettant de se loger, se nourrir, s’habiller et éduquer leurs enfants. Sauf qu’une telle décision évincerait (et évince déjà) du marché du travail les personnes les moins expérimentées et les moins qualifiées – ceux que la gauche auto-proclamée progressiste et enrubannée de son proverbial monopole du cœur prétend contre toute logique économique vouloir protéger. Vous avez dit justice sociale ?

Il est vrai que tout en n’ayant à la bouche que le mot « travailleurs » et le concept de « défense des travailleurs », la gauche n’aime pas le travail. Elle n’y voit qu’aliénation au grand capital (coucou, Gérard Filoche) et préfère de beaucoup un chômage largement indemnisé à un travail trop long en horaire hebdomadaire ou en années travaillées.

Du Droit à la paresse théorisé en 1880 par le gendre de Marx Paul Lafargue au « ministère du temps libre » institué en 1981 avec l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir, sans oublier le passage aux 35 heures en 2000 (fausse solution à notre vrai chômage) et l’aspiration à retrouver un âge de la retraite à 60 ans, tout converge à gauche pour obtenir une répartition socialiste du travail et de la paresse dans toute la société. D’où l’indignation vertueuse suscitée par la question 1.

Comme la gauche n’aime pas non plus le capital, on en déduit que le seul système économique qui serait synonyme de solidarité et de justice sociale consisterait à en revenir à une économie planifiée de bout en bout et le seul travail qui serait susceptible d’émanciper les travailleurs serait celui qui prévaut dans la fonction publique : emploi à vie, salaires et découpage horaire décrétés administrativement, manque de motivation au travail, productivité en berne – et faible prospérité au bout du compte. Ça fait rêver… et ça en dit long sur la piètre opinion des socialistes à l’égard de leurs congénères.

Cette piètre opinion, ce mépris impérial des facultés de l’esprit humain, on les retrouve dans la levée de boucliers scandalisée qui a accompagné la découverte de la question 2. Comment ? L’innovation pourrait nous permettre d’avoir à la fois croissance économique et prise en compte soignée de l’environnement ? Impossible. Le Club de Rome l’avait annoncé très clairement dans son célèbre rapport intitulé The Limits To Growth (Les limites à la croissance) en 1972.

Résumé : Les ressources naturelles vont s’épuiser à brève échéance sous les coups conjugués des croissances démographique et économique débridées. Si rien n’est fait – genre limitation autoritaire des naissances, décroissance et répartition autoritaire des richesses en fonction des besoins de chacun (évalués comment, par qui ?) – le système économique mondial s’effondrera en 2030. Peut-être même en 2020, selon une mise à jour réalisée en 2012. (Et merci de ne pas prendre les conséquences économiques des restrictions anti-Covid ou de la guerre russe en Ukraine pour la réalisation de ces prédictions apocalyptiques).

En attendant la fin du monde qui tarde à venir, les ONG environnementales nous calculent pieusement (mais sans cohérence méthodologique) le « jour de dépassement de la Terre » et s’alarment de voir cette date se rapprocher chaque année un peu plus du 1er janvier – sans vouloir considérer les apports technologiques du nucléaire civil dans la limitation des émissions de CO2, ni ceux des nouveaux engrais dans la productivité agricole, par exemple.

Alors bien sûr, la Terre est bel et bien composée d’un nombre fini d’atomes. Mais là n’est pas le point essentiel. Car depuis qu’il a découvert le feu, puis inventé la machine à vapeur (James Watt, 1769), l’homme a prouvé qu’il était capable de recombiner ces atomes à l’infini pour en tirer non seulement subsistance, mais sortie de la pauvreté et prospérité. Comme le soulignait le rédacteur en chef de Human Progress Marian Tupy dans un article consacré à l’illusion de l’épuisement imminent des ressources :

« What matters, then, is not the physical limits of our planet, but human freedom to experiment and reimagine the use of resources that we have. »
Dès lors, ce ne sont pas les limites physiques de notre planète qui importent, mais la liberté humaine d’expérimenter et d’imaginer de nouvelles utilisations des ressources que nous avons.

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Autrement dit, la liberté d’innover. Mais il faut croire que dans les esprits chagrins voire carrément dépressifs des grandes figures médiatiques de l’écologie, Greta Thunberg, Extinction Rebellion, etc., qui portent haut la collapsologie et la solastalgie, rien ne serait plus horrible que de voir l’innovation favoriser le « recul des limites écologiques de la croissance ». La liberté, déjà, quelle idée loufoque !

Bref, ces sujets du Bac économique et social posent de bonnes questions et devraient pousser à la réflexion. Y voir un scandale, une honte, etc., comme c’est bruyamment le cas depuis jeudi, pose une autre question : les bénéfices du marxisme écologique décroissant seraient-ils si unanimement reconnus qu’ils n’autorisent aucune remise en cause ?


Illustration de couverture : Salle d’examen du baccalauréat.

10 réflexions sur “Au secours, le BAC d’éco devient furieusement ultra-libéral !

  1. Si il n’ y avait que la gauche mais on trouve aussi son pendant à droite et tout ce petit monde se mobilise pour l’ immobilisme ; les deux ne s’ émeuvent pas de la médiocrité de leurs progénitures.

  2. Ce qui est caractéristique, c’est l’insolence des socialistes, bien représentée par le magazine Alternatives économiques. Non seulement ils trustent les postes et l’expression de idées, mais ils montrent les dents dès que la plus petite exception se manifeste à leur règne sans partage.

    Comme il n’est obtenu que par la contrainte, toute contestation, aussi minime soit-elle, doit être combattue impitoyablement, sous peine de voir tout l’édifice s’effondrer.

    Cette action est bien en évidence sur BFM Business, où le directeur d’Alternatives économiques est invité permanent dans une émission régulière.

    Dans une autre émission de BFM Business (animée bien sûr par un type plutôt d’orientation libérale), j’ai eu la stupéfaction d’entendre, l’autre jour, un autre invité régulier, économiste me semble-t-il, qui préconisait l’instauration d’une taxe Covid. Cette taxe serait infligée aux grande entreprises qui ont bénéficié des subventions Covid, et se porteraient « trop bien » actuellement. Son produit servirait à soutenir les petites entreprises, ou celles qui n’ont rien touché à cette occasion.

    A l’animateur qui, interloqué, lui demandait si ce n’était quand même pas du socialisme, l’autre a répondu que pas du tout, il fallait s’habituer à ce genre de chose, ça consistait à favoriser la production puis à « répartir ». La rage interventionniste est partout.

    • Rectificatif : le fou furieux socialiste qui causait sur BFM Business ne voulait pas taxer les entreprises ayant reçu des aides pour le Covid, mais celles qui fonctionnent en télétravail. Cela leur ferait faire des économies considérables, et donc il voudrait qu’elles subventionnent les entreprises qui ne peuvent pas utiliser le télétravail (travailleurs de la première ligne gna-gna, comme on dit aujourd’hui pour ne pas dire « prolétariat »).

      Le même économiste enragé considérait qu’il fallait absolument taper dans les économies des gens pour qu’ils payent l’énergie plus cher. Il considérait comme un scandale (je crois qu’il a prononcé le mot) que les gens aient pu mettre de l’argent de côté pendant l’épidémie, parce qu’ils ne pouvaient pas consommer. Et donc, il faut que l’Etat leur prenne cette épargne pour les contraindre à payer leur électricité et leur essence plus cher.

      Et le type disait ça en riant, sur une radio dont les journalistes se font attaquer physiquement dans la rue au prétexte qu’ils sont « ultra-libéraux ». Il était hystérique à l’idée que les gens puissent posséder leur propre épargne qui ne serve à « rien » (c’est à dire qui ne soit pas mise au service de son constructivisme à lui).

      C’est un intervenant régulier de l’émission. Un de plus pour qui les revenus et le patrimoine des Français appartiennent à l’Etat par défaut, et si on est gentils, on va vous en laisser un bout pour que vous vous amusiez avec, mais il faudra nous dire merci.

      Après, on me regarde comme un fou quand je dis que la France est communiste.

  3. C’est en effet scandaleux. Comment, ces malheureux élèves à qui on a seriné pendant toute leur scolarité que le travail est une malédiction et une aliénation, que le capitalisme détruit la planète et que l’objet même des politiques publiques est la justice sociale, comment donc pourraient-ils être préparés à répondre à ces questions? Après leur avoir fait subit un lavage de cerveau pendant une douzaine d’années, on veut les obliger à réfléchir et à remettre en question leur endoctrinement? C’est inadmissible! Protégeons notre jeunesse des idées qui pourraient les déranger!

  4. Il suffit de taper « travail source d’intégration sociale » sur google pour voir une tripoté de cours scolaires positifs sur le sujet. Donc là, les démonstrations de bon sens sont encore en vigueur…

    Idem pour « innovation peut aider à reculer les limites écologiques de la croissance », cela semble peut-être……admis sauf par les furieux de la décroissance.

    Evidemment pour la justice sociale, comme nous sommes les champions des prestations sociales,
    https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2021-01/8%20L%E2%80%99ensemble%20des%20prestations%20de%20protection%20sociale%20en%20Europe.pdf
    Il suffirait de constater ceux des pays qui offrent le meilleur pouvoir d’achat au lieu d’être des trappes à pauvreté :
    https://atlasocio.com/classements/economie/pib/classement-etats-par-produit-interieur-brut-par-habitant-parite-pouvoir-achat-monde.php
    ou lire les expériences tentées :
    https://www.contrepoints.org/2013/10/07/141662-les-aides-sociales-lennemi-pauvres

    Là on touche à la révolution idéologique !

  5. D’après ce que j’ai lu, ces questions sont des « questions de cours » (« mobilisation des connaissances » dans l’intitulé du sujet) donc elles dérivent directement de différentes parties du programme en vigueur en première et terminale. Pour les esprits les plus chagrins (incluant des professeurs agrégés en sciences économiques et sociales), c’est carrément le programme qu’il faut expurger de ces éléments insolemment libéraux. Faute de quoi, le risque de voir de telles questions se reproduire au bac s’approche du niveau Seveso intellectuel 🙂
    https://leblogdenathaliemp.com/wp-content/uploads/2022/05/Programme-SES-Nouveau-Bac.png

    • Pour modérer mon commentaire, les thèmes sont en bonne place sur google à cause du nombre des consultations justement dû au fait que c’est le sujet d’actualité. Peut-être que sinon, ces thèmes seraient moins accessibles.

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