Entretien Macron sur TF1 et LCI : Confessions pseudo-intimes d’un Président résolument en campagne

Mercredi 15 décembre dernier, Emmanuel Macron a répondu pendant presque deux heures aux questions des journalistes Darius Rochebin et Audrey Crespo-Mara de TF1 et LCI dans un grand entretien intitulé « Emmanuel Macron, où va la France ? » qui avait été enregistré le dimanche précédent. 

Un titre dans la veine « Confessions pseudo-intimes d’un Président en campagne » aurait certainement mieux convenu tant l’exercice, feutré, calibré, méticuleusement mis en scène dans le décor riche et doré de la salle des fêtes de l’Élysée, ressemblait à une opération de promotion politique sous ses dehors affectés de sincérité et d’empathie profonde avec la France et les Français qu’Emmanuel Macron déclare avoir appris à « aimer follement ».

Dès le début, une gêne s’installe. Pourquoi a-t-il fallu que le journaliste précise à haute voix devant les téléspectateurs que l’entretien serait conduit sans complaisance aucune, que lui et sa collègue seraient « d’une objectivité de fer » ? Pourquoi a-t-il fallu qu’il demande à Emmanuel Macron s’il était prêt à répondre à « toutes les questions sur tous les sujets » ? Et pourquoi a-t-il fallu que ce dernier lui donne la réplique sur le mode « vous êtes journalistes, libres, nous sommes une démocratie et fiers de l’être, donc bien évidemment, oui. » 

Peut-être parce que tout ceci n’allait pas de soi. Peut-être parce qu’on savait l’entretien préparé de longue date, donc fort éloigné de la moindre spontanéité. Peut-être parce qu’Emmanuel Macron compte à son bilan de nombreux efforts pour encadrer la presse et l’information. Bilan dont il ne s’est pas vanté mercredi soir, quoique réaffirmant cependant combien toutes les paroles, celles des experts par rapport à celles des citoyens ordinaires, ne se valent pas.

Le fait est que les journalistes ont posé beaucoup de questions sur beaucoup de sujets, y compris des sujets dérangeants comme le pass sanitaire, les libertés publiques, l’affaire Benalla, l’affaire Hulot, ses propos râpeux à l’égard des Français comparés à des gaulois réfractaires, l’épisode des Gilets jaunes, les déboires de hôpital, le président des riches, la non-réforme des retraites, etc.

Mais jamais ils n’ont relancé le président ni ne l’ont mis face à ses contradictions, ses non-dits et son art consommé de l’esquive et du « en même temps » tandis qu’il déroulait à loisir un plaidoyer à peine teinté de quelques petits regrets dont on sent trop qu’ils ne sont que de pure forme.

Trois exemples :

· Dans l’affaire Benalla, nous dit Emmanuel Macron, j’ai agi, le gouvernement a agi exactement comme il le fallait. La preuve, l’affaire s’est complètement dégonflée. Oh certes, à condition d’oublier par exemple que son conseiller spécial Ismaël Emelien (qui a démissionné depuis) avait ajouté dans une vidéo des images d’une scène de violences sans rapport avec l’altercation reprochée à Benalla pour donner plus de force à la thèse selon laquelle ce dernier ne faisait que réagir à des violences importantes. Tricherie. Non-dit. Réécriture du passé.

· Oui, j’ai parfois tenu des propos qui pouvaient blesser, concède le président en repensant à sa phrase sur « les gens qui réussissent et ceux qui ne sont rien » et j’en suis profondément mortifié. C’est inacceptable car le respect fait partie de la vie politique. Mais, ajoute-t-il aussitôt, j’ai subi le syndrome de la « petite phrase », une opération de décontextualisation qui a complètement déformé mes propos. Et de toute façon, en m’exprimant ainsi, un peu brutalement, « j’avais la volonté de transgresser, de bousculer, de ne pas céder à une forme de conformisme ». En même temps sur en même temps.

· Plus important, le nombre de fonctionnaires. On se rappelle que lors de sa campagne présidentielle de 2017, Emmanuel Macron s’était engagé à baisser les effectifs de la fonction publique de 120 000 postes sur cinq ans. À l’époque, malgré l’extrême minceur du chiffre comparé à nos 5,7 millions de fonctionnaires, cela lui semblait indispensable pour faire avancer la « startup nation » avec grâce et légèreté.

Résultat, un objectif jamais mis en œuvre qui fut abandonné officiellement dès l’été 2019 selon la nouvelle thèse gouvernementale récitée à l’envi mercredi soir : ce qui compte, c’est l’efficacité du service public, pas le coup de rabot sur les effectifs qui représentent des hommes et des femmes dévoués qui travaillent au service de la France. Et le président de se lancer ensuite dans une longue digression sur les effectifs de l’armée qu’il ne faut surtout pas baisser, bien au contraire. Sauf que personne à droite n’a envisagé le moins du monde de faire des coupes en ce domaine. Esquive.

Et pour le reste, pas grand-chose à se mettre sous la dent, dans cet entretien fleuve et touche-à-tout qui n’a guère répondu à la question présentée au début comme centrale par les journalistes, à savoir : « Où va la France ? »

Ou plutôt si, mais pas comme on l’attendait. Car finalement, tout le monde a très bien compris que la France allait lentement mais sûrement vers une nouvelle candidature présidentielle d’Emmanuel Macron.

Ce dernier a pris un malin plaisir à souligner qu’il n’était pas en campagne et qu’il ne faisait surtout pas de politique, contrairement à d’autres – et bim ! Mais en même temps, « je n’ai jamais pensé qu’on pouvait, en cinq ans, tout faire », a-t-il affirmé. « D’évidence, j’ai de l’ambition pour le pays au-delà du mois d’avril prochain » a-t-il même ajouté. Voilà qui est presque précis. Mais qui ne laisse guère de doutes aux journalistes et aux auditeurs. Ne manque plus que la déclaration officielle qui devrait arriver fin janvier début février d’après les bruits de couloir médiatiques.

Quant au programme du second mandat, il est devenu clair comme de l’eau de roche : à gauche toute. Avec l’entrée en campagne de Valérie Pécresse, la candidate de la droite qui a peut-être (soyons prudents) une petite chance d’arriver au second tour et de battre Emmanuel Macron sur le fil, la « droitisation » entamée pour aspirer Les Républicains quand il s’agissait d’affronter Marine Le Pen s’est illico transformée en gauchisation – et ce d’autant plus qu’il y a pas mal d’orphelins du Parti socialiste à récupérer chez les déçus de Jadot et Hidalgo.

D’où cette longue séquence sur les fonctionnaires qui sont des êtres humains qu’on ne peut supprimer des statistiques à coups de hache (mot de Pécresse*) et d’où cette tirade sur le président des riches qu’il n’est pas – la preuve, Emmanuel Macron sait très bien « d’où (il) vient » : parents médecins ayant exercé à l’hôpital et à la sécurité sociale, grand-mère enseignante qui a fortifié son goût pour les lettres et son engagement à gauche.

D’où cette insistance à revenir à son balancement initial entre libérer et protéger, mais surtout protéger. D’où cette façon d’assumer le « quoi qu’il en coûte » en temps de Covid, en passant évidemment sous silence les remarques de la Cour des Comptes sur l’inexorable augmentation des dépenses publiques qui dépasse largement les mesures de soutien mises en place pendant la pandémie.

D’où cette satisfaction devant la croissance économique annoncée pour 2021, en passant très rapidement, trop rapidement, sur la hausse parallèle de la dette publique reléguée à une préoccupation grincheuse de quelques libéraux mal embouchés. D’où aussi une esquisse en pointillée d’une réforme des retraites remise à plus tard.

Bref, Emmanuel Macron ne l’a pas redit en ces termes mercredi soir, mais pour lui, il demeure plus évident que jamais que :

« La France n’est pas un pays comme les autres. Le sens des injustices y est plus vif qu’ailleurs. L’exigence d’entraide et de solidarité plus forte. »

À partir de là, ne comptez pas sur lui pour faire la « Révolution ». Il a une élection à remporter. Ça promet.


Résumé de l’entretien « Où va la France ? » du 15 décembre 2021 réalisé par le journal Le Monde (vidéo, 04′ 32″) :


(*) Petite parenthèse : je découvre en faisant mes recherches pour cet article qu’une « Commission de la hache » a existé en France en 1947 pour aboutir à la suppression de 50 000 agents d’État contractuels et auxiliaires.


Retrouvez cet article et quelques autres dans ma nouvelle page « Présidentielle 2022 ».


Illustration de couverture : Entretien d’Emmanuel Macron sur TF1 et LCI, Élysée, le 15 décembre 2021. Photo AFP.

7 réflexions sur “Entretien Macron sur TF1 et LCI : Confessions pseudo-intimes d’un Président résolument en campagne

  1. Je me demande souvent qu’elles sont nos réelles autorités, celles pour qui nous votons me semblent parfois étranges, un peu comme les acteurs d’un théâtre déconnecté de notre quotidien. D’ailleurs ces campagnes électorales possèdent ce quelque chose de théâtral. Il est troublant que dans un contexte ou l’actualité est si riche en évènements voire en menaces (l’Ukraine, l’Asie, la méditerranée orientale, l’absence de politiques tant nationale qu’européenne, la folle financiarisation de nos sociétés dont les dettes, la remise en cause de notre culture, Etc) ils n’opposent que du bavardage et des échanges stériles avec pour unité de valeur « l’Audimat ». La troisième république fut un grand bazar sur fond de crises nous connaissons la suite. Chers politiques quel que soit vos tendances ne rejouer pas cette mauvaise pièce..

  2. Je n’ai vu que des extraits mais je suis frappé par le manque de sincérité et la mauvaise performance d’acteur. Il n’a pas du être bien attentif pendant ses cours de théâtre au lycée parce que son regard perdu vers le sol pendant ses longs silences contrits, personne n’y croit, ce n’est même pas du niveau d’un mauvais téléfilm. A comparer avec un Chirac ou un Mitterrand. Il ne joue clairement pas dans la même catégorie. Qui est dupe ?

    J’aurais aimé être une mouche pendant les séances de brainstorming, je me serais bien marré. Qui a trouvé la formule « ce n’est pas une affaire d’Etat, c’est une affaire d’été » ? On se dit qu’il ou elle aurait dû être viré des répétitions. Et par quel abime de désespoir Macron a-t-il jugé cette formule digne d’être retenue ? Mystère. Heureusement que les journalistes n’étaient pas trop durs.

    Comme vous l’écrivez ce qui surprend le plus c’est l’incroyable complaisance des journalistes. Cette profession a la dent bien dure contre les opposants et la langue bien révérencieuse pour le pouvoir. Mais peut-être leurs questions les plus pointues ont-elles été coupées au montage ? Car il s’agissait d’une émission enregistrée à l’avance ! Le courage n’est pas une de ses vertus cardinales.

    Sur le fond, je crois que vous avez raison : comme l’espace à droite est verrouillé par Pécresse, Macron tente une nouvelle fois de dépecer les restes de son aile gauche dont il est bon de rappeler qu’il est issu et dont il est idéologiquement proche, notamment sur les aspects sociétaux. Par chance pour lui, Hidalgo le surpasse en nullité.

  3. Vous semblez découvrir, chère Nathalie, ce que beaucoup de Français ont compris depuis longtemps -d’où leur détestation pour cette profession – que les « journalistes » qui acceptent de servir la soupe au pouvoir n’ont plus, de journaliste, que leur carte de presse.
    D’où la faible audience de cette émission de propagande, si j’en crois ce qu’en écrit Maxime Tandonnet.
    J’espère toutefois que vous ne manquerez pas d’analyser par le menu, comme vous savez si bien le faire, la première de Face à Baba qui a vu exploser l’audience de C8, hier au soir :

    https://www.toutelatele.com/face-a-baba-eric-zemmour-explose-sur-c8-quelle-audience-pour-cyril-hanouna-136341

    • @Mildred : Oui vous avez raison, les gens se lassent de ce journalisme de connivence qui met le cirage de pompe sur un piédestal et la déontologie au placard. Lorsqu’en plus ces journalistes prétendent nous expliquer ce que nous devons penser sur des sujets qu’eux-mêmes ne comprennent pas, ça devient franchement agaçant.

      Pour ma part, j’ai perdu la « foi » à deux reprises, la première à l’époque de l’affaire Gregory et ensuite pendant la guerre du Golfe de 91. Plus tard, j’ai compris qu’en plus de leur appétence pour le sensationnalisme et l’hystérie, de trop nombreux journalistes racontent quasiment n’importe quoi sur le peu de sujets que je connais, et je pense que ça doit être pareil pour à peu près tous les sujets. A l’inverse, mes amis les livres ne m’ont jamais déçu, notamment lorsqu’ils sont écrits par des universitaires.

      Pourtant ce serait stupide de vouloir mettre tous les journalistes dans le même sac et de vouloir balancer le tout dans la Seine (oui la Seine parce que c’est bien dans la capitale qu’ils vivent, à proximité des médailles en chocolat et des subventions dont le pouvoir les gratifie pour les remercier de leur servilité). Il y a de bons, d’excellents journalistes et d’excellentes revues : Contrepoints par exemple.

      Pour en venir après moult détours à cette nouvelle émission de « Baba » que vous mentionnez, je dois avouer que je ne l’ai pas vue, de même que l’interview de Macron mais je pense quand même pouvoir affirmer sans trop me tromper que la meilleure chose à faire avec la télé c’est de l’éteindre. Même quelqu’un qui se gratterait le nez bêtement dans son jardin en contemplant sa pelle d’un air ahuri ferait un meilleur usage de son temps. La télé pollue, la télé pue.

    • si les français ont compris pourquoi il est toujours à 25%?
      je pense plutot que les français sont bêtes comme leurs pieds.
      un bon coup de flûte et du violon ça marche toujours.
      justement c’est un très bon acteur.
      si les français étaient lucides c’est z qui tape juste.

      • Personnellement, je ne prête aucune foi en ces sondages qui ne sont plus que d’influence.
        Ceux de 2002 donnaient Chirac et Jospin (25%) au second tour. On connaît la suite.

        J’avoue que 20 ans après, un scenario identique pour Macron me ferait frétiller de joie. La seule marge de manœuvre de ses séides est d’abattre Zemmour par tous les moyens.

        Je gage qu’ils s’y emploient avec ardeur.

  4. Vivement qu’il prenne la présidence de l’Europe et qu’il se fasse museler par les allemands qui vont par leurs écolos verts foncé retarder l’arrivée du gaz russe du Nord Stream2 dans les cuves de GDF. Ainsi, avec un bon hiver comme en 1971, la France et ses 25% de pauvres, grelottera pour le plus grand plaisir des américains qui nous proposeront à prix d’or leur gaz de schiste. « Faut pas gâcher » dirait Guy Roux.
    De plus, en tant que président de l’Europe, nous risquons, nous français de prendre des dégâts collatéraux s’il la ramène trop dans le dossier Ukrainien.
    Enfin, les français comprendront qu’il ne se représente pas à l’élection présidentielle française quand le nouveau chancelier allemand lui ordonnera de payer « les dettes françaises » d’abord, puis en lui enlevant le carnet de chèque européen., pour éviter des détournements de pognon de dingue à l’avantage des Bigpharma et des sommités médicales françaises à l’origine de la bombe à fragmentation familiale et sociétale du nouveau passe vaccinal français.

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