2022 : « Je serai au second tour » – et autres blagues de campagne

C’est incompréhensible. À dix jours du premier tour de l’élection présidentielle 2022, la campagne électorale ne parviendrait pas à intéresser les Français ! D’après l’institut de sondage Ifop, seulement 56 % d’entre eux ont évoqué le sujet dans leurs conversations de la semaine dernière alors qu’en 2017, ils étaient 80 % à le faire à la même époque ! Ne dirait-on pas que les Français trouvent la campagne mortellement ennuyeuse ?

Alors permettez-moi de m’insurger. C’est trop injuste ! Trop injuste pour nos candidats, trop injuste pour notre classe politique et trop injuste pour tous ces nombreux politiciens dévoués au bien commun qui n’ont jamais ménagé leur peine pour nous amuser et nous faire rire. Non, non et non, la campagne électorale n’est pas ennuyeuse du tout ! Elle est au contraire très drôle et le devient de plus en plus à mesure qu’on avance vers le premier tour.

Prenez la candidate des Républicains Valérie Pécresse. Dans les sondages les plus récents, on voit qu’elle a bien du mal à se maintenir aux 10 % où elle est tombée depuis quelques semaines. Mais d’un autre côté, elle l’a toujours dit : dans sa vie politique, on l’a mille fois donnée perdante et finalement, au dernier moment, quand personne n’y croyait plus, elle a gagné ! Dans sa région Île-de-France, par exemple, et face à un candidat socialiste, en plus !

Selon cette philosophie de l’espoir qui n’est pas sans rappeler la méthode Coué, elle aurait tout lieu de s’inquiéter si elle était mieux placée aujourd’hui dans les intentions de vote. Dieu merci, c’est très loin d’être le cas, ce qui lui permettait d’affirmer hier au micro d’Elisabeth Martichoux :

« Je peux être la surprise du deuxième tour. »
(Pécresse, LCI, 31 mars 2022)

Pour une surprise, ce serait une surprise, incontestablement. Je ne sais pas vous, mais moi, je ris aux éclats. Quel brio, quelle persévérance, quel spectacle ! The show must go on. Une vraie politicienne, en somme.

Mêmes 10 % et même optimisme chez Éric Zemmour. Pas parce que les derniers seront les premiers, mais parce qu’il se voit comme l’homme providentiel de la réconciliation des droites et le sauveur de la France. Les électeurs potentiels de Mmes Le Pen et Pécresse l’ignorent peut-être encore, mais lui seul est capable de bouleverser l’échiquier politique au soir du premier tour.

Et puis tout le monde sait qu’il existe un immense vote Zemmour « caché » tandis que Le Pen est scandaleusement surévaluée pour activer le réflexe facile du barrage à la droite et l’extrême-droite. Et hop ! Cinq points de moins pour elle, cinq points de plus pour lui, on oublie Mélenchon qui, mine de rien, avance dans son « trou de souris », et la conclusion s’impose d’elle-même :

« Je vous assure que je serai au second tour. »
(Zemmour, BFM TV, 30 mars 2022)

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Peut-être le candidat de Reconquête! a-t-il eu connaissance de la fameuse « prophétie de la chaussette ».

Il se trouve que début mars, la boutique lilloise « Chaussettes et Cie » s’est lancée dans la confection de chaussettes rouges ou bleues, avec ou sans masque chirurgical, à l’effigie de huit candidats présidentiels sur douze – Hidalgo, Jadot, Lassalle, Le Pen, Macron, Mélenchon, Pécresse et Zemmour. Au départ, Lassalle n’y était pas, mais face à la demande, il a dû être ajouté, de même que Taubira qui n’est pourtant plus candidate :

Or selon cette toute nouvelle méthode de prédiction du résultat du vote, Marine Le Pen ne serait pas au second tour. Après récapitulation statistique des ventes, les préférences des acheteurs de chaussettes siglées au portrait des candidats vont dans l’ordre à Macron, puis Zemmour, puis Mélenchon :

« Les trois qui se distinguent vraiment sont Emmanuel Macron,
Eric Zemmour, qui est quand même assez haut,
et Mélenchon qui fait une belle remontada. »
(Prophétie de la Chaussette, 20Minutes, 30 mars 2022)

Attention quand même. Si certains acheteurs manifestent ainsi directement leur adhésion politique, d’autres aiment tout particulièrement l’idée de pouvoir fouler aux pieds les candidats qu’ils rejettent le plus, surtout avec un masque sur la bouche, comme pour leur intimer avec dédain de se taire une bonne fois pour toutes.

Côté Parti socialiste, Anne Hidalgo adore « ses » chaussettes 2022 – ce n’est pas le problème. En plus, elle peut se prévaloir de l’éminent soutien de l’ancien Premier ministre Lionel Jospin – ce n’est pas le problème non plus. Du moins à condition d’oublier que Jospin fut évincé du second tour de 2002 au moment où Jean-Marie Le Pen y accédait. Mais quand on pense à cette pauvre Valérie Pécresse qui n’est même pas arrivée à tirer un seul petit mot aimable de Nicolas Sarkozy, ce n’est pas si mal.

   

En revanche, Hidalgo est à 2 % max dans les sondages – problème existentiel pour le PS. À ce niveau à peine perceptible qui fait du « grand parti de Jaurès, Blum et Mitterrand » un groupuscule de plus au sein d’une gauche de plus en plus Insoumise, difficile de jouer plus longtemps à prétendre être au second tour. Mais l’on peut agréablement s’amuser à faire des prédictions sur les autres :

« Jean-Luc Mélenchon ne sera pas au deuxième tour. »
(Hidalgo, France 3, 6 février 2022)

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Du reste, les déboires présidentiels d’Anne Hidalgo ne font pas que des malheureux. Quoique retiré de la vie politique, l’ex-candidat du PS Benoît Hamon n’est pas fâché de faire savoir à qui veut l’entendre que quand il se compare, il se console. N’avait-il pas réalisé le score appréciable de 6,36 % en 2017 ?

« Et dire que tout le monde se foutait de ma gueule avec mes 6 %. » 
(Hamon, rapporté par ChezPol-Libération, 31 mars 2022)

Ha, ha, la bonne blague ! Petite amnésie passagère, Benoît ? En 2017, Yannick Jadot s’était désisté en faveur du PS avant le premier tour. Donc pour respecter le périmètre de comparaison, il convient d’ajouter le score du Jadot solo d’aujourd’hui, soit environ 5 %, à celui d’Anne Hidalgo. Et là, nous arrivons au fabuleux total de 7 %. C’est toujours mieux que 6,36. Carrramba, Encore rrraté !

Mais le pire dans tout cela, ce sont les élections législatives. Avec les nombreuses défections d’anciennes gloires socialistes au profit d’Emmanuel Macron – les Touraine, Guigou, Valls, Chevènement – qui, hormis Hollande, pour faire entendre la voix de « la gauche de responsabilité » au sein de la République ? Qui, hormis Hollande, pour faire résonner la voix des grands orateurs socialistes d’antan à l’Assemblée nationale ?

Autour de l’ancien Président, on murmure, on intrigue, on s’interroge. On soutient Hidalgo, mais on pense très fort à l’après. On compte les Présidents et les Premiers ministres redevenus députés : Giscard, Barre, Fillon, Valls, Ayrault… et l’on teste, l’air de rien, l’argument-massue :

« Cela fait longtemps qu’il n’y a pas eu
de grandes personnalités à l’Assemblée nationale. »
(Entourage Hollande, l’Opinion, 31 mars 2022)

Il fallait y penser…

Voilà, voilà. C’était mon article de 1er avril. Aucun canular dans les faits rapportés, que du vrai de vrai. Mais une réalité qui prête tellement à rire et se moquer qu’on se demande s’il ne faudrait pas plutôt en pleurer. On parle quand même de l’élection présidentielle. Ça promet.


Illustration de couverture : Poissons d’avril 2022.

12 réflexions sur “2022 : « Je serai au second tour » – et autres blagues de campagne

  1. Je ne leur en veux pas d’affirmer qu’ils seront au second tour, c’est le combat de leur vie, ils y croient, rien n’est écrit à l’avance, et de toutes façons, ça ne prête pas à conséquence. Mais vous avez raison d’introduire un peu d’humour dans cette campagne bien corsetée. Sans rapport : si quelqu’un sait pourquoi Sarkozy ne soutient pas Pécresse, ça m’intéresse, merci de me faire part de vos lumières. Et comme on dit dans les annonces : pas sérieux s’abstenir. C’est le 1er avril non?

  2. Comme vous, je trouve cette campagne très amusante !
    En effet, quelle n’a pas été ma surprise d’entendre dans la revue de presse du 31 mars sur Radio Classique, que le journal L’Opinion – qui définit lui-même sa ligne comme : « libérale, pro-européenne, pro-business » – avait commis un article intitulé : « Jusqu’où ira Marine Le Pen ? » agrémenté d’une caricature que le journaliste décrivait comme hilarante.
    Inutile de vous dire que je n’avais jamais lu L’Opinion. Cependant, je décidai de me procurer ce numéro du journal et j’enjoignis mon employée de maison de l’acquérir pour moi au kiosque. Ce qu’elle fit.
    Et là surprise : la fameuse caricature était absente de la première page, et ne figurait dans aucune des autres pages du journal ! A y regarder de plus près, je m’aperçus qu’elle m’avait apporté le n° du 30 mars et non celui du 31 mars !
    Mieux ! J’avais découvert la caricature sur le site de L’Opinion le matin, mais quand j’y suis retournée l’après-midi même, elle avait disparu !
    Mais je ne vous laisserai pas plus longtemps sur le grill car je l’ai tout de même retrouvée :

    https://www.lopinion.fr/elections/presidentielle/presidentielle-jusquou-ira-marine-le-pen

  3. Tout le monde a l’air de croire aux sondages.
    Je ne sais pas qui sera au second tour, bien sûr, mais quand on sait que l’oligarchie, qui possède la presse, possède aussi les instituts de sondage, on se dit qu’il n’est pas absolument impossible que les sondages soient très légèrement trafiqués.
    Rappelons-nous qu’il n’y a pas si longtemps, les sondeurs plaçaient Zemmour aux portes du second tour, histoire de diviser les votes de la droite.
    Maintenant, Macron et ses potes se disent que Zemmour est leur pire adversaire au second tour car il osera parler des sujets qui fâchent comme Alstom, EDF ou Mckinsey que les autres candidats évitaient soigneusement jusqu’à présent.
    Machine arrière toute, on réexpédie Le Pen au second tour, on met Macron élu quoi qu’il arrive histoire de favoriser l’abstention.
    Alors que tout le monde admet que l’électorat de Zemmour est le plus fiable, que ses meetings sont des succès, tout d’un coup un beau matin, ses électeurs se détourneraient en masse?
    Bref, votez Zemmour, c’est le seul qui peut battre Macron, à moins que vous ne préfériez ce dernier pour 5 ans de plus.

  4. Du fin fond de ma province, madame Pécresse représente à mes yeux Versailles Neuilly. L’erreur monstrueux des partis est de désigner leurs poulains par des primaires, pire de sélectionner les prétendants des parrainages on se croirait parfois revenu au temps de la monarchie et de la savonnette à vilain. Il me semble urgent de revoir en profondeur ce bazar tout comme la refonte de l’état profond car la France possède un président élu mais est gérée par l’énarchie comme le montre Yvan Stéphanovitch – la face cachée du conseil d’état.. et du reste d’ailleurs…

    • @Louis : la seule partie de votre message avec laquelle je suis d’accord c’est l’idée que la France est gouvernée depuis un espace réduit qui comprend Paris et quelques villes alentour, dont Versailles que vous citez. Il ne pourra pas y avoir de retour à la croissance, à la saine gestion et à l’état de droit sans une réforme du centralisme bureaucratique, politique et médiatique.

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